Notice 31

Évaluation du curriculum

Dominique Raulin

L’évaluation est la mesure de l’écart entre les objectifs fixés et les objectifs atteints. Cette définition est commune à toutes les formes d’évaluation : pour le curriculum, il s’agit donc de comparer les objectifs visés qui sont définis par les politiques éducatives (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »), et les objectifs atteints. Or, les objectifs atteints recouvrent différentes réalités : ce peut être des acquis cognitifs, moteurs ou socioaffectifs des élèves, mais également des objectifs quantitatifs (80 % d’une tranche d’âge au niveau du baccalauréat, circulaire no 85-009 du 8 janvier 1985), ou encore des objectifs qualitatifs (mettre l’élève au centre du système, loi Jospin, 1989 ; faire partager aux élèves, les valeurs de la République, loi Fillon 2005 ; sensibiliser les enfants aux enjeux environnementaux, loi Peillon, 2013). Cette diversité des objectifs rend l’évaluation du curriculum, délicate : en effet, ces objectifs sont exprimés en termes qualitatifs ou quantitatifs, ils sont d’ampleur plus ou moins importante et correspondent à des enjeux à différentes échelles. En tous les cas, ils visent l’évolution positive des résultats de la politique éducative à une période précise et dans une conjoncture singulière.

Au niveau international, l’évaluation des curricula correspond au besoin ressenti de mesurer le « rendement scolaire » : pour répondre à ce besoin, l’IEA (association d’évaluation du rendement scolaire) est créée en 1958 à l’Institut de l’éducation au sein de l’Unesco. Cet engouement se traduit par le développement de la notion d’indicateurs dans le domaine éducatif (Demeuse et Cytermann, 2005).

Pour sa part, Demeuse (2006) privilégie une approche de l’évaluation du curriculum, amenant à « accorder une attention soutenue à son élaboration, sa mise en œuvre et le suivi de celle-ci au fil du temps ». Dans les années 1990, l’OCDE se saisit de la question des indicateurs et crée le CERI (Centre de recherche et d’innovation pour l’enseignement) qui va chercher à définir un ensemble d’indicateurs, utilisable dans « tous » les pays. Dans le document publié par l’Unesco en 2016, Qu’est-ce qui fait un curriculum de qualité ?, l’auteur, Philip Stabback, substitue à la notion d’évaluation du curriculum celle d’efficacité du curriculum au lieu de celle de rendement, insistant sur l’importance de réfléchir à « la façon dont l’efficacité du curriculum sera évaluée ». Il distingue ensuite plusieurs niveaux d’évaluation qui correspondent, bien qu’il n’y fasse pas référence, aux différentes phases de la transposition curriculaire (voir la notice 50 « Transposition curriculaire »).

Outre cette multitemporalité, l’évaluation du curriculum est multifactorielle. Roegiers (1997) retient quatre facteurs : 1) Le contexte général : il fait référence aux contextes politique, économique, sociétal du moment, ce qui induit que le contexte général est instable ; 2) les besoins des acteurs : parmi les acteurs, les élèves ou plus généralement les apprenants qui occupent une place importante ont plutôt des attentes que des besoins ; en revanche, les futurs employeurs expriment des besoins vis-à-vis des jeunes qu’ils envisagent d’embaucher ; 3) le fonctionnement de l’établissement de formation : les choix organisationnels et pédagogiques faits au niveau de la direction de l’établissement, ainsi que ceux faits par chaque enseignant influent sur la mise en œuvre du curriculum, des curricula ; 4) le cadre normatif : les horaires d’enseignement, les modalités d’évaluation certificative et la précision des curricula prescrits définissent un cadre qui peut se révéler contraignant ou propre à susciter l’initiative et la responsabilité des acteurs locaux dans la mise en œuvre des curricula. Ainsi, l’évaluation du curriculum n’est pas un contrôle de qualité ponctuel, mené en fin de cycle de réalisation, mais un processus continu qui croise les phases de la réalisation d’un curriculum avec les facteurs définis ci-dessus, menés par les acteurs principaux de chacune d’entre elles. Cette conception de l’évaluation du curriculum permet aux différents acteurs d’intervenir afin d’en améliorer l’efficacité, de la même façon que l’évaluation formative pratiquée par un professeur dans sa classe permet d’améliorer la qualité des apprentissages. Demeuse utilise pour décrire cette démarche, l’expression de pilotage du curriculum : « le pilotage assume une fonction de régulation, grâce aux feedbacks recueillis, voire une fonction de prévention et de prospective ». C’est aussi ce que certains auteurs appellent « mettre sous assurance qualité ».

