Seconde partie.

LETTRE XL.

Le Chevalier de Zéthur au Chevalier d’Ernest.

De Chatou.

Madame de Cotyto vient de m’assurer, Chevalier, que vous étiez du voyage de Plombières, dit-elle vrai ? Quel motif vous y engage ? Seriez-vous aussi ? … non, cela est impossible ? Que ma question ne vous étonne point ; il me paraît tout naturel que d’Hersilie, Lubeck et moi, suivions la Baronne : elle a un attrait irrésistible ; mais vous, que la Sagesse accompagne partout, comment vous êtes-vous décidé à venir avec des fous, qui ne voyagent ni pour leur santé, ni pour s’instruire, mais uniquement pour s’amuser ? Je serais tenté, d’après votre résolution, de croire que mes réflexions sont déplacées11. Que mes réflexi (…) . Je vous vois rire au mot réflexion ; oui, mon Ami, j’en fais, et qui déchirent mon âme. Vous n’ignorez pas mes engagements avec Madame de Singa ; je l’aime au-delà de l’expression et je suis prêt à renoncer à elle. Je sacrifierais ma vie pour son bonheur, et je ne puis quitter la Baronne. Cette Femme me plaît, me séduit, me charme, quoique cependant auprès d’elle je n’éprouve pas ces douces émotions qui m’enivraient quand j’étais avec Madame de Singa.

Vingt fois j’ai pris la résolution d’aller me jeter aux pieds de Madame de Singa, lui avouer mes erreurs et tâcher d’obtenir mon pardon, vingt fois cette dangereuse Baronne m’en a détourné par de nouvelles prévenances qui m’enchantent et font que je m’oublie moi-même. Ah ! mon Ami, je suis vraiment à plaindre. Ma conduite doit offenser ma Tante, que je chéris tendrement, et Madame de Singa, je le crois ; mais je ne veux plus y penser, ce souvenir empoisonne le plaisir dont je jouis avec Madame de Cotyto. C’en est fait, mon Ami, elle l’emporte.

Serai-je heureux avec elle ? mes rivaux me désespèrent ; eh bien ! mon amour, mes soins, mes complaisances m’en feront triompher, et je pourrais me flatter d’être aimé de la plus adorable femme de Paris.

LETTRE XLI.

Le Chevalier d’Ernest au Chevalier de Zéthur.

De Paris.

Votre question est embarrassante, mon cher Chevalier ; permettez que je n’y réponde pas. Quel que soit le motif qui m’ait déterminé à être du voyage de Plombières, il est très vrai que j’y vais22. Le Chevalier d’ (…) . Mais vous, qui vous y engage ? Quelle bonne raison pourrez-vous donner ? aucune, je le parierais.

La Baronne est charmante, il est très difficile de n’être pas séduit par ses grâces et ses agréables folies, j’en conviens avec vous ; mais quand vous parviendriez à vous en faire aimer, ce qui est fort difficile, seriez-vous aussi heureux que vous le croyez ? Ne craignez-vous donc point les remords qui accompagnent la perfidie ?

Madame de Cotyto est-elle libre, pour que vous lui adressiez vos vœux ? Je ne vois jamais, sans frissonner, former le projet de séduire une femme engagée sous les lois de l’hymen. Quelle confiance peut-on avoir dans un être à qui l’on fait violer les serments les plus sacrés ? Elle vous trompera comme elle trompe celui à qui elle a juré une fidélité éternelle. Son cœur accoutumé à se parjurer, marchera de crime en crime ; et vous, qui l’aurez entraînée dans cet abîme, serez-vous assez injuste pour la croire seule coupable ?

Renoncez à la Baronne, mon cher Chevalier ; cette liaison vous deviendrait funeste ; et vous payeriez, par des années de peine, un moment d’illusion. Ma morale sans doute vous paraîtra sévère ; mais songez que l’amitié lui dicte ses leçons. Je vous en conjure, suivez mes avis. Ah ! croyez-moi, on n’est jamais heureux quand on a des reproches à se faire.

