Notice 46
Socle commun
Dominique Raulin
Joël Lebeaume
Définir l’ensemble des contenus d’enseignement pour les dix années de la scolarité obligatoire (de 3 à 16 ans, selon la loi du 26 juillet 2019) est une idée qui date du rapport Langevin-Wallon (1947) sous la forme de culture commune, reprise depuis dans de nombreux textes publics : texte de présentation de la loi Haby (1975) ; rapport Legrand sur les collèges (1982) ; rapport du Collège de France, sur l’état de l’école (1985) ; rapport Bouchez (1993) ; idées directrices pour les programmes de collèges (CNP, 1994) ; rapport Fauroux (1996) ; le collège de l’an 2000 (Dubet, 2000) ; rénover l’école obligatoire (CNP, 2004) ; pour la réussite de tous les élèves (rapport du grand débat national sur l’école, 2004).
Dans la lignée de ces ambitions, le « socle commun » est défini par l’article 6 de la loi Fillon sur l’éducation (24 avril 2005), dans les termes suivants :
« La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société. Ce socle comprend :
- la maîtrise de la langue française ;
- la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ;
- une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ;
- la pratique d’au moins une langue vivante étrangère ;
- la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication.
Ces connaissances et compétences sont précisées par décret pris après avis du Haut Conseil de l’Éducation. L’acquisition du socle commun par les élèves fait l’objet d’une évaluation, qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité. »
Le décret du 11 juillet 2006 détaille le socle commun des connaissances et des compétences.
En 2013, la loi Peillon (8 juillet 2013) modifie le texte de la loi de 2005 ainsi (article 13) :
« La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté. Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes. »
C’est sous la pression du SNES (syndicat majoritaire dans l’enseignement secondaire) que le socle commun est récrit et dorénavant intitulé « socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».
Le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture est défini par le décret du 31 mars 2015. En 2019, le Conseil supérieur des programmes publie sur son site le document « Premières propositions du CSP pour l’évaluation et la validation de l’acquisition du projet de socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».
Le socle commun, quelle que soit sa version, représente une transformation très importante dans le paysage éducatif en France :
- il définit des acquis des élèves en amont des différents contenus d’enseignement (programmes, éducations à, dispositifs). Ainsi, il impose aux professeurs œuvrant dans les différents enseignements, de se considérer comme partie prenante d’un ensemble cohérent et non pas seulement comme détenteur d’un savoir (par exemple disciplinaire) indépendant. Le socle commun apporte un nouvel élément dans le travail de chaque professeur en fixant le cadre auquel se réfèrent les contenus qu’il doit enseigner. La référence n’est plus seulement disciplinaire, mais devient curriculaire ;
- l’appellation « socle commun » est composée de deux mots problématiques : « socle » signifie qu’il serait une sorte de soubassement pour la suite et n’aurait donc pas de sens pour les élèves qui sortent du système scolaire à la fin de la scolarité obligatoire. Cet argument a peu de valeur dans la mesure où en 2023, plus de 99 % des élèves de 3e continuent un parcours scolaire sous une forme ou sous une autre. Comme l’indiquent également Les dossiers de la veille (Meunier, 2005, p. 5) qui soulignent l’influence anglo-américaine sur cette terminologie, l’expression est ambivalente, car socle commun peut être considéré « pour ceux qui n’iront pas plus loin » et socle de base « pour ceux qui tendront vers l’excellence ». « Commun » : l’usage de cet adjectif est le résultat du jeu sémantique visant à affirmer que la scolarité a pour objectif la réussite de tous les élèves ; c’est l’officialisation en termes de contenus d’enseignement de l’égalité des chances que la loi Haby avait promulgué en termes de structures par la mise en place du collège unique. Le socle commun parachève la loi Haby qui avait délaissé la question des contenus d’enseignement du collège unique ;
- l’expression « socle commun » a suscité de nombreuses critiques qui, bien que n’abordant que des questions de termes, sont en fait les signes d’oppositions beaucoup plus profondes. En 2014, le SNUIPP (syndicat majoritaire dans l’enseignement primaire) écrit : « Malgré les interventions répétées de la FSU (fédération à laquelle sont affiliés le SNES et le SNUIPP), le terme de socle est resté dans la loi, ce que nous regrettons et dénonçons. » En 2006, Baudelot et Establet écrivent : « L’idée même d’un SMIC scolaire et culturel, l’idée d’un socle minimal de connaissances et de compétences, la définition d’un savoir plancher en dessous duquel aucun élève ne devrait se situer est une idée qui entre en rupture avec les représentations les plus courantes de l’école puisque, dans son réalisme modeste, elle oblige à ne plus considérer l’école depuis son sommet, mais à partir de sa base. Elle est très vite considérée comme une aumône octroyée aux laissés pour compte par les partisans d’une vision utopique de l’égalité des chances, tarte à la crème sans cesse resservie par les gouvernants de gauche et de droite depuis cinquante ans et jamais suivie du moindre effet. Bien au contraire, puisqu’au cours des dernières décennies les écarts ont eu tendance à se creuser entre la tête et la queue du peloton. » Ainsi, comme le rappellent les auteurs, l’expression socle commun a été transformée en SMIC culturel, pire avanie possible pour certains acteurs du système éducatif ;
- le socle commun officialise l’entrée de l’approche par compétences (voir la notice 2 « Approche par compétences ») dans l’enseignement français. Alors que depuis le milieu des années 1990, dans différentes disciplines (mathématiques, sciences physiques, EPS, par exemple), des compétences à développer étaient listées dans les programmes, leur évaluation explicite restait marginale. L’affirmation que la maîtrise des exigences du socle commun, c’est-à-dire de compétences, serait prise en compte pour l’attribution du Diplôme national du brevet modifie en profondeur les pratiques des professeurs, notamment dans le domaine de l’évaluation (voir notice 32 « Évaluation et curriculum »).
En dépit des interrogations et des critiques (Lelièvre, 2016) encore nombreuses, le socle commun peut être considéré comme un curriculum (Raulin, 2006a ; 2006b) : il opérationnalise les politiques éducatives (voir la notice 50 « Transposition curriculaire ») fondées depuis des décennies sur l’égalité des chances ; il fixe le cadre dans lequel peuvent être définis les différents programmes d’enseignement, et fait le choix de désigner ce que les élèves doivent savoir et savoir faire (outputs), et non pas en priorité ce que les professeurs doivent enseigner (inputs). Le socle commun sera pleinement un curriculum, dès lors que les questions d’évaluation des compétences et de notation à la française auront trouvé des réponses susceptibles d’être acceptées par l’ensemble des acteurs du système éducatif.
Références
Baudelot Christian et Establet Roger (2006). « Quel socle commun ? », Cahiers pédagogiques, no 439.
Lelièvre Claude (2016). « Le “socle commun” », Carrefours de l’éducation, vol. 41, p. 169-182. https://doi.org/10.3917/cdle.041.0169
Meunier Olivier (2005). Standards, compétences de base et socle commun, Les dossiers de la veille, Institut national de recherche pédagogique.
Raulin Dominique (2006a). « De nouveaux rapports entre science et politique : le cas des programmes scolaires », Revue française de pédagogie, vol. 154, p. 61-72. https://doi.org/10.4000/rfp.127
Raulin Dominique (2006b). Les programmes scolaires : des disciplines souveraines au socle commun, Retz. https://doi.org/10.14375/NP.9782725624372