Blanc Guillaume & Noûs Camille, Nucléaire et radioactivité, in Physique et enjeux de société (Université Paris Cité, 2023). https://doi.org/10.53480/physique-societe.d8819d

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Chapitre 2 : Nucléaire et radioactivité

Ce chapitre se propose de donner quelques notions succinctes de physique nucléaire pour comprendre ce qu’est la radioactivité, comprendre les grandes lignes de l’interaction des rayonnements ionisants, qu’ils soient issus de la radioactivité ou d’autres sources (désexcitation, fission, etc.), avec la matière et en particulier la matière vivante. Nous évoquerons alors la radioprotection et ses unités spécifiques. Nous terminerons avec quelques applications des rayonnements ionisants, et avec les principes de fonctionnement d’une centrale nucléaire.

2.1 Éléments de physique nucléaire

2.1.1 Introduction

Quand on parle du « nucléaire » dans les médias, on fait référence à la production d’énergie électronucléaire dans les centrales, et à toutes les problématiques annexes (déchets, prolifération, etc.). En physique, le « nucléaire » fait référence au noyau atomique. D’ailleurs la production d’énergie électronucléaire est issue d’une réaction « nucléaire » dite de fission. Il s’agit de la physique nucléaire, celle qui étudie les propriétés du noyau atomique ainsi que les réactions nucléaires. Le « nucléaire » des médias fait également référence à la radioactivité qui est une propriété physique des noyaux atomiques instables.

2.1.2 Un peu de physique nucléaire

Le noyau atomique

Le noyau atomique est constitué de neutrons et de protons qui sont les nucléons, eux-mêmes constitués de quarks et gluons, particules « élémentaires ». Les protons ont une charge électrique positive (\(+e = 1,6\cdot 10^{-19}\ \text {C}\), où \(e\) est la charge élémentaire) tandis que les neutrons sont neutres. Un noyau atomique a donc une charge positive.

On définit :

Un noyau atomique a donc une charge \(+Ze\). Un atome est électriquement neutre, il contient donc un cortège de \(Z\) électrons de charge \(-e\).

On représente le nucléide X de la façon suivante : \(^{A}_{Z}\mathrm {X}\). Depuis 2016, la tableau périodique contient 118 éléments (IUPAC 2016). Fin 2020, 3312 nucléides avaient été découverts2, dont 256 stables (correspondant à 80 éléments)3.

Un isotope est un nucléide avec le même nombre de protons (donc un même élément chimique), mais un nombre de neutrons différent. Par exemple : \(^1_1\mathrm {H}\) (hydrogène), \(^2_1\mathrm {H}\) (deutérium) et \(^3_1\mathrm {H}\) (tritium) sont trois isotopes de l’hydrogène.

Quelques ordres de grandeur

Le tableau 2.1 donne quelques ordres de grandeur.

masse (MeV/c\(^2\)) rayon (m)
atome (\(^{4}_{2}\mathrm {He}\)) \(1,28\cdot 10^{-10}\)
noyau (\(^{4}_{2}\mathrm {He}\)) 3738,4 \(\sim 1,74\cdot 10^{-15}\)
électron 0,511 < \(10^{-22}\)
proton 938,272 \(0,88\cdot 10^{-15}\)
neutron 939,565 ? (\(\sim 10^{-15}\))

Table 2.1 – Masses et tailles des constituants atomiques. Notons que l’électron est une particule élémentaire, stable. Le proton et le neutron ne sont pas élémentaires (composés de quarks) : le premier est stable à l’état libre, tandis que le neutron est instable à l’état libre (hors du noyau), sa demi-vie est de 15 min.

Énergie de liaison

L’énergie de liaison d’un noyau est l’énergie qu’il faut lui fournir pour séparer tous ses constituants. C’est donc l’opposé d’une énergie potentielle d’interaction qui est l’énergie à fournir pour transporter les nucléons au repos à l’infini jusqu’à former un noyau.

L’énergie totale d’un nucléide au repos (énergie de masse) est donnée par : \[ E^{\text {repos}}(A,Z) = m_{^{A}_{Z}\mathrm {X}}c^2 = Z m_p c^2 + N m_n c^2 - E_L \] où \(c\) est la vitesse de la lumière, \(m_{^{A}_{Z}\mathrm {X}}\) est la masse du nucléide, \(m_p\) est la masse d’un proton, \(m_n\) est la masse d’un neutron et \(E_L\) est l’énergie de liaison. Ainsi, on a : \[ E_L = (Z m_p + N m_n - m_{^{A}_{Z}\mathrm {X}})c^2 \gt 0 \] où l’on voit que l’énergie de liaison est la différence entre l’énergie de masse du nucléide et celle de chacun de ses constituants : la masse d’un noyau atomique est inférieure à la somme des masses des nucléons qui le constituent.

L’ordre de grandeur des énergies de liaison nucléaires est le MeV (tandis que les énergies de liaison des électrons dans un atome sont exprimées en eV ou keV), voir le tableau 2.2.

La figure 2.1 montre que, hormis pour les noyaux les plus légers, on a : \(E_L/A \sim 8\) MeV. Il faut donc dépenser environ 8 MeV pour extraire un nucléon du noyau. Cette figure montre que les noyaux les plus stables sont ceux autour du minimum de l’énergie potentielle (ou autour du maximum de l’énergie de liaison) : le noyau le plus stable (le plus lié) est le fer 56 au minimum de la courbe. Les noyaux très légers ou très lourds sont moins liés.

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Figure 2.1 – Opposé de l’énergie de liaison (ou énergie potentielle d’interaction des nucléons) moyenne par nucléon (\(-E_{\ell }/A\)) en fonction du nombre de nucléons \(A\) dans le noyau (courbe d’Aston).

Énergie de liaison des électrons dans l’atome (MeV) Énergie de liaison des nucléons dans le noyau (MeV)
\(^{1}_{1}\mathrm {H}\) 0,000014 0
\(^{2}_{1}\mathrm {H}\) 0,000014 2,225
\(^{4}_{2}\mathrm {He}\) 0,000079 28,295
\(^{7}_{3}\mathrm {Li}\) 0,00019 39,244
\(^{16}_{8}\mathrm {O}\) 0,0020 127,617
\(^{35}_{17}\mathrm {Cl}\) 0,012 298,20
\(^{57}_{26}\mathrm {Fe}\) 0,034 499,90
\(^{235}_{92}\mathrm {U}\) 0,69 1783,17

Table 2.2 – Comparaison entre l’énergie de liaison des électrons dans l’atome et l’énergie de liaison nucléaire pour quelques éléments et isotopes.

Si on casse un noyau très lourd en deux (réaction de fission nucléaire), les morceaux sont plus liés (énergie de liaison par nucléon plus importante), donc une partie de l’énergie de liaison du gros noyau est évacuée : la réaction est exothermique. Inversement, fusionner deux noyaux lourds nécessite un apport d’énergie, par exemple sous forme d’énergie cinétique à l’aide d’un accélérateur.

Si on arrive à fondre (fusionner) deux noyaux légers entre eux (réaction de fusion nucléaire), ils vont former un noyau plus lourd, qui sera plus lié, donc une partie de l’énergie de liaison des deux noyaux légers est évacuée : la réaction est exothermique.

Les interactions en jeu

Deux forces antagonistes sont à l’œuvre pour maintenir l’édifice des nucléons au sein du noyau :

Les autres interactions connues sont :

Selon sa quantité de protons et de neutrons, un noyau atomique peut être en équilibre parfait auquel cas il est stable. Si son équilibre est imparfait, il est instable. Il va modifier spontanément sa structure interne pour revenir vers la stabilité. Il émet alors un rayonnement particulaire : il est radioactif. Le terme de « rayonnement » est trompeur car il ne s’agit pas (uniquement) de rayonnement électromagnétique (comme pour un atome instable qui émet des photons pour revenir à la stabilité), mais aussi d’émission de particules (matière ou photons).

La vallée de stabilité

La représentation des différents noyaux connus dans un graphe représentant le nombre \(N\) de neutrons en fonction du nombre \(Z\) de protons permet de mettre en évidence la ligne ou courbe de stabilité, peuplée par les noyaux stables (en noir à la figure 2.2a).

La forme courbée de la vallée de stabilité résulte des contributions des deux forces à l’œuvre au sein du noyau : la force forte et la force électromagnétique. La première tend à favoriser \(N = Z\) (donc sur la diagonale), tandis que la seconde favorise \(N = A\) et tend à maximiser le nombre de neutrons. Si on constate un excès de neutrons pour \(Z \gtrsim 20\), c’est parce que l’interaction électromagnétique, répulsive entre les protons, cesse d’être négligeable (Valentin 1986).

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Figure 2.2 – Illustrations de la vallée de stabilité des noyaux atomiques. (a) Représentation du nombre de neutrons en fonction du nombre de protons pour les nucléides connus. Les couleurs représentent le type de radioactivité par lequel les noyaux instables se désintègrent. Source : Wikipédia/Napy1kenobi. CC BY-SA. (b) Représentation du nombre de neutrons en fonction du nombre de protons pour les nucléides connus. Les couleurs représentent la période de désintégration radioactive en secondes : les noyaux stables sont en rouge ! CC0. (c) Schéma illustrant le fait que les noyaux trop riches en neutrons ou en protons par rapport au « standard » de la stabilité vont devoir se désintégrer. Crédit : Julia Fraud. CC BY-NC-ND.