Adieu, mon cher Chevalier, je désire bien sincèrement de pouvoir aller vous voir à Fionie avant mon départ pour Plombières.

LETTRE XLII.

Le Chevalier de Zéthur au Chevalier d’Ernest.

De Chatou.

Non, Chevalier, non, je ne puis quitter la Baronne. Je sens toute la force de vos raisonnements, je cours à ma perte, je le vois, mais je l’adore et ne m’en séparerai qu’à la mort ; s’il est vrai cependant que je ne sois pas aimé… cruel ami, que vous ai-je fait pour me déchirer le cœur ! et pourquoi ne m’aimerait-elle pas ? Ah, vous vous trompez ; elle partage mes feux, je l’ai vue tremblante, osant à peine lever les yeux sur moi, craindre de m’avouer son amour : non, non, la fausseté ne peut se parer de l’air de la candeur, et si elle vous trompe un moment, vous reconnaissez bientôt votre erreur.

La Baronne est sensible, je le crois, je le jurerais. Elle m’a dit qu’elle m’aimait, et je ne lui ferai pas l’injure d’en douter ; cependant, s’il était vrai que la Baronne fût aussi dangereuse que vous le croyez, je serais bientôt guéri de la fatale passion qu’elle m’a inspirée. Oui, abjurant mes erreurs, et tout entier à Madame de Singa, que je ne cesserai jamais d’aimer, je pourrais encore jouir du bonheur que je m’étais promis dans mon union avec elle. Je le crains, et le désire. Ah ! mon Ami, plaignez-moi, je suis bien malheureux.

LETTRE XLIII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Plombières.

Ne me grondez pas, ma chère Amie, si j’ai tant tardé à vous écrire. À peine ai-je le temps de dormir. C’est une chose délicieuse que les eaux ; nous les prenons comme si nous étions malades33. Nous les prenon (…) . N’attendez point de détail de ma part ; je ne me pique point d’être observatrice. Je m’amuse ; cela me convient beaucoup mieux. Vous n’avez pas d’idée des plaisirs dont nous jouissons ; je croyais qu’ils n’habitaient que dans la Capitale, mais je me suis bien trompée. Tous les jours ce sont nouvelles fêtes dont nous sommes les Déesses. Les femmes ici sont gauches au dernier point44. La Baronne de C (…)  ; aussi tous les Agréables les ont abandonnées et sont devenus nos esclaves. J’en ai congédié un hier qui devenait dangereux ; il ne se payait point d’espoir, et je n’avais pas autre chose à lui offrir. Ces Provinciaux sont trop plaisants ; il y a pourtant ici beaucoup d’étrangers, mais qui n’y sont pas venus, comme nous, pour les plaisirs, et qui ne s’occupent que de leurs santés. Nous avons donné un bal délicieux. Depuis ce moment, les femmes nous boudent, parce que la Marquise et moi nous étions en négligé ; elles ont trouvé cette manière d’être fort indécente. Si elles savaient que c’était un tour que nous voulions leur jouer pour faire paraître leur parure plus ridicule, elles auraient bien de la peine à nous le pardonner. Nos Aimables55. Nos Aimables : (…) sont ici depuis huit jours. Le Chevalier d’Ernest les a accompagnées. Réellement nous faisons événement. Je suis parfaitement heureuse ; je crains même de prendre du goût pour la Province. Il me semble avoir entendu dire que César aurait préféré d’être le premier d’un petit village que le second dans Rome66. Ces paroles du (…) . Je pense comme lui ; si je croyais toujours régner comme je le fais ici, je renoncerais à Paris. Il faut que je vous fasse part d’une bonne folie qui m’a passé par la tête. Vous savez qu’aux eaux il y a toujours des Médecins. À notre arrivée, celui qui a le plus de vogue77. Celui qui a le (…) est venu nous offrir ses services, et nous a raconté l’histoire des buveurs avec infiniment de gaîté, nous l’avons invité à venir nous voir, ce qu’il a fait exactement. Il y a quelques jours qu’il nous dit qu’il sortait de chez une Dame qui avait la petite vérole ; je fis un cri perçant ; vous savez combien je crains cette maladie ; il me rassura, en me disant que c’était une inoculée et qu’il me conseillait fort, si je voulais conserver ma jolie figure, de prendre le parti de me faire inoculer88. L’inoculation, (…) aussi. J’y consentis sous la condition que quelqu’un de la Société commencerait. Tout le monde garda le silence, à l’exception du Marquis d’Hersilie qui s’offrit pour victime. Son empressement à satisfaire mes désirs était trop glorieux, pour que je n’acceptasse pas sur le champ. Le Chevalier d’Ernest pensa entrer en fureur ; et quand je vis qu’il voulait y mettre empêchement, j’insistai. Le Marquis répondit fort galamment qu’il sacrifierait volontiers sa vie pour conserver la beauté de la Mère de l’Amour99. Mère de l’Amour (…) . Il s’est mis au régime pour être inoculé. C’est un grand sacrifice qu’il me fait ; car j’ai exigé qu’il fût six semaines sans approcher de notre demeure d’un quart de lieue. Il voulait aller à la Terre de son Ami ; mais comme nous avons projeté une partie de chasse, je m’y suis opposée, et il est allé loger à l’autre bout de la ville. Vous pensez bien, ma chère Amie, que je ne ferai pas la folie de me donner la petite vérole ; mais je suis enchantée de cette preuve d’amour du Marquis d’Hersilie. Adieu, je vous chargerai de me venger toutes les fois que j’en aurai besoin, vous réussissez à merveille.

