Notice 10
Connexité
Joël Lebeaume
Tout curriculum inclut plusieurs composants que sont ou peuvent être des enseignements, des activités, des stages, des dispositifs, etc., auxquels sont associés des contenus. L’idée de connexité questionne ces relations intracurriculaires (voir la notice 14 « Curriculum composite »). Les composants constituent-ils un espace connexe ou non, c’est-à-dire dans l’acception du concept en géographie et en topologie, s’agit-il d’éléments isolés d’un espace discontinu à la façon d’une sorte d’archipel ou en revanche d’un ou de plusieurs territoires d’un seul tenant ? Bien évidemment, un curriculum compartimenté de type « série » selon la distinction de Bernstein est composé seulement de territoires disjoints, donc sans connexité explicite malgré leur unité quant aux visées du curriculum. C’est le cas des formations en alternance qualifiées de « juxtapositives » dans lesquelles les enseignements dispensés en classe ne sont pas en relation explicite avec les activités mises en œuvre dans les périodes de stage en entreprise : les contenus de thermodynamique, métrologie, mercatique, etc., sont enseignés pour eux-mêmes. L’enjeu majeur de la conception et de la mise en œuvre de ces formations professionnalisantes est alors de penser la composition d’ensemble des composants et les interactions des contenus dans une perspective d’alternance « intégrative », par exemple grâce à des études de cas ou des activités de projet.
Dans l’enseignement scolaire à l’école maternelle et à l’école élémentaire, où diverses activités contribuent plus particulièrement à la maîtrise du langage, les relations de connexité sont très présentes, notamment avec les prémices de l’éducation scientifique (Charles, 2020 ; Chauvet-Chanoine, 2019). Les lectures instructives et les leçons de choses ont ainsi été des enseignements connexes, comme le sont aussi les leçons de vocabulaire ou les familles de mots et les notions scientifiques, ou encore les relations entre expression écrite et compte-rendu d’expériences, entre argumentation et partage d’informations (Lebeaume, 2011). Dans l’histoire des enseignements scolaires, la géométrie, le dessin et le travail manuel ont été également des enseignements connexes avec l’identification des concordances entre ces contenus et ces composants du curriculum.
Au collège et au lycée où les composants du curriculum sont principalement des disciplines scolaires avec des enseignants spécialisés, la connexité est proposée dans des dispositifs (voir la notice 28 « Dispositifs ») qui promeuvent des croisements désignés par « thèmes de convergence », « itinéraires de découverte », « travaux croisés », « enseignements pratiques interdisciplinaires »… (Lebeaume et Magneron, 2004) Ces dispositifs cherchent à assouplir la structuration disciplinaire du curriculum, susciter des rencontres entre les contenus, encourager le travail conjoint des enseignants et amplifier le sens des contenus appropriés par les élèves.
La connexité des composants d’un curriculum et de leurs contenus spécifiques peut être précisée selon trois registres. Le premier, d’ordre pédagogique, recouvre une relation « de service » (Jouin, 2002). C’est ainsi que le travail manuel est au service de la géométrie, en lui donnant selon les mots d’un inspecteur général en 1892 « le concret qui lui fait particulièrement défaut ». Plus récemment, au sujet des thèmes de convergence au collège (2007), on peut lire qu’un « cours de mathématiques peut être illustré par la climatologie ».
Le deuxième registre, d’ordre didactique, relève d’une coordination des contenus spécifiques à différents enseignements. Par exemple, il s’agit dans les relations entre français et sciences, de l’appropriation des connecteurs logiques utilisés en étude de la langue française, dans l’expression du raisonnement scientifique mis en œuvre dans les activités des élèves. La récente introduction de l’algorithmique et de la programmation suppose une telle coordination entre les enseignements de mathématiques et de technologie.
Le troisième registre, d’ordre curriculaire, renvoie à la cohésion du plan d’étude assurée par les relations horizontales (synchroniques) et verticales (diachroniques) des contenus sélectionnés et enseignés et leurs contributions à ses visées.
Ces trois connexités, pédagogique, didactique et curriculaire, caractérisent les relations entre les composants d’un curriculum. Ce sont des relations de subordination, de coordination ou de cohésion. Il est important de les considérer dans le milieu social et humain qui les organise et les soutient et donc dans des rapports de force entre communautés et contenus prescrits, enseignés et appris. Pour les élèves, l’enjeu de la clarification de ces connexités avec leurs spécificités repose sur leur identification et compréhension de ces relations et des postures scolaires idoines implicitement ou explicitement convoquées.
Références
Charles Frédéric (2020). « Pratiques enseignantes en éducation scientifique et technologique à l’école maternelle : perspectives curriculaires », RDST, no 21, p. 21-44.
Chauvet-Chanoine Céline (2019). « Quel curriculum pour explorer le monde des objets et de la matière en maternelle ? », Recherches en didactiques, no 28, p. 9-33.
Jouin Béatrice (2002). « Les sciences physiques en lycée professionnel, discipline de service par rapport à la technologie », Aster, vol. 34, p. 9-32. https://doi.org/10.4267/2042/8786
Lebeaume Joël (2011). « Les choses et les mots à l’école primaire. Exploration de la connexité des enseignements de français et de sciences (1880-2000) », Carrefours de l’éducation, hors-série no 1, p. 87-100.
Lebeaume Joël et Magneron Nathalie (2004). « Itinéraires de découverte au collège : à la recherche des principes coordinateurs », Revue française de pédagogie, no 148, p. 101-118.