Le Theatrum totius animalis fabricae de Girolamo Fabrici d’Acquapendente (Acquapendente, 1533 – Padoue, 1619) à la Biblioteca nazionale Marciana de Venise

Susy Marcon

susy.marcon@gmail.com

Biblioteca nazionale Marciana, Venise

Je vais ici présenter les matériaux anatomiques du médecin, chirurgien et anatomiste Girolamo Fabrici d’Acquapendente11. Muccillo, Mari (…) , qui a décidé que ces planches seraient conservées à Venise après sa mort, à la disposition de ceux qui voudraient les étudier et les copier. Je le ferai du point de vue historique, codicologique et artistique.

La beauté formelle et la technique d’exécution singulière, au pinceau et à la couleur à l’huile appliquée sur papier, de ces planches anatomiques ont attiré l’attention à la fois des historiens de la médecine intéressés par l’exactitude naturaliste et les nouvelles découvertes, et, quoique épisodiquement, de l’historiographie artistique22. Voir Marcon, S (…) . Avec ces feuilles, la couleur est entrée, apparemment pour la première fois de manière consciente et importante, dans la création de planches anatomiques, qui sont devenues alors proprement des « pitture colorate d’anatomia », comme Fabrici lui-même les a définies dans son dernier testament de 1615, lorsqu’il les a léguées à la Seigneurie de Venise33. Favaro, Giusep (…) .

Certains des aspects intéressants des planches sont liés précisément au mélange particulier qui s’y trouve entre le rendu technico-scientifique et le signe pictural. Les planches montrent qu’elles ont été réalisées dans l’intention de décrire avec rigueur et en détail les sujets anatomiques, mais ceux-ci sont présentés à travers des signes picturaux vigoureux et habiles, et ingénieusement disposés sur la page.

À partir du milieu du xvie siècle d’ailleurs, on constate le chevauchement des chemins parallèles de la conception anatomique, résultant de l’observation et de l’anatomie artistique, comme en témoigne le dessin florentin, de l’exploration indomptable de Léonard à la musculature gravée de Michel-Ange, jusqu’aux squelettes posant par Alessandro Allori. La précision particulière des observations scientifiques et expérimentales, qui ont eu lieu à l’université de Padoue dans le domaine naturaliste et médical, rend perceptible la rencontre des deux voies en Vénétie également. Pensons en particulier à l’herbier construit au milieu du xve siècle sur le modèle de l’œuvre de Dioscoride par le médecin Nicolò Roccabonella (1386-vers 1459 environ), qui a combiné l’enregistrement précis des noms, des caractéristiques et des propriétés des plantes avec le dessin habile du peintre Andrea Amadio. Pensons également à l’activité padouane du flamand André Vésale (1514-1564) qui soulignait l’importance de l’observation directe, et voulait qu’elle soit imprimée non seulement en mots, mais avec de grandes figures gravées par des artistes44. Tabulae anatom (…) .

La collection laissée à la Biblioteca Marciana (aussi appelée bibliothèque de San Marco) de Venise est formée, dès son dépôt, de onze lots, dont huit composés uniquement de planches sur papier (les huit premiers de l’inventaire ci-dessous), et trois de ses volumes imprimés (les trois derniers dans l’inventaire), ceux qu’il a lui-même édités de son vivant, laissant inédites et manuscrites ses autres œuvres, planifiées et coordonnées comme un seul grand ouvrage d’anatomie divisé en chapitres thématiques. Les manuscrits inédits ne sont pas parvenus à la bibliothèque de Venise, bien qu’ils soient répertoriés dans le testament de 1615.

Il y a, en tout, deux cent quinze planches peintes – réparties thématiquement entre les différents volumes, simples ou doubles et pliées au centre –, cinquante-six gravures, et trois livres imprimés.