LETTRE XLIV.

Madame de Singa à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de….

Le Chevalier de Zéthur vient, ma chère Amie, de lever le masque. Je reçois, dans l’instant, une lettre de lui, dans laquelle il m’accuse d’avoir instruit de sa conduite son Père, qui le menace de lui faire rejoindre son Régiment. Sa Lettre est celle d’un étourdi que la passion domine. Il déclare hautement son amour pour la Baronne de Cotyto, me redemande les serments et les promesses qu’il m’avait faits de n’avoir pas d’autre femme que moi. J’en suis doublement affligée par les dangers où je vois qu’il s’expose ; et parce qu’il est sur le point de perdre sa fortune, son état et sa réputation. Malgré tous ses torts, je ne puis m’empêcher de l’aimer et de le plaindre. Il n’est point aussi coupable qu’il le paraît ; je connais son âme, elle est vertueuse ; il a des principes ; son cœur n’est point encore corrompu ; c’est un moment d’erreur dont il reviendra facilement, quand la raison aura déchiré le bandeau qui lui couvre les yeux, il est incapable d’avoir voulu tromper la Baronne de Cotyto ; sa bonne foi, son inexpérience et le peu de connaissance qu’il a du cœur humain, ne l’ont pu mettre à l’abri des pièges qu’on lui a tendus et dont il sera la victime ; il en coûtera beaucoup à mon cœur pour résister au désir que j’avais de l’obliger en secret ; mais je me rends à vos avis. Convenez donc, ma chère Amie, que les hommes sont souvent bien injustes ; ils ne jugent que sur les apparences et tombent dans de grandes erreurs. Si le Chevalier ne perd que sa fortune, c’est un malheur dont je me consolerai facilement. S’il renonce à son fol amour, son pardon est tout prêt ; un seul mot effacera jusqu’à la trace des chagrins qu’il me cause. Ah, mon Amie ! mon cœur ne peut changer, il est à lui, il allait le posséder, pour jamais ; qu’il vienne, qu’il reconnaisse ses torts, et ce cœur volera au-devant de lui. Il trouvera toujours en moi une Amie tendre et une Épouse fidèle.

Sans les soins de Madame de Fionie, j’aurais bien de la peine à ne pas m’abandonner aux chagrins qui dévorent mon âme ; je sens combien je l’afflige ; elle aime tendrement son Neveu1010. Son Neveu : le (…) , et désirerait, autant que moi, de le voir heureux. Nous nous soulagerons en mêlant nos larmes ensemble ; elles sont moins amères, quand une Amie les essuie.

