Notice 36

Inputs, outputs, outcomes

Sébastien-Akira Alix

D’origine anglo-saxonne, et principalement états-unienne, les termes inputs, outputs et outcomes sont polysémiques et utilisés pour désigner des réalités éducatives relevant de champs de recherche assez nettement distincts, quoique liés : le curriculum et la didactique des langues, l’économie de l’éducation, l’évaluation de l’efficacité des écoles en lien avec le pilotage des systèmes éducatifs. Les deux principaux usages de ces termes sont : 1) le sens qui leur est généralement donné dans le cadre de l’étude des situations d’enseignement-apprentissage en psychologie et en didactique des langues ; 2) celui qui tend à dominer les recherches sur l’évaluation des systèmes éducatifs, en lien avec la diffusion des grandes enquêtes internationales.

La première approche input-output concerne donc les situations d’enseignement-apprentissage. C’est à John Franklin Bobbitt (1876-1956), considéré comme le père fondateur des Curriculum Studies aux États-Unis, qu’on attribue généralement, avec d’autres réformateurs partisans du social efficiency movement, les origines d’une approche input-output dans le champ du curriculum. Professeur d’administration de l’éducation à l’Université de Chicago jusqu’en 1941, Bobbitt est l’un des premiers chercheurs à reprendre de manière systématique les idées du management scientifique de Frederick W. Taylor, et à l’appliquer au domaine de l’éducation. Dans cette perspective, l’école est assimilée à une usine dont la tâche consiste à transformer une matière brute (raw material), les enfants, en un produit fini, l’individu éduqué qui exerce une activité professionnelle dans la vie active (Bobbitt, 1918). Bobbitt propose, dans ce cadre, une méthode scientifique de conception du curriculum qui vise à favoriser au mieux l’efficacité de l’enseignement, en évitant tout élément superflu ou perte (waste), à partir notamment d’une étude minutieuse et d’une décomposition en activités et objectifs précis des compétences que l’on souhaite faire acquérir aux élèves, par exemple pour l’apprentissage de la langue maternelle.

Dans le même sens, quoique dans une approche sensiblement différente, des psychologues de l’éducation behavioriste, notamment Edward L. Thorndike (1874-1949) et Burrhus F. Skinner (1904-1990), ont appliqué l’approche input-output, également appelée stimulus-réponse, pour décrire le fonctionnement de l’apprentissage et de l’enseignement. De ce point de vue, les termes input et output renvoient à des éléments d’une situation d’apprentissage donnée : l’input correspond aux stimuli proposés à un apprenant ; l’output est la réponse du sujet à ces stimuli. Pour la psychologie behavioriste, la conséquence, positive ou négative, associée à la réponse de l’apprenant est l’outcome, dont le but est, par la répétition, d’ancrer le comportement de l’apprenant (Blaisdell, 2017).

Il est possible de trouver d’autres usages, plus élaborés, de ces termes, notamment dans le champ de la didactique, pour décrire par exemple l’acquisition d’une langue étrangère dans le cadre d’une situation d’enseignement-apprentissage. Le linguiste britannique Rod Ellis définit ainsi, dans son ouvrage The Study of Second Language Acquisition, l’input comme « la langue à laquelle les apprenants sont exposés », les éléments langagiers qui leur sont proposés en classe (Ellis, 1994). Parmi ces éléments, Ellis considère que ceux qui sont compris par les apprenants sont « l’input compréhensible ». La portion de l’input que les apprenants « retiennent » et « gardent » en mémoire temporairement correspond à ce que les chercheurs en didactique des langues appellent l’intake, la saisie, c’est-à-dire les éléments linguistiques qui s’intègrent effectivement dans le système de connaissance des apprenants. L’output est le langage produit par l’apprenant. Il joue un rôle décisif dans le processus d’acquisition de la langue étrangère et contribue à l’atteinte des learning outcomes, c’est-à-dire de la maîtrise des compétences linguistiques (proficiency and achievement) que les apprenants sont censés avoir acquises à l’issue d’un enseignement. En général, ces learning outcomes sont formulées en amont du cours afin de permettre aux apprenants d’identifier les attentes particulières d’un enseignement et de se concentrer sur les éléments importants (Ellis, 1994, p. 473).

Avec l’émergence, à partir des années 1960 et 1970, de recherches, notamment la schools effectiveness research, visant à comprendre, analyser et mesurer l’efficacité des systèmes éducatifs (Dumay et Dupriez, 2009), les termes inputs, outputs et outcomes ont été utilisés dans un sens différent par les chercheurs et les grandes enquêtes internationales.