Sur la figure 2.2a, au-dessus des noyaux stables, on trouve en bleu les noyaux trop riches en neutrons. Ces noyaux reviennent vers la ligne de stabilité par désintégration \(\beta \)-, qui transforme au sein du noyau un neutron en proton. Au-dessous des noyaux stables, on trouve en orange les noyaux trop riches en protons. Ces noyaux reviennent vers la ligne de stabilité par désintégration \(\beta \)+ ou par capture électronique, qui transforme au sein du noyau un proton en neutron. Les noyaux lourds riches en protons vont revenir vers la ligne de stabilité par désintégration \(\alpha \) (en jaune). Enfin, les noyaux très lourds (en vert) fissionnent spontanément en donnant naissance à des produits de désintégration légers (généralement radioactifs car en dehors de la vallée de stabilité).

Loi de décroissance radioactive

Les noyaux instables vont donc émettre un rayonnement énergétique sous forme de particules ou de photons. L’instant précis de la désintégration d’un noyau isolé est impossible à prévoir. On peut seulement lui associer une probabilité de se désintégrer spontanément pendant une unité de temps.

On définit la constante radioactive \(\lambda \) (en seconde\(^{-1}\)) comme la probabilité de désintégration d’un noyau par unité de temps. C’est une propriété physique d’un nucléide indépendante des conditions physico-chimiques de l’atome correspondant.

On ne peut pas connaître précisément l’évolution temporelle d’un seul noyau instable ; en revanche, on peut connaître statistiquement l’évolution d’un grand nombre de noyaux issus d’un même nucléide.

Ainsi, pour \(N\) noyaux instables à un instant initial, il en disparaît \(\lambda N\) au bout d’une unité de temps (typiquement la seconde). Pendant un intervalle de temps \(dt\) ce sont donc \(\lambda N dt\) noyaux qui disparaissent, ou encore : \[ -dN = N(t)-N(t+dt) = \lambda N dt \] soit : \begin{equation} {-\frac {dN}{dt} = \lambda N} \label {eq:dec-rad} \end{equation}

ou encore : \[ -\frac {dN}{N}=\lambda dt \] En intégrant cette équation différentielle, on obtient : \[ -\ln N = \lambda t + \textrm {Cte} \] Avec la condition initiale suivante : à \(t = 0\), on a \(N(0) = N_0\), on obtient que \(Cte = -\ln N_0\), d’où \[ \ln \frac {N}{N_0}=-\lambda t \]

ou encore :

\begin{equation} N(t) = N_0 e^{-\lambda t} \end{equation}

Le nombre de noyaux instables décroît ainsi de manière exponentielle au cours du temps.

Le produit \(\lambda N\) est aussi la vitesse de désintégration (\(-dN/dt\)) d’une quantité déterminée d’une substance radioactive. On l’appelle l’activité \(\mathcal {A}\) de cette substance : \begin{equation} {\mathcal {A} = \lambda N} \end{equation}

On a donc : \[ \mathcal {A}(t) = \mathcal {A}_0 e^{-\lambda t} \] où \(\mathcal {A}_0\) est l’activité à \(t = 0\).

L’activité d’un radionucléide se mesure en becquerels (Bq). 1 Bq étant une désintégration par seconde. C’est une unité assez faible qui nécessite l’emploi de multiples : MBq, GBq ou TBq, par exemple.

Période radioactive

La caractérisation la plus commode de la durée de vie d’un ensemble de nucléides identiques est la période radioactive ou demi-vie 5 \(T\), à savoir la durée au terme de laquelle la moitié du nombre initial \(N_0\) de noyaux s’est désintégrée.

Ainsi : \[N(t=T) = N_0/2~\textrm {avec}~\ln \frac {N_0}{N} = \lambda t \] soit : \[\ln 2 = \lambda T \] d’où : \begin{equation} T=\frac {\ln 2}{\lambda }\ \ \ \text {donc}\ \ \ N(t) = N_0 e^{-{t \ln 2}/{T}} \end{equation}

Par exemple, la période radioactive du carbone 14 est de 5730 ans ; celle de l’uranium 238 est de 4,5 milliards d’années, ce qui signifie que la moitié de l’uranium 238 initialement présent à la naissance la Terre a disparu.

Le nombre de nucléides d’un élément radioactif diminue d’un facteur \(\sim \)1000 toutes les 10 périodes (\(N_0/2^{10} = N_0/1024\)).

Les périodes des éléments radioactifs connus actuellement vont de 0,07 \(\mu \)s (actinium 217) à \(1,5\cdot 10^{24}\) ans (tellure 128).

2.1.3 Les différentes radioactivités

Les noyaux instables se désintègrent en émettant une ou des particules qui sont spécifiques à la nature du noyau émetteur. L’énergie de liaison perdue dans le réarrangement du noyau se retrouve en partie dans l’énergie cinétique des particules émises.

On observe en majorité les différentes émissions suivantes :

Ces différentes radioactivités sont illustrées à la figure 2.3. Il existe d’autres façons plus marginales pour certains noyaux de se désintégrer : conversion interne, capture électronique, fission spontanée. . .

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Figure 2.3 – Illustration des différentes radioactivités sur un graphe du nombre de neutrons \(N\) en fonction du nombre de protons \(Z\) : radioactivités \(\alpha \), \(\beta ^-\), radioactivité \(\beta ^+\), capture électronique \(\varepsilon \) (ou désintégration \(\beta \) inverse), émission de neutrons \(n\) et de protons \(p\). Source : Wikipédia/Ariel Provost. CC BY-SA.

Rapport d’embranchement

Certains radionucléides peuvent se désintégrer de différentes façons. On peut mesurer et donc tabuler les probabilités qu’ils ont de se transformer par telle ou telle voie. Par exemple, la figure 2.4 montre que le bismuth 212 a 64 % de chances de se désintégrer par émission d’un \(\beta \) et 36 % de chances de se désintégrer en émettant un \(\alpha \).

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Figure 2.4 – Exemple de la filiation du plomb 212. (a) Sous forme de schéma. Source : Eugene Alvin Villar (2008), https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Seav. CC BY-SA. (b) Sous forme de graphe. Les données sur les différents isotopes connus sont tabulées sous cette forme, avec les énergies des différents niveaux, les périodes, les probabilités de désintégration.

Filiations radioactives

La désintégration d’un noyau radioactif ne donne pas nécessairement un noyau stable, mais peut conduire à un noyau lui-même radioactif qui est son fils et qui aura des descendants dont le dernier sera stable. Pour deux corps en filiation, il est assez simple de calculer analytiquement les quantités des descendants à chaque instant. En revanche, pour plus de deux corps, c’est bien plus compliqué, mais faisable numériquement. Par exemple, dans le cas :

\begin{alignat*} {3} & X_1 & \overset {\lambda _1}{\longrightarrow }\quad & X_2 &\overset {\lambda _2}{\longrightarrow }\quad & X_3 \\ t=0\qquad & N_{1,0} & & 0 & & 0 \\ t \qquad & N_1(t) & & N_2(t) & & N_3(t) \end{alignat*}

où \(\lambda _1\) est la constante radioactive caractérisant le noyau \(X_1\) et \(\lambda _2\) est la constante radioactive caractérisant le noyau \(X_2\). On peut calculer analytiquement l’évolution de chacune des quantités \(N_1(t)\), \(N_2(t)\) et \(N_3(t)\) des nucléides \(X_1\), \(X_2\) et \(X_3\), respectivement, en fonction du temps.

Radioactivité naturelle

Dans la nature on trouve environ 50 isotopes radioactifs. La moitié se trouvent sur notre planète depuis sa formation car leur durée de vie est suffisamment longue (quelques milliards d’années). Il s’agit notamment de l’uranium, du thorium et de leurs descendants. L’autre moitié est fabriquée en permanence par la collision des rayons cosmiques avec les atomes de la haute atmosphère, comme le carbone 14.

Un mètre carré de sol (sur 1 m de profondeur) recèle en moyenne 70 000 Bq de potassium 40, et reçoit chaque seconde 2500 atomes de tritium et 22 000 atomes de carbone 14. Le corps humain renferme lui aussi du carbone 14 (environ 50 Bq/kg), et du potassium 40 (environ 60 Bq/kg).

2.2 Interaction des rayonnements ionisants avec la matière

On considère ici différents rayonnements « ionisants », c’est-à-dire capables d’arracher un ou plusieurs électrons et de produire un ion :

La matière est celle qui se trouve sur la trajectoire de ces particules, elle peut être inerte ou vivante.

2.2.1 Introduction

La matière rencontrée est composée d’atomes (électriquement neutres) qui sont constitués de noyaux chargés positivement, lourds (constitués de quelques nucléons à quelques centaines de nucléons) et d’électrons, beaucoup plus nombreux (autant que les protons), légers (environ 1/1830 la masse d’un nucléon) et chargés négativement.

