Notice 42
Programmes d’enseignement
Dominique Raulin
Dans son sens usuel, le mot « programme » est utilisé dans différents contextes de la vie courante (programme de télévision, de concert, de congrès, de machine à laver) au singulier ou au pluriel, et fait référence à ce qui va se faire, se passer, se réaliser. Le terme « programmation » renvoie quant à lui à une organisation. Pour l’éducation, les deux sens se retrouvent dans la notion de programme. La loi d’orientation du 10 juillet 1989 en donne la définition suivante : « les programmes définissent, pour chaque cycle, les connaissances essentielles qui doivent être acquises au cours du cycle ainsi que les méthodes qui doivent être assimilées. Ils constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements et prennent en compte les rythmes d’apprentissage de leurs élèves ».
Alors que le terme « programme » est largement utilisé par les acteurs de l’éducation, les programmes d’enseignement ou les programmes scolaires, en tant qu’objets génériques, ne sont pas très explorés par la recherche, en dehors de la description théorique que fait D’Hainaut dans ses premiers travaux dans les années 1970. Demanque (1994), Raulin (2006a, 2006b), Raulin et Toulemonde (2016) proposent toutefois de nombreux éléments importants sur les programmes. En France, un programme d’enseignement est pour les acteurs du système éducatif l’objet de référence absolu, même si, comme le note Perrenoud (1993), « le vrai programme, ce sont les manuels et cahiers d’exercices utilisés chaque jour qui l’incarnent, plus que les textes généraux » (p. 63). De l’après-guerre aux années 1980, les programmes ont résulté d’une forme de consensus non questionné entre l’éducation et la société ; ils ont été ensuite considérés comme un levier de modernisation de l’enseignement scolaire (1985-2005) ; depuis les tentatives curriculaires des deux socles communs (2005-2006, 2013), ils sont adaptés au rythme des réformes de structure.
Juridiquement en France, un programme d’enseignement est un arrêté signé par le ministre chargé de l’Éducation nationale, publié ensuite au Journal officiel de la République française, puis au Bulletin officiel (de l’Éducation nationale). Sauf exception (rare) notifiée dans l’arrêté, un programme est applicable dans tous les établissements scolaires publics et privés sous contrat qui accueillent plus de 99 % des élèves scolarisés. Si la procédure d’institutionnalisation d’un programme est précise, son contenu, sa forme, le rythme de ses changements sont très variables selon les niveaux d’enseignement, les disciplines, ou encore dans les lycées, les voies de formation ou les séries. Cette situation tient à l’absence de cadre fixant les modalités d’évaluation d’un programme, sa durée d’application, les conditions de sa modification, les modalités d’une expérimentation.
Depuis le début de la Ve République (1958), seulement trois textes publiés à l’initiative du ministère chargé de l’Éducation nationale visent à définir ce qu’est un programme d’enseignement : 1) la loi d’orientation du 10 juillet 1989 (voir ci-dessus) ; 2) la charte des programmes (BO du 20 février 1992), rédigée à l’initiative du Conseil national des programmes qui donne la définition suivante : « Le programme est un texte réglementaire publié au BO ; c’est le texte officiel qui sert de référence nationale pour fonder dans chaque discipline, à chaque niveau, le “contrat d’enseignement”, c’est-à-dire le cadre à l’intérieur duquel l’enseignant ou l’équipe enseignante font les choix pédagogiques adaptés aux élèves dont ils ont la charge. Il a par ailleurs pour fonction d’établir une clarification entre les différents niveaux du système éducatif et de définir les compétences que les élèves doivent acquérir » ; 3) la charte des programmes rédigée en 2014 par le Conseil supérieur des programmes, mise en ligne en 2019, qui en donne une nouvelle définition : « On appelle “programme”, aux termes de la présente charte, toute prescription qui définit ce qui doit être enseigné dans les écoles et établissements publics et privés sous contrat. Les programmes d’enseignement définissent une norme nationale qui est à ce titre la référence centrale de l’éducation et la garantie d’une ambition et d’une culture communes. »
Un programme d’enseignement se distingue d’un curriculum par différents aspects. Un programme correspond en général à une discipline et à un niveau d’études (le programme d’éducation musicale de 3e) ; un curriculum correspond à un cycle d’enseignement et peut être disciplinaire ou global (le curriculum de la scolarité obligatoire). Un programme énonce ce que les professeurs doivent enseigner (la Révolution française, la syntaxe de la langue française) ; un curriculum focalise ce que les élèves doivent apprendre et s’approprier, par exemple en termes de compétences à développer. Un programme disciplinaire se réfère à une discipline académique ou scolaire ; un curriculum peut s’en abstraire. Peu de programmes comportent des éléments précis sur l’évaluation interne des acquis des élèves, alors que c’est un élément constitutif du curriculum. Le programme est un produit fini, alors que le curriculum est un processus. De ce fait, les programmes sont inclus dans les curricula. En France, les programmes disciplinaires sont généralement élaborés indépendamment les uns des autres. Depuis les années 1990, différentes tentatives de présentation ou de structure englobante qui peuvent s’apparenter à une approche curriculaire ont été menées : la publication globale des programmes de 6e applicables en 1995, incluant une introduction commune, les socles communs de 2005-2006 et 2014.
