Notice 47

Standards

Philippe Losego

Le terme « standard » en éducation remonte aux années 1860 lorsqu’en Angleterre, un classement appelé « Standard I-VI » désignait les niveaux de performance à atteindre par les élèves en lecture, écriture et calcul pour déterminer le financement de leurs écoles (Mons et Pons, 2006). Mais les standards se sont surtout développés à la fin du xxe siècle, en raison de la généralisation des évaluations des systèmes éducatifs depuis la fin des années 1980. Aujourd’hui, ce sont des compétences (mais aussi des savoirs, des comportements, voire des « acquis ») que l’on juge mesurables par des tests de performance appliqués à des personnes, des institutions et des systèmes éducatifs. Ils peuvent avoir pour fonction de comparer ces systèmes ou ces établissements, éventuellement de mesurer leur efficacité ou de les conduire à se rapprocher d’un curriculum commun.

Les standards les plus connus sont produits par des instances internationales : on peut citer le PISA (Programme for International Student Assessment), développé par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les évaluations TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) et PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) élaborées par l’IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement), ou encore le CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues) promu par le Conseil de l’Europe.

La notion de « standard » en éducation est un concept « instable » (Mons et Pons, 2006, p. 4), car elle désigne au moins deux objets différents :

  1. D’une part, les standards de performance (PISA, TIMSS, PIRLS) qui visent à tester les élèves et évaluer à travers eux l’efficacité de l’enseignement qui leur est offert. On les appelle « évaluations standardisées », car elles consistent à faire passer exactement les mêmes tests à un très grand nombre d’élèves. Elles aboutissent généralement à comparer et mettre des systèmes ou des institutions en compétition. C’est la logique du benchmarking (Normand, 2005), selon laquelle on améliore un système en comparant ses performances à celles produites par d’autres systèmes.
  2. D’autre part, les standards de contenus, comme le CECRL, qui ont pour fonction de contraindre ou d’encourager les institutions à se doter d’un curriculum commun dans une ou plusieurs matières. Ils visent surtout à unifier politiquement des systèmes disparates.

Les standards se développent non seulement au niveau international, mais aussi au niveau national, comme le « National Curriculum » qui définit des contenus en Angleterre et en Nouvelle-Zélande ou au niveau infra-national, comme ceux définis par les « épreuves cantonales de référence » en Suisse, ou par le Provincial Assessment au Canada.

On associe fréquemment les standards à une conception néolibérale des politiques publiques. Celle-ci part du précepte selon lequel les institutions éducatives publiques doivent rendre des comptes et postule que leur mise en compétition favorise l’amélioration de la qualité des prestations aux usagers.

C’est dans les pays anglosaxons comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni que leur usage est le plus prégnant, parfois depuis les années 1960 (Mons et Pons, 2006 ; Normand, 2005). Cette origine des standards et leur usage toujours en vigueur dans les pays anglo-saxons, suggèrent que les standards s’inscrivent dans la tradition libérale du « school choice » qui consiste à concevoir l’éducation comme un marché sur lequel un « État-évaluateur » (Normand, 2005) a pour rôle de contrôler des opérateurs hétérogènes (privés, subventionnés, publics, locaux, nationaux, confessionnels, etc.). Ce contrôle s’exerce par une obligation de respecter les standards de contenus en y conditionnant les subventions. Par ailleurs, les standards de performance sont censés informer des parents « consommateurs » qui doivent décider du choix de la meilleure école pour leur enfant.

Au-delà du monde anglo-saxon, la notion de « standards » a depuis le début du xxie siècle pris de l’importance dans des pays fédéraux ou décentralisés (Mons, 2009) dont les systèmes d’enseignement sont divers (Suisse, Belgique). Elle témoigne en cela de la volonté d’instituer un cadre national par les standards de contenus et de contraindre les systèmes locaux à un rapprochement (Meunier, 2005). En Suisse, en Belgique, mais aussi aux États-Unis ou au Canada, l’usage des standards de contenus est l’occasion pour le niveau fédéral d’intervenir dans le champ de l’éducation, traditionnellement réservé aux autorités locales (États, provinces, cantons, etc.). Ces pays procèdent à une sorte de centralisation par la norme (Mons et Pons, 2006), faute de pouvoir le faire par l’action politique directe. Ceci n’implique pas une disparition des marges d’interprétation locales, notamment du fait que ces normes nationales, produits d’arbitrages disciplinaires parfois difficiles, sont en définitive assez floues (Elmiger et al., 2007). L’usage des standards est moins fréquent dans les pays où l’État central est le principal opérateur direct de l’éducation et où une carte scolaire plus ou moins rigide (même avec des dérogations et autres pratiques de contournement) limite le choix de l’école pour les familles.

