Notice 1

Alignement curriculaire

Raphaël Pasquini

Il existe deux approches du modèle théorique de l’alignement curriculaire. La première étudie la cohérence qui existe entre les pratiques d’enseignement, les démarches d’évaluation internes à la classe et des standards issus des curricula. Les travaux produits montrent notamment le peu de validité qu’ont les épreuves externes si celles-ci ne sont pas en cohérence avec les processus d’enseignement-apprentissage et les pratiques évaluatives réelles des enseignantes et enseignants (Squires, 2009). La seconde approche porte sur les conditions nécessaires pour que les démarches d’évaluation internes à la classe, les processus d’enseignement-apprentissage et les objectifs du curriculum soient en cohérence. C’est cette seconde approche qui est détaillée dans cette notice.

À partir des années 1970, des études tentent de cerner les facteurs susceptibles d’améliorer les apprentissages des élèves et ainsi l’efficacité des écoles. Dans une recherche qui fait référence, Cohen montre en 1987 que l’un de ces facteurs est l’« instructional alignment » – ou alignement pédagogique –, c’est-à-dire le lien de cohérence entre les objectifs du curriculum qui sont travaillés, les processus d’enseignement, les apprentissages réalisés par les élèves et les démarches d’évaluation. En 2001, une importante revue de littérature menée aux États-Unis par Corallo et McDonald corrobore ce résultat, en soulignant que les écoles efficaces en milieux défavorisés mettent en œuvre l’alignement curriculaire. En 2005, Gauthier, Mellouki, Bissonnette et Richard prolongent la réflexion en publiant un état de la recherche sur la réussite scolaire des élèves à risque en Amérique du Nord. Ils montrent encore que « l’alignement curriculaire apparaît grandement susceptible d’améliorer la qualité de l’enseignement et l’efficacité des écoles » (p. 28), même si sa mise en œuvre ne garantit pas à elle seule de meilleurs apprentissages. En reprenant notamment les travaux de Cohen (1987), Gauthier et ses collègues précisent que le modèle concerne aussi « les opérations intellectuelles et les différentes catégories de connaissances qui y sont reliées » (p. 25). De ce fait, l’alignement curriculaire se définit comme le lien de cohérence qui existe entre les objectifs du curriculum et leur évaluation, entre les objectifs du curriculum et les tâches d’apprentissage, et entre les démarches d’évaluation et les tâches d’apprentissage. Anderson (2002) confirme de son côté que la validité du contenu, la façon dont il est enseigné, ainsi que les opportunités d’apprentissage de ce contenu offertes aux élèves font également partie du modèle.

Le terme de cohérence étant polysémique, il s’avère nécessaire de s’appuyer sur une théorie de l’apprentissage pour le conceptualiser : c’est une perspective cognitiviste qui est aujourd’hui privilégiée dans la littérature sur ce modèle, en exploitant la taxonomie d’Anderson et Krathwohl (2001). Cette taxonomie permet de formuler – ou d’analyser – des objectifs d’apprentissage en croisant six niveaux d’habileté cognitive croissant en complexité (se souvenir, comprendre, appliquer, analyser, évaluer et créer) avec quatre contenus de nature différente (les faits, les concepts, les procédures et les démarches métacognitives). La complexité de l’objectif d’apprentissage dépend alors de la complexité de l’habileté cognitive et des caractéristiques du contenu disciplinaire sur lesquelles elle porte. Pour formuler un objectif, un enseignant associe donc les deux dimensions. Dès lors, c’est cet objectif qui établit les relations de cohérence entre chaque composante du modèle.

Dans cette perspective, l’alignement curriculaire induit chez l’enseignant et l’enseignante un questionnement systémique :

Lorsque l’on peut répondre positivement, on parle d’alignement constructif (Biggs et Tang, 2011). Dans le cas contraire, il y a « désalignement » curriculaire. En cela, le terme d’« alignement » renvoie à la manière dont les attentes du curriculum, les processus d’enseignement-apprentissage, ainsi que les démarches d’évaluation se conjuguent pour guider le corps enseignant dans leurs pratiques, afin de faciliter la progression des élèves vers les résultats souhaités. Le terme « curriculaire » se réfère à des contenus appariés à des habiletés cognitives, comme autant d’apprentissages à mener en lien avec le curriculum. 

Dans la plupart des systèmes éducatifs occidentaux, l’évolution récente des curricula a un impact sur les pratiques pédagogiques et évaluatives du corps enseignant. Les travaux sur l’alignement curriculaire proposent ainsi ce modèle comme un moyen de mieux comprendre ces changements, en postulant que la cohérence entre le curriculum prescrit, le curriculum enseigné (voir la notice 20 « Curriculum prescrit » ; la notice 21 « Curriculum réalisé »), les apprentissages poursuivis et réalisés par les élèves, et les démarches d’évaluation est un principe fondamental de toute pratique de formation.

À ce titre, l’alignement curriculaire est aujourd’hui considéré comme une stratégie d’innovation exemplaire qui favorise des apprentissages en profondeur, du primaire à l’université : travailler avec l’alignement curriculaire permet au corps enseignant de mieux positionner les curricula comme des références pour l’apprentissage et l’enseignement. Dans cette perspective, l’alignement curriculaire valorise également une évaluation formative au service des progrès de tous les élèves. Enfin, dans son acception élargie (Pasquini, 2019) qui conceptualise la cohérence dans l’évaluation sommative en incluant les démarches de pondération (le fait de signifier le poids attribué aux apprentissages certifiés dans une épreuve à l’aide de points ou de critères) et les pratiques de notation (le fait d’établir le seuil des notes en créant des barèmes spécifiques), le modèle participe au développement de pratiques évaluatives et de notation qualitatives, à haute valeur informative, et constructives (Pasquini, 2021).

Références

Anderson Lorin W. et Krathwohl David R. (2001).A Taxonomy For Learning, Teaching, And Assessing. A Revision Of Bloom’s Taxonomy of Educational Objectives, Longman.

Biggs John et Tang Catherine (2011). Teaching For Quality Learning At University, McGraw-Hill.

Cohen S. Alan (1987). « Instructional Alignment. Searching for a Magic Bullet », Education Researcher, vol. 16, n8, p. 16-20. https://doi.org/10.3102/0013189X016008016

Gauthier Clermont, Mellouki M’hammed, Bissonnette Steve et Richard Mario (2005). Écoles efficaces et réussite scolaire des élèves à risque. Un état de la recherche, rapport de recherche, Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), Université Laval.

Pasquini Raphaël (2019). « Élargir conceptuellement le modèle de l’alignement curriculaire pour comprendre la cohérence des pratiques évaluatives sommatives notées des enseignants : enjeux et perspectives », Mesure et évaluation en éducation, vol. 42, no 1, p. 63-92. https://doi.org/10.7202/1066598ar

Pasquini Raphaël (2021). Quand la note devient constructive. Évaluer pour certifier et soutenir les apprentissages, Presses de l’Université Laval.

Squires David A. (2009). Curriculum Alignment. Research-Based Strategies For Increasing Student Achievement, Corwin Press.