Notice 37

Matières et disciplines d’enseignement, contenus scolaires

Dominique Raulin

De multiples expressions incluant les termes disciplines, matières, contenus, scolaires, enseignement sont d’un usage courant chez les acteurs de l’éducation : « discipline(s) scolaire(s) » et « matières d’enseignement ; « disciplines d’enseignement » et « matières scolaires » ; « contenu(s) d’enseignement ». Pour autant, la littérature peine à les définir et parfois à les différencier.

Dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1888) dirigé par Buisson, l’article « Matières obligatoires, Matières facultatives d’Enseignement » indique : « Sous le régime des lois du 15 mars 1850 et du 10 avril 1867, le programme de l’enseignement primaire comprend des matières obligatoires et des matières facultatives » (p. 1977). Le terme « matière » y fait référence à un contenu d’enseignement puisqu’inclus dans un programme.

Une vingtaine d’années plus tard, le Nouveau Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Buisson (1911) comporte deux articles : « Discipline » et « Discipline scolaire ». Ils ne laissent aucun doute sur le sens que cet ouvrage leur donne, il y a un peu plus d’un siècle :

Par la suite, ce n’est que dans la deuxième partie du xxe siècle que les chercheurs, historiens ou sociologues ont investi la problématique liée à l’usage de ces termes.

Chervel (1988) tente de définir le syntagme « discipline scolaire » dans les termes suivants : « Appliquée à l’enseignement, la notion de “discipline”, indépendamment de toute considération évolutive, n’a pas fait, dans les sciences de l’homme, et en particulier dans les “sciences de l’éducation”, l’objet d’une réflexion approfondie. Trop vagues, ou trop restrictives, les définitions qui en sont données ne s’accordent en fait que sur la nécessité de couvrir l’usage banal du terme, lequel n’est pas distingué de ses “synonymes” comme “matières” ou “contenus” de l’enseignement. Les disciplines, c’est ce qui s’enseigne, un point c’est tout. » (p. 60). Il indique par la suite que l’expression utilisée dans son sens actuel s’est progressivement imposée après la Première Guerre mondiale. « Il [le terme « discipline »] devient une pure et simple rubrique qui classe les matières de l’enseignement, en dehors de toute référence aux exigences de la formation de l’esprit ».

Par rapport à cette vision des « disciplines scolaires », focalisée sur les contenus d’enseignement, Forquin (2005), inclut des considérations liées à la mise en œuvre : « une discipline scolaire ne se définit pas seulement comme un ensemble particulier de contenus d’enseignement renvoyant à un domaine spécifique du savoir, mais aussi comme une forme institutionnalisée, un mode particulier d’organisation, de structuration et de communication de ces contenus » (p. 277). Il poursuit : « Une discipline, c’est bien évidemment, tout d’abord, un ensemble cohérent, articulé et hiérarchisé de contenus, un corpus de savoirs reconnus et acceptés à un moment donné par le corps des “spécialistes”, constitutif de ce que Chervel appelle une “vulgate” ». Chartier (2013) fait le même constat en citant Fabiani : « La discipline n’est jamais réductible à un savoir ou à une science, dans la mesure où elle est indissociable d’un système d’enseignement particulier » (Fabiani, 2006). Une discipline scolaire ne serait donc plus seulement un ensemble d’objets d’enseignement, mais inclurait un ensemble de méthodes.

En 2008, Daunay déplace la question en proposant l’analyse suivante : « Lorsque le contenu à apprendre relève d’une matière scolaire, cette discipline peut être identifiée en première approximation à ce que l’usage scolaire désigne par ce mot. » Dans cette définition, l’auteur omet d’expliciter le sens à donner à l’expression « matière scolaire », suggérant ainsi qu’il s’agit d’une évidence. Par ailleurs, l’affirmation que le fait de « piocher » un contenu dans une matière scolaire reviendrait à le discipliner (au sens de l’organiser) pour qu’il puisse être un contenu disciplinaire et donc finalement à le disciplinariser, aurait sans doute mérité d’être argumentée. Ce rapport à la discipline (par opposition à l’indiscipline) est fait par Chervel quand il explique comment le mot « discipline » pris dans son sens courant, et non pas scolaire, s’est progressivement imposé dans l’école au cours du xixe siècle, en évoquant « la police des établissements, la répression des conduites préjudiciables à leur bon ordre […] ». Ici, la « discipline » présente à l’école et son contraire l’« indiscipline » sont à mettre en relation avec l’organisation qui s’oppose au désordre.