LETTRE XLV.

La Marquise d’Hersilie à Madame de Singa.

Du Château d’Hersilie.

Je suis enchantée de l’injustice de M. de Zéthur ; elle peut, mon Amie, contribuer à votre tranquillité, et vous ne pouvez, sans être blâmée, conserver pour lui de l’attachement, après une conduite aussi affreuse. Je vous afflige, mon Amie, en vous donnant des conseils qui contrarient vos sentiments ; mais mon amitié et votre bonheur l’exigent. Puisque le Chevalier est assez faible pour se laisser subjuguer au point d’oublier ses serments et l’amour qu’il vous avait juré, il ne mérite pas même un regret ; il y aurait de la faiblesse à l’aimer plus longtemps. Souvenez-vous, mon Amie, de ce que vous vous devez, et s’il se repentait, j’exigerais, pour votre bonheur, que vous éprouvassiez sa conduite1111. Que vous éprouv (…) . N’oubliez pas, ma chère Amie, qu’il n’est encore que votre Amant. Si l’hymen avait serré vos nœuds, je vous donnerais des conseils différents. Lorsque le devoir nous attache, la douceur et la patience doivent être nos seules armes ; mais il faut, quand on le peut, examiner le caractère et les mœurs de l’homme à qui nous unissons notre destinée. Madame de Cotyto, dites-vous, a cherché à tromper son cœur. Il était donc bien facile de vous le ravir, ou M. de Zéthur a bien peu de jugement : qu’espère-t-il avec la Baronne ? Les hommes ont des principes bien barbares. Ils croient n’avoir aucun reproche à se faire, quand ils ont déshonoré vingt femmes et empoisonné les jours de celles qui les chérissent. Tout cela n’est qu’un jeu pour eux. Plus ils sont coupables, et plus ils acquièrent la réputation d’hommes aimables. S’ils savaient apprécier mieux le bonheur, ils aspireraient moins à ce titre1212. Aspireraient mo (…) , puisque pour l’acquérir il faut trahir ses serments et faire le malheur d’un cœur sensible. Ils auraient en échange de ces vains plaisirs, ou plutôt de cette illusion déshonorante, l’estime d’eux-mêmes et celle du public. Adieu, ma chère Amie, du courage1313. Du courage : ay (…) , et surtout de la fermeté.

LETTRE XLVI.

Le Chevalier d’Ernest à M. de Saint-Albert.

De Plombières.

Ah, mon Ami ! que j’ai de chagrins ! je l’avais bien prévu que ce maudit voyage serait funeste. Vous n’avez pas d’idée d’une extravagance semblable. Le Marquis d’Hersilie, pour faire la cour à la Baronne, s’est fait inoculer1414. S’est fait inoc (…) . J’ai eu beau m’y opposer, je n’ai rien pu gagner, il n’a que moi pour compagnie ; tout le monde l’a abandonné. Depuis trois jours, je ne quitte pas son appartement. On lui a insinué une petite vérole d’une mauvaise espèce, et il est dans le plus grand danger. Je suis à moitié fou ; que va faire Madame d’Hersilie ? Je me reproche quelquefois de l’avoir accompagné, et quand je le vois seul, je bénis le destin qui me met dans le cas de lui être utile. Voilà une belle leçon, s’il en peut revenir1515. S’il en peut re (…)  : cette folle envoie à peine savoir de ses nouvelles ; tâchez, mon Ami, d’apprendre cet accident à Madame d’Hersilie ; ou plutôt cachez-le-lui. En vérité, je ne sais ce que je fais, je voudrais être loin ; je suis bien aise d’être ici. Ah ! quand il sera rétabli, je reprends bien vite la route de Paris. Adieu, mon Ami, plaignez-moi, ma position est affreuse.

LETTRE XLVII.

M. de Saint-Albert au Chevalier d’Ernest.

De Moulins.