On peut classifier ces interactions selon différents critères.

1. L’énergie d’ionisation est l’énergie minimale nécessaire pour détacher complètement un électron orbital des atomes ou molécules du milieu irradié à savoir \(\sim \) 11,5 à 14,5 eV compte tenu des principaux atomes rencontrés (H, C, N et O)8.

2. Tous les rayonnements particulaires dont il est question ici sont ionisants. 9

3. Les rayonnements électromagnétiques ionisants sont ceux de longueur d’onde inférieure à 0,1 \(\mu \)m (X et \(\gamma \)) ou d’énergie10 supérieure à 12 eV.

La figure 2.5 résume le paysage des différents rayonnements, particulaire ou non, ionisant ou non.

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Figure 2.5 – Résumé schématique des différents rayonnements, particulaires ou non, ionisants ou non.

Le rayonnement électromagnétique

Le rayonnement électromagnétique est émis par la matière. Il est lié au mouvement des charges électriques qui la composent (électrons pour les atomes, nucléons pour les noyaux atomiques). Toute charge en mouvement crée en tout point de l’espace un champ électrique et un champ magnétique, perpendiculaires, qui se propagent à vitesse constante dans le vide (\(c = 2,99792 \cdot 10^8\ \mathrm {m}\cdot \mathrm {s}^{-1}\)), à savoir une onde électromagnétique.

Le rayonnement électromagnétique (voir figure 2.6) est caractérisé par son énergie \(E = h\nu \) où \(h=6,63 \cdot 10^{-34} \ \mathrm {J}\cdot \mathrm {s}\) est la constante de Planck et \(\nu \) la fréquence de l’onde : \begin{equation} E = h\nu = \frac {hc}{\lambda } \label {eq:hnu} \end{equation} Soit : \begin{equation} E_{\mathrm {(eV)}} \simeq \frac {6,6\cdot 10^{-34} \times 3 \cdot 10^8}{1,6\cdot 10^{-19} \times 10^{-9}} \times \frac {1}{\lambda } \simeq \frac {1240}{\lambda _{\mathrm {(nm)}}} \end{equation}

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Figure 2.6 – Illustration des différents domaines du spectre électromagnétique avec le caractère ionisant ou non des photons correspondants. Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Conclu_spectre.jpg. CC BY-SA.

Atténuation des photons

L’affaiblissement d’un faisceau de photons monoénergétiques sur une cible formée d’un matériau dépend de :

Le nombre (\(-dN\)) de photons éliminés du faisceau après une épaisseur \(dx\) de cible est proportionnel au nombre \(N\) de photons incidents et à \(dx\) : \[ -dN = \mu N dx \] où \(\mu \) dépend du matériau de la cible et de l’énergie des photons incidents.

En intégrant : \begin{equation} N(x) = N_0 e^{-\mu x}, \end{equation} où \(N_0\) est le nombre de photons incidents, \(N(x)\) est le nombre de photons restant après la traversée de l’épaisseur \(x\), et \(\mu \) est le coefficient d’atténuation linéique (en m\(^{-1}\)). L’atténuation d’un faisceau de photons dépend ainsi exponentiellement de l’épaisseur de matériau.

On définit également la couche de demi-atténuation (CDA ou X\(_{1/2}\)) qui est l’épaisseur de matière dans laquelle la moitié des photons ont disparu : \[ \mathrm {CDA} = \frac {\ln 2}{\mu } \]

Le coefficient d’atténuation linéique \(\mu \) dépend aussi de l’état physique du matériau (liquide ou vapeur, par exemple), c’est pourquoi on tabule généralement la grandeur \(\mu /\rho \) (coefficient massique d’atténuation), \(\rho \) étant la masse volumique de l’écran. On trouvera quelques valeurs de ces quantités pour quelques matériaux utilisés en radioprotection, dans le tableau 2.3.

Pb Fe eau béton ordinaire
\(\mu \) (cm\(^{-1}\)) 0,79 0,47 0,07 0,15
CDA (cm) 0,88 1,47 9,90 4,62
\(\rho \) (g\(\cdot \)cm\(^{-3}\)) 11,30 7,85 1,00 2,30
\(\frac {\mu }{\rho }\) (cm\(^{2}\cdot \)g\(^{-1}\)) 0,07 0,06 0,07 0,065

Table 2.3 – Quelques valeurs du coefficient d’atténuation linéique \(\mu \), de la couche de demi-atténuation, CDA, de la masse volumique \(\rho \) et du coefficient massique d’atténuation \(\mu /\rho \) pour quatre matériaux généralement utilisés en radioprotection et pour un faisceau de photons \(\gamma \) de 1 MeV.

Le tableau 2.3 montre que pour des photons de 1 MeV, on a \(\mu /\rho \sim 0,07\) cm\(^{2}\cdot \)g\(^{-1}\), donc CDA \(\sim 10/\rho \) (cm). Si on veut une atténuation d’un facteur \(32 =2^5\), il faut traverser 5 fois la couche de demi-atténuation, soit une épaisseur de : \(e_{32} = 50/\rho \) (cm). Ce qui correspond à environ 50 cm d’eau ou bien 4,4 cm de plomb.

C’est pourquoi dans un cabinet de radiologie médicale (les rayons X sont moins énergétiques que les rayons \(\gamma \) : 10 à 150 keV), on se protège avec des boucliers en plomb.

Rayonnement particulaire

Le « rayonnement » particulaire est typiquement un faisceau de particules projectiles qui sont caractérisées par :

On distingue les particules chargées (et parmi elles, celles qui sont lourdes : protons, deutons, \(\alpha \), fragments de fission chargés positivement, de celles qui sont légères : électrons), ralenties par interactions coulombiennes avec les électrons des atomes de la matière irradiée, et les neutrons qui vont n’interagir qu’avec les noyaux des atomes de la matière.

Ralentissement des particules chargées lourdes

Il faut des dizaines de milliers d’interactions coulombiennes avec des électrons pour ralentir les particules. Chaque électron rencontré reçoit une toute petite fraction de l’énergie de la particule incidente.

Par exemple une particule \(\alpha \) émise par le radium 226 a une énergie de 4,78 MeV et va communiquer à un électron une énergie maximale de 2,6 keV : il faut donc près de 2000 interactions pour l’épuiser ! L’électron recevant une partie de l’énergie de la particule incidente peut soit être éjecté de l’atome (et éventuellement ioniser d’autres atomes à son tour), soit changer d’orbite excitant ainsi l’atome cible.

Parcours moyens dans la matière

Plus concrètement, on peut définir la distance moyenne parcourue par des particules dans la matière par des lois empiriques.

Ainsi le parcours dans l’air de particules \(\alpha \) d’énergie entre 4 et 10 MeV, dans les conditions normales de température et de pression (CNTP, c’est-à-dire à une température de 0 \(^\circ \)C et une pression de 1 atm) :

\[ R_{\mathrm {(cm)}}^{\alpha } = 0,32 \times E^{1,5}_{\mathrm {(MeV)}} \]

Pour des protons11 de 10 à 200 MeV, dans l’air (CNTP) : \[ R_{\mathrm {(cm)}}^p = 1,8 \times E^{1.8}_{\mathrm {(MeV)}} \]

La règle de Bragg permet d’extrapoler, pour un type de particule donné, à partir d’un matériau (1), dans un autre matériau (2) : \[ \frac {R_1}{R_2} = \frac {\rho _2}{\rho _1} \sqrt {\frac {A_1}{A_2}}, \] où \(R_{1,2}\) est le parcours moyen pour dans les matériaux (1) et (2), \(\rho _{1,2}\) est leur masse volumique et \(A_{1,2}\) le nombre de masse de leurs constituants.

Ralentissement des électrons

Les électrons sont assez souvent relativistes : pour que leur vitesse soit telle que \(v > 0,1 \times c\) (limite relativiste), il faut que leur énergie (cinétique) soit \(E\) > 50 keV. Tandis que pour être relativistes, des protons doivent avoir une énergie \(E\) > 90 MeV, et des \(\alpha \), \(E\) > 350 MeV !

De plus, les électrons sont de masse égale à celle des particules rencontrées (cortèges électroniques des atomes).

Ainsi :

Pour les électrons émis par radioactivité, relations empiriques suivantes s’appliquent (attention aux unités !) (Foos 2009) :

où \(E_{{\mathrm {max} \beta }_{(\mathrm {MeV})}}\) est l’énergie maximale des électrons émis par la radioactivité \(\beta \) (en MeV).

On obtient des longueurs (parcours moyens) en divisant par la masse volumique : \[ L_{(\text {cm})} = \frac {R_{\beta (\mathrm {g}\cdot \mathrm {cm}^{-2})}}{\rho _{(\text {g}\cdot \text {m}^{-3})}} \]

Effet Tcherenkov

Quand des particules chargées se déplacent dans un milieu transparent à la lumière, à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans ce milieu (\(c/n\)), un rayonnement électromagnétique appelé rayonnement Tcherenkov12 est émis : le passage de la particule chargée induit une polarisation électrostatique sur les molécules du milieu. Comme la particule se déplace plus rapidement que les ondes électromagnétiques, les dipôles induits n’ont pas le temps de se relaxer immédiatement, ils s’accumulent, et c’est en se relaxant collectivement qu’ils émettent un rayonnement continu, polarisé, dont l’intensité décroît avec la longueur d’onde (d’où la lumière bleue) (Jackson 2021).