Dans une acception générale inspirée de l’économie, les inputs correspondent aux intrants, c’est-à-dire à l’ensemble des éléments ou ressources (dépenses publiques d’éducation, nombre d’enseignants, nombre d’écoles, etc.) qui, au départ, sont considérés comme nécessaires au fonctionnement d’un système éducatif et sur lesquels repose donc l’enseignement au sein d’une société donnée. On distingue communément deux types d’inputs : les inputs qui dépendent des systèmes éducatifs (les financements, le recrutement et la rémunération des personnels, notamment des enseignants, les dépenses liées à la construction et à l’entretien des bâtiments, du mobilier et du matériel scolaires, etc.) ; et ceux qui n’en dépendent pas directement parce que liés aux conditions sociales et individuelles (les conditions socio-économiques ainsi que les caractéristiques individuelles des élèves, comportements et dispositions à étudier, etc.) qui affectent l’apprentissage des élèves.

Les outputs désignent, quant à eux, les extrants, les données de sorties ou les résultats du processus et du système éducatif. Ces outputs renvoient le plus souvent à des données quantifiables, quantitativement mesurables (le nombre d’élèves inscrits dans une filière, le nombre de diplômés, etc.) qui dépendent en grande partie de l’action et des choix de la puissance publique du système éducatif considéré. Ces données se distinguent à cet égard des outcomes qui renvoient également aux données de sorties et aux résultats, mais portent davantage sur les acquis des élèves (ce que les apprenants ont effectivement assimilé et qu’ils sont capables de produire et mobiliser à un moment donné de leur parcours scolaire) et dépendent donc davantage de facteurs extérieurs à la seule puissance publique.

En pratique, les acteurs des systèmes éducatifs, les grandes organisations internationales, comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Banque mondiale, ainsi que les chercheurs, privilégient souvent l’utilisation du terme outputs sur celui d’outcomes, considérant ces derniers comme une composante ou un type spécifique d’outputs (OCDE, 2007). Toutefois, la distinction est importante, notamment pour des raisons méthodologiques, car la mesure des connaissances et compétences des élèves nécessite la construction d’indicateurs complexes, prenant en compte un ensemble de facteurs, notamment extérieurs à l’enseignement, appréhendés par le biais de tests standardisés dans le cadre d’enquêtes nationales et internationales, dont le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est sans doute le plus célèbre (OCDE, 2013).

La focale impliquée par l’usage des notions d’inputs, ouputs et outcomes invite, de ce point de vue, à se concentrer sur la rationalisation et l’optimisation des systèmes éducatifs par l’analyse comparée des données d’entrée et de sortie, souvent au détriment d’une analyse plus qualitative de l’enseignement, c’est-à-dire de l’étude de ce qui se passe effectivement dans les écoles et dans ces « boîtes noires » que constituent les salles de classe. Dès les années 1970, cependant, les recherches dans ce domaine ont tenté de tenir compte, dans l’évaluation des systèmes éducatifs, de ces éléments, au travers notamment du développement de modèle comme le CIPO (Contexts, Inputs, Processes, Outcomes), qui peut être utilisé à différents niveaux des systèmes éducatifs (Klieme, 2013).

Que ce soit dans les recherches curriculaires, psychologiques et didactiques ou dans celles centrées sur l’évaluation des systèmes éducatifs, l’usage des termes inputs, outputs et outcomes s’inscrit en définitive dans une perspective visant à appréhender l’efficacité ou le rendement de l’enseignement et des systèmes scolaires – ce que les Américains appellent l’efficiency des pratiques et des systèmes éducatifs –, dans le prolongement de certaines idées fondatrices de J. F. Bobbitt au début du xxe siècle.

Références

Blaisdell Aaron P. (2017). « Cognitive Dimension of Operant Learning », dans Joseph H. Byrne (dir.), Learning and Memory. A Comprehensive Reference, vol. 1, Learning Theory and Behavior, 2e éd., Academic Press, p. 85-110. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-809324-5.21007-9

Bobbitt John F. (1918). The Curriculum, Houghton Mifflin.

Dumay Xavier et Dupriez Vincent (dir.) (2009). L’efficacité dans l’enseignement. Promesses et zones d’ombre, De Boeck.

Klieme Eckhard (2013). « The Role of Large-Scale Assessments in Research on Educational Effectiveness and School Development », dans Matthias von Davier, Eugenio Gonzalez, Irwin Kirsch et Kentaro Yamamoto (dir.), The Role of Large-Scale Assessments. Perspectives from Technology, Economy, and Educational Research, Springer, p. 115-148. https://doi.org/10.1007/978-94-007-4629-9_7

OCDE (2007). Regards sur l’éducation 2007. Les indicateurs de l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économiques. https://doi.org/10.1787/eag-2007-fr

OCDE (2013). OECD Reviews of Evaluation and Assessment in Education Synergies for Better Learning. An International Perspective on Evaluation and Assessment, Organisation de coopération et de développement économique. https://doi.org/10.1787/9789264190658-en

Ellis Rodd (1994). The Study of Second Language Acquisition, Oxford University Press.