Quelle commission me donnez-vous, mon Ami ? voulez-vous que j’aille enfoncer le poignard dans le sein de Madame d’Hersilie ? Je ne puis m’y résoudre. Est-il possible que son Mari ait poussé l’extravagance à ce point ! Continuez-lui vos soins mon Chevalier, n’écoutez que votre cœur ; il vous dira que c’est un Père que vous conservez à des enfants qui en ont le plus grand besoin ; qu’il peut abjurer ses erreurs, et redevenir bon Mari, bon Père, et vertueux Citoyen. Vous, qui savez si bien apprécier ses qualités, ne vous rebutez pas. Je vais pressentir Madame d’Hersilie sur ce cruel événement ; mais je la connais, elle voudra voler au secours de son Mari. Ah ! mon Ami, nous sommes bien embarrassés tous deux : d’Hersilie n’a que ce qu’il mérite ; mais sa femme, qui est la vertu même, être aussi malheureuse, cela est cruel !

LETTRE XLVIII.

Le Chevalier d’Ernest à Monsieur de Saint-Albert.

De Plombières.

S’il en est temps encore, mon Ami, ne partez pas : évitez à Madame d’Hersilie un spectacle aussi affreux. Vous n’arriveriez que pour voir expirer le Marquis ; il est sans espérance. Le pourpre1616. Le pourpre : ma (…) s’est mêlé à la petite vérole, et son Médecin m’a annoncé, avec un sang-froid qui m’a mis en fureur, que je ne devais plus compter sur lui. Il l’a laissé sans secours. J’ai été obligé de prendre la poste, à franc étrier1717. À franc étrier  (…) , pour aller à quatre lieues1818. Quatre lieues : (…) en chercher un autre qu’on dit être fameux. J’avais fait prier la Baronne de me prêter sa voiture, elle a eu l’infamie de me la refuser, prétendant que j’y laisserais l’air. Je la hais autant que je l’ai plaint ; il peut maintenant lui arriver tous les malheurs possibles, je veux être déshonoré, si je fais un pas pour l’en tirer. Adieu, mon Ami, je suis au désespoir.

LETTRE XLIX.

M. de Saint-Albert au Chevalier d’Ernest.

De Moulins.

Tels ménagements que j’ai pu prendre pour annoncer à Madame d’Hersilie que son Mari était malade à Plombières, elle s’est vivement alarmée. Il m’a été impossible de l’empêcher de partir ; nous serions déjà arrivés, sans la difficulté d’avoir des chevaux. J’ai mis tout en usage pour la tranquilliser ; rien ne peut l’arrêter. Son imagination est exaltée à un point que je ne puis vous rendre. Cette vertueuse femme, oubliant les torts de son Mari, n’écoute que son cœur et la tendresse qu’elle a pour lui. Elle ignore quelle est sa maladie : je n’ai osé le lui apprendre ; elle est dans l’état le plus triste. Si ma lettre arrive avant nous, venez à notre rencontre à deux lieues de Plombières, épargnez-lui un moment aussi affreux. Ah ! mon ami, quels maux nous menacent !

LETTRE L.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Plombières.