Dans l’eau, il faut que les électrons aient une énergie supérieure à 0,26 MeV pour qu’un rayonnement Tcherenkov apparaisse, ce qui est fréquent (contre 478 MeV pour des protons, beaucoup moins fréquent).

Cet effet est responsable de la coloration bleutée prise par l’eau des piscines de stockage de sources radioactives.

Ralentissement des neutrons

Les neutrons ne sont pas produits par la radioactivité mais par des réactions nucléaires comme les réactions de fission dans les réacteurs nucléaires.

Ils ont deux principaux processus d’interaction avec la matière.

C’est pourquoi, pour se protéger des neutrons, on utilise des matériaux de faible masse atomique, contenant beaucoup d’hydrogène, comme l’eau ou le béton.

Résumé

Le tableau 2.4 et la figure 2.7 résument les différentes façons d’absorber des particules selon leur nature et celle du matériau absorbant. Ainsi, si on veut se protéger des neutrons, il faut utiliser des matériaux de faible masse atomique comme le béton, l’eau, la paraffine. Et au contraire, si on veut se protéger des \(\gamma \), il faudra plutôt utiliser des matériaux denses, comme le plomb. Les particules chargées sont beaucoup moins pénétrantes, on peut donc s’en protéger plus facilement.

Rayonnement Profondeur de pénétration matière solide matériaux de \(Z\) faible matériaux de \(Z\) élevé
\(\alpha \) 10-20 microns
\(\beta \) quelques mm
neutron quelques 10 cm forte absorption faible absorption
\(\gamma \) quelques 10 cm faible absorption forte absorption

Table 2.4 – Résumé des différentes façons d’absorber des particules selon leur nature et celle du matériau absorbant.

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Figure 2.7 – Illustration des différentes façons d’absorber des rayonnements ionisants. Crédit : Julia Fraud. CC BY-NC-ND.

2.2.2 Effet des rayonnements ionisants sur la matière

Nous avons vu jusque-là comment on pouvait freiner, arrêter ou absorber des rayonnements avec différents type de matériaux, selon la nature du rayonnement. Voyons maintenant quel est l’effet de ces rayonnements qui pénètrent dans la matière sur celle-ci, et en particulier dans le cas de la matière vivante et de l’être humain.

De manière générale, on peut résumer les effets des rayonnements sur la matière de la façon suivante :

2.2.3 Effet des rayonnements ionisants sur la matière vivante et radioprotection

On distingue :

Si la source radioactive se trouve à l’extérieur du corps des personnes exposées, il suffit de les éloigner (la quantité d’énergie reçue décroit comme le carré de la distance pour une source isotrope, selon l’angle solide de la personne exposée) ou d’écranter la source pour stopper l’exposition.

Si la source est interne, on peut essayer d’utiliser des capteurs chimiques pour fixer les éléments radioactifs et les éliminer par les voies naturelles.

Les effets entre exposition externe et interne sont différents selon la nature du rayonnement. Le rayonnement \(\alpha \) a un parcours d’environ 40 \(\mu \)m dans les tissus humains : sur la peau, c’est l’épaisseur de la « peau morte » ; dans le corps, il atteint directement les tissus vivants et l’irradiation peut être importante. Le rayonnement \(\beta \), comme les rayons X de faible énergie, ont un pouvoir pénétrant plus important et peuvent ainsi irradier fortement la peau. Les photons X énergétiques et \(\gamma \), comme les neutrons, vont traverser le corps et irradier en profondeur.

Les dégâts des rayonnements ionisants sur la matière vivante vont de la création de radicaux libres au sein de la cellule qui conduira à une altération des bases nucléiques de l’ADN (faible irradiation) à la destruction des cellules (irradiation intense). Le patrimoine génétique de la cellule peut ainsi être modifié et conduire à des cancers.

Notion de doses radioactives

On quantifie les effets des radiations sur les êtres humains à l’aide de la notion de dose. Il y a plusieurs subtilités dans cette notion (voir la figure 2.8).

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Figure 2.8 – Illustration des différentes notions de dose radioactives.

Tout d’abord, on parle de dose absorbée, \(D\), qui est la quantité moyenne d’énergie \(\overline {E}\) absorbée par unité de masse \(dm\) de matière irradiée : \begin{equation} D = \frac {d\overline {E}}{dm} \label {eq:dose} \end{equation}

Elle s’exprime en gray (Gy) : 1 Gy = 1 \(\mathrm {J}\cdot \mathrm {kg}^{-1}\). C’est une dose physique qui ne tient pas compte de la nature inerte ou vivante de la matière exposée.

Il y a également le débit de dose qui est la dose de radiation absorbée par unité de temps (s’exprime en gray par seconde).

La notion de dose absorbée ne tient pas compte des effets biologiques.

Pour tenir compte des effets des rayonnements sur la matière vivante (le corps humain), on introduit les notions de dose équivalente et de dose efficace.

Pour cela, la dose absorbée (physique) est transposée en une dose absorbée moyenne \(D_{T,R}\) dans le volume d’un organe ou d’un tissu \(T\) due à un rayonnement de type \(R\) (Nénot 2009).

On définit ainsi :

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Figure 2.9 – Facteur de pondération \(w_R\) pour un rayonnement de neutrons en fonction de l’énergie des neutrons. Source : ICRP 2017. © ICRP.

Nature du rayonnement Facteur de pondération (\(w_R\))
Photons 1
Électrons et muons 1
Protons 2
Particules \(\alpha \), fragments de fission 20
Neutrons fonction continue

Table 2.5 – Facteur de pondération \(w_R\) lié à la nature du rayonnement permettant d’obtenir la dose équivalente à partir de la dose absorbée. Il est sans unité. Pour les neutrons, voir la figure 2.9. D’après Nénot 2009.

Tissu Facteur de pondération tissulaire (\(w_T\))
gonades 0,20
moelle osseuse 0,12
colon 0,12
poumons 0,12
estomac 0,12
vessie 0,05
seins 0,05
foie 0,05
œsophage 0,05
thyroïde 0,05
peau 0,01
surface osseuse 0,01
reste 0,05
TOTAL 1,00

Table 2.6 – Facteur de pondération lié à la nature du tissu touché (\(w_T\)) permettant d’obtenir la dose efficace à partir de la dose équivalente. Il est sans unité, et la somme de tous les facteurs doit faire 1. D’après Foos 2009.

Les valeurs des facteurs de pondération sont déterminées empiriquement (Nénot 2009).

La dose équivalente ne concerne donc qu’un tissu ou organe \(T\), la dose efficace concerne le corps entier. Elles s’expriment toutes les deux en sievert (Sv), sachant que physiquement on a : 1 Sv = 1 \(\mathrm {J}\cdot \mathrm {kg}^{-1}\), moyennant les facteurs de pondération exprimés ci-dessus, sans unités.

Le sievert

Le sievert sert à quantifier le risque stochastique induit sur la santé des sujets par de faibles rayonnements : risque supplémentaire de décéder un jour d’un cancer, risque de transmettre un jour une mutation grave à un descendant. On peut utiliser le sievert pour exprimer de faibles expositions, par exemple pour la radioprotection des travailleurs et du public dans des conditions normales. (Source : Wikipédia)

La notion de dose équivalente ou de dose efficace n’est pas valable pour les fortes doses (\(\gtrsim 0,25\ \text {Gy}\) ; \(\gtrsim 0,25\ \text {Sv}\)) car alors des effets déterministes (effets de seuil) apparaissent de manière certaine sur les tissus.

Pour les faibles irradiations, les risques sont stochastiques : les effets n’apparaissent pas de manière certaine.

Le gray et le sievert sont deux unités « homogènes » que l’on peut néanmoins difficilement comparer, à cause des facteurs de pondération sans dimension \(w_R\) et \(w_T\) qui interviennent dans la définition des doses équivalente et efficace qui, elles, s’expriment en sieverts. Le tableau 2.5 montre effectivement qu’un gray de particules \(\alpha \) est \(\sim \) 20 fois plus cancérigène qu’un gray de photons ou d’électrons.

Facteur de dose : du becquerel au sievert

On peut se demander comment on « passe » d’une activité (en becquerels) à une dose efficace reçue (en sieverts). On définit ainsi un facteur de dose qui s’exprime en \(\text {Sv}\cdot \text {Bq}^{-1}\), comme la dose efficace (en Sv) correspondant à l’ingestion ou l’inhalation de 1 Bq d’un radionucléide donné. Le facteur de dose ne concerne ainsi que les expositions internes. On ne peut pas évaluer d’expositions externes à l’aide de ces facteurs.