Dans la présentation de Daunay, les matières scolaires seraient premières, on en extrairait des « contenus qui seraient organisés en disciplines scolaires. » (Reuter, 2014). Cette distinction apparaît discutable à Martinand qui s’appuie sur l’exemple suivant : « la technologie née comme matière dans les années 1980, elle pourrait bien être pensée comme discipline intégrée à d’autres matières, ou comme ensemble de contenus distribués dans des disciplines différentes » (Martinand, 2001).

Dans son analyse des disciplines scolaires, Reuter (2014) ajoute deux compléments qu’il juge indispensables, en présentant les concepts de conscience disciplinaire qui donne un cadre à la reconstruction d’une discipline que font aussi bien les élèves que les professeurs et de configuration disciplinaire qui prend en compte l’ensemble des facteurs de nature à constituer et à faire évoluer une discipline. Dans cette approche, la discipline scolaire n’est pas figée, puisqu’elle est interprétée par les acteurs et perpétuellement sujette à des modifications non programmées. Les deux concepts sont discutés (Lebeaume, 2017) et étendus à ceux de configuration curriculaire (voir la notice 9 « Configuration disciplinaire et configuration curriculaire ») et de conscience curriculaire (voir la notice 11 « Conscience curriculaire »).

Si des travaux de recherche sur les disciplines ont été menés, explorant notamment les liens entre disciplines et contenus, le terme « matière » apparaît comme un terme premier qu’il est inutile de définir. Toutefois, Lebeaume situe les matières par rapport aux disciplines scolaires dans les termes suivants : « À “matière” correspond un domaine d’étude tandis que “discipline” renvoie aux résultats de ces études » (Lebeaume, 2011a, p. 88). Ainsi, il ne pourrait pas y avoir de disciplines scolaires, s’il n’y a pas en amont des matières scolaires.

Les disciplines se sont imposées au cours du xxe siècle comme un principe organisateur des contenus d’enseignement, voire le seul possible. Si tous les systèmes éducatifs ont eu recours à ce principe organisateur visant à répartir des contenus à enseigner en disciplines d’enseignement, la comparaison internationale met en évidence un large éventail d’organisations disciplinaires différentes.

Par ailleurs, en France, depuis les années 1970, l’introduction d’autres contenus d’enseignement que les contenus disciplinaires, comme les éducations à (voir la notice 30 « Éducations à… ») et les dispositifs (voir la notice 28 « Dispositifs ») met à mal ce principe organisateur. Dès lors, le curriculum peut dorénavant être considéré comme le nouveau principe organisateur des contenus à enseigner.

Références

Buisson Ferdinand (dir.) (1911). Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Hachette.

Chartier Anne-Marie (2013). « Les disciplines scolaires : entre classification des sciences et hiérarchie des savoirs », Hermès, La Revue, vol. 2, no 66, p. 73-77.

Chervel André (1988). « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche », Histoire de l’éducation, vol. 38, p. 59-119. https://doi.org/10.3406/hedu.1988.1593

Daunay Bertrand (2008). « Performances et apprentissages disciplinaires », Les Cahiers Théodile, no 9, p. 7-23.

Daunay Bertrand (2015). « Contenus et disciplines : une problématique didactique », dans Les contenus d’enseignement et d’apprentissage. Approches didactiques, Presses universitaires de Bordeaux, p. 19-41. https://doi.org/10.4000/books.pub.38292

Fabiani Jean-Louis (2006). « À quoi sert la notion de discipline ? », dans Jean Boutier, Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline, Editions de l’EHESS, p. 11-34.

Forquin Jean-Claude (2005). « Disciplines scolaires », dans Agnès Van Zanten (dir.), Dictionnaire de l’éducation et de la formation, 3e éd., Retz, p. 275-279.

Lebeaume Joël (2011a). « Les choses et les mots à l’école primaire. Exploration de la connexité des enseignements de français et de sciences (1880-2000) », Carrefours de l’éducation, vol. 3, no 1, p. 87-100. https://doi.org/10.3917/cdle.hs01.0087

Lebeaume Joël (2017). « Conscience disciplinaire ou conscience curriculaire ? Une question pour un changement d’échelle potentiel », dans Ana Dias-Chiaruttini et Azria Cora Cohen (dir.), Théories-didactiques de la lecture et de l’écriture. Fondements d’un champ de recherche en cheminant avec Yves Reuter, Presses universitaires du Septentrion, p. 169-191. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.15256

Martinand Jean-Louis (2001). « Matrices disciplinaires et matrices curriculaires : le cas de l’éducation technologique en France », dans Claude Carpentier (dir.), Contenus d’enseignement dans un monde en mutation : permanences et ruptures, L’Harmattan, p. 249-269.

Reuter Yves (2014). « Didactiques et disciplines : une relation structurelle », Éducation et didactique, vol. 8, no 1, p. 53-64. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1877