Cote Œuvre de Fabrici Pl. peintes Pl. gravées Feuilles Mesures en mm
Rari 110 Planches 11 Toutes doubles
Rari 111 Planches 22 1 double, 430 × 580 mm max, les autres simples ; numérotées de 1 à 21 + 4b
Rari 112 Planches 21 5 doubles, 435 × 585 mm max et 440 × 575 mm
Rari 113 Planches 55 16 doubles, 440 × 585 mm max et 430 × 590 mm
Rari 114 Planches 2 2 doubles, 440 × 595 mm max
Rari 115 Planches 5 1 double et les autres simples
Rari 116 Planches 34 Numérotées de 1 à 33 + 33b ; 6 doubles, 435 × 595  mm max et 430 × 575 mm
Rari 117 Planches 20 7 doubles, 425 × 580 mm max ; numérotées de 1 à 26, mais 1-2, 6-7, 8-9, 11-12, 14-15, 17-18, 19-20 sont des planches doubles, tandis que la planche 3-4 se compose de 3 petites planches
Rari 118 Livre imprimé avec planches : De venarium ostiolis, 1603 9 11 60 dont 9 collées au verso des planches peintes Livre de 418 × 284 mm. En tout 61 feuilles
Rari 119 Livre imprimé avec planches : De formato foetu, 1600 25 33 91 dont 9 collées au verso des planches peintes Livre de 430 × 290 mm. En tout 118 feuilles
Rari 120 Volume imprimé avec planches : De visione, De Voce, De auditu, 1600 11 12 148 dont 11 collées au verso des planches peintes Livres de 401 × 272 mm. En tout 159 feuilles
Total 215 56

Pourquoi Fabrici a-t-il choisi la bibliothèque de Venise comme dépositaire de son Theatrum totius animalis fabricae ? Il était certainement conscient de l’importance de son travail et voulait qu’il soit préservé. La bibliothèque de San Marco avait été construite un peu plus d’un demi-siècle plus tôt dans des formes architecturales spectaculaires. Dans cette bibliothèque, son travail se trouverait à côté de volumes fondamentaux sur le même sujet scientifique. Les textes fondateurs de la médecine antique grecque et latine y étaient déjà, dans la collection du cardinal Bessarione, et, depuis peu, se trouvait là la copieuse bibliothèque de botanique et de pharmacie du médecin allemand Melchiorre Guilandino (1520-1589), actif à Padoue et ami de Gabriele Falloppia, qui, en 1589, avait laissé pas moins de deux mille cent quinze livres imprimés.

L’inventaire historique de la bibliothèque de San Marco, compilé en 161955. Biblioteca naz (…) , enregistre parmi les livres in folio contenus dans une même armoire précisément les onze volumes de « Tabulae pictae » dont les trois livres imprimés avec les planches annexes (figure 1).

Figure 1.
Figure 1.

Biblioteca nazionale Marciana (BnM), Ms Lat. XIV, 20 (= 4323), fo 21r. Reproduit avec la permission de la BnM

Restaurations

Avec le temps, la fragilité des planches, causée par la technique à l’huile sur support papier, le pliage des planches doubles, les moisissures et les insectes a rendu nécessaires plusieurs interventions de restauration66. Je remercie Cl (…) . Entre 1994 et 1996 notamment a eu lieu une importante restauration de toutes les planches. Les livres composés de planches ont été démontés et les reliures enlevées, et aujourd’hui les planches sont conservées non montées et non pliées. En outre, de nouvelles reliures en parchemin ont été réalisées pour les trois volumes imprimés. Ces nouvelles reliures imitent les précédentes en parchemin à lacets bleus, qui, uniquement pour les manuscrits, étaient bien conservées. Le modèle pour la méthodologie de restauration était l’intervention précédente, qui avait été limitée à l’ensemble Rari 117 composé de vingt planches, réalisée dans l’année 1969 à l’Institut de pathologie du livre de Rome. Le rapport des travaux exécutés en 1969, publié dans le Bulletin de l’Institut de 1971, n’indique que sommairement les opérations effectuées.

Auparavant, entre 1920 et 1921, une restauration et le nettoyage de toutes les deux cent quinze planches avaient été réalisés : on avait arrêté les moisissures et effectué des réparations sur les déchirures. Des onglets avaient été appliqués sur les planches, et les coutures avaient été refaites sur des nerfs en ficelle. Il est probable que l’aménagement des reliures, et notamment le remplacement complet des feuilles de garde par d’autres, en papier mécanique, remonte précisément aux années 1920. En outre, la dernière restauration a mis en évidence la présence d’interventions encore antérieures.

Les restaurations de 1994-1996 ont été prudentes. Le rapport est publié dans le catalogue de l’exposition consacrée notamment aux tabulae de Fabrici, qui s’est tenue à la Biblioteca Marciana en 2004. À cette occasion, les quelques filigranes lisibles du papier ont également été détectés, mais pour la plupart les marques d’eau ne sont pas clairement lisibles.