Le facteur de dose est calculé à l’aide de simulations prenant en compte un grand nombre de facteurs : biocinétique (absorption, rétention, distribution, excrétion des radionucléides dans un organisme vivant), type de radionucléide, voie d’incorporation (répartition dans les organes), période, etc. On distingue dans ces calculs l’exposition externe14 et l’exposition interne15.

Le tableau 2.7, qui donne quelques exemples de facteurs de dose, montre qu’un adulte reçoit une dose de 1 mSv s’il inhale, par exemple, 135 000 Bq d’iode 131 (\(\beta ^-\)) ou 2000 Bq d’uranium 238 (\(\alpha \)).

Facteur de dose (en \(\text {mSv}\cdot \text {kBq}^{-1}\))
Radionucléide Mode d’incorporation 3 mois adulte
Iode 131 Ingestion 0,48 0,022
Césium 137 0,011 0,013
Uranium 238 0,14 0,045
Iode 131 Inhalation 0,072 0,0074
Césium 137 0,0088 0,0046
Uranium 238 1,9 0,5

Table 2.7 – Extrait d’un tableau de facteurs de dose pour les membres du public (jeune enfant et adulte) pour quelques radionucléides, d’après Eckerman et al. 2012, tableaux F.1 et G.1.

2.2.4 Effet de la dose reçue

Les effets produits d’une dose radioactive reçue peuvent être16 :

La limite entre effets stochastiques et effets déterministes se trouve autour de 100 mSv. Au-delà, les études, en particulier le suivi de dizaines de milliers de survivants des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ont montré que le risque de cancers augmente. En deçà, les études n’ont pas établi de façon indiscutable l’existence d’une relation entre dose de rayonnements et risque de cancers ou maladies non cancéreuses notamment en raison des incertitudes qui accompagnent ce type d’étude. Une étude récente (David et al. 2021) semble montrer (ceci restant à confirmer) qu’une exposition à un rayonnement de fond (naturel) plus élevé aurait des effets bénéfiques sur la santé (en termes de longévité et de réduction de risque de cancer).

C’est pourquoi cette valeur de 100 mSv a été choisie pour définir schématiquement le domaine des « faibles doses »17.

Les études actuelles sur les « faibles » doses ne permettent pas d’exclure ni d’affirmer l’existence de risques pour les êtres vivants. Des recherches sont en cours, mais il est difficile d’attribuer les causes d’un cancer à telle ou telle exposition (radioactivité, génétique, environnement, etc.) de manière certaine. Cela nécessite des études longues avec un grand nombre de sujets pour avoir une réalité statistique. Il est clair que l’extrapolation des effets des fortes doses ne reflète pas du tout la réalité.

La limite réglementaire (en vertu du principe de précaution) pour la population de la dose annuelle admissible d’expositions d’origine artificielle (sauf celle reçue à des fins médicales) est fixée à 1 mSv par Commission internationale de protection radiologique (CIPR). Ce seuil a été fixé de manière à gérer les risques avec un coût acceptable. Pour les travailleurs, le seuil maximal recommandé est de 20 mSv par an.

Les effets déterministes d’une forte dose sont les suivants18 :

Le tableau 2.8 donne les valeurs de l’activité pour quelques substances courantes. Le tableau 2.9 donne quelques valeurs de la dose équivalente reçue dans différentes circonstances. Le tableau 2.10 donne quelques valeurs de doses ponctuelles reçues pour certains examens médicaux.

Eau de mer 13 Bq/L
Poisson 100 Bq/kg
Corps humain 100 Bq/kg
Pomme de terre 150 Bq/kg
Sol sédimentaire 400 Bq/kg
Café 1000 Bq/kg
Cendre de charbon 2000 Bq/kg
Engrais phosphatés 5000 Bq/kg
Sol granitique 8000 Bq/kg
Combustible usé en sortie de réacteur nucléaire \(10^{14}\) Bq/kg

Table 2.8 – Valeurs de l’activité pour quelques substances.

Radioactivité naturelle annuelle en France (moyenne) 2,3 mSv
Passager d’un vol Paris-New-York 0,03 mSv
Un jour en station orbitale à 400 km d’altitude 1 mSv
Mission de 9 jours sur la Lune (Apollo 14) 11 mSv
Une cigarette 5 à 10 \(\mu \)Sv

Table 2.9 – Quelques exemples de doses équivalentes.

Panoramique dentaire 0,01 mSv
Radiographie des poumons 0,1 mSv
Mammographie 1,0 mSv
Rachis lombaire 1,5 mSv
Scintigraphie thyroïdienne 0,24 mSv
Scanner abdominal 10 mSv
Examen TEP-scanner corps entier 20 mSv

Table 2.10 – Quelques exemples de doses ponctuelles reçues lors de certains examens médicaux (ordres de grandeur).

La figure 2.10 montre la dose équivalente annuelle moyenne à laquelle un individu, en France, est exposé. Cette dose, d’environ 4,5 mSv se décompose en 2,3 mSv d’origine naturelle19 et 2,2 mSv d’origine artificielle20.

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Figure 2.10 – Dose équivalente annuelle moyenne en France. Données : IRSN 2016.

Dose ponctuelle ou dose étalée dans le temps ? Chaque année, nous recevons, en France, en moyenne 2,3 mSv rien que par la radioactivité naturelle. À 43 ans, on atteint un cumul d’environ 100 mSv.

On sait peu de choses sur la « Remise à Zéro » : au bout de combien de temps peut-on remettre le compteur à zéro ? Le peut-on seulement ? La réponse dépend de nombreux facteurs (dose ponctuelle, autres facteurs biologiques, chimiques. . .)21 ! Néanmoins, une dose reçue d’un seul coup est plus nocive que si elle est reçue étalée sur une longue période.

2.3 Application des rayonnements

Les applications de la radioactivité sont vastes et souvent méconnues ; elles sont pourtant à la pointe de la recherche, de la médecine, de l’industrie et de l’innovation.

L’utilisation de radioéléments est étroitement liée à leur production. On peut produire des isotopes radioactifs de différentes manières :

Selon l’utilisation que l’on veut en faire, le type de rayonnement que l’on souhaite, la durée de vie, etc., on peut produire différents radioéléments. Dans la suite, on présente quelques applications en recherche scientifique ou industrielle de l’utilisation de la radioactivité.

Analyse par activation

L’analyse par activation consiste à bombarder un échantillon avec un rayonnement approprié (neutrons, protons, \(\alpha \), deutons ou \(\gamma \), voir la figure 2.11). Le matériau bombardé est alors « excité » : les noyaux le constituant vont se désexciter en émettant un rayonnement, le plus souvent un rayonnement \(\gamma \). On mesure le spectre (voir figure 2.12) de ces radiations émises, ce qui permet l’identification des noyaux sources et leur dosage. Cette méthode d’investigation est non destructrice, sachant que les détecteurs actuels permettent de déceler la désintégration de quelques noyaux seulement.

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Figure 2.11 – Illustration d’une chaîne de réactions possible pour l’analyse d’une cible par activation neutronique. Ce sont les photons \(\gamma \) émis (PGAA = Prompt Gamma Activation Analysis ; NAA = Neutron Activation Analysis) qui sont mesurés comme à la figure 2.12. Crédit : Julia Fraud. CC BY-NC-ND.

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Figure 2.12 – Spectre \(\gamma \) montrant différents éléments à courtes périodes mesurés dans un échantillon de poterie irradié pendant 5 secondes, qui a décru pendant 25 minutes et dont on a compté les photons pendant 12 minutes avec un détecteur HPGe (germanium hyperpur). Source : https://archaeometry.missouri.edu/naa_technical.html. © University of Missouri.

Elle permet également de réaliser des dosages ou d’identifier des composés en faible quantité.

Exemples d’utilisation de l’analyse par activation :

Un exemple consiste à bombarder une cible avec des neutrons selon la réaction suivante :

\begin{eqnarray*} && {^{1}_{0}\mathrm {n}} + \underset {\substack {\text {stable non excité}}}{^{A}_{Z}\mathrm {X}} \longrightarrow \underset {\substack {\text {radioactif excité}}}{\prescript {A+1}{Z}{\mathrm {X^*}}} \longrightarrow \underset {\text {radioactif}}{\prescript {A+1}{Z}{\mathrm {X}}} + \gamma \\ &&\overset {\beta ^-}{\longrightarrow } \underset {\substack {\text {stable excité}}}{^{A+1}_{Z+1}\mathrm {Y^*}} + e^- + \overline {\nu } \longrightarrow \underset {\substack {\text {stable non excité}}}{^{A+1}_{Z+1}\mathrm {Y}} + \gamma \end{eqnarray*} Cette chaîne de réactions est schématisée à la figure 2.11.

Analyse par traceurs

L’analyse par traceurs consiste à ajouter dans une solution une quantité donnée d’isotopes radioactifs, et d’attendre que ces éléments se diluent et soient répartis de manière homogène dans tout le volume du liquide. On prélève alors un échantillon de fluide et on mesure son activité. Cela permet des mesures de masses, de volumes, de concentrations.

On peut ainsi suivre l’évolution et le comportement de composés impliqués dans des réactions ou processus physiques, chimiques, métaboliques. . .