En France, alors qu’il est difficile d’utiliser cette expression, les acteurs utilisent, malgré tout, des indicateurs variés en général implicites (d’origine interne ou externe) pouvant aboutir à des décisions spécifiques, par exemple :

Pour tenter d’éviter ce qui peut s’apparenter à une forme d’opportunisme ou d’amateurisme, deux chercheurs québécois, Bouchard et Plante, ont proposé dès 2002 la liste de critères suivante : la pertinence, l’à-propos, l’efficacité, l’efficience, l’impact, la cohérence, la synergie, la durabilité, la flexibilité. Ces critères ne sont pas tous utilisables dans toutes les phases, par tous les acteurs : ainsi, la pertinence peut être utilisée aussi bien dans la phase de conception que dans celle de mise en œuvre dans une classe ; la cohérence peut être recherchée au niveau du curriculum prescrit, mais difficile à mettre en œuvre ou à faire comprendre aux élèves, en raison de contextes locaux. L’évaluation est alors l’étude des interactions entre les phases de réalisation, les facteurs et les acteurs.

Même si l’idée d’évaluer un curriculum a émergé avec celle de rendre rentable l’école sur un plan économique, elle est à agglomérer à un ensemble d’objets de recherche qui jalonnent la réflexion sur les curricula : flexibilité par (voir la notice 33 « Flexibilité du curriculum »), réformes curriculaires (voir la notice 45 « Réformes curriculaires »), alignement curriculaire (voir la notice 1 « Alignement curriculaire »), etc.

Dans cette conception de l’évaluation du curriculum, son intérêt et donc ce qu’elle peut apporter en termes de qualité du curriculum tiennent à la prise en compte des niveaux d’observation, macro, méso et micro. Reste la question des personnes capables et habilitables pour mener une telle évaluation : Stabback estime qu’ils doivent avoir « une excellente connaissance de chacun des aspects du curriculum ainsi que des stratégies et des processus d’évaluation ». De telles exigences auxquelles s’ajoute celle selon laquelle un évaluateur doit être « qualifié et expérimenté » et ne peut avoir participé à l’une des phases de l’élaboration, au risque d’être juge et partie, représentent un obstacle majeur, peut-être rédhibitoire, qui peut expliquer qu’une telle évaluation n’ait pas encore été mise en œuvre.

Références

Bouchard Chantal et Plante Jacques (2002). « La qualité : mieux la définir pour mieux la mesurer », Les Cahiers du service de pédagogie expérimentale, n11-12, p. 219-236.

Demeuse Marc (2006). « Qu’indiquent les indicateurs en matière d’éducation ? », dans Lucie Mottier Lopez et Gérard Figari (dir.), Recherches sur l’évaluation en éducation, L’Harmattan, p. 109-116.

Demeuse Marc et Cytermann Jean-Richard (2005). La lecture des indicateurs internationaux en France. Publication de la DEPP - Haut conseil de l’évaluation de l’Ecole. Ministère de l’éducation nationale.

Demeuse Marc et Strauven Christiane (2006). Développer un curriculum d’enseignement ou de formation. Des actions politiques au pilotage, De Boeck. https://doi.org/10.3917/dbu.demeu.2006.01

Raynal Françoise et Rieunier Alain (1997). Pédagogie : dictionnaire des concepts clés. Apprentissage, formation, psychologie cognitive, ESF Éditeur.

Roegiers Xavier (1997). Analyser une action d’éducation ou de formation. De Boeck Université.

Stabback Philip (2015). Qu’est-ce qui fait un curriculum de qualité ?, Unesco.