Datation et technique des planches

Giulio Casseri (1552 environ-1625), anatomiste qui a travaillé à Padoue dans les années où son aîné Fabrici donnait ses œuvres à graver (à partir de 1600), a décrit son activité de façon bien plus explicite que celui-ci. Casseri affirme qu’au cours des dissections il fallait une main habile dans la peinture, capable de fixer sans délai ce qui était mis en lumière, pour garantir la priorité de la découverte et pour pouvoir ensuite la prouver et s’en souvenir exactement afin de servir de base aux publications scientifiques.

Les planches en couleur ont ensuite pu être utilisées pendant les cours théoriques de chirurgie et d’anatomie qui devaient accompagner les séances d’anatomie pratique, car ce n’est que rarement que l’enseignement pouvait s’appuyer directement sur la dissection.

Ainsi, les planches en couleur ont été réalisées pour fixer les images à côté des notes textuelles dans un but pédagogique et ont été utilisées lors de cours universitaires et privés. Mais nous devons nous poser la question, pour l’instant sans réponse, si ces planches que nous conservons dans des ensembles organisés sont précisément celles qui ont été réalisées et utilisées pendant l’activité de dissection et d’enseignement, ou s’il s’agissait plutôt de matériel spécifiquement recueilli, copié et composé en vue de l’entreprise d’édition du Theatrum que Fabrici réalisait et qu’il a laissée inachevée.

En effet, les tabulae pictae laissés à la bibliothèque pour la postérité apparaissent clairement conçues selon une conception formellement unitaire, et leur contenu correspond au programme éditorial que Fabrici décrit dans ses testaments et dans les volumes édités.

Le premier ensemble de onze planches (Rari 110) est consacré à l’« Anatomia venarum. Figure diverse », comme il est noté à l’encre sur le dos en parchemin de la reliure originale détachée (figure 2).

Figure 2.
Figure 2.

BnM, Rari 110, reliure détachée. Reproduit avec la permission de la BnM

On voit l’exactitude de l’observation des détails et la disposition précise de la figure dans la feuille. On observe comment le corps s’ouvre pour montrer le chemin des veines à l’intérieur, selon une manière déjà présente dans les illustrations du De humani corporis fabrica libri septem de Vésale77. Vesalius, Andr (…) (figure 3).

Figure 3.
Figure 3.

BnM, Rari 110, planche 2r. Reproduit avec la permission de la BnM

Le « De Anatomia ossium. Figure diverse » (Rari 111) se compose de vingt-deux planches. Les planches présentent des détails précis qui révèlent une volonté de réalisme, comme on le voit par exemple pour les dents du crâne dans la première planche. Parmi les différentes mains d’exécution que l’on rencontre en observant toutes les planches, voici la plus naturaliste et la plus exacte dans la copie du modèle. L’inscription « Intagliato », c’est-à-dire découpé, sculpté ou gravé, que nous pouvons lire ici, et dans différentes planches ailleurs dans la collection, est en relation avec la gravure sur cuivre des planches, comme on le voit bien dans les exemplaires de Fabrici des trois livres imprimés, dans lesquels, à côté de la figure gravée, est insérée la planche dessinée en couleur. Il s’agit cependant d’un rapport complexe, parce que la correspondance entre figures gravées et peintes n’est pas toujours exacte et parce que la technique des planches peintes en couleur ne semble pas adaptée à un projet de reproduction en série.

La liasse Rari 112 rassemble les cinq doubles planches du « De anatomia capitis cerebri nervorum. Figure diverse ». Comme dans toute la collection de planches, on y constate des styles de réalisation différents : on se demande s’il s’agit de dessinateurs différents ou de variations du degré de finition, ou parfois de réalisations à des dates différentes.

L’ensemble Rari 113 « De Anatomia animalium. Figure diverse » ne rassemble pas moins de cinquante-cinq planches consacrées à l’anatomie comparée. Dès l’époque de Galien, on disséquait des chiens, des cochons, des singes (figure 4), des ours et d’autres animaux (figure 5), par nécessité pédagogique réelle, mais aussi parfois pour compenser le manque de cadavres humains nécessaires aux cours.

Figure 4.
Figure 4.

BnM, Rari 113, planche 39r. Reproduit avec la permission de la BnM

Figure 5.
Figure 5.