Par exemple, on peut doser l’insuline dans le sang en la marquant avec de l’iode 125 ; on peut mesurer le volume sanguin.

Médecine nucléaire – radiothérapie

Les premières applications de la radioactivité datent de 1903, elles utilisaient la désintégration du radium 226, fraîchement découvert, pour traiter les tumeurs cancéreuses.

Le traitement des affections cancéreuses se fait en utilisant l’effet de destruction cellulaire sélective par certains rayonnements : irradiation externe avec une source ponctuelle ou un accélérateur ; irradiation interne directement au voisinage de l’organe atteint ; et d’autres techniques spécifiques.

En France, près de 50 % des cancers ont été traités au moyen de ces techniques nucléaires en 201622. Environ 40 % des cancers guéris le sont grâce aux effets thérapeutiques des radioéléments23.

Médecine nucléaire – diagnostic in vivo

On peut également utiliser la radioactivité en médecine nucléaire non pour traiter mais pour diagnostiquer.

Le principe de la scintigraphie (figure 2.13) est de détecter des radiotraceurs spécifiques préalablement injectés dans l’organisme humain qui vont se fixer sur les organes à examiner sans perturber les processus métaboliques. On peut ensuite visualiser le fonctionnement de l’organe à traiter (ou à étudier) en suivant le trajet du radioélément dans le corps (thyroïde avec l’iode, os avec le technétium 99m24 qui a la propriété de s’y fixer, etc.).

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Figure 2.13 – Scintigraphie. (a) Gamma caméra à scintigraphie. Cet appareil fait l’imagerie des photons \(\gamma \). Source : Wikipédia/Brendaicm. CC BY-SA. (b) Résultat d’une scintigraphie osseuse : on injecte au patient du technicium 99m qui est radioactif \(\gamma \) et qui a la particularité de se fixer sur les os. L’image de ce patient montre l’intensité de l’émission \(\gamma \) que les médecins interprètent comme des métastases osseuses. CC0.

Datation (carbone 14)

Les rayons cosmiques (essentiellement des protons ainsi que quelques \(\alpha \), électrons, \(\gamma \), neutrinos. . .) viennent heurter les molécules de la haute atmosphère ce qui engendre un flux de neutrons qui va, entre autres, rencontrer des noyaux d’azote, principal composant de l’atmosphère : \[ ^{1}_{0}\mathrm {n} + {\prescript {14}{7}{\mathrm {N}}} \longrightarrow {\prescript {14}{6}{\mathrm {C}}} + ^{1}_{1}\mathrm {H} \]

On obtient ainsi du \(\prescript {14}{6}{\mathrm {C}}\) qui est radioactif (tandis que les isotopes \(\prescript {13}{6}{\mathrm {C}}\) et \(\prescript {12}{6}{\mathrm {C}}\) sont stables). Les êtres vivants échangent en permanence du carbone avec leur environnement (photosynthèse, métabolisme. . .), donc la proportion de \(^{14}_{}\mathrm {C}\) qu’ils contiennent est la même que celle observée dans l’atmosphère.

Lorsqu’un organisme meurt, il cesse d’absorber du \(^{14}{}\mathrm {C}\). Donc celui-ci décroît radioactivement. La mesure de son activité à un instant ultérieur permet ainsi de dater l’instant de sa mort.

La période du \(^{14}{}\mathrm {C}\) est de 5730 ans. Ce procédé permet donc de dater les évènements relativement récents en archéologie ou géologie (jusqu’à \(\sim \) 50 000 ans). Il a été mis au point par Libby (1946), à qui il a valu de recevoir le prix Nobel de chimie en 1960.

D’autres nucléides sont utilisés pour dater d’autres époques des temps géologiques : par exemple le thorium 232 (émetteur \(\alpha \) de période 14 milliards d’années) ou le potassium 40 (émetteur \(\beta ^-\) de période égale à 1,3 milliard d’années).

Traceurs en sciences de l’environnement

On peut également utiliser les radionucléides présents naturellement (fossiles ou produits présents en permanence dans l’atmosphère), ou les radionucléides artificiels rejetés par les essais nucléaires ou l’industrie nucléaire pour mesurer différents flux en sciences de l’environnement (voir par exemple la figure 2.14). Ou bien, injecter volontairement des radionucléides dans le milieu.

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Figure 2.14 – Carte montrant l’emplacement des deux usines européennes de retraitement de Sellafield (SF) et de La Hague (LH) rejetant de l’iode 129 et de l’uranium 236 servant de traceurs pour les courants qui sont représentés schématiquement dans la mer du Nord. Tiré de Casacuberta et al. 2018. © American Geophysical Union.

Les principales applications sont :

Applications industrielles

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Figure 2.15 – Vue générale du chantier montrant le tir réalisé sur le bras gauche de la statue personnifiant la vertu cardinale de la Prudence, sur le monument funéraire d’Henri II et de Catherine de Médicis à la basilique Saint Denis. Source : Castelle 2016. © Manon Castelle.

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Figure 2.16 – Radiographie gamma de la partie droite du buste et de la main gauche de la statue de la Prudence (voir figure 2.15). L’épaisseur de la paroi métallique varie de 8 à 18 mm dans le bras et de 25 à 40 mm dans la tête. Source : Castelle 2016. © C2RMF.

2.4 Production d’énergie nucléaire

2.4.1 Énergie chimique et énergie nucléaire

L’essence produit de l’énergie par réaction chimique : \[ \text {hydrocarbure} + \text {oxygène de l'air} \longrightarrow \text {CO}_2 + \text {eau} + \text {énergie} \]

1 kg d’essence fournit 50 MJ d’énergie.

L’uranium produit de l’énergie par fission en récupérant l’énergie de liaison des noyaux. 1 kg d’uranium naturel enrichi (combustible des centrales) fournit 0,05 g d’énergie, soit 5000 GJ. . . 1 kg d’uranium fournit ainsi \(10^5\) fois plus d’énergie qu’1 kg d’essence !

2.4.2 Réaction de fission

La fission induite consiste à fragmenter un noyau lourd en plusieurs morceaux (souvent deux) à l’aide d’un neutron.

Par exemple (parmi différentes possibilités), on a la réaction :

\begin{equation}\begin{split} &\mathrm {n} + {\prescript {235}{92}{\mathrm {U}}} \longrightarrow {\prescript {236}{92}{\mathrm {U^*}}}\\ &\longrightarrow {\prescript {139}{56}{\mathrm {Ba}}} + ^{94}_{36}\mathrm {Kr} + 3\mathrm {n} + E \label {eq:fission} \end{split}\end{equation} où \(E\) est l’énergie libérée et U\(^*\) est un noyau d’uranium excité, c’est-à-dire dans un niveau d’énergie non fondamental.

L’énergie de liaison est l’énergie qu’il faut fournir au noyau pour en séparer tous les nucléons. Les noyaux lourds sont moins liés que les noyaux plus légers (voir figure 2.1) : un noyau lourd qui se casse en deux (fission) libère une partie de son énergie de liaison.

Avec les énergies de liaison par nucléon pour les différents noyaux impliqués dans la réaction de fission ci-dessus, on a : \begin{equation}\begin{split} E \simeq 139 \times 8,3 + 94 \times 8,8 - 235 \times 7,6\\ \simeq 195\ \text {MeV} \end{split}\end{equation}

Les neutrons emportent chacun environ 2 MeV d’énergie cinétique (tandis qu’une réaction chimique délivrera une énergie de l’ordre de l’électronvolt par molécule). Le reste (\(\sim 189\) MeV) se retrouve dans l’énergie cinétique des fragments.

2.4.3 Fissile ou fertile ?

Un noyau fissile est un noyau qui peut subir une fission nucléaire sous l’effet de neutrons (lents ou rapides). Le seul noyau fissile existant à l’état naturel est l’uranium 235 ; tous les autres sont produits artificiellement.

Un noyau fertile est un noyau qui peut produire un isotope fissile par capture d’un neutron, directement ou après une décroissance \(\beta \). Les deux seuls isotopes fertiles présents dans la nature sont l’uranium 238 (qui donne de l’uranium 239, instable, puis du plutonium 239, fissile) et le thorium 232 (qui donne du thorium 233, instable, puis de l’uranium 233, fissile).

L’uranium naturel contient (en masse) 99,3 % d’uranium 238 (fertile) et seulement 0,7 % d’uranium 235 (fissile). La période de l’uranium 235 étant de 710 millions d’années, et celle de l’uranium 238 de 4,5 milliards d’années, la proportion d’uranium 235 dans l’uranium naturel varie au cours du temps : lors de la formation du système solaire, il y a 4,6 milliards d’années, elle était de 14 %.

