Notice 52

Types et modèles de curricula

Joël Lebeaume

Les syntagmes nominaux « forme curriculaire », « figures curriculaires » ou « curriculum forms », « curriculum patterns », « curriculum types » sont mobilisés dans la littérature scientifique pour caractériser les curricula et rendre compte de leurs fondements, de leurs structures, de leurs organisations ou de leurs compositions d’ensemble (intégralité ou composants tels que enseignements, matières, disciplines scolaires, dispositifs ou actions éducatives).

Parmi ces travaux, Ross distingue, à partir de la synthèse qu’il effectue des analyses comparées de l’histoire du National Curriculum 5-16 anglais (1986-1998 ; cf. Ross, 2000, p. 62-80), trois types de curricula selon leur pilotage ou leurs axes directeurs. Il en propose une différenciation : « content-driven », « objectives-driven » et « process-driven ». Le premier type privilégie les contenus organisés en matières ou disciplines scolaires ; le deuxième type précise les objectifs à atteindre, par exemple des performances ou un niveau de maîtrise pour des compétences ; le troisième type valorise le processus tel que celui des actions éducatives ou des expériences au sens d’activités expérientielles. Les rapports entre ces trois types peuvent mieux se lire grâce à la représentation d’un trièdre dont chacun des axes (connaissances ; compétences ; expériences) se distingue du plan délimité par les deux autres axes : par exemple, l’axe des connaissances du curriculum « content-driven » se distingue nettement du plan formé par les axes « objectives-driven » des compétences et « process-driven » des expériences (Lebeaume, 2019).

Ces trois conceptions idéales-typiques sont proches de celles présentées par de Landsheere (1992) ou Schiro (2013). Ce dernier distingue quatre idéologies fondatrices ou curriculum ideologies : « the scholar academic ideology », « the learner centered ideology », « the social efficiency ideology and the social reconstruction ideology » qui couvrent également des centrations privilégiées sur le savoir, l’élève ou la société. La première de ces orientations fait prévaloir le savoir et sa logique interne avec une tendance à l’atomisation des contenus ; la deuxième n’est pas conçue comme l’apprentissage systématique des savoirs ou savoir-faire, mais elle privilégie l’apprentissage fonctionnel et la résolution de problèmes significatifs pour les élèves ; les troisième et quatrième focalisent prioritairement le processus de découverte des activités sociales permettant de se situer dans le monde. Ces trois types qui s’accordent avec le triptyque savoirs, savoir-faire et savoir-être correspondent aux trois axes de l’éducation « globale » promue au xviii– xixe siècle par Pestalozzi puis Froebel associant la « tête », la « main » et le « cœur » (Kopf, Hand, Herz) et exprimée au xixe siècle en termes d’éducation « harmonienne » ou « harmonique » et « naturelle », ou encore d’éducation ou d’enseignement « intégral » (Depoil et al., 2022).

La variation de l’empan éducatif ou formatif, associé à la prise en charge nuancée de ce triptyque, est identifiée dans la distinction opérée par Mons et al. (2012), de trois grands modèles d’idéaux-types selon les pays européens. Ces autrices repèrent ainsi une éducation totale avec une grande diversité de contenus d’enseignement (associant les trois types et intégrant la vie professionnelle, la vie quotidienne, la religion… les life skills notamment présentes dans les pays d’Europe du Nord, sur le modèle anglo-saxon ; un enseignement principalement disciplinaire tourné vers les disciplines académiques (content-driven dans les pays d’Europe continentale et du Sud) ; un enseignement centré sur la vie et les enseignements professionnels (objectives-driven et process-driven, dans les mêmes pays, mais pour des publics différents). En filigrane de cet empan éducatif plus ou moins large, s’opposent les curricula académiques ou disciplinaires (content-driven) – au sens de l’enseignement secondaire (des lycées ou grammar schools) – et ceux non académiques de l’enseignement technique (objectives-driven) et de l’enseignement primaire (process-driven).

Les types de curricula se distinguent ainsi selon la direction privilégiée, selon un des trois axes (connaissances, compétences, expériences), ou bien selon un des trois plans opposés à chacun des axes, ou encore par leur couverture intégrale. Cette façon de décrire, d’investiguer et de caractériser les curricula ne se limite pas à l’enseignement scolaire. Pour les enseignements ou formations universitaires, avec une partition analogue exprimée en termes de centration sur « le savoir savant », « les besoins professionnels » ou « les enjeux culturels et sociétaux », De Ketele et Moghaizel-Nasr (2016) distinguent sept types de curricula selon leur centration sur les axes ou/et les plans.

Tableau 1. Sept types de curricula. D’après De Ketele et Moghaizel-Nasr (2016).
  Connaissances Compétences Expériences
Axe 1 (connaissances) X    
Axe 2 (compétences)   X  
Axe 3 (expériences)     X
Plan 1 (axes 1-2) X X  
Plan 2 (axes 1-3) X   X
Plan 3 (axes 2-3)   X X
Axes et plans X X X

Au-delà de l’intérêt de cette distinction des types majeurs de curricula pour la construction ou l’investigation des curricula, la différenciation présentée ouvre les orientations de recherche centrées sur les trois orientations, distinctes ou complémentaires, proposées par Robottom et Hart (1993) au sujet de l’éducation relative à l’environnement :

Références

De Ketele Jean-Marie et Moghaizel-Nasr Nada (2016). « Le curriculum, élément clé d’une politique d’excellence », dans Jean-Marie De Ketele, Bernard Hugonnier, Philippe Parmentier et Laurent Cosnefroy (dir.), Quelle excellence pour l’enseignement supérieur ?, De Boeck, p. 53-69.

Depoil Mathieu, Groeninger Fabien, Patry Delphine et Wagnon Sylvain (2022). L’éducation intégrale. Pour une émancipation individuelle et collective, suivi de Paul Robin et l’enseignement intégral, Atelier de création libertaire.

De Landsheere Viviane (1992). L’éducation et la formation : science et pratique, Presses universitaires de France.

Lebeaume Joël (2019). « Précisions sur la “forme curriculaire” et distinction entre pratiques constitutives et savoirs contributifs. Contribution à l’étude morphologique des curriculums prescrits », Éducation et didactique, vol. 13, no 1, p. 43-59. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.3745

Mons Nathalie, Duru-Bellat Marie et Savina Yannick (2012). « Modèles éducatifs et attitudes des jeunes : une exploration comparative internationale », Revue française de sociologie, vol. 535, no 4, p. 589-622. https://doi.org/10.3917/rfs.534.0589

Ross Alistair (2000). Curriculum. Construction and Critique, Falmer Press.

Schiro Michael Stephen (2013). Curriculum Theory. Conflicting Visions and Enduring, 2e éd., Sage Publications.

Robottom Ian et Hart Paul (1993). Research in Environmental Education. Engaging the Debate, Deakin University Press.