Que je me sais bon gré, ma chère Amie, de n’avoir pas suivi le conseil de ce vilain médecin : le pauvre Marquis va mourir, à ce qu’on dit ; cela est même à désirer pour lui, car il a perdu un œil, et est d’une laideur amère ; il sera impossible de le regarder sans frémir. Quel ravage cette exécrable maladie fait sur nous ! Le Marquis était d’une charmante figure. Eh bien, ma chère Amie, me voilà, je crois, dans le cas d’être citée ; un homme qui meurt pour moi ! J’en suis cependant fâchée, et si j’avais pu le prévoir je me serais bien gardée de l’exiger ; c’est ce maudit Médecin qui est cause de cela, aussi lui ai-je fait une bonne querelle : il prétend que c’est la faute de M. d’Hersilie, et M. de Lubeck dit que le Docteur a raison : cela n’en est pas moins fort malheureux ; mais à quelque chose malheur est bon. Voilà sa femme libre. J’ai ri, aux larmes, de l’aventure des sourcils ; je donnerais tout au monde pour avoir été spectatrice : me voilà donc vengée ; il n’y a plus que le Financier que je vous prie de corriger, car il était de moitié dans la tromperie. La maladie du Marquis a un peu interrompu nos plaisirs, et nous avons été obligés de jouer pour passer le temps. J’ai fait une fortune considérable, mais M. de Lubeck a horriblement perdu : il a heureusement trouvé des Juifs qui ont réparé ses pertes1919. Le Dictionnaire (…)  : ce soir nous allons à un bal charmant ; il me semble pourtant qu’il serait décent de ne pas m’y trouver si le Marquis est mort ; car enfin personne n’ignore qu’il a fait cet essai pour moi. Je suis réellement fâchée de cet accident, chacun en parle à sa manière ; mais je ne suis qu’une cause seconde2020. La notion philo (…)  ; apparemment que cela devait arriver. Adieu, ma chère Amie.

LETTRE LI.

Le Chevalier d’Ernest à la Comtesse de Fionie.

De Plombières.

Madame la Comtesse, vous ignorez, sans doute, les chagrins qui accablent Madame la Marquise d’Hersilie. Je lui avais fait part que son mari était tombé malade de la petite vérole. Elle est partie sur le champ pour Plombières avec M. de Saint-Albert. M. d’Hersilie est plus mal ; on ne peut plus compter sur lui. Cette respectable femme est sans cesse au pied de son lit ; sa douleur ne lui permettant pas de vous écrire, elle m’a chargé de vous prévenir de sa situation. Elle ignore que M. d’Hersilie s’est fait inoculer pour faire sa cour à cette folle de Baronne de Cotyto. Cet événement fait ici grand bruit ; tout le monde crie vengeance contre la Baronne ; il se passe des choses affreuses : en vérité, je ne conçois pas comment les Maris souffrent que leurs femmes emploient les nuits à jouer des jeux d’enfer, à donner des bals, et à faire des dépenses exorbitantes. La Baronne de Cotyto tient l’état d’une Princesse2121. Tient l’état d’ (…)  ; une foule d’Adorateurs l’ont suivie, parmi lesquels se trouve le Chevalier de Zéthur. Je ne puis, par l’intérêt que je prends à lui, et par le bonheur qu’il a de vous appartenir, vous cacher qu’entraîné par la Baronne et par toutes les jeunes folles2222. Les jeunes foll (…) qui sont ici, il se dérange beaucoup. Si vous m’en croyez, usez de votre autorité pour le faire revenir. Je suis avec respect, etc.

LETTRE LII.

La Comtesse de Fionie au Chevalier d’Ernest.

Du Château de Fionie.

Voilà donc, Monsieur, le résultat de la conduite de la Baronne. Que de maux elle entasse par son extravagance ! Elle va être cause de la perte d’un Père de famille, qui, sans elle, n’aurait peut-être pas donné dans tout ce travers. À cela succèdera la ruine2323. La ruine : la r (…) de son Mari ; elle aura encore la présomption de prétendre qu’elle n’est point coupable. Que faut-il faire de plus pour mériter le mépris et la haine de tous les gens sensés ? Je ne vois que trop mes prédictions s’accomplir ; mes plus grands regrets sont que tous ces malheurs retombent sur mon Amie. Cette femme extravagante a porté le désespoir dans le cœur d’une Mère vertueuse, qui cherchant à cacher à toute la Nature les défauts de son Mari, paraissait heureuse de son sort, et montrait à ses enfants le bon exemple. Je ne puis me représenter sa situation, sans répandre un torrent de larmes. Parlez-lui souvent de moi : dites-lui combien je partage ses maux : priez-la instamment que, si ce malheur qu’elle redoute arrive, elle vienne chez moi puiser des consolations ; j’irai chercher ses enfants, s’il le faut : enfin, dites-lui que son Amie la plus sincère est prête à voler dans ses bras ; qu’elle peut disposer entièrement de moi. Je n’ai point osé parler à M. de Fionie de l’inconduite du Chevalier de Zéthur ; vous connaissez combien il est vif, il aurait sur le champ porté plainte au Ministre contre lui, et aurait demandé qu’il rejoignît son Régiment2424. Le Chevalier de (…) . Prévenez-le de ma part que, s’il ne part pas de Plombières aussitôt, je ne puis m’empêcher d’instruire son Oncle. Je me repose entièrement sur vous : M. de Fionie ne me pardonnerait jamais de ne pas l’avoir averti, s’il savait que je suis au fait. Madame de Singa, à qui j’ai communiqué votre lettre, sera porteuse de ma réponse2525. La Comtesse de (…) . Je n’ai pu la détourner du désir d’aller consoler son Amie.

