Notice 14

Curriculum composite

Béatrice Mouton-Legrand

Joël Lebeaume

Dominique Raulin

La composition des curricula d’enseignement ou de formation est généralement diversifiée du fait de l’association de contenus disciplinaires, de l’éventail d’éducations à… (voir la notice 30 « Éducations à… »), de différents dispositifs tels que stages, ateliers pédagogiques (voir la notice 28 « Dispositifs ») dont la prise en charge respective est assurée par un ou plusieurs enseignants, par des personnels d’éducation (psychologues, conseillers d’orientation, conseillers principaux d’éducation, etc.), voire par des intervenants extérieurs. Cette association répond à la nécessité et l’exigence socio-éducative d’étendre les curricula à des contenus non pris en charge jusque-là et à des méthodes non exploitées auparavant pour assurer des apprentissages délaissés ou inconnus dans un passé encore récent. L’ensemble ainsi constitué vise la prise en charge de nouveaux objectifs, en ayant des propriétés qu’aucun des composants ne possède seul.

Pour décrire et investiguer des curricula construits de cette façon, Mouton-Legrand (2020) propose dans sa recherche doctorale l’expression « curriculum composite ». Cette expression se réfère à une terminologie utilisée dans le domaine des matériaux dont les dictionnaires de la langue usuelle en donnent la définition suivante : « un matériau composite est un matériau formé de plusieurs composants élémentaires dont l’association confère à l’ensemble, des propriétés qu’aucun des composants pris séparément ne possède ». Ce matériau comporte une ossature et une matrice. Un curriculum composite est ainsi constitué d’enseignements de nature et de forme différentes (disciplinaire ou non disciplinaire) dont la cohérence d’ensemble nécessite la mise en place d’interrelations qu’elle désigne en l’espèce, « liaisons intracurriculaires ». À titre d’étude de cas, Mouton-Legrand étudie l’éducation technologique au collège, qui offre des réalisations sur projet, des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), des apprentissages de technologie de l’information, des parcours éducatifs (tels que « Les cordées de la réussite »), ainsi que la participation à des concours (par exemple : de robots).

En reprenant la terminologie du domaine des matériaux, il convient de discuter non pas l’assemblage de fait des composants, mais la fonction propre de chacun d’entre eux dans cet ensemble et donc la cohérence des liaisons intracurriculaires dans laquelle chaque composant a sa place et ne peut être supprimé sans dommage pour l’ensemble. À la différence d’une simple juxtaposition des composants, leur assemblage ou intégration exige que les enseignants ou les intervenants, ainsi que les élèves, construisent, identifient, repèrent et s’approprient ces liaisons intracurriculaires. À cet égard, Mouton-Legrand met en évidence différentes conditions :

  1. L’approche retenue par le(s) professeur(s) ou intervenant(e.s) dans la présentation et l’étiquetage de nouveaux contenus, thèmes, chapitres ou savoirs. Il convient en effet d’expliciter les liaisons intracurriculaires qui semblent plus lisibles lorsqu’il s’agit de situations-problèmes ou de projets interdisciplinaires.
  2. La réalisation de la mutualisation du travail entre les enseignants et/ou intervenants, dans les phases d’enseignement-apprentissage comme dans celles d’évaluation. Le partage, la mutualisation et une répartition identifiée des contenus à enseigner et enseignés ne suffisent pas à rendre apparents à tous les élèves, les liaisons intracurriculaires. L’affichage d’une structure entre les contenus différents sur un mode de complémentarité et non de hiérarchie évite que certains apports ne prévalent sur d’autres, dans l’interprétation qu’en font les élèves. Avec la même perspective, la pratique d’une évaluation (évaluation, par compétences ou donnant lieu à l’attribution d’une note) commune montre aux élèves la réalité de la mutualisation.
  3. L’aptitude des élèves à percevoir les liens avec les enseignements disciplinaires. Netter (2018) insiste sur les difficultés des élèves qui n’ont pas acquis cette compétence dans la sphère familiale. Cela a pour conséquence que même si les professeurs se préoccupent d’expliciter à leurs élèves les liaisons intracurriculaires, le risque existe néanmoins que certains d’entre eux ne parviennent pas à se les approprier (voir la notice 18 « Curriculum invisible »).

Ainsi, un curriculum n’est pas intrinsèquement « composite » de par sa composition. Il devient composite dès lors que professeurs et élèves le conçoivent à travers la réalisation des liaisons intracurriculaires. En 2023, les textes officiels comportent ni indications de mise en œuvre, ni recommandations et injonctions faites aux professeurs pour qu’ils contribuent à la construction de ces liaisons intracurriculaires, contrairement aux textes programmatiques de 2005 (B.O. hors série n° 5 du 25/08/05) présentant les six thèmes de convergence (énergie, environnement et développement durable, météorologie et climatologie, importance du mode de pensée statistique dans le regard scientifique sur le monde, santé, et sécurité). Or, Netter (2018) note que sans précautions ni explicitations, le curriculum est alors invisible pour certains élèves, comme celui constitué dans l’enseignement élémentaire, par la combinaison des activités disciplinaires, des projets scolaires et périscolaires : dès lors, le curriculum n’est plus composite, mais la simple juxtaposition d’enseignements indépendants.

L’inclusion de la mise en œuvre contextualisée du curriculum par la prise en compte des liaisons intracurriculaires dans son existence même est à rapprocher de la réflexion proposée par Jonnaert (2015b) qui estime que le curriculum est « un passeur de politiques éducatives » : le curriculum se situe entre les objectifs de l’éducation et les pratiques des intervenants devant les élèves. Jonnaert utilise la notion de « transposition curriculaire » (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »). Dans cette perspective, le curriculum composite est un objet dynamique contextuel.

Le matériau composite possède des qualités qu’aucun des composants n’a à lui seul. C’est l’assemblage des différents composants du curriculum qui permet d’envisager le succès de nouveaux apprentissages. Toutefois, la capacité du système éducatif à réaliser un ou des curricula composites n’est pas l’assurance de la légitimité de ceux-ci : l’évaluation des curricula composites est nécessaire (voir la notice 31 « Évaluation du curriculum »).

Références

Jonnaert Philippe (2015b). Indicateurs pour valider un curriculum. Chaire Unesco de développement curriculaire (CUDC)/Université du Québec à Montréal/Bureau international de l’Éducation de l’Unesco (BIE).

Mouton-Legrand Béatrice (2020). Éducation technologique et dispositifs au collège : investigation didactique et curriculaire, thèse de doctorat, Université Paris Cité.

Netter Julien (2018). Cultures et inégalités à l’école. Esquisse d’un curriculum invisible, Presses universitaires de Rennes.