Notice 34
Forme curriculaire
Joël Lebeaume
La notion de « forme curriculaire » (et de « mise en forme curriculaire ») est discutée par Forquin (2006, p. 2) qui indique la double référence à la sociologie du curriculum et à la didactique dans tout projet de détermination de « savoirs enseignables ». Il précise que « le plus caractéristique de la préoccupation curriculaire, c’est l’idée d’une mise en cohérence temporelle, l’idée d’une poursuite des apprentissages ». Selon ses termes, la forme curriculaire renvoie ainsi à la continuité, la progressivité et la « cumulativité » des apprentissages. Avec un souci de clarification conceptuelle et afin d’éviter toute confusion, Forquin (p. 12) prévient des acceptions contrastées de « forme scolaire », « forme disciplinaire » et « forme curriculaire » : « forme scolaire » a un sens plus global que les deux autres en recouvrant le mode de socialisation scolaire ; « forme disciplinaire » renvoie aux traits caractéristiques des disciplines scolaires ; « forme curriculaire » souligne la construction réfléchie d’un parcours avec la sélection, l’apprêtage et l’organisation des contenus. D’une façon similaire, Martinand (2001, p. 265) distingue, à propos de la reconfiguration alors récente de la technologie au collège : 1) « la forme curriculaire en un premier sens de caractérisation d’un cursus d’études » ; 2) la « forme curriculaire en un second sens » envisageant « les relations avec les différentes disciplines du collège ». Il développe ensuite « quelques formes curriculaires différentes » de l’éducation technologique qui pourrait être présente au sein des disciplines existantes, en tant que sciences appliquées, associée ou intégrée à l’éducation scientifique, hors disciplines dans des ateliers de réalisation, des clubs techniques… D’une façon explicite, pour Martinand (2014, p. 73), le terme « forme » est considéré au sens de « figure » ou « figures curriculaires » rendant compte des contours, visées et contenus de l’éducation technologique, c’est-à-dire sa structure ou sa configuration, et ses relations avec les autres enseignements. Dans le même sens, Forquin (2008, p. 10) précise dans l’introduction de son ouvrage Sociologie du curriculum l’acception de « forme curriculaire » :
« Ce qui caractérise la culture scolaire, c’est ainsi, pourrait-on dire, moins des contenus typiques et spécifiques qu’une “mise en forme” typiquement scolaire de ces contenus, à travers notamment l’élaboration de programmes d’études dans lesquels les savoirs font l’objet d’un double type de contraintes : d’une part des contraintes de façonnement didactique (destinées à rendre les savoirs littéralement “enseignables”), d’autre part des contraintes d’ordonnancement curriculaire selon une double dimension, synchronique (cohérence, complémentarité ou compatibilité entre les différents enseignements proposés à un même moment) et diachronique (caractère successif, cumulatif et progressif des apprentissages). On peut ainsi parler de “forme curriculaire” typique lorsque, dans un dispositif d’enseignement, se rencontrent à la fois une dimension “systémique” (le fait qu’un programme d’études comprenne une multiplicité de composantes clairement différenciées et plus ou moins fortement articulées entre elles, que celles-ci revêtent ou non la forme de ce qu’on appelle habituellement des “matières” ou des “disciplines d’enseignement”) et une dimension “séquentielle” (le fait que l’enseignement de chacune de ces composantes obéisse à un plan de programmation et de progression selon un ordre temporel explicitement planifié) » (p. 10).
En mettant l’accent sur la temporalité, Forquin définit la « forme curriculaire typique » en indiquant les contraintes de façonnement didactique et celles d’ordonnancement curriculaire à la fois synchronique et diachronique. Les deux dimensions, systémique et séquentielle, permettent d’examiner les curricula d’enseignement et de formation à deux grains différents : le premier focalise le cursus d’ensemble et les relations internes, verticales et horizontales de leurs contenus ; le second concerne chaque composant (matière, cours, discipline, dispositif, activité…) et leurs principes organisateurs et coordinateurs. Dans la littérature anglophone, l’expression « curriculum form » est très voisine. En effet, Goodson (1992) qui considère que « La question des relations au sein d'une matière ou discipline scolaire est restée inexplorée et non théorisée » [the issue of relationships within subject matter has remained unexplored and untheorized] propose d'analyser « les relations internes du curriculum - la forme du curriculum » [the internal relations of curriculum – the form of curriculum] (p. 66). Ces indications ouvrent la thématique de recherche consacrée à l’investigation scientifique de la morphologie des curricula qui vise à objectiver et à discuter les composants des curricula et les principes de construction et de développement des enseignements tout en poursuivant la discussion des relations entre sociologie du curriculum et didactique du curriculum. À cet égard, Lebeaume (2019) propose, à partir des curricula que sont la scolarité de l’école maternelle, le travail manuel à l’école élémentaire, l’enseignement ménager dans l’enseignement général, la formation professionnelle en coiffure, la formation des personnels de santé, un schéma d’analyse de leur forme curriculaire qui caractérise leurs visées, leurs références, leurs composants, l’agencement de leurs contenus, leur développement temporel et les relations entre pratiques constitutives et savoirs contributifs. À titre d’exemple, le travail manuel à l’école peut être structuré par la référence aux pratiques domestiques du travail du bois ou des métaux (constitutives) ou par les connaissances associées que sont les figures et tracés géométriques (savoirs contributifs). Il en est de même pour la formation des personnels infirmiers avec leurs pratiques de soins (constitutives) ou les savoirs (contributifs) du calcul des doses médicamenteuses.
Références
Forquin Jean-Claude (2006). Apprentissages documentaires, culture scolaire et problématique curriculaire, Savoirs CDI.
Forquin Jean-Claude (2008). Sociologie du curriculum, Presses universitaires de Rennes.
Goodson Ivor F. (1992). « On Curriculum Form: Notes Toward a Theory of Curriculum », Sociology of Education, vol. 65, no 1, p. 66-75. https://doi.org/10.2307/2112693
Lebeaume Joël (2019). « Précisions sur la “forme curriculaire” et distinction entre pratiques constitutives et savoirs contributifs. Contribution à l’étude morphologique des curriculums prescrits », Éducation et didactique, vol. 13, no 1, p. 43-59. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.3745
Martinand Jean-Louis (2001). « Matrices disciplinaires et matrices curriculaires : le cas de l’éducation technologique en France », dans Claude Carpentier (dir.), Contenus d’enseignement dans un monde en mutation : permanences et ruptures, L’Harmattan, p. 249-269.
Martinand Jean-Louis (2014). « Point de vue V. Didactique des sciences et techniques, didactique du curriculum », Éducation et didactique, vol. 8, no 1, p. 65-76. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1886