BnM, Rari 113, planche 39r. Reproduit avec la permission de la BnM

On y trouve également de beaux dessins ombragés de poissons. Les nombreuses planches de cet ensemble présentent différents styles d’exécution : on peut observer des dessins sans couleur ou, au contraire, l’utilisation de couleurs profondes. Ces dessins ont sans doute été réalisés par des artistes différents. Ce sont des animaux peints de façon réaliste, comme cela est venu à la mode déjà dans le dernier quart du xvie siècle pour les fresques décoratives à l’intérieur des villas, où apparaissaient des jardins peuplés d’animaux et avec de riches volières, qui auraient pu avoir des modèles hellénistiques et romains tardifs.

Les deux tables doubles constituant le Rari 114 : « De partibus externis. Figure diverse » sont peut-être les figures les plus connues de toute la collection. Elles montrent cette représentation de l’homme de la Renaissance de face (figure 6) et de dos, dans ses proportions parfaites et dans une pose équilibrée, qui, à cette époque, est incontournable au début des œuvres d’anatomie et d’anatomie artistique. Il me semble évident qu’il s’agit ici d’un véritable peintre, et pas seulement d’un artiste spécialisé dans la réalisation d’anatomies.

Figure 6.
Figure 6.

BnM, Rari 114, planche 1r. Reproduit avec la permission de la BnM

J’ai proposé, avec prudence, qu’il pourrait s’agir du peintre Dario Varotari (1542 environ-1596), qui aurait fait preuve ici de sa maîtrise de type tardomaniériste vénitien. Son style est très différent de celui des techniciens du dessin anatomique, peut-être flamands, peut-être allemands, qui sont à l’origine des planches d’anatomie techniques et qui ont dû accompagner Fabrici tout au long de son entreprise, menée au moins du milieu des années 1580 jusqu’au début du xviie siècle, lorsque Fabrici s’est retiré de l’enseignement pour s’occuper de la mise en ordre et de l’impression de ses œuvres.

Varotari, qui fréquentait les médecins de Padoue en raison de sa santé fragile, a travaillé comme architecte et fresquiste pour la villa de Mandria à Padoue, au service de Fabrici, qu’il fréquentait. Dario Varotari, actif à Padoue, séjourna longtemps à Venise, et c’est probablement à Venise, après avoir été proche de la manière de Paolo Veronese, qu’il a pu se rapprocher de la couleur rapide de Iacopo Tintoretto et des couleurs sombres qui ont caractérisé les deux dernières décennies du siècle. Par ailleurs, Voratori, sensible à toutes les nouveautés, n’a pu manquer d’être influencé par le style des nouveaux artistes vénitiens, à savoir la manière bassanesque et celle de Palma.

Il manque encore une découverte du style graphique de Dario. En l’absence d’un corpus de dessins, nous rapprocherons les lignes et les couleurs de ces deux dessins, réalisés sur papier coloré, de la toile de l’Ecce Homo avec des saints et des donateurs, signé par Dario et daté de 1591, peinte sur la commande du marchand de bois Battista Pozzio pour un autel de l’église de Sant’Egidio à Padoue, et aujourd’hui conservée au Museo Civico de la ville. On compare les putti de l’Ecce Homo, le nez pointu et la tête bouclée, et la manière de dessiner sommairement les extrémités dans le corps du Christ.

Comme nous l’avons mentionné, la technique des planches est particulière : il s’agit non pas de dessin au trait, ni de coloration à l’eau, mais de couleurs avec un liant gras étendu à la brosse sur un papier de forte épaisseur rendu brun et encore plus foncé par la couleur noire largement étendue autour des figurations. Il s’agit de techniques qui ne sont pas attestées ailleurs en anatomie, mais qui sont présentes dans l’environnement artistique vénitien de la dernière partie de xvie et au xviie siècle. L’utilisation de l’huile, ou indifféremment de la tempéra ou de techniques mixtes, même sur papier, est admise par les sources de l’historiographie artistique appartenant à la fin de la seconde moitié du siècle, pour réaliser des croquis, ou des cartons préparatoires.

