Contenus d’enseignement

Dominique Raulin

Notice 12

Les contenus d’enseignement sont constitués de ce qui est censé être appris par les élèves d’un établissement scolaire (école, collège et lycées), dans le cadre d’un enseignement identifiable (enseignement disciplinaire, éducation à…, dispositif pédagogique). L’expression « contenus d’enseignement » n’est pas obscure pour les acteurs de l’École ; elle est souvent assimilée aux programmes d’enseignement, ce qui est réducteur. Comme le rappelle Reuter (2010), ces contenus correspondent à « des choses aussi diverses que les savoirs, savoir-faire ou compétences […], mais aussi des valeurs, des pratiques, des “rapports à”, voire des comportements ou des attitudes ».

Plusieurs auteurs ont publié des ouvrages sur les contenus d’enseignement dans les vingt dernières années (Daunay et al., 2015 ; Daunay et al., 2013 ; Rey B., 2007). Quel que soit le cadre dans lequel un contenu d’enseignement est mis en œuvre, il est défini avec plus ou moins de précision dans des textes réglementaires : les programmes sont fixés par des arrêtés du ministre chargé de l’Éducation nationale, les éducations à… (voir la notice 30 « Éducations à… ») et les dispositifs par des circulaires (voir la notice 28 « Dispositifs »). Pour ces deux derniers, seules sont données des indications générales, ce qui laisse aux acteurs locaux (enseignants, personnels de santé ou d’orientation, intervenants extérieurs) une large autonomie pour définir non pas le contenu d’enseignement, mais « celui de leur enseignement ». Cette distinction rejoint celle entre curriculum prescrit et curriculum réel (voir la notice 17 « Curriculum formel, réel, caché »).

Les rédacteurs de curricula et de contenus d’enseignement sont donc confrontés à la double tâche de repérer des contenus possiblement et potentiellement enseignables et parmi ceux-ci de choisir lesquels retenir. En effet, l’accroissement sans précédent de la production de savoirs pris au sens le plus large, rend la question du choix, d’une acuité et d’une difficulté incommensurables. Par exemple, définir les contenus d’enseignement en histoire pour les quatre années du collège n’était déjà pas aisé en 1960, mais depuis cette époque, soixante ans se sont écoulés : que faut-il retenir de la période récente et inclure comme nouveau(x) contenu(s) ? Si certains éléments sont retenus, que faut-il enlever dans ce qui était enseigné auparavant, le temps d’enseignement n’ayant pas augmenté de façon équivalente ? Sur la base de quels critères faire et argumenter de tels choix ? Plus généralement, les modifications ponctuelles doivent être faites pour s’intégrer dans l’ensemble préexistant, en veillant à ne pas mettre en péril l’équilibre antérieur, que celui-ci soit lié à la cohérence du curriculum prescrit ou aux adaptations locales qu’en ont fait les enseignants.

Pour répondre à la question du repérage de ce qui est enseignable, les didactiques font appel à la transposition didactique (voir la notice 51 « Transposition didactique ») et aux pratiques sociales de référence (voir la notice 41 « Pratiques sociales de référence »). Depuis quelques décennies, de nouvelles demandes sortent de ce cadre à la suite des attentes formulées par des groupes de pression ou émanant de la société elle-même relayée entre autres par des élus. Par exemple, au vu du développement de l’automobile dès les années 1950, l’enseignement puis l’éducation à la sécurité routière devant aboutir à l’attestation scolaire de sécurité routière (ASSR) est introduit au collège en 1970 pour prendre sa forme quasi-actuelle en 1993. À côté des références scientifiques ou sociétales pour repérer ce qui est enseignable, pour compléter cet ensemble, Raulin (2009) indique que les valeurs sont également une référence présente explicitement ou pas dans les contenus d’enseignement. Il distingue :