Le caractère fini d’un programme nécessite sa réactualisation périodique, en fonction des développements des recherches scientifiques en termes de connaissances, de construction des savoirs ou de pratiques d’enseignement, voire d’enjeux éducatifs cruciaux. En revanche, aucune pratique systématique d’évaluation des programmes n’existe : les questions telles que « ce programme correspond-il aux finalités de l’éducation ? », « cet objet d’enseignement est-il légitime ? » ne sont pas posées. La décision de modifier un programme qui revient au ministre est donc assez aléatoire et résulte d’alertes formulées par les corps d’inspection, les associations de professeurs ou les syndicats, des élus.
La et les didactiques ont clarifié le travail des rédacteurs de programmes en explorant les sources auxquelles il est possible de puiser pour définir les contenus d’enseignement et particulièrement les programmes d’enseignement. Les didacticiens ont ainsi mis en évidence la transposition et la recomposition didactiques (voir la notice 51 « Transposition didactique »), et les pratiques sociales de référence (voir la notice 41 « Pratiques sociales de référence »).
Généralement, la rédaction d’un nouveau programme correspond à une adaptation à la marge du programme précédent. Les modifications possibles sont limitées par leur nécessaire compatibilité avec les programmes des années antérieures et ceux des années postérieures. Ainsi, les changements profonds sur l’ensemble d’un cursus sont très rares (mathématiques modernes, histoire thématique) ou correspondent à l’introduction de nouveaux enseignements, comme les sciences économiques et sociales (SES) au lycée en 1966, la technologie en 1984 au collège ou, plus récemment, l’enseignement scientifique, l’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques, humanités, littérature et philosophie.
La question des personnalités qualifiées pour participer à la rédaction d’un projet de programme est cruciale et n’a pas reçu de réponses précises : selon les périodes, il s’est agi d’universitaires académiques en tant qu’acteurs de la communauté scientifique, d’universitaires didacticiens pour leur expertise sur les apprentissages et les contenus, d’inspecteurs comme garants de la pédagogie usuelle pratiquée dans les établissements scolaires et enfin de professeurs de terrain, comme seuls connaisseurs de la réalité quotidienne des classes. À cette liste d’experts issus de l’éducation, la nécessité d’autres expertises s’est progressivement imposée : celle de représentants de la société civile, celle d’élus (députés et sénateurs), celle des acteurs issus des milieux socio-économiques. Si cette ouverture qui s’est faite progressivement a sans doute permis de mieux prendre en compte les attentes de la société vis-à-vis de l’École, elle ne s’est pas traduite par des changements drastiques des contenus ou des méthodes.
Selon les disciplines, les programmes sont différents dans leur forme et leurs objets : ils sont constitués d’un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être que les élèves doivent s’approprier. L’accélération actuelle du développement des connaissances rend la tâche des rédacteurs de programme de plus en plus délicate : ils doivent opérer des choix dans un ensemble incommensurable de connaissances et chercher à respecter un équilibre entre les savoirs patrimoniaux et les besoins ou les attentes actuelles de nouvelles générations dont le(s) rapport(s) au(x) savoir(s) et aux connaissances ne cesse(nt) d’évoluer. Dans de nombreux pays, l’approche curriculaire des contenus, souvent assimilée à l’approche par compétences (voir la notice 2 « Approche par compétences »), est apparue comme une réponse adaptée à cette situation de choix impossibles. Après différentes tentatives de cet ordre en France, il serait abusif de considérer que la France s’est engagée dans cette voie.
La plupart des programmes ne comportent pas d’indications précises sur les niveaux d’exigence vis-à-vis des élèves, les programmes sont donc très inégalement traités par les professeurs, dans le cadre de leur liberté pédagogique (loi d’orientation pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005).
À côté des enseignements scolaires définis par des horaires hebdomadaires, des programmes et des enseignants identifiés, se sont développés d’autres enseignements, les « éducations à… » (voir la notice 30 « Éducations à… ») et les « dispositifs » (voir la notice 28 « Dispositifs ») qui ni les unes ni les autres n’ont de programmes. Cela peut s’expliquer pour les « éducations à… », par l’absence, au sein de la communauté scientifique et de la société, de consensus sur les références à prendre en compte ; pour les dispositifs, destinés à boucher des interstices entre des enseignements ou à promouvoir des pratiques d’enseignement différentes, leur objectif central n’est pas l’acquisition de contenus qu’il serait possible de lister dans un programme spécifique.
Références
D’Hainaut Louis (1977). Des fins aux objectifs. Un cadre conceptuel et une méthode générale pour établir les résultats attendus d’une formation, Labor.
Demonque Chantal (dir.) (1994). Qu’est-ce qu’un programme d’enseignement ?, CNDP/Hachette.
Raulin Dominique (2006a). « De nouveaux rapports entre science et politique : le cas des programmes scolaires », Revue française de pédagogie, vol. 154, p. 61-72. https://doi.org/10.4000/rfp.127
Raulin Dominique (2006b). Les programmes scolaires : des disciplines souveraines au socle commun, Retz. https://doi.org/10.14375/NP.9782725624372
Raulin Dominique et Toulemonde Bernard (2016). « La réforme en éducation, vue par des acteurs », Carrefours de l’éducation, vol. 41, no 1, p. 201-221. https://doi.org/10.3917/cdle.041.0201