LETTRE LIII.

Madame de Singa à la Comtesse de Fionie.

De Plombières.

Il est impossible, ma chère Amie, de vous peindre l’état où j’ai trouvé Madame d’Hersilie. Depuis son arrivée, elle est sans cesse au pied du lit de son Mari, qui reste toujours sans connaissance ; je suis descendue chez elle, et je lui ai fait dire qu’une de ses Amies désirait lui parler, voulant lui ménager l’étonnement qu’elle aurait à me voir. Elle était bien éloignée de soupçonner que ce fût moi ; elle s’est précipitée dans mes bras. Le plaisir que lui faisait ma présence, et la douleur qui l’absorbait, lui ôtèrent toutes ses facultés. Pendant un quart d’heure nous nous tînmes embrassées sans pouvoir proférer une seule parole ; et ce ne fut qu’après avoir versé un torrent de larmes, que nous commençâmes à respirer. Nous nous regardions toutes les deux sans oser rompre le silence. Est-ce bien vous, me dit-elle, d’une voix entrecoupée ? Qui vous amène en ce funeste endroit ? c’est l’amitié. Je viens partager vos maux ; n’est-ce pas le devoir d’une Amie sincère ? Qui ne sait aimer que dans la joie, et vous abandonne quand elle vous fuit, n’est pas digne de mériter ce précieux titre. J’emploie tous les moyens pour la consoler. Tantôt j’ai recours à la philosophie, ensuite à la raison : je lui mets devant les yeux ses enfants, et la nécessité où elle est de se conserver pour leur bonheur ; ce dernier moyen est le plus efficace. Elle fait un peu trêve à sa douleur, et m’entretient de sa tendresse pour eux, du chagrin qu’elle a d’en être séparée, et du plaisir qu’elle aura de les voir, si le ciel lui rend son Époux. Elle a bien assez de sa douleur, sans que je lui fasse part des peines cruelles qui déchirent mon âme. Vous seule pouvez les partager ; elles vous sont d’autant plus sensibles, qu’elles vous viennent d’une personne qui vous est chère par les liens du sang et de l’amitié. Je ne puis vous les cacher plus longtemps. Le Chevalier de Zéthur, conduit par les conseils de la Baronne de Cotyto, auprès de laquelle il est sans cesse, fait des dépenses énormes. C’est une chose affreuse de souffrir2626. Souffrir : tolé (…) que des Juifs prêtent à des intérêts si hauts2727. Juifs : voir la (…) , et fournissent aux jeunes gens les moyens de se ruiner. On dit que le Chevalier de Zéthur a perdu considérablement au jeu. On ne parle que des folies qu’il fait pour la Baronne, qui traîne à sa suite une foule d’Adorateurs, qui ne servent qu’à satisfaire son amour-propre. Je ne sais pas comment elle-même s’en trouvera. Ce voyage coûtera cher à M. de Cotyto. Essayez d’écrire à votre Neveu ; montrez-lui sans aigreur les dangers de sa conduite : la douceur fera peut-être ce que la sévérité n’a pu obtenir. Il était intimement lié avec le Marquis d’Hersilie ; il n’a seulement pas envoyé savoir de ses nouvelles : cette fatale passion l’égare au point d’oublier ses Amis. Ah ! c’est, sans doute, la crainte de déplaire à la Baronne. Ne m’abandonnez pas, ma chère Amie, vous êtes ma consolation ; écrivez-moi souvent, vos lettres sont un baume bienfaisant qui répand sa douceur dans mon cœur, et tempère la violence du mal2828. Les lettres ne (…) .