  1. les contenus d’enseignement qui comportent des valeurs comme objets d’enseignement. Il cite un extrait de la présentation des programmes d’éducation civique de collège : « l’instruction civique permet aux élèves d’identifier et de comprendre l’importance des valeurs, des textes fondateurs, des symboles de la République française et de l’Union européenne, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Le détail du programme précise dans son développement « les règles élémentaires de la vie publique et de la démocratie… ». D’autres exemples sont cités par l’auteur tels que ceux de l’histoire et de la géographie au collège, ou de la philosophie au lycée.
  2. les enseignements qui nécessitent une organisation pédagogique correspondant à certaines valeurs. Raulin cite comme exemple les recommandations pour la mise en œuvre en 1998 au lycée du nouvel enseignement d’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) : « Concourir à la formation de citoyens est une des missions fondamentales du système éducatif. On ne peut oublier que c’est au lycée qu’une partie des élèves atteignant leur majorité civile va se trouver confrontée au droit de vote qui en découle ou à l’absence de ce droit pour les étrangers, aux questions que ces différences soulèvent, à la décision d’exercer ce droit et de mesurer la portée de ce choix. » […] « L’un de ses objectifs est de faire pratiquer aux élèves des débats contradictoires pour les sensibiliser à l’échange d’arguments dans un climat de respect mutuel : le respect des conditions et des règles du débat, en particulier la recherche qu’il suppose d’un accord fondé en raison, constitue déjà en lui-même un apprentissage pratique de ce qui fonde la citoyenneté ». […] « Si la forme de cet enseignement est elle-même porteuse de valeurs, les orientations thématiques le sont également : citoyenneté et civilité ; citoyenneté et intégration ; citoyenneté et travail ; citoyenneté et transformation des liens familiaux ».

Les types de références (Martinand, 2003b) sont donc variés dans la phase de repérage des contenus d’enseignement, mais restent dénombrables. En revanche, les choix parmi tous les « savoirs disponibles » se révèlent « impossibles ». Cette impossibilité de choisir de façon certaine a comme conséquence que les contenus d’enseignement dépendent de la subjectivité de ceux qui font les choix : ils sont donc arbitraires et contestables. En effet, par exemple, aucun savoir ne peut être considéré comme fondamental, contrairement à ce que véhicule le terme « fondamentaux », comme devant être les contenus d’enseignement de l’école élémentaire. Les débats pour choisir sont sans fin parce que relevant à un moment donné du sentimentalisme et non plus du rationnel : par exemple, sur les contenus d’enseignement portant sur les conjugaisons au niveau de la scolarité obligatoire, la simple question de la présence de l’imparfait du subjonctif est impossible à trancher. Il en est de même pour le choix des œuvres qualifiées de patrimoniales (en littérature, en éducation musicale, en arts plastiques) ; les œuvres classiques monopolisent une grande part du temps disponible, imposant de fait de négliger des œuvres plus contemporaines. Ce constat est d’autant plus déroutant que le statut d’œuvre patrimoniale est instable… parce que lié à la subjectivité des censeurs. En France, cette subjectivité se manifeste à différents niveaux : celui du curriculum prescrit en l’absence d’un décodage effectif des politiques éducatives (voir la notice 50 « Transposition curriculaire ») ; celui des contenus d’enseignement ; mais aussi au niveau du curriculum réel au moment de la transformation du contenu d’enseignement en contenu de l’enseignement, en vertu de la liberté et de la responsabilité pédagogique des professeurs (inscrite dans la loi Fillon en 2005).

Le fait qu’il soit impossible de choisir de façon objective un contenu d’enseignement est en train d’évoluer depuis le début du xxie siècle : s’il y a discorde sur les savoirs à enseigner entre les acteurs concernés, un accord se trouve plus facilement autour des réponses à donner à la question « à quoi sert cet enseignement ? », question particulièrement discutée par Martinand avec le concept de mission (voir la notice 39 « Missions »). La réponse que donnent les acteurs locaux (enseignants, inspecteurs, parents) ou nationaux (inspecteurs, enseignants-chercheurs, employeurs) à cette question est formulée en termes de compétences : comprendre et analyser le passé, mener une démarche scientifique, développer sa curiosité, sa créativité… Ainsi, l’approche par compétences pour définir les contenus d’enseignement n’est pas un choix idéologique, mais apparaît actuellement comme la seule réponse possible pour définir les contenus d’enseignement et donc construire un curriculum, en en limitant le caractère arbitraire.