L’utilisation de la couleur à l’huile, mise au pinceau pour un dessin rapide, sur papier, est attestée depuis l’époque de la jeunesse de Titien. Nous n’en connaissons plus beaucoup d’exemples aujourd’hui en raison de la fragilité des produits qui aurait causé leur perte. Quoi qu’il en soit, cette technique est bien attestée à partir de l’extrême fin du xvie siècle, époque où le style tardif de Iacopo Tintoretto (décédé en 1594) dominait à Venise88. Pour l’ensembl (…) . Ainsi, le pinceau pose la couleur blanche efficacement pour relever les zones sombres du fond, produisant des effets de clair-obscur marqués. En particulier, la peinture à l’huile sur papier et le style peuvent être mis en relation avec le corpus de dessins de son fils Domenico Tintoretto, né au milieu du xvie siècle et éduqué dans l’atelier de son père. La chronologie relative aux esquisses à l’huile réalisées par Domenico est difficile à délimiter, mais certains de ces dessins se réfèrent en effet à l’exécution du célèbre Paradis réalisé pour le Palais Ducal vers 1588, et d’autres suivent pour des œuvres réalisées au début du xviie siècle. Ainsi, la technique était courante quand les planches anatomiques de Fabrici étaient en cours d’élaboration. Elle a également été utilisée par le peintre Iacopo Palma le jeune. Il n’est guère besoin de dire que les signes vibrants et picturaux des graphismes de Palma, en constante évolution, ne se prêtent pas à des comparaisons stylistiques avec les tableaux anatomiques de Fabrici, même si c’est précisément l’entourage de Palma qui s’est montré le plus réceptif à la diffusion de l’étude de l’anatomie artistique. Pensons, en particulier, aux premières gravures sur cuivre imprimées à Venise dans lesquelles les détails du corps humain se montrent juxtaposés dans des séquences, qui sont parues comme des manuels pour l’apprentissage de l’art pictural. Le peintre et graveur bolognais Odoardo Fialetti, actif pour Giulio Casseri, a réalisé, suivant l’exemple des peintres Carracci, un album d’anatomie artistique imprimé, Il vero modo et ordine per dissegnar tutte le parti et membra del corpo humano, Sadeler, 1608, suivi par Giacomo Franco, qui a gravé et édité en 1611 l’excellent De excellentia et nobilitate delineationis libri duo, parmi la série de ses autres manuels99. Fialetti, Odoa (…) . C’est encore au goût de Palma que se référait le traité de Gasparo Colombina, intitulé Discorso sopra il modo di dipingere, et spiegare secondo l’una, et l’altr’arte gli affetti principali, si naturali, come accidentali nell’huomo secondo i precetti della fisionomia1010. Discorso sopra (…) , illustré par Philipp Esengren. Les planches d’Aquapendente répondaient entièrement au goût des modes picturales du temps, qui ont ensuite été largement diffusées dans la peinture et les traités d’anatomie artistique.

En ce qui concerne la chronologie de l’entreprise de Fabrici, le manuscrit d’un de ses élèves, conservé à la Biblioteca civica de Siena, C X 28, daté de 1585, confirme que la méthode des planches anatomiques était déjà utilisée par Fabrici à cette époque1111. Le manuscrit a (…) .

La dernière collection de planches. Livres imprimés

Revenons au détail des contenus du legs de Fabrici.

Trente-quatre planches sont contenues dans le Rari 116, dédié aux muscles : « De anatomia musculorum totius corporis. Figure diverse ». On peut y observer la répétition de certains styles, notamment le réaliste et celui qui esquisse les dessins.

Enfin, comme nous l’avons déjà mentionné, les trois volumes reliés Rari 118, 119 et 120 combinent des textes imprimés, des planches gravées et des tableaux en couleur. On sait comment Casseri a gardé un peintre avec lui, et a fait graver les tables anatomiques à ses propres frais. Nous connaissons d’autres cas, dans le domaine de l’illustration scientifique du xvie siècle, dans lesquels l’auteur des œuvres contrôlait étroitement l’exécution des illustrations, les finançait et maintenait les artistes à l’œuvre chez eux. L’entreprise d’édition zurichoise du naturaliste et polygraphe Konrad Gesner, dédiée à la série de volumes de l’Historia animalium (1551-1587), dont les figures se sont imposées comme une source incontournable de représentations d’animaux en est un exemple.

