Notice 33
Flexibilité du curriculum
Joël Lebeaume
Si le terme « flexibilité » est devenu usuel pour caractériser les produits, les organisations et les processus industriels (Tarondeau, 1999) dans le but de satisfaire la diversité des besoins et attentes des utilisateurs, il est peu fréquent dans le milieu éducatif et absent des textes réglementaires. Ses quelques usages s’opposent principalement à « rigidité ». Ils valorisent les adaptations des parcours et des contenus d’enseignement afin de répondre aux besoins et attentes diversifiés des élèves en leur offrant des choix différents, accessibles et souples. Deux points de vue sont à distinguer. Le premier, proposé par Drévillon (1980) dans le registre pédagogique, fait prévaloir les variations des interactions maître-élèves selon les différents styles pédagogiques au sens de manières personnelles d’enseigner. Le second point de vue, d’ordre curriculaire, caractérise le curriculum mis en œuvre (ou réel) que précise Bravalsky (1999, p. 4) : « l’un des éléments clés de la flexibilité du programme d’enseignement est la manière dont sont organisées les expériences d’apprentissage des jeunes ». Dans cette acception qui évoque la flexibilité du curriculum, il s’agit généralement d’assouplir les plans d’études en proposant un noyau commun assorti d’options choisies à la discrétion des établissements et des élèves. C’est le sens retenu également par Carpentier (2003, p. 122) qui considère que la décentralisation du curriculum s’accompagne généralement « d’un développement de la flexibilité qui consiste à accorder au local la liberté de choix d’une partie des contenus ».
La flexibilité du curriculum répond ainsi à la double exigence de prise en compte du niveau local et de la diversité des élèves. Dans cet esprit, en 1973, la mise à la disposition des établissements d’enseignement secondaire d’un contingent horaire de « dix pour cent11. Les circulaires (…) » favorise les aménagements des contenus du collège et du lycée : 10 % du temps scolaire étaient consacrés à des activités choisies par les élèves parmi l’offre des enseignants sur des thématiques très ouvertes, par exemple « lecture rapide », « vie pratique », etc. Dans cette lignée, la rénovation pédagogique du lycée a également initié les « modules » en classe de seconde (1992) puis en classe de première, « afin d’introduire des éléments de souplesse, de flexibilité, un espace de respiration des professeurs et des élèves, un “espace de liberté” : pas de programme, initiatives totales des enseignants quant aux choses à y faire et aux élèves avec qui les faire, variations de ces contenus et des groupes d’élèves en cours d’année […], etc. » (Thélot, 1993, p. 5). La réforme du baccalauréat du début des années 2020 introduit une autre flexibilité en offrant aux élèves la possibilité de déterminer des parcours plus individualisés. Il s’agit d’une réforme curriculaire d’ampleur répondant au vœu d’une grande flexibilité de l’offre scolaire.
La flexibilité d’un curriculum recouvre ces espaces d’aménagement afin de répondre aux enjeux et exigences de prise en charge de la diversité des élèves et des contextes (Lebeaume, 2011b). Pour le curriculum unique de la scolarité obligatoire, le socle commun répond ainsi aux ambitions des acquisitions de base pour tous et de développement des talents de chacun. La flexibilité est donc la réponse donnée au cadre fixé par les législateurs (loi Fillon, 2005 ; loi Peillon, 2013). Mais la flexibilité de ce curriculum unique ne peut être confondue avec des différenciations définies réglementairement qu’ont été historiquement pour le collège, 1) le principe de ségrégation justifiant la répartition tripartite des élèves, selon leurs aptitudes soi-disant avérées, dans les trois voies de l’enseignement long, de l’enseignement court et des classes de transition-pratique ; 2) le principe d’intégration du collège unique, valorisant la différenciation pédagogique (enseignements individualisés, motivants, concrets) afin de respecter l’hétérogénéité des élèves.
Il est important également de distinguer la flexibilité du curriculum proposée par les différentes suggestions de dispositifs dits « interdisciplinaires » (travaux croisés, itinéraires de découverte, enseignements pratiques interdisciplinaires, etc.) qui permettent d’atténuer la rigidité de la compartimentation des disciplines tout en offrant un travail partagé des enseignants et des élèves.
La flexibilité peut être également entendue à l’échelle d’un enseignement disciplinaire. Par exemple, les arrêtés (1996-1998) définissant les programmes de technologie pour les quatre années du collège introduisaient une flexibilité de ses contenus et activités, selon les contextes locaux. Celle-ci était assurée par des possibles variations des réalisations sur projet (entreprises de référence, équipements, environnement économique…) et de leurs relations avec les unités d’enseignement de technologie de l’information (usages divers des ordinateurs, machines à commande numérique…). Cette flexibilité curriculaire s’accompagnait d’un cadrage par des éléments fixes (approche de réalisation sur projet, implication des élèves, progrès des compétences mobilisées, compétences exigibles, progressivité des usages des outils numériques…).
Références
Braslavsky Cécilia (1999). « Programme d’enseignement du secondaire en Amérique latine », Information et innovation en éducation, vol. 101, p. 2-6.
Carpentier Claude (2003). « Politique éducative et réforme du curriculum en Afrique du Sud : une affaire d’État ? », Carrefours de l’éducation, vol. 16, no 2, p. 104-122. https://doi.org/10.3917/cdle.016.0104
Drévillon Jean (1980). Pratiques éducatives et développement de la pensée opératoire, Presses universitaires de France. https://doi.org/10.3917/puf.drevi.1980.01
Lebeaume Joël (2011b). « Prise en charge de la diversité des élèves ou de la flexibilité de la technologie au collège : un dilemme pour les professeurs », Les Dossiers des sciences de l’éducation, vol. 26, p. 101-116. https://doi.org/10.4000/dse.1114
Tarondeau Jean-Claude (1999). La flexibilité des entreprises, Presses universitaires de France.
Thélot Claude (1993). « Préface », dans Dominique Raulin (dir.), Les modules. Vers de nouvelles pratiques pédagogiques au lycée, CNDP-Hachette, p. 5-7.
Les circulaires no 73-162 du 27 mars 1973 et n o 73-240 du 23 mai 1973 fixent un contingent horaire de 10 % à mettre à la disposition des établissements d’enseignement secondaire (collège et lycées) (circulaires signées par Joseph Fontanet).