Les questions présentées ci-dessus sont d’un autre temps, bien qu’elles n’aient jamais reçu véritablement de réponses. En effet, l’usage généralisé d’Internet et celui encore en développement de l’intelligence artificielle au niveau du grand public devraient avoir un effet important sur les contenus d’enseignement. En ne prenant comme référence en 2023 que les usages d’Internet, la question du choix des contenus d’enseignement se pose différemment : internet permettant de trouver la réponse à toute question posée avec précision, il n’est plus nécessaire de tout mémoriser, mais seulement de connaître l’existence du savoir dont on souhaite disposer. Il est ainsi possible de retrouver le théorème de Pythagore sur Internet en quelques millièmes de seconde : mais pour le trouver, il faut savoir qu’il existe un théorème qui porte sur la longueur des côtés d’un triangle rectangle afin de savoir poser correctement la question dans un moteur de recherche ; de même, pour rechercher des éléments de la pensée de Bachelard concernant les obstacles épistémologiques, il faut connaître l’existence de ceux-ci.

Plus simplement, l’omniprésence de l’informatique pose, de façon inédite, la question de la présence de n’importe quel contenu d’enseignement : l’orthographe ou les règles de grammaire à une époque où l’écriture avec un clavier d’ordinateur ou sur une tablette devient la norme, et que les logiciels de traitement de textes ont des correcteurs orthographiques intégrés, et où l’écriture au stylo sur une page de papier devient de plus en plus exceptionnelle. À cet égard, certains pays (Finlande et la plupart des états des États-Unis) ont fait le choix de supprimer l’apprentissage de l’écriture manuscrite, malgré l’intérêt de l’encodage kinesthésique lors du tracé « à la main », favorisant la mémorisation.

Ainsi, les contenus d’enseignement devraient aujourd’hui être intégralement revus pour tenir compte des possibilités liées aux instruments numériques : d’une part, quels sont les savoirs dont il suffit mais dont il est également nécessaire, de connaître l’existence sans pour autant devoir en mémoriser les détails, et d’autre part, quels sont les savoirs dont il faut pouvoir disposer de façon immédiate et donc qu’il faut mémoriser, notamment par souci d’efficacité ? Quelles sont les habiletés qui deviennent désuètes ? De la réponse à ces questions devraient découler de nouveaux contenus d’enseignement et une présentation inédite.

Références

Daunay Bertrand, Fluckiger Cédric et Hassan Ruba (dir.) (2015). Les contenus d’enseignement et d’apprentissage. Approches didactiques, Presses universitaires de Bordeaux. https://doi.org/10.4000/books.pub.38242

Daunay Bertrand, Reuter Yves et Thépaut Antoine (dir.) (2013). Les contenus disciplinaires. Approches comparatistes, Presses universitaires du Septentrion. https://doi.org/10.4000/books.septentrion.15731

Martinand Jean-Louis (2003b). « La question de la référence en didactique du curriculum », Investigações em Ensino de Ciências, vol. 8, no 2, p. 125-130.

Raulin Dominique (2009). « Valeurs et contenus d’enseignement. Le cas français », Colloque 2009 : un seul monde, une seule école ? Les modèles scolaires à l’épreuve de la mondialisation, 12, 13, 14 mars 2009, CIEP.

Reuter Yves (2010). « Contenus d’enseignement et d’apprentissages », dans Yves Reuter (dir.), Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, De Boeck, p. 45-51.

Rey Bernard (2007). « Autour du mot “contenu” », Recherche et formation, vol. 55, p. 119-133. https://doi.org/10.4000/rechercheformation.912