2.4.4 Réaction en chaîne

La capture d’un neutron par un noyau lourd peut donc donner une fission. Mais le noyau peut aussi se désexciter en émettant des \(\gamma \) (capture radiative). Ce processus concurrence la fission, comme par exemple la réaction : \begin{equation} \mathrm {n} + {\prescript {235}{92}{\mathrm {U}}} \longrightarrow {\prescript {236}{92}{\mathrm {U^*}}} \longrightarrow {\prescript {236}{92}{\mathrm {U}}} \label {eq:capture} \end{equation}

Pour savoir quel est le régime énergétique des neutrons incidents donnant une fission, on parle de probabilité de réaction ou encore de section efficace. On la note généralement \(\sigma \) ; la section efficace d’une réaction nucléaire s’exprime en barn avec 1 b = \(10^{-28}\) m\(^2\).

On définit également le nombre \(\eta \) de neutrons de fission qui pourront être disponibles pour provoquer une nouvelle réaction. Si \(\eta > 1\), alors il pourra y avoir réaction en chaîne, c’est-à-dire qu’une réaction initiale va générer des neutrons qui vont eux-mêmes permettre la fission de nouveaux noyaux.

Les neutrons produits par une réaction de fission telle que la réaction (2.11) ont une énergie de l’ordre de 2 MeV. Ils sont dits « rapides ». Or le tableau 2.11 montre que la section efficace de réaction de fission de l’uranium 235 avec des neutrons rapides est peu élevée (1,3 barn) d’une part, et que la section efficace de capture de ces neutrons rapides par l’uranium 238 est du même ordre de grandeur (2,4 barns). Comme l’uranium naturel contient 140 fois plus d’uranium 238, un neutron sera principalement capturé par l’uranium 238 et ne servira donc pas à la fission. En revanche, à basse énergie le rapport des sections efficaces : \(\sigma _f(235) / \sigma _{\gamma }(238)\) vaut environ 215 ce qui devient plus favorable pour la fission en compensant la faible proportion d’uranium 235.

Il est donc préférable de ralentir les neutrons produits par la fission, afin qu’ils deviennent « thermiques » pour maximiser leurs chances de produire de nouvelles fissions et induire ainsi une réaction en chaîne.

\(\sigma _{f}\) (barn) \(\sigma _{\gamma }\) (barn) \(\nu \) \(\eta \)
Neutrons thermiques (\(E \sim 0,025\) eV)
\(^{235}_{92}\mathrm {U}\) 582 108 2,5 2,1
\(^{238}_{92}\mathrm {U}\) 0 2,7 0 0
\(^{239}_{94}\mathrm {Pu}\) 750 300 2,9 2,1
Neutrons rapides (\(E \sim 2\) MeV)
\(^{235}_{92}\mathrm {U}\) 1,3 0,10 2,5 2,3
\(^{238}_{92}\mathrm {U}\) 0,5 2,4 2,9 0,5
\(^{239}_{94}\mathrm {Pu}\) 2 0,1 2,9 2,7

Table 2.11 – Tableau donnant les sections efficaces des réactions de fission \(\sigma _{f}\) et de désexcitation par émission de \(\gamma \) (capture radiative), \(\sigma _{\gamma }\), pour différents noyaux. On donne également les paramètres \(\nu \) du nombre moyen de neutrons par fission et \(\eta \) le nombre de neutrons produits par neutron absorbé pour ces réactions. Données : Basdevant et al. 2002.

Néanmoins, même aux énergies thermiques, la réaction de fission de l’uranium 235 est toujours un peu en compétition avec la capture radiative26. Pour l’uranium naturel, le nombre \(\eta \) de neutrons « de fission » est de 1,36 pour une énergie thermique27. Pour de l’uranium 235 pur, il serait de 2,1 (voir le tableau 2.11). Il faut donc enrichir l’uranium pour augmenter la proportion d’uranium 235. Avec un taux d’enrichissement de 3 %, le facteur \(\eta \) vaut 1,9, car la différence entre les rapports de sections efficaces de fission et de captures radiatives devient alors plus favorable pour une proportion d’uranium fissile plus grande.

Pour réduire l’énergie des neutrons émis par les réactions de fission, on utilise un matériau modérateur, qui va absorber le trop plein d’énergie des neutrons. Comme ceux-ci interagissent par chocs sur les noyaux, des noyaux légers sont nécessaires pour maximiser le transfert d’énergie (chocs élastiques) : par exemple de l’hydrogène, du deutérium ou du carbone.

Un bon modérateur est un matériau qui absorbe peu de neutrons (pour en laisser un maximum induire des réactions de fission) et qui les ralentit rapidement. Le tableau 2.12 montre que si l’hydrogène (H) ralentit les neutrons rapidement (en seulement 15 chocs), en revanche il a l’inconvénient de capturer parfois des neutrons pour former du deutérium.

Noyau Absorption thermique \(\sigma _a\) relative Nombre de chocs \(n\)
H 1 15
D \(1,5\cdot 10^{-3}\) 20
C \(10^{-2}\) 92
O \(8,5 \cdot 10^{-4}\) 121

Table 2.12 – Tableau donnant la probabilité d’absorption des neutrons \(\sigma _a\) et le nombre de chocs \(n\) pour thermaliser un neutron rapide, pour différents noyaux modérateurs.

2.4.5 Les principaux types de réacteurs

Compte tenu des données précédentes (en fonction notamment du combustible, du matériau modérateur et du fluide caloporteur), on peut imaginer différentes sortes de réacteurs pour récupérer l’énergie de la fission.

Ces technologies datent des années 1950-1960. Des recherches sont effectuées sur de nouvelles technologies de production d’électricité nucléaire, il s’agit de la génération IV28. Les objectifs sont d’améliorer la sûreté, de brûler les stocks de plutonium, de minimiser les déchets, d’économiser les ressources naturelles, de diminuer les coûts de construction et d’exploitation. La maturité technique est espérée à l’horizon 2030. Six concepts, parmi les plus prometteurs, sont retenus :

Le projet français ASTRID faisait partie de la dernière catégorie avant d’être abandonné.

2.4.6 Les réacteurs à eau pressurisée

La filière des réacteurs à eau pressurisée (REP) est la filière la plus répandue dans le monde. La totalité des 56 réacteurs29 français sont des REP avec des puissances variant entre 880 MW et 1500 MW.

L’eau sous pression (150 bars pour rester en phase liquide malgré la température élevée) est à la fois le modérateur et le fluide caloporteur. Le combustible est constitué de pastilles de dioxyde d’uranium enrichi (à 3 %) en \(^{235}\mathrm {U}\).

Une centrale nucléaire à eau pressurisée est constituée de trois circuits d’eau indépendants. Le circuit primaire (en violet à la figure 2.17) dans lequel baigne le réacteur est en contact avec les crayons de combustible ; c’est l’eau qu’il contient qui récupère l’énergie de la fission (fluide caloporteur et modérateur). L’eau y est activée par les neutrons et peut contenir des produits radioactifs (tritium) ; elle entre à une température de 295 \(^{\circ }\)C et ressort à 340 \(^{\circ }\)C avec un débit de 17 m\(^3\)/s.

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Figure 2.17 – Schéma d’une centrale à eau pressurisée. Source : Wikipédia / Steffen Kuntoff/Enr-v/Cjp24.

Ce circuit primaire échange (sans mélange) son énergie calorifique avec un circuit secondaire (en bleu et rouge à la figure 2.17) qui va permettre la fabrication d’électricité grâce à des turbines couplées à des alternateurs. L’échangeur produit de la vapeur d’eau à 275 \(^{\circ }\)C et 60 bars. Le refroidissement de ce circuit se fait grâce à un circuit tertiaire (en bleu à la figure 2.17) en contact avec une source froide (tour de refroidissement – voir figure 2.18, rivière ou mer).

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Figure 2.18 – Les tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly dans le Loiret. Cette centrale comporte 4 réacteurs de 900 MW. Les quatre tours mesurent 165 m de haut sur une base de 131 m de diamètre. Ces tours servent de source froide, pour refroidir l’eau du circuit secondaire, afin de limiter le réchauffement du fleuve (Loire) à proximité (les centrales en bord de mer sont dépourvues de telles tours). L’eau du circuit de refroidissement (tertiaire) y est injectée sous forme de gouttelettes, l’air qui y circule du bas vers le haut (effet cheminée), se réchauffe à leur contact et se charge d’humidité. Il s’échappe par le haut, emportant quelques gouttelettes qui forment les panaches blancs que l’on peut voir. Les tours sont en béton de forme hyperboloïde pour mieux supporter le poids de l’eau qui ruisselle et pour faciliter la convection naturelle par effet Venturi. Crédit photo : Guillaume Blanc.

Les principales caractéristiques d’un REP de 900 MW (34 réacteurs parmi les 48 en France) sont :

On pilote33 un réacteur avec des barres de contrôle qui absorbent les neutrons (alliage de cadmium, indium, argent, carbure de bore). Au fil du temps le combustible s’appauvrit en matière fissile et s’enrichit en produits de fission radioactifs qui absorbent les neutrons mais ne donnent pas de fission. Au départ les barres de contrôle sont plongées dans le réacteur, puis peu à peu relevées au fur et à mesure que le combustible vieillit. Au bout d’un certain temps, le combustible n’est plus assez riche pour faire diverger (c’est-à-dire amorcer la réaction en chaîne) le réacteur. On l’arrête alors, pour décharger le combustible usagé et le remplacer par du neuf.