Bien que nous ne disposions pour l’instant d’aucun document en attestant, il ne serait pas surprenant que Fabrici ait également fait appel à divers artistes, dessinateurs et graveurs, les gardant près de lui ou suivant de près leur travail, à tel point qu’il pouvait les avoir à disposition tout en disséquant les membres humains et animaux. Les gravures devaient être faites à ses frais, comme les peintures en couleur, car parmi les biens qu’il a légués figurent ce qui était sans doute des plaques de cuivre plutôt que des feuilles imprimées. Les dernières dispositions testamentaires de Fabrici énumèrent également les « tavole di rame intagliate di molto numero, che mi sono state stimate intorno a quattromila ducati » (plaques de cuivre sculptées en grand nombre, qui m’ont été estimées à environ quatre mille ducati), une somme vraiment importante1212. Favaro, Contri (…) .

Le Rari 118 (avec neuf planches peintes et onze gravées) contient trois brochures imprimées, éditées comme des spécimens de la grande œuvre du Theatrum1313. Rari 118.1, Fa (…) (figures 7 et 8).

Figure 7.
Figure 7.

BnM, Rari 118, ffo 16v-17r. Reproduit avec la permission de la BnM

Figure 8.
Figure 8.

BnM, Rari 118, ffo 42v-43r. Reproduit avec la permission de la BnM

L’anatomiste a conçu le Theatrum totius animalis fabricae comme étant formé de textes descriptifs, suivis d’une série de planches gravées sur cuivre. Certaines gravures portent le sigle ou le monogramme des artistes-graveurs. À noter : les planches en couleur, cohérentes avec celles que nous avons examinées ci-dessus, sont collées devant le texte qui les décrit.

Le Rari 119 (avec vingt-cinq planches peintes et trente-trois gravées) est le livre relié de Hieronymi Fabricii ab Aquapendente, De formato foetu1414. Fabricii ab Aq (…) (figure 9). La page du frontispice est gravée par Iacopo Valegio, qui signe « Iacobus Valegius sculp. ». La série de gravures est ordonnée et les figures sont toutes décrites dans le texte, une à une, tandis que les vingt-cinq planches en couleur sont rassemblées à la fin, accompagnées de descriptions, et avec de rares indications à la plume concernant la séquence, comme pour la « Quarta figura equina ». Dans le livre, la gravure et la planche peinte qui représentent un même sujet ne sont pas toujours semblables. Une autre copie du De formato foetu, accompagnée de tableaux en couleur, conservée au College of Physicians de Philadelphie, devra être étudiée en comparaison.

Figure 9.
Figure 9.

BnM, Rari 119, pp. 28-29. Reproduit avec la permission de la BnM

Enfin, on a le volume relié Rari 120 (avec onze planches peintes et onze gravées) : Hieronymi Fabricii ab Aquapendente, De visione voce auditu, De visione sive de oculo visus organo, De voce sive de larynge vocis organo, De auditu sive de aure auditus organo1515. Fabricii ab Aq (…) , dont le frontispice reprend le cadre gravé par Giacomo Valegio1616. Il faudra comp (…) . Chacune des différentes parties du livre est composée de texte, de séries de planches gravées avec leur explication, et de séries de planches peintes collées sur les feuilles imprimées et accompagnées de légendes. La particularité de ce volume est que les figures relatives aux parties de l’œil, aux éléments de la phonation et aux composants de l’oreille sont toutes composées de petits éléments disposés de façon artistique sur la page gravée. Les planches peintes sont construites à l’aide de petites découpes de papier collées sur une feuille et rendues homogènes par la coloration noire du fond.

Le rôle de ces volumes n’a pas encore été suffisamment clarifié, qu’il s’agisse de brouillons d’impression, de prototypes, ou peut-être de spécimens pour ce qui devait ensuite devenir une impression en série. Les gravures et les planches en couleur ont les mêmes sujets, mais elles devaient avoir des fonctions différentes puisque Fabrici les voulait toutes les deux, à coté l’une de l’autre, et spécifiquement indiquées dans les textes. En tout cas, les planches peintes ne doivent pas être considérées uniquement comme préparatoires à la gravure sur cuivre.

En conclusion, le Theatrum totius animalis fabricae, grande œuvre conçue par Fabrici d’Acquapendente, représentée fragmentairement par les planches et les livres laissés à la bibliothèque, constitue un témoignage important pour l’histoire de la médecine et aussi pour l’histoire de l’art. Plusieurs questions demeurent, liées à la singularité de la technique artistique, de la disposition des figures et de la composition des livres, et aux caractéristiques qui en ont fait, en plus de l’importance des observations scientifiques, une œuvre innovante dans cette période d’affirmation forte de l’anatomie.

