Notice 28
Dispositifs
Abdelkarim Zaïd
Les modalités d’intervention éducative que désigne le terme « dispositif » (voir la notice 30 « Éducation à… ») consistent en des compositions hétérogènes d’acteurs et de moyens mobilisés en vue de susciter, modifier ou transformer les dispositions des publics visés (Zaid, 2017). Ces dispositions sont à prendre au sens que lui donne Bourdieu (1998, p. 8), c’est-à-dire « être enclin à agir de telle ou telle manière dans telles ou telles circonstances ». Le ministère présente les dispositifs dans les termes suivants : les dispositifs désignent des « organisations prescrites (par des textes législatifs ou réglementaires), au plan national ou local, visant à mettre en œuvre des actions pédagogiques au bénéfice de l’individu-élève, en fonction de ses aptitudes et besoins individuels » (MEN/MESR, 2010, p. 8). Ces cadrages ont souvent un caractère à la fois administratif et pédagogique en ce qu’ils organisent les contenus ou les thématiques, les temps et les modes d’intervention auprès des acteurs de l’éducation.
Dans le système éducatif français, le recours de plus en plus fréquent à des dispositifs remet en cause un système d’enseignement structuré par les disciplines au profit d’un curriculum organisé en domaines de formation. Les dispositifs sont partie prenante de cette remise en cause de différentes manières : 1) par l’externalisation de certains contenus d’enseignement, hors des disciplines (Cauterman et Daunay, 2010) ; 2) par la priorité qu’ils donnent à la visée de médiation entre l’élève et la société : l’activité enseignante dépasse la seule transmission de contenus pour aller vers une mission de formation à l’action politique et sociale (Malet, 2010) ; 3) par l’extension de la fonction du curriculum, en tant que passeur des politiques éducatives vers la classe, intégrant l’école et l’extérieur de l’école (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »).
Les différentes réformes de l’école depuis le début de la Ve République (1958) ont porté sur différents composants du curriculum : les structures (durée de la scolarité obligatoire, collège unique, création de la voie technologique), les disciplines enseignées (création des sciences économiques et sociales au lycée, de la technologie au collège), les diplômes (création des baccalauréats professionnels). Depuis la dernière décennie du xxe siècle, les réformes successives donnent lieu fréquemment à la mise en place de dispositifs dits pédagogiques : Parcours Avenir, Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), Itinéraires de découverte (IDD), parcours diversifiés, etc. Bien que souvent temporaires parce que liés à une réforme plus vaste, les dispositifs sont aujourd’hui constamment présents dans le système éducatif français.
Au niveau de l’administration de l’Éducation nationale, différents paramètres peuvent être utilisés pour décrire et caractériser les dispositifs :
- les niveaux d’enseignement et les objectifs visés ou les missions (voir la notice 32 « Évaluation et curriculum ») : selon les périodes, les dispositifs ont ainsi pu porter sur : 1) l’accompagnement (à l’école, Activités pédagogiques complémentaires (2013), au lycée et au collège Accompagnement personnalisé (2010, 2011), Devoirs faits (2017), etc.) ; 2) la lutte contre le décrochage scolaire (Classes et ateliers relais (1998) ; 3) la promotion de l’égalité des chances (Contrat local d’accompagnement à la scolarité (2010), Internats d’excellence (2010), Cordées de la réussite (2021), Capital filles (2012), etc.) ; la prise en charge des élèves aux besoins éducatifs particuliers (Programme personnalisé de réussite éducative (2019), Plan d’accompagnement personnalisé (2013), etc.), le développement de l’interdisciplinarité (Sciences à l’école (2004), Enseignements pratiques interdisciplinaires (2017), etc.) ;
- les temps scolaires durant lesquels les dispositifs sont mis en place ;
- les flux d’élèves impliqués et le type d’élèves (en difficulté, en situation de handicap…) : ce paramètre impactant le coût, directement lié au nombre d’élèves concernés, privilégie l’aspect économique ;
- les intervenants : ils sont membres de l’Éducation nationale (enseignants, membres de la cellule vie scolaire, personnels de santé, d’orientation…) ou extérieurs ;
- les pratiques et l’organisation pédagogiques mises en place : travail en petits groupes, tutorat par un élève, un adulte référent…
L’éventail et la diversité des dispositifs sont tels que la réglementation est devenue au fil du temps de plus en plus foisonnante et qu’il apparaît donc difficile d’en faire une description globale, si ce n’est en privilégiant certain(s) des paramètre(s) cités précédemment.