Sur 100 kg de combustible originel (97 kg d’uranium 238 et 3 kg d’uranium 235), il reste, après 3 ans d’utilisation :

Environ 5 g ont été purement transformés en énergie (\(E = mc^2\), soit 450 TJ !).

2.4.7 Masse critique

La masse critique est la masse de matériau fissile à partir de laquelle une réaction de fission s’auto-entretient ; au-delà de cette masse, elle diverge (bombe). La masse critique de \(^{235}{}\mathrm {U}\) est de 48 kg, celle de \(^{239}{}\mathrm {Pu}\) est de 10 kg. Mais ce n’est pas pour autant qu’un réacteur nucléaire équivaut à 1500 bombes atomiques : pour qu’il y ait divergence et donc explosion, il faut que la masse critique soit disposée sphériquement et entourée de réflecteurs neutroniques efficaces. Un réacteur ne peut en aucun cas exploser nucléairement !

Dans un réacteur nucléaire, on contrôle la réaction en chaîne avec des barres absorbantes (de neutrons) qui sont plus ou moins insérées au cœur du réacteur. Dans une bombe, au contraire, on veut faire diverger la réaction jusqu’à l’explosion. Il faut donc au moins une masse critique de matériau fissile.

1.Le nombre de masse correspond à peu près à la masse atomique ou masse molaire d’un atome car un nucléon a à peu près une masse molaire de 1 g/mol. Simplement parce que l’unité de quantité de matière du système international d’unités, la mole, était définie jusqu’en 2019 comme le nombre d’atomes dans 12 g de carbone 12. Depuis 2019, la mole est définie comme la quantité de matière d’un système contenant exactement \(6,02214076\cdot 10^{23}\) entités élémentaires. Cette définition est très proche de l’ancienne, ce qui fait que la masse molaire du carbone 12 est toujours de 12 g/mol mais désormais avec une incertitude de mesure expérimentale (de \(4,5\cdot 10^{-10}\)). Donc les autres éléments ont une masse molaire proche de leur nombre de masse en g/mol. Proche et non égale car la masse d’un noyau atomique n’est pas égale à la somme des masses de ses constituants (protons et neutrons) à cause de l’énergie de liaison.

2.Voir : https://people.nscl.msu.edu/~thoennes/isotopes/index.html.

3.Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Isotope_stable

4.Il s’agit là d’une approximation.

5.La dénomination de demi-vie est ambiguë, car elle ne signifie pas que la durée de vie est le double de cette valeur !

6.Comme le mélange américium, émetteur \(\alpha \), et béryllium : \[ ^{4}_{2}\mathrm {\alpha } + ^{9}_{4}\mathrm {Be} \rightarrow n + {\prescript {12}{6}{\mathrm {C}}} \] Ce type de source est utilisé pour différentes applications comme l’amorçage des réactions de fission dans un réacteur nucléaire, en recherche, etc.

7.L’interaction coulombienne est la force \(F(r)\) entre deux particules de charges \(q_1\) et \(q_2\) : \(F(r) = \frac {q_1q_2}{4\pi \varepsilon _0}\times \frac {1}{r^2}\), où \(r\) est la distance entre les deux particules et \(\varepsilon _0\) est la permittivité du vide.

8.Pour les énergies d’ionisation de tous les éléments, voir par exemple :
https://fr.wikipedia.org/wiki/énergie_d’ionisation#Valeurs_numériques_des_énergies_d’ionisation.

9.Il est bien évident que de nombreuses particules élémentaires énergétiques ne sont pas ionisantes : neutrinos, muons, etc.

10.Voir l’équation (2.5).

11.Il existe un type de radioactivité où certains noyaux instables se désintègrent en émettant un proton, mais elle est marginale. Les protons sont plus souvent produits au cours de réactions nucléaires.

12.Voir, par exemple : https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Vavilov-Tcherenkov.

13.Un radical ou radical libre est une espèce chimique avec un ou plusieurs électrons non appariés sur la couche externe ce qui en fait une espèce très instable et très réactive chimiquement.

14.Dans l’exposition externe, la dose reçue dépend de très nombreux paramètres (caractéristiques de la source, position de l’individu, écrans de protection. . .).

15.Dans l’exposition interne, on a une relation complexe entre l’activité et la dose efficace qui dépend du radionucléide (physico-chimie + type de rayonnement émis), du mode d’incorporation (ingestion ou inhalation) et de l’âge de l’individu.

16.Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Radioprotection.

17.Tiré du site de l’IRSN : https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/sante/mieux-comprendre-faibles-doses#.Y-DQLi-ZO3A.

18.https://fr.wikipedia.org/wiki/échelles_et_effets_de_doses_de_radiation.

19.Le radon est un gaz émanant surtout des roches granitiques et volcaniques ; tous ses isotopes sont radioactifs, leurs périodes vont de quelques heures à quelques jours. Il est produit par la désintégration de l’uranium 238 ; en France, en moyenne, on a \(\sim \) 90 Bq/m\(^3\), tandis qu’en Bretagne, on a : \(\sim \) 120 Bq/m\(^3\).
Le rayonnement provenant du sol, provient en particulier des sols granitiques.
Le rayonnement cosmique est provoqué par les particules énergétiques qui proviennent du Soleil ou du cosmos et qui viennent heurter les molécules de l’atmosphère créant ainsi des nucléides radioactifs, comme le carbone 14.

20.Voir L’exposition à la radioactivité en France, IRSN, 2016, http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Sante/exposition-population/exposition-population-france-metropole/Documents/IRSN_Infographie-Exposition-population_201609.pdf.

21.Voir, par exemple : http://www.laradioactivite.com/site/pages/cumuldesdoses.htm.

22.Voir : Institut National du Cancer - La radiothérapie. http://lesdonnees.e-cancer.fr/Themes/Soins/La-radiotherapie.

23.La radiothérapie guérit 40 % des cancers, Le Figaro, 8 octobre 2015, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/10/08/97001-20151008FILWWW00204-la-radiotherapie-guerit-40-des-cancers.php.

24.Le technétium 99m est un isomère nucléaire du technétium 99, c’est-à-dire un noyau dans un état d’énergie d’excitation particulier. Il se désexcite en émettant un photon \(\gamma \) avec une période de 6 h pour donner du technétium 99, qui a lui, une période de 211 000 ans.

25.Un générateur thermoélectrique à radioisotope est un système permettant de produire de l’énergie électrique à partir de la production de chaleur dégagée par la radioactivité d’un radioélément (comme le plutonium). Pour ce faire il utilise un dispositif à semiconducteur (couples thermoélectriques) utilisant l’effet Seebeck pour convertir la chaleur en électricité. Ce type de système est utilisé dans les sondes spatiales comme celle qui a exploré Saturne, Cassini-Huyghens.

26.La capture radiative est la capture d’un neutron par le noyau, suivie de l’émission d’un photon \(\gamma \).

27.Pour un mélange d’uranium 238 et d’uranium 235, le nombre \(\eta \) de neutrons produits par un neutron absorbé dans le combustible est donné par : \[ \eta = \nu \times \frac {N_{235}\sigma _f(235)}{N_{235}\sigma _f(235) + N_{235}\sigma _{\gamma }(235) + N_{238}\sigma _{\gamma }(238)} \] où \(\nu \) est le nombre moyen de neutrons émis par fission, soit 2,47 ; \(N_{235}\) et \(N_{238}\) sont les nombres de noyaux d’uranium 235 et 238 respectivement, par unité de volume ; \(\sigma _f(235)\) est la section efficace de fission pour l’uranium 235, \(\sigma _{\gamma }(235)\) et \(\sigma _{\gamma }(238)\) sont les sections efficaces de capture radiative de l’uranium 235 et 238.

28.Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Forum_international_Génération_IV et https://www.gen-4.org/gif/

29.Depuis juin 2020 et l’arrêt de deux réacteurs de la centrale de Fessenheim. Les 56 réacteurs se trouvent répartis dans 18 centrales nucléaires.

30.L’efficacité attendue de l’EPR est de 35 %, grâce à une augmentation de la pression du circuit secondaire et donc de sa température.

31.Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Réacteur_à_eau_pressurisée

32.UO\(_2\) a une masse volumique de \(11\,000 \ \text {kg}\cdot \text {m}^{-3}\), le cœur a donc un volume de 6 m\(^3\), le volume d’eau est donc de 18 m\(^3\), soit 24 m\(^3\) en tout, ce qui fait un rayon de 1,8 m !

33.La réalité est évidemment plus complexe. On peut effectivement noter que quand la température augmente, la densité de l’eau baisse, donc l’efficacité de modération diminue, et le réacteur ralentit : c’est un paramètre clé pour la sûreté ! Et le plus gros de l’absorption s’opère avec du bore qu’on injecte dans l’eau du circuit primaire, les barres de commande ne jouant qu’en ajustement. Le pressuriseur permet de réguler le couple pression / température.

Note de l'éditeur : ce manuel comporte un ensemble d'hyperliens vers des pages de sites internet. Leur validité ainsi que l'accès aux informations correspondantes ont été contrôlés en date du 1er février 2023.