LETTRE LIV.

La Comtesse de Fionie à Madame de Singa

Du Château de Fionie.

Je partage bien sincèrement vos chagrins, mon aimable Amie, ne vous y laissez pas abandonner, vous êtes trop délicate, pour qu’ils ne fassent pas une forte impression sur vous. Ce n’a pas été sans chagrin que je vous ai vu prendre la résolution d’aller vous enfermer avec Madame d’Hersilie ; l’air que vous respirez toutes deux, ne peut qu’être nuisible à votre santé, et à vous, mon Amie, à votre cœur. C’est avec douleur que je vois qu’il faut renoncer au bonheur de vous être alliée. J’ai espéré longtemps que mon Neveu changerait de conduite, et qu’il rendrait justice à la plus aimable des femmes ; mais hélas ! il ne me reste que le regret d’avoir contribué à troubler votre tranquillité. Oubliez un ingrat qui ne mérite pas vos bontés et quand notre Amie n’aura plus besoin de vos soins, venez vous consoler avec moi. Ma tendre amitié mettra tout en œuvre pour faire diversion à vos chagrins. Ne sortez point, mon Amie, sans Madame d’Hersilie ; si l’on vous rencontrait dans les promenades sans elle, Madame de Cotyto ne manquerait pas de dire que vous n’avez entrepris le voyage de Plombières que pour faire assaut de charmes avec elle2929. Faire assaut de (…) , et rengager le Chevalier3030. Le Chevalier : (…) dans vos chaînes. La crainte qu’elle aurait de l’événement le lui ferait croire, et les soins qu’elle prendrait pour faire échouer vos prétendus projets, vous causeraient encore de nouvelles peines. J’avais bien prévu tout cela avant votre départ ; mais j’ai craint, en vous le disant, de vous donner lieu d’imaginer que je voulais m’y opposer. Connaissant d’ailleurs votre prudence, je me repose entièrement sur les soins que vous prendrez à éviter jusqu’à l’ombre du reproche. Je ne sais quel parti prendre pour le Chevalier. Vous connaissez M. de Fionie ; sa résolution sera violente, et ne ferait qu’aggraver le mal. La lettre de son père l’a aigri sans le ramener. Je vais encore essayer. Que je serais heureuse, s’il pouvait abjurer ses erreurs ! Adieu, ma tendre Amie, je vous embrasse comme je vous aime. Mille choses de ma part à ma chère Marquise.

LETTRE LV.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

De Plombières.

Je commence à respirer, ma chère Amie. Depuis que je suis à Plombières, j’ai éprouvé des tourments difficiles à rendre : M. d’Hersilie a été vingt fois aux portes de la mort. Votre amie sensible pourra penser dans quelles angoisses j’étais. Combien j’ai d’obligations au Chevalier d’Ernest : sans lui M. d’Hersilie n’existerait plus ; il est le seul de toute sa société qui ne l’ait point abandonné. J’ai passé dix jours au chevet du lit de mon Mari, sans qu’il me reconnût. Enfin, après une crise des plus violentes, et qui nous a tous effrayés, il s’est fait une révolution3131. Une révolution  (…) considérable qui l’a rendu à la vie ; l’état de faiblesse dans lequel il était, m’avait fait craindre que ma présence ne lui causât une révolution dangereuse. J’en parlai au Médecin, qui m’approuva. M. d’Ernest le prévint doucement de mon arrivée, et du danger dans lequel il avait été ; il parut sensible à cette marque d’amitié, et me fit prier de passer chez lui. Je me précipitai dans ses bras ; il me repoussa doucement, seulement par la crainte que je ne prisse sa maladie. Que j’étais heureuse dans ce moment ! Si M. d’Hersilie eût été entièrement rétