Notice 26

Curriculum, parcours et musées scientifiques

Muriel Guedj

Difficile à dater précisément, l’introduction de la mission éducative au musée s’adjoint à celle originelle de conservation/préservation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (Chaumier et Mairesse, 2013). Inscrite dans l’évolution générale des musées, elle se formalise et se généralise au début des années 1950 (Girault et Cohen, 1999), avec l’ambition de répondre aux besoins et défis de société. Les orientations actuelles du musée, avec l’affirmation d’impliquer des communautés locales et de s’adresser à des publics plus larges, se traduit par une nouvelle définition du musée qui renforce et spécifie la dimension éducative :

« Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances. »
International Council of Museums, définition actualisée à Prague le 24 août 2022

Avec la même intention d’adaptation aux contextes socio-économiques et culturels (Guedj et Savaton, 2015), l’école s’ouvre progressivement sur l’extérieur dans un mouvement qui depuis l’éveil des années 1960, est marqué par une volonté d’insertion sur les territoires. En témoigne la mise en place dès 2013, des Plans éducatifs territoriaux qui invitent les collectivités territoriales à s’impliquer dans des parcours éducatifs en réponse à des besoins identifiés sur chaque territoire. C’est dans la même veine que s’inscrivent les parcours éducatifs (santé, avenir, citoyenneté, éducation artistique et culturelle), et que les diverses « éducations à » (voir la notice 30 « Éducations à… ») intègrent les curricula.

Si la définition de l’éducation scolaire est particulièrement bien documentée, l’éducation au musée nécessite d’être explicitée. Les recherches actuelles permettent, si ce n’est d’en donner une définition, du moins d’identifier trois marqueurs révélateurs des spécificités des pratiques et contenus éducatifs au musée : la proposition culturelle, l’implication du public, le rôle du médiateur.

La proposition culturelle désigne les contenus et intentions en jeu ; elle se caractérise par l’approche volontairement subjective des concepteurs qui soumettent un point de vue singulier sur la thématique proposée au public. Dans cette perspective, l’écriture muséale mobilise fréquemment le récit comme moyen pour introduire le discours scientifique (Triquet, 2011). Le choix d’aborder la thématique de manière globale constitue une autre caractéristique (Allard, 1999) ; il s’agit d’offrir d’emblée une vision synthétique de la thématique abordée dans sa totalité, laissant ainsi la place aux questions complexes et autres boîtes noires. En outre, la proposition se structure à partir de contenus polymorphes ; elle excentre les contenus, laisse la place aux savoirs et savoir-faire hybrides, populaires, locaux et accorde une place centrale à la matérialité. Spécifiques des musées scientifiques, les artefacts, dispositifs expérimentaux, objets de collections, etc., sont constitutifs de leur identité et la rencontre avec l’objet réel y est largement favorisée. Cette confrontation avec la réalité, qualifiée par Bruno David (président du Muséum national d’Histoire naturelle en 2024) d’expérience d’« hyper matérialité » indispensable en contexte « post-covid », suscite une émotion « fixatrice de la mémoire » (AMCSTI, 2020).

Cette orientation concerne la démarche d’appropriation revendiquée par les auteurs pour laquelle « … le visiteur fait sien intellectuellement, affectivement, imaginairement un objet du musée » (Allard, 1999). Que l’objet renvoie à la matérialité d’un artefact ou à une thématique scientifique, le musée s’affirme comme un lieu d’éducation permettant le développement d’« habiletés intellectuelles » qui privilégient le questionnement et les processus en jeu lors de la construction des réponses plutôt que les « bonnes réponses » et leur mémorisation. Savoir questionner et investiguer plutôt que savoir répondre et mémoriser.

Avec cette perspective, le médiateur se positionne entre la proposition et le visiteur/élève (Cohen-Azria, 2002) pour favoriser cette appropriation ; il adapte et ajuste ses interventions en fonction des publics, de leurs questions et expériences singulières ; il estime quand devoir rompre avec un scénario, aborder une question complexe, ouvrir une boite noire, etc., avec comme ambition première de faire passer un message, interpeler, questionner. En outre le divertissement attaché aux missions du musée laisse sa place à la communication non verbale, pour créer des contacts, installer un climat propice à l’échange d’expérience et au partage émotionnel (Meunier, 2018).

