Notice 7

Compétences

Joël Lebeaume

L’émergence de la notion de « compétence » au début des années 1970 est associée à la conjoncture socio-économique de l’époque (institution de la formation professionnelle continue par la loi du 16 juillet 1971, impact du premier choc pétrolier de 1973 sur les emplois) qui implique une nouvelle organisation du travail, des emplois, des formations, des qualifications et des diplômes. Au fil du temps, les dispositions s’étendent avec notamment la création par décret du droit au bilan de compétences (1991), la généralisation progressive des référentiels des métiers et des compétences, la mise en place de la validation des acquis professionnels (VAP, 1984) et celle de la validation des acquis de l’expérience (VAE, 2002).

Initialement inscrites dans le secteur du travail, des professions et de la gestion des ressources humaines, les « compétences » concernent dès le milieu des années 1990 les enseignements et apprentissages scolaires, en particulier pour l’évaluation via les enquêtes internationales telles que PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) ; PISA (Program for International Student Assessment) ; TIMSS (Trends International in Mathematics and Science Study) ; ICCS (International Civic and Citizenship Education Study) ; ICILS (International Computer and Information Literacy Study)… Dans ces séries de tests, les élèves n’ont pas à restituer des connaissances ou des procédures apprises, mais à mobiliser les ressources disponibles – qui relèvent de savoirs, savoir-faire et savoir-être –, acquises dans leurs diverses expériences vécues et analysées.

Malgré la diversité des usages et des contextes qui convoquent les compétences, les définitions de cette notion, particulièrement contrastées et divergentes selon Coulet (2011), s’accordent toutefois pour désigner un « savoir-agir en situation » qui suppose un « vouloir agir » et un « pouvoir agir », et dont la pertinence et la qualité sont socialement reconnues. Selon Le Boterf (1999, p. 28), l’individu « réalise avec compétence des activités en combinant et en mobilisant un double équipement de ressources : des ressources incorporées (connaissances, savoir-faire, qualités personnelles, expérience…) et des réseaux de ressources de son environnement (réseaux professionnels, réseaux documentaires, banques de données…) ». Pour cet expert du management des compétences, « être compétent est être capable de savoir agir en situation, c’est-à-dire : de construire et mettre en œuvre une pratique professionnelle pertinente. Il ne suffit pas en effet de réaliser une activité, mais de savoir comment s’y prendre pour la réaliser afin d’atteindre les objectifs visés ; en mobilisant dans cette pratique une combinatoire de ressources personnelles (connaissances, savoir-faire divers…) et externes à lui-même (banque de données, personnes ressources, outils numériques…) ; et en tirant les leçons de la pratique professionnelle mise en œuvre ». En des termes proches, Wittorski (1997) indique que « la compétence correspond à la mobilisation dans l’action d’un certain nombre de savoirs combinés de façon spécifique en fonction du cadre de perception que se construit l’auteur de la situation ». Au cœur des compétences, ces savoirs combinés et ces ressources recouvrent des connaissances, des savoir-faire, des attitudes, des pratiques, des réflexions, etc., qui s’enrichissent au gré des situations rencontrées, marquées par leur diversité et leurs spécificités. Compétence est ainsi fondamentalement associée à la situation. Avec justesse, Perrenoud (1997) propose la notion de « compétence stabilisée » en précisant que celle-ci n’existe que si la mobilisation dépasse le tâtonnement réflexif à la portée de chacun et actionne des schèmes constitués.

Sans doute la meilleure façon de définir ce que représente la compétence est de s’interroger sur les situations où l’incompétence ou la non-compétence sont manifestes ! Cette détermination contribue alors à saisir l’acception pragmatique généralement convenue. Les compétences peuvent être précisées par leurs caractéristiques communes ce que présente Legendre (2008) en six points : 1) « La compétence ne se donne jamais à voir directement » ; 2) « Elle est indissociable de l’activité et de la singularité du sujet et du contexte dans lequel elle s’exerce » ; 3) « La compétence est structurée de façon combinatoire et dynamique » ; 4) « La compétence est construite et évolutive » ; 5) « Elle comporte une dimension métacognitive » ; 6) « La compétence comporte une dimension à la fois individuelle et collective ».

Ces expressions ou mots concernent principalement l’éducation et la formation. Les « compétences transversales », indépendantes des matières ou disciplines s’opposent aux « compétences disciplinaires ». Les life skills ou « compétences de vie » sont les « compétences psychosociales et interpersonnelles servant dans les interactions quotidiennes, qui ne sont pas spécifiques à l’obtention d’un emploi ou d’un revenu » (Unicef, 2000). Elles comprennent « les capacités à s’affirmer, à dire non, à se fixer des objectifs, à prendre des décisions, et à gérer des situations émotionnelles. » Le focus est plus sur les valeurs, attitudes et comportements à faire évoluer, que sur l’acquisition de connaissances sur des objets précis.

La notion de « compétences clés », usuelle à la fin des années 1990, est portée par l’OCDE et ses enjeux pour les politiques publiques qui visent la participation à la vie en société. Elle met l’accent sur le développement des individus et des sociétés. Pour Bernard Rey, « cette entreprise est légitimée par le fait que les savoirs traditionnels de base (“basic skills” ou apprentissages fondamentaux) sont importants, mais pas suffisants pour répondre aux exigences et à la complexité des demandes sociales actuelles, ce qui justifie l’identification de compétences clés associées à un degré plus élevé de complexité et d’approche réflexive » (Rey O., 2008, p. 1). Coulet (2016) précise en outre que les « compétences clés » se distinguent des « compétences de base », car ces dernières sont souvent seulement associées à la literacy et à la numeracy, ou bien sont confondues avec des standards (non pas dans l’acception anglo-américaine traditionnelle de « norme à atteindre », car trop prescriptive, mais au sens de « niveau moyen effectif » des élèves) ne concernant que les seuils d’acquisition du « lire, écrire, compter ».

Références

Coulet Jean-Claude (2011). « La notion de compétence : un modèle pour décrire, évaluer et développer les compétences », Le travail humain, vol. 78, p. 1-30. https://doi.org/10.3917/th.741.0001

Coulet Jean-Claude (2016). « Les notions de compétence et de compétences clés : l’éclairage d’un modèle théorique fondé sur l’analyse de l’activité », Activités, vol. 13, no 1. https://doi.org/10.4000/activites.2745

Le Boterf Guy (1999). L’ingénierie des compétences, Les Éditions d’organisation.

Legendre Marie-Françoise (2008). « La notion de compétence au cœur des réformes curriculaires : effet de mode ou moteur de changements en profondeur ? », dans François Audigier et Nicole Tutiaux-Guillon (dir.), Compétences et contenus : les curriculums en questions, De Boeck, p. 27-50.

Perrenoud Philippe (1997). Construire des compétences dès l’école, ESF.

Rey Bernard (1999). Les compétences transversales en question, ESF.

Rey Olivier (2008). De la transmission des savoirs à l’approche par compétences, dossier d’actualité no 34, Service de veille scientifique et technologique, Institut national de recherche pédagogique.

Wittorski Richard (1997). Analyse du travail et production de compétences collectives, L’Harmattan. https://doi.org/10.7202/1017444ar