Notice 17
Curriculum formel, réel, caché
Joël Lebeaume
Les trois désignations « curriculum formel », « curriculum réel » et « curriculum caché » sont bien connues grâce à la large diffusion du texte de Perrenoud (1993) qui fait référence. Ce dernier distingue les deux premiers niveaux : 1) de la programmation d’un parcours éducatif prévue par des textes ; 2) celui des expériences ou du « parcours effectivement vécu par les élèves » comprenant les apprentissages qui en résultent. Selon les auteurs, ces deux temps sont précisés et nuancés par différents adjectifs : le curriculum est alors formel, officiel, manifeste, prescrit… ou bien réel, réalisé, effectif ou vécu…
Le premier niveau est constitué principalement de textes dont les lois, les programmes, les circulaires, les manuels et ressources qui sont des injonctions à destination plus particulièrement des enseignants et dans une moindre mesure des élèves, des parents et de l’ensemble des membres de la communauté éducative. Perrenoud précise que le curriculum est « prescrit parce qu’il a le statut d’une norme » et qu’il est « formel au sens de la sociologie des organisations » qui souligne le caractère officiel de sa forme écrite et de son énoncé clair sans équivoque. Le deuxième, le curriculum « réel », « réalisé », « effectif » ou « vécu » correspond à ce qui est effectivement enseigné ou étudié en classe. Il recouvre donc les situations d’enseignement-apprentissage conçues par les enseignants et les expériences formatrices vécues par les élèves avec les implications que sont les interprétations des maîtres et les appropriations individuelles ou collectives des publics scolaires. En effet, comme l’indique Eggleston (1977), le curriculum réel ou réalisé dépend du contexte de la classe et est négocié entre le maître et ses élèves avec leurs stratégies respectives et leurs rapports (voir la notice 21 « Curriculum réalisé »). À cet égard, de nombreux travaux explorent les écarts entre le prescrit et le réel, c’est-à-dire les variations entre le texte unique du prescrit et la diversité des mises en œuvre réelles. Avec cette perspective et pour exemple, Thorel-Hallez (2009) investigue le cas de l’enseignement de la danse contemporaine au collège en contexte mixte : elle en examine le prescrit et les contenus réellement enseignés, mais caractérise aussi le curriculum « déclaré » par quatre professeurs, deux hommes et deux femmes. Des entretiens avec chacun d’entre eux avant leurs leçons filmées permettent de mettre au jour leur compréhension et leurs interprétations des prescriptions qui sont ensuite comparées à leurs pratiques réelles tout en renseignant sur le processus de transposition curriculaire (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »).
La troisième désignation, le curriculum « caché » ou « latent » ou encore « implicite » aborde le fait que tout ce qui est appris à l’école n’est pas explicité/présent dans le curriculum formel. Pour Perrenoud (2010) « le curriculum caché désigne une action de l’école qui, sans être méconnue ou inavouable, est souvent présentée sous des dehors idéalistes ou édulcorés ». Il s’interroge sur la pertinence du caractère « vraiment caché », car il lui semble évident que les institutions éducatives ont cette mission « d’apprendre à l’école l’effort, le travail bien fait, la persévérance, l’hygiène, la propreté, l’ordre, la politesse, le respect d’autrui, la discipline, le respect de l’autorité et des institutions, l’amour de la patrie », etc. Mais, il considère que « l’euphémisation du curriculum moral n’autorise pas à le considérer comme réellement caché » et que le « dévoilement » du curriculum « caché » enfonce parfois des portes ouvertes… ». Il précise alors que cette « notion de curriculum caché, dans son sens strict, se réfère aux conditions et aux routines de la vie scolaire qui engendrent régulièrement des apprentissages méconnus, étrangers à ceux que l’école sait et déclare vouloir favoriser. » À cet égard, il convoque les travaux pionniers de Jackson (1968) qui assimile le curriculum caché aux « routines quotidiennes ». Celles-ci, dans le fonctionnement de la classe et de l’établissement scolaire, font que les élèves apprennent, génération après génération, à vivre dans un environnement surpeuplé, à être constamment jugés par des professeurs ou des camarades ou encore à obéir à ceux qui détiennent le pouvoir. » Dans la même lignée de travaux, Perrenoud cite Eggleston (1977) qui « identifie sept types d’apprentissages que favorise régulièrement le fonctionnement de l’école sans qu’ils figurent pour autant dans les objectifs officiels de l’enseignement. » : il s’agit d’apprendre à vivre dans un collectif ; à patienter et à être passif ; à être évalué par les enseignants et les autres ; à répondre aux attentes des maîtres et des autres élèves ; à vivre dans une société stratifiée et donc à accepter les inégalités ; à influencer le rythme du travail scolaire et à partager les codes de communication du groupe.
Les trois désignations « curriculum formel », « curriculum réel » et « curriculum caché » ne représentent pas trois états d’un déroulement ou développement curriculaire. Ce sont des points de vue différents portés sur un ou des parcours d’éducation, d’enseignement ou de formation. Ce sont alors des notions et concepts qui permettent de discuter les caractéristiques spécifiques de ces curricula et leurs éventuelles relations dynamiques binaires ou ternaires. Avec cette posture, Nozaki et Apple (2002) considèrent que la mise en place de tout curriculum s’accompagne de la construction d’un curriculum caché en raison du fait qu’un curriculum est toujours une composition de savoirs sélectionnés par des groupes d’intérêt et de pouvoir.
Références
Jackson Philip W. (1968). Life in Classrooms, Holt, Rinehart and Winston.
Eggleston John (1977). The Sociology of the School Curriculum, Routledge and Kegan Paul.
Nozaki Y. et Apple W. (2002). « Ideology and Curriculum », dans D. L. Levinson, P. W. Cookson Jr. et A. R. Sadovnik (dir.), Education and Sociology, an Encyclopedia, Routledge Falmer, p. 381-385.
Perrenoud Philippe (1993). « Curriculum : le formel, le réel, le caché », dans Jean Houssaye (dir.), La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF Éditeur, p. 61-76.
Perrenoud Philippe (2010). La fabrication de l’excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d’évaluation, Librairie Droz, p. 227-258. https://doi.org/10.3917/droz.perre.1995.01
Thorel-Hallez Sabine (2009). « Curriculum prescrit et contenus enseignés : le cas de l’enseignement de la danse contemporaine au collège en contexte mixte », Spirale. Revue de recherches en éducation, vol. 43, p. 93-104. https://doi.org/10.3406/spira.2009.1185