Ainsi, depuis le début du xxie siècle, les évolutions observables dans les contenus à enseigner et les pratiques éducatives, tant à l’école qu’au musée, témoignent d’une volonté d’aller vers une complémentarité affirmée (Jacobi, 2018).

Le Parcours éducatif artistique et culturel (PEAC, https://www.education.gouv.fr/le-parcours-d-education-artistique-et-culturelle-peac-4283) constitue à ce titre un exemple de concrétisation possible de cette complémentarité. Défini comme « l’ensemble des connaissances acquises par l’élève, des pratiques expérimentées et des rencontres organisées […] dans une complémentarité entre les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire » (Éduscol, 2022), le PEAC se structure selon trois piliers que sont les enseignements artistiques, les rencontres avec les artistes et les œuvres, et les pratiques artistiques. Ainsi pensé en complémentarité, en lien avec les territoires, via les projets éducatifs territoriaux, il vise à intégrer dans un curriculum continu, le parcours scolaire auquel il ne se substitue pas, et une diversité des pratiques, d’expériences et de savoirs proposés par d’autres acteurs en d’autres lieux. Le principe fondamental est la circulation et la complémentarité.

Transposé à l’éducation scientifique, un « parcours d’éducation aux sciences » (PES) déployé selon des modalités analogues au PEAC serait profitable. Ainsi, il devrait se traduire par des rencontres avec des acteurs (scientifiques, médiateurs) et des phénomènes ou artefacts, des découvertes (associations, musées, patrimoine) et des pratiques scientifiques (expériences, observations, etc.).

En lien étroit avec la notion de partenariat, le parcours associe ainsi des espaces éducatifs formels et non formels, pensés comme des partenaires, pour construire un curriculum commun ou parcours éducatif partagé. Finalement c’est à une nouvelle vue d’ensemble du curriculum à laquelle invite la notion de parcours éducatif qui ne se réduise pas à une extension du curriculum formel (scolaire), mais l’intègre avec d’autres parcours éducatifs dans un espace éducatif continu pour lequel le musée et l’école ajustent leurs projets et leurs propos compte tenu des spécificités de chacun. Reste que les voies concrètes de la complémentarité revendiquée permettant la mise en place de nouvelles pratiques ainsi que leur évaluation restent à construire. Le chantier collaboratif reste largement ouvert.

Références

Allard Michel (1999). « Le partenariat école-musée. Quelques pistes de réflexions », Aster, no 29, p. 27‑40.

Chaumier Serge et Mairesse Françoise (2013). La médiation culturelle, Armand Colin.

Cohen-Azria Cora (2002). Quand l’enfant devient visiteur : nouvelle approche du partenariat école/musée, L’Harmattan.

Cohen-Azria Cora et Girault Yves (1999). « Quelques repères historiques sur le partenariat école-musée ou quarante ans de prémices tombées dans l’oubli », Aster, no 29, p. 9-26.

David Bruno (2020), « Urgence sociétale et réalité de la science », AMCSTI, La nouvelle donne de la CSTI, https://www.youtube.com/watch?v=oHNU3E0rGlA (diffusion en direct le 1er décembre 2020).

Guedj Muriel et Savaton Pierre (2015). « Entre exigence économique et culture pour tous : le cas des sciences expérimentales des années 1950 aux années 1980 », dans Renaud d’Enfert et Joël Lebeaume (dir.), Réformer les disciplines. Les savoirs scolaires à l’épreuve de la modernité. 1945-1985, Presses universitaires de Rennes, p. 61‑81.

Jacobi Daniel (2018). Culture et éducation non formelle, Presses de l’Université du Québec.

Meunier Annik (2018). « L’éducation dans les musées : une forme d’éducation non formelle », dans Daniel Jacobi (dir.), Culture et éducation non formelle, Presses de l’Université du Québec.

Triquet Éric (dir.) (2011). « Le récit dans la médiation des sciences et des techniques », Culture et musées, no 18.

Ministère de l’Éducation nationale. « Éducation artistique et culturelle (EAC) », en ligne : https://eduscol.education.fr/575/education-artistique-et-culturelle (mise à jour : avril 2024).