Au niveau de la recherche, les dispositifs donnent lieu à différents travaux : des recherches sur l’objet « dispositif(s) » pouvant aboutir à l’établissement d’une typologie et à l’étude des relations entre dispositifs et curriculum. Les recherches concernant les dispositifs proposent différentes entrées pour désigner et délimiter ceux-ci en tant qu’objets d’étude :
- Glasman (2017) identifie les ZEP comme un dispositif pour rénover, réinventer l’institution scolaire ; pour cet auteur, un dispositif est défini au regard de son caractère provisoire (ou non), des missions, des acteurs et des moyens d’un dispositif ;
- Félix, Saujat et Combes (2012) étudient les conditions d’intervention dans les dispositifs d’aide définis selon deux axes : l’axe niveaux des élèves vs l’axe des difficultés des élèves ;
- Barrère (2017) considère les effets du dispositif et en distingue plusieurs types : les dispositifs curriculaires qui agissent sur les contenus comme les EPI visant à introduire plus d’interdisciplinarité ; les dispositifs qui agissent sur les pratiques, par exemple en intervenant sur le traitement indifférencié des élèves ; les dispositifs d’ouverture de l’espace scolaire comme l’aide aux devoirs impliquant des intervenants associatifs locaux ou nationaux ; les dispositifs qui agissent sur la temporalité de l’enseignement comme « Course en cours », structuré par un projet dont la préparation et la réalisation rompent avec le temps rythmé en heures.
Les interrelations entre curriculum et dispositifs sont au cœur de plusieurs travaux de recherche, participant de plusieurs avancées théoriques et réactivant notamment les acquis de Foucault (2001) et De Certeau (1980) (voir la notice 25 « Curriculum, création quotidienne »). Par exemple, dans un cadre didactique, d’une part un dispositif peut être conçu comme « un ensemble prescrit de composants hétérogènes agencés en réseau et considérés par des acteurs comme pertinents ou nécessaires pour réaliser une fonction dominante et satisfaire des finalités. D’autre part, un dispositif est ce même ensemble en cours d’actualisation, c’est-à-dire un agencement évolutif de composants, structuré par une dynamique entre ceux-ci dans un contexte qui offre les ressources supposées pertinentes ou nécessaires pour réaliser une fonction dominante et des finalités, et pour évoluer » (Zaid, 2017, p. 58). Selon l’auteur, un dispositif est donc à la fois un enseignement défini réglementairement et un processus qui évolue en fonction du contexte. Aussi bien en tant qu’enseignement que processus, un dispositif s’intègre au curriculum : il en est un composant. Or cette inclusion implique au moins deux phénomènes : une forme d’autonomisation du dispositif par rapport au curriculum dans son fonctionnement et parfois même dans ses objectifs ; l’émergence d’une résistance implicite de la part des publics visés et des acteurs impliqués (résistance de certains enseignants du collège, dont l’identité disciplinaire est forte, à intervenir dans « Devoirs faits » impliquant une intervention indépendante des disciplines). Certains acteurs considèrent que les dispositifs sont un temps d’enseignement privilégié d’où serait exclue toute contrainte induite par son appartenance au curriculum (contenus d’enseignement, méthodes, évaluation, outils didactiques).
Références
Barrère Anne (2017). « Les dispositifs se justifient par l’idée qu’il faut agir sur des difficultés insolubles sans eux [Entretien avec Régis Guyon] », Diversité, vol. 190, p. 7-10.
Bourdieu Emmanuel (1998). Savoir-faire : contribution à une théorie dispositionnelle de l’action, Le Seuil.
Cauterman, Marie-Michèle et Daunay Bertrand (2010). « La jungle des dispositifs », Recherches, vol. 52, p. 9-23.
De Certeau Michel (1980). L’invention du quotidien, t. 1, Arts de faire, UGE. Rééd. 1990, Gallimard.
Félix Christine, Saujat Frédéric et Combes Christelle (2012). « Des élèves en difficulté aux dispositifs d’aide : une nouvelle organisation du travail enseignant », Recherches en éducation, vol. 4, p. 19-30. http://doi.org/10.4000/ree.9014
Foucault Michel (2001). « Le jeu de Michel Foucault », dans Defert Daniel, Ewald François (dir.), Dits et écrits, t. 2, Gallimard, p. 298-329.
Glasman Dominique (2017). « Le dispositif est l’occasion de dire, de nommer des problèmes spécifiques [Entretien avec Régis Guyon] », Diversité, vol. 190, p. 11-15.
Jacquinot-Delaunay Geneviève et Monnoyer Laurence (1999). « Le dispositif. Entre usage et concept », Hermès. La Revue, vol. 3, p. 25. https://doi.org/10.4267/2042/14968
Malet Régis (2010). École, médiations et réformes curriculaires : perspectives internationales, De Boeck.
Zaid Abdelkarim (2017). Élaborer, transmettre et construire des contenus. Perspective didactique des dispositifs d’éducation et de formation en sciences et technologie, Presses universitaires de Rennes.