Notice 38

Matrice curriculaire

Joël Lebeaume

La « matrice curriculaire » est le cadre de référence avec lequel un curriculum est ébauché, conçu ou mis en œuvre (Lebeaume, 1999 ; Martinand, 2001). Cette locution recouvre les fondements, les principes et les choix programmatiques qui assurent la cohérence entre les visées, les contenus et leur agencement, les conditions d’existence d’un parcours d’éducation, d’enseignement ou de formation. Elle pourrait correspondre à une phase de la transposition curriculaire (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »).

Cette cohérence concerne d’une part le curriculum dans son intégralité, c’est-à-dire ses finalités sociopolitiques et éducatives, les acquis des élèves, les équipements, la formation des maîtres, les programmes, et d’autre part son développement temporel. Celui-ci caractérise les continuités, ruptures et progressions au fil de la scolarité ainsi que les relations entre les différents contenus abordés. La matrice curriculaire du socle commun (2014) de connaissances, de compétences et de culture détermine les cinq grands domaines de formation : 1) les langages pour penser et communiquer (déclinés en l’utilisation de la langue française, d’une langue étrangère voire d’une langue régionale ou d’une seconde langue, les langages mathématiques, scientifiques et informatiques, les langages des arts et du corps) ; 2) les méthodes et outils pour apprendre ; 3) la formation de la personne et du citoyen ; 4) les systèmes naturels et les systèmes techniques ; 5) les représentations du monde et l’activité humaine. Elle indique les paliers d’acquisition et leur évaluation, propose la contribution transversale et conjointe des matières, disciplines, parcours ou dispositifs. Du point de vue épistémologique et avec le sens métaphorique ou le sens figuré de « matrice » qui précisent un milieu dans lequel quelque chose s’enracine et se développe (comme l’indique le Trésor de la langue française, http://www.atilf.fr/tlfi), la matrice curriculaire fixe la cohérence d’ensemble des décisions concernant la définition et la mise en œuvre d’un curriculum avec « matrice curriculaire », sont ainsi ouvertes les problématiques consacrées à l’investigation des curricula, non seulement des enseignements ou des disciplines, mais aussi des activités ou des dispositifs non disciplinaires comme la documentation (Frisch, 2016) ou les éducations à… (voir la notice 30 « Éducations à… »).

Le concept de matrice curriculaire élargit ainsi celui de « matrice disciplinaire » proposé par Develay (1992). En effet, en référence aux analyses de Kuhn consacrées aux révolutions scientifiques et à leurs paradigmes, « matrice disciplinaire » identifie le principe d’intelligibilité d’une discipline scolaire en cadrant la cohérence de ses attributs que sont les savoirs déclaratifs et procéduraux, les tâches et les objets spécifiques. Par exemple, connaître les identités remarquables ou les relations trigonométriques, savoir effectuer des calculs ou des démonstrations, résoudre des équations ou utiliser un rapporteur ou une calculatrice est caractéristique des mathématiques enseignées. L’intérêt est alors de caractériser les spécificités des disciplines scolaires en clarifiant la structure et l’identité de chacune d’entre elles, ainsi que leurs variations souvent identifiables à travers l’appellation choisie par l’institution au fil de leur histoire (histoire naturelle, sciences naturelles, sciences de la vie et de la Terre) et des étapes de leur suivi par les élèves (explorer le monde, questionner le monde, sciences et technologie, du cycle 1 au cycle 3).

Dans la même lignée des recherches du début des années 1990 consacrées à la caractérisation de plusieurs disciplines scolaires, il faut indiquer l’investissement des concepts de matrice didactique, de matrice idéologique et de matrice méthodologique (Verreman, 1996). Pour cet auteur, la matrice disciplinaire des langues étrangères correspond à la cohérence des finalités assignées aux disciplines scolaires, et la matrice didactique correspond à la cohérence des savoirs scolaires d’une discipline et la matrice méthodologique recouvre les méthodes ou méthodologies propres aux enseignements des langues. La matrice idéologique est alors l’ensemble des objectifs de formation et assure la cohérence entre les contenus et les finalités. Cette distinction est proche du « modèle disciplinaire » reprenant les finalités (pourquoi ?), les contenus (quoi ?) et les méthodes (comment ?), proposé par Audigier (1995) pour l’examen de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique.

Références

Audigier François (1995). « Histoire et géographie : des savoirs scolaires en question entre les définitions officielles et les constructions scolaires », Spirale. Revue de recherches en éducation, vol. 15, p. 61-89. https://doi.org/10.3406/spira.1995.1907

Develay Michel (1992). De l’apprentissage à l’enseignement. Pour une épistémologie scolaire, Éditions sociales françaises.

Frisch Muriel (2016). « Des modèles et des concepts en question pour une didactique de l’information-documentation et proposition d’une matrice curriculaire dynamique », Tréma, no 45. https://doi.org/10.4000/trema.3492

Lebeaume Joël (1999). « Perspectives curriculaires en éducation technologique », mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, Université Paris Sud.

Martinand Jean-Louis (2001). « Matrices disciplinaires et matrices curriculaires : le cas de l’éducation technologique en France », dans Claude Carpentier (dir.), Contenus d’enseignement dans un monde en mutation : permanences et ruptures, L’Harmattan, p. 249-269.

Verreman Alain (1996). « Les finalités de l’enseignement des langues : une évolution durable ? », Bulletin de l’Association des professeurs de langues vivantes, no 52.