1.

Muccillo, Maria, « Fabrici d’Acquapendente, Girolamo », Dizionario biografico degli italiani 43, Rome : Istituto della Enciclopedia Italiana, 1993, pp. 768-774.

2.

Voir Marcon, Susy, « L’officina delle “Pitture colorate d’anatomia” di Girolamo Fabrici d’Acquapendente nell’ambito dell’ultimo Cinquecento veneto », Il Teatro dei corpi. Le pitture colorate d’anatomia di Girolamo Fabrici d’Acquapendente, catalogue édité par Maurizio Rippa Bonati et José Pardo-Tomàs, Milan : Mediamed, 2004, pp. 108-130.

3.

Favaro, Giuseppe, Contributi alla biografia di Girolamo Fabrici d’Acquapendente, “Memorie e documenti per la storia dell’Università di Padova”, I, 1922, pp. 245-348 : p. 327.

4.

Tabulae anatomicae sex, Venise, 1538.

5.

Biblioteca nazionale Marciana, Lat. XIV, 20 (= 4323), fo 21rv.

6.

Je remercie Claudia Benvestito, restauratrice à la Biblioteca Marciana, qui a évoqué cette question avec moi. Je ne rapporte ici que de brèves notes, et je me réfère à : Plebani, Tiziana, Dai corpi sezionati ai corpi conservati : le Tabulae del Fabrici in biblioteca, dans Il Teatro dei corpi, pp. 131-142 ; Bieler Borruso, Cristine, Il restauro delle tavole anatomiche di Girolamo Fabrici d’Acquapendente, dans Il Teatro dei corpi, pp. 143-146.

7.

Vesalius, Andreas, De humani corporis fabrica libri septem, Bâle, ex officina Ioannis Oporini, 1543.

8.

Pour l’ensemble du sujet, je me réfère à Marcon, « L’officina ».

9.

Fialetti, Odoardo, Il vero modo et ordine per dissegnar tutte le parti et membra del corpo humano, Venise, appresso Sadeler, 1608 ; Franco, Giacomo, De excellentia et nobilitate delineationis libri duo, Venise, 1611.

10.

Discorso sopra il modo di dipingere, et spiegare secondo l’una, et l’altr’arte gli affetti principali, si naturali, come accidentali nell’huomo secondo i precetti della fisionomia, Padoue : Pietro Paulo Tozzi, 1623.

11.

Le manuscrit a été rendu public par Ongaro, Giuseppe, « Fabrici: dai manoscritti alla stampa », Il Teatro dei corpi, pp. 156-169.

12.

Favaro, Contributi alla biografia, p. 327 ; voir aussi Zen Benetti, Francesca, La Libreria di Girolamo Fabrici d’Acquapendente, « Quaderni per la storia dell’Università di Padova », 9-10, 1976-1977, pp. 161-171.

13.

Rari 118.1, Fabricii ab Aquapendente, Hieronymi, De venarum ostiolis, Patavii, ex typographia Laurentii Pasquati, 1603 ; Rari 118.2, Fabrici ab Aquapendente, Hieronymi, De locutione et eius instrumentis. Liber a Ioanne Ursino editus 1601, Patavii, ex typographia Laurentii Pasquati, 1603 ; Rari 118.3, Fabrici ab Aquapendente, Hieronymi, De brutorum loquela, Patavii, ex typographia Laurentii Pasquati, 1603.

14.

Fabricii ab Aquapendente, Hieronymi, De formato foetu, Venise, per Franciscum Bolzettam, 1600 (Patauii, ex typographia Laurentij Pasquati, impress. almae Universitatis iuristarum, 1601).

15.

Fabricii ab Aquapendente, Hieronymi, De visione voce auditu, De visione sive de oculo visus organo, De voce sive de larynge vocis organo, De auditu sive de aure auditus organo, Venise, per Franciscum Bolzettam, 1600 (Patauii, ex officina Laurentii Pasquati, almae iuristarum uniuersitatis typographi).

16.

Il faudra comparer l’exemplaire de ce même imprimé, accompagné de six tableaux peints, conservé à l’université McGill de Montréal.