Notice 19
Curriculum possible, (auto-)prescrit, (co-)produit, potentiel
Maryline Coquidé
Joël Lebeaume
La qualification du terme curriculum avec les adjectifs « possible », « (auto-)prescrit », « (co-)produit », « potentiel » s’inscrit dans la problématisation de(s) didactique(s) du(es) curriculum(a) argumentée(s) par Martinand (2003c, 2012, 2014) qui les distinguent de celles plus classiques de(s) didactique(s) des apprentissages. Dans sa posture de recherche sur cette thématique, Martinand considère, en référence à ses travaux et expertises, que les recherches en didactiques doivent porter non seulement sur l’existant, mais aussi sur la conception et les essais de nouveaux enseignements ou dispositifs. Il défend ainsi ce travail de recherche d’« ingénieur-concepteur » conduit par des didacticiens qui portent et assument « une responsabilité sur les contenus ». Pour lui, cette perspective de recherche d’ingénierie didactique est indispensable pour permettre un questionnement permanent des contenus scolaires, de l’offre de ressources pour l’enseignement, de la formation des maîtres et des attentes des élèves.
Ce programme de recherche a été conçu et développé au sein de l’unité mixte de recherche STEF (sciences, techniques, éducation, formation, à l’École normale supérieure de Cachan et l’Institut national de recherche pédagogique) dès le tournant des années 2000. Les enjeux théoriques et le cadre intellectuel proposés ont été travaillés à propos notamment des transformations de la technologie au collège (Lebeaume et Martinand, 1998), de l’introduction de l’éducation au développement durable (Lange et Martinand, 2014), de l’expérimentation de l’enseignement intégré de sciences et technologie (EIST institué au collège en 2011) (Coquidé et al., 2013) et d’une innovation, concernant la mise en œuvre au lycée de l’enseignement d’exploration des méthodes et pratiques scientifiques, avec le partenariat d’un lycée et des laboratoires de recherche de l’université d’Orléans et la participation de doctorants chargés de faire découvrir des méthodes et des pratiques scientifiques et, le cas échéant, nourrir les perspectives d’une orientation scolaire et professionnelle (Voisin, 2017).
Ces travaux sont marqués par des changements dans les prescriptions nationales ou locales, par la création et l’invention de dispositifs par les acteurs et donc par des idées générées par la prise en charge par les enseignants et étudiants de ces dispositifs, composants de curricula. Ces innovations ne peuvent ignorer les intentions respectives des concepteurs et des auteurs de chacun des dispositifs. Dans cette perspective, la recherche offre une contribution décisive pour des « questionnements curriculaires » qui contribuent à proposer et négocier un « curriculum possible » conçu par le didacticien ou par l’équipe de recherche. Ce curriculum « possible » ou « des possibles » et sa mise en œuvre ne sont donc pas définis par un contenu a priori, car il envisage la construction de projets de curricula réels par les enseignants qui les conçoivent, en adaptant les prescriptions du curriculum possible. Le « curriculum possible » est ainsi en relation avec trois autres questionnements curriculaires : celui concernant le « curriculum prescrit » ou « auto-prescrit » des enseignants, le « curriculum produit » ou « co-produit » par et avec les enseignants, les élèves ou éventuellement des intervenants extérieurs, et le « curriculum potentiel » au sens de « en puissance », puisqu’il correspond à ce que l’enseignant est en capacité d’imaginer, dans ses conditions de travail propres et avec ses élèves. Ce questionnement en matière de curriculum « potentiel » peut aussi, dans une perspective de formation des enseignants, d’une part caractériser et expliquer des différences entre « prescrit » et « co-produit » et, d’autre part, contribuer au développement de la formation didactique des enseignants.
Le (ou des) curriculum(a) possible(s) interroge ainsi les différentes finalités éducatives en termes de contenus existants ou à inventer. De ce point de vue, il engage la responsabilité des chercheurs et nécessite l’explicitation des enjeux éducatifs, scientifiques et sociaux. Ainsi, pour Ross (2000), les curricula pilotés par les objectifs ou par les processus d’activités se rapprochent par une volonté d’égalitarisme entre les différents élèves et par la nécessité d’une forte prise de responsabilité de la part de ceux-ci, tandis que les curricula pilotés par les processus d’activités et ceux par les contenus convergent en raison d’un rejet de toute forme d’instrumentalisation. Une rationalité scientifique ne peut pas, seule, justifier un contenu d’enseignement, la légitimité sociale de ces contenus et celle de leurs mises en œuvre sont aussi à considérer. Un curriculum « possible » est, par conséquent, un choix parmi d’autres possibles, éclairé par la pluralité des rationalités et en fonction des finalités éducatives.
Les articulations entre tous ces questionnements curriculaires sont donc nécessaires pour que des projets de curricula lancés par des enseignants puissent être menés à leurs termes sur des bases scientifiques.
Références
Coquidé Maryline, Fortin Corinne et Lasson Christophe (2013). « D’un curriculum auto-prescrit à des curriculums co-produits », Spirale. Revue de recherches en éducation, vol. 52, p. 11-32. https://doi.org/10.3406/spira.2013.1059
Lange Jean-Marc et Martinand Jean-Louis (2014). Principes d’élaboration et de structuration d’une éducation au développement durable scolaire. Développement durable, comprendre et développer les compétences collectives. https://hal.umontpellier.fr/hal-01690530
Lebeaume Joël et Martinand Jean-Louis (dir.) (1998). Enseigner la technologie au collège, Hachette.
Martinand Jean-Louis (2003c). « L’éducation technologique à l’école moyenne en France : problèmes de didactique curriculaire », Canadian Journal of Science, Mathematics, and Technology Education, vol. 3, no 1, p. 100-116. https://doi.org/10.1080/14926150309556554
Martinand Jean-Louis (2012). « Éducation au développement durable et didactiques du curriculum », Actes du XIXe colloque de l’AFIRSE, janvier 2012, Université de Lisbonne.
Martinand Jean-Louis (2014). « Point de vue V. Didactique des sciences et techniques, didactique du curriculum », Éducation et didactique, vol. 8, no 1, p. 65-76. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.1886
Ross Alistair (2000). Curriculum. Construction and Critique, Falmer Press.
Voisin Vincent (2017). Étude d’activités d’exploration de pratiques de recherche de scientifiques dans le cadre d’un partenariat, thèse de doctorat, Université Paris-Saclay.