Les rapports entre standards de performance et standards de contenus suscitent (au moins) trois controverses désormais classiques.

La première concerne la prétention des standards de performances à représenter des compétences, qui résiste assez mal à la pratique. Les témoignages concrets sur l’élaboration de tests de performance à partir des compétences montrent que l’exercice est délicat (Mons et Pons, 2006). Par exemple, dans le cas des langues en Suisse (dont l’enjeu politique est fort, dans un pays quadrilingue), le passage des « activités langagières » aux tâches à réaliser lors d’un test standardisé ne fait pas consensus (Elmiger et al., 2007). Si les performances sont des indicateurs des compétences, elles sont loin d’en recouvrir l'entiéreté. Dans le cas des évaluations internationales (PISA), les standards évaluent des élèves passés par des curricula très divers et, pour des raisons d’équité, ne sont donc pas définis à partir de ces curricula, mais relèvent d’une sorte de culture internationale, construite ad hoc pour les besoins du test. De plus, pour des raisons idéologiques (l’école doit favoriser la compétitivité économique), ces compétences sont inspirées à la fois par la « vie quotidienne », domaine difficile à définir pour la totalité des pays de l’OCDE et par des contextes professionnels, mais ne présupposant pas que les élèves soient des professionnels (Bart et Daunay, 2016). D’où la fragilité de leur définition.

La deuxième controverse concerne les compétences elles-mêmes. Celles-ci désignent la capacité à mobiliser un ensemble hybride de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes requises par les programmes scolaires ou les curricula (Mons et Pons, 2006, p. 25). Cependant, le lien entre savoirs et compétences est très problématique (Crahay, 2006). Les compétences sont définies selon des régimes très variables en fonction des disciplines : en mathématiques, elles tendent à reproduire assez fidèlement les savoirs, mais en langue de scolarisation, elles sont partiellement définies par des pratiques sociales de référence, c’est-à-dire par des usages sociaux et pratiques de la langue.

La troisième controverse, très commentée dans la littérature, est celle du « teaching to the test effect » (Mons, 2009), dérive qui décrit la tendance des enseignants à n’enseigner que ce qui va être testé, afin de ne pas compromettre leur propre position ou celle de leur établissement, parfois avec les encouragements de ces derniers. Si les performances mesurées ne sont que des indicateurs des compétences visées et si leur rapport avec les savoirs, savoir-faire et attitudes est encore plus lointain, alors l’effet teaching to the test peut provoquer un rétrécissement du curriculum réel, tout à fait préjudiciable à la formation intellectuelle des élèves.

Pour autant, dans les pays où les standards sont utilisés depuis longtemps, il semble que l’usage de standards contribue à réduire les inégalités d’apprentissages (Mons et Pons, 2006), probablement en déligitimant l’abaissement des exigences de la part d’enseignants confrontés à des publics en difficulté.

Bart Daniel et Daunay Bertrand (2016). Les blagues à PISA. Le discours sur l’école d’une institution internationale, Le Croquant.

Crahay Marcel (2006). « Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation », Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, no 154, p. 97‑110. https://doi.org/10.4000/rfp.143

Elmiger Daniel, Wirthner Martine, De Pietro Jean-François et Pochon Luc-Olivier (2007). « La construction des standards en Suisse. Au-delà des engagements politiques : le travail dans les disciplines », dans Pascal Marquet et al. (dir.), Actes du congrès international de l’AREF (Actualité de la recherche en éducation et en formation), Aref. https://www.irdp.ch/institut/construction-standards-suisse-828.html

Meunier Olivier (2005). Standards, compétences de base et socle commun, Les dossiers de la veille, Institut national de recherche pédagogique.

Mons Nathalie (2009). « Effets théoriques et réels des politiques d’évaluation standardisée », Revue française de pédagogie. Recherches en éducation, no 169, p. 99‑140. https://doi.org/10.4000/rfp.1531

Mons Nathalie et Xavier Pons (2006). Les standards en éducation dans le monde francophone. Une analyse comparative, IRDP.

Normand Romuald (2005). « La mesure de l’école : politique des standards et management par la qualité », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, hors-série no 1, p. 67‑82.

Références