Notice 39

Missions

Joël Lebeaume

Le terme « mission(s) », voisin de ce que Léon (1980) désigne par « fonction » ou Gauthier (2006) par « mandat éducatif » dans un registre plus scolaire, a été retenu par Jean-Louis Martinand (2003a) afin de clarifier la conception ou la reconception des curricula. Les travaux consacrés à la technologie au collège puis à l’éducation au développement durable dans l’enseignement obligatoire ont conduit à distinguer « le débat politique sur les missions, du débat éducatif sur les finalités et la question sociologique des fonctions réelles du curriculum ». En effet, « La définition de ces missions relève avant tout de la délibération et de la décision politiques […] » (Martinand, 2003a, p. 186). Les rapports entre politique et contenus d’enseignement sont bien connus : la grammaire scolaire est une réponse à l’inexistence d’un français national uniforme (Chervel, 1977) ; les activités sportives sont une conséquence des piètres résultats des sportifs français aux Jeux olympiques de Rome en 1960 (Léziard, 2008) ; la mise en œuvre de l’éducation manuelle et technique est un élément de la campagne de valorisation du travail manuel et de la condition des travailleurs manuels porté par Lionel Stoléru, secrétaire d’État (1977). De façon analogue, pour la technologie au collège, il a fallu « clarifier la réponse à la question : quels sont les enjeux politiques, ou quelles sont les raisons qui amènent à prendre la décision politique de fonder ou de maintenir une éducation technologique pour tous, au niveau du collège ? La réponse politique a alors été argumentée par quatre missions : contribuer à l’orientation scolaire et professionnelle […] ; développer une connaissance du monde technicisé actuel […]  ; favoriser une appropriation des techniques usuelles de traitement et de communication de l’information […]  ; mettre en place une pédagogie de la réalisation collective. » (Martinand, 2012, p. 4). Ces missions relèvent de décisions et de négociations de politique générale et pas seulement éducative : elles fixent en effet le cadre des choix et des déclinaisons des contenus ainsi que de leurs finalités « qui ne sont qu’une des manières de traduire les missions en normes pédagogiques pour le pilotage et l’évaluation des enseignements par les professionnels de l’éducation. » (Martinand, 2003a, p. 187). Les rapports entre missions et contenus sont ainsi hiérarchiques, les premières légitimant, dans l’exemple de la technologie, les propositions telles que les scénarios de réalisations sur projet – avec des références explicites à des entreprises – et les unités d’enseignement consacrées à la technologie de l’information, à la découverte du milieu technique ou encore de l’histoire des solutions à un problème technique.

En se référant aux « missions », cela amène à ouvrir le questionnement sur la ou les fonctions de service de l’École, des enseignements, des dispositifs et des contenus, en répondant à la question du « pour quoi » de la présence de ceux-ci dans le curriculum (Lebeaume, 2014). Ces interrogations qui traversent l’histoire des enseignements et de leur légitimation sont précisées grâce à la distinction proposée par Lebeaume (2019) entre les missions – d’ordre politique –, les mandats – d’ordre éducatif et scolaire – et les fonctions – d’ordre didactico-pédagogique. Pour exemple, le travail manuel pour les garçons de l’école primaire à la fin du xixe siècle illustre ces différences : le discours de l’inspecteur général Salicis qui prône « une armée industrielle aux bras intelligents » relève du registre des missions ; l’intérêt du travail manuel défendu par son successeur, Leblanc, de « rendre à l’intelligence son élasticité première » et « d’être un préservatif contre le surmenage scolaire » indique des mandats éducatifs ; et le propos indiquant la nécessité d’« apporter à l’enseignement scientifique le concret qui lui fait défaut » concerne la fonction didactique et pédagogique du contenu.

Par la formalisation de « mission », Martinand (2003c) souligne donc la distinction entre les enjeux politiques et leur mise en œuvre par le système éducatif, distinction qu’il serait sans doute éclairant de préciser dans le processus de transposition curriculaire (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »).

Références

Chervel André (1977). … Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français. Histoire de la grammaire française, Payot.

Gauthier Roger-François (2006). Les contenus de l’enseignement dans le monde : état des lieux et choix stratégiques, Unesco. https://doi.org/10.4000/ries.108

Lebeaume Joël (2014). « Sciences et technologie dans la scolarité obligatoire. Une cohérence discutée », Recherches en didactiques, vol. 17, p. 9-32. https://doi.org/10.3917/rdid.017.0009

Lebeaume Joël (2019). « Précisions sur la “forme curriculaire” et distinction entre pratiques constitutives et savoirs contributifs. Contribution à l’étude morphologique des curriculums prescrits », Éducation et didactique, vol. 13, no 1, p. 43-59. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.3745

Léon Antoine (1980). « Des disciplines majeures et des disciplines mineures », dans Introduction à l’histoire des faits éducatifs, Presses universitaires de France, p. 121-148. https://doi.org/10.3917/puf.leona.1980.01.0121

Léziard Yvon (2008). « Logique scolaire et logique sociale : détermination de l’identité scolaire de l’éducation physique et sportive », Spirale. Revue de recherches en éducation, no 42, p. 19-30. https://doi.org/10.3406/spira.2008.1204

Martinand Jean-Louis (2000). « Missions de l’éducation scientifique et technique », Revue internationale d’éducation de Sèvres, vol. 25, p. 9-12. https://doi.org/10.4000/ries.2550

Martinand Jean-Louis (2003a). « Missions et fonctions des disciplines », dans Jean-Louis Derouet (dir.), Le collège unique en question, Presses universitaires de France, p. 183-189.

Martinand Jean-Louis (2003c). « L’éducation technologique à l’école moyenne en France : problèmes de didactique curriculaire », Canadian Journal of Science, Mathematics, and Technology Education, vol. 3, no 1, p. 100-116. https://doi.org/10.1080/14926150309556554

Martinand Jean-Louis (2012). « Éducation au développement durable et didactiques du curriculum », Actes du XIXe colloque de l’AFIRSE, janvier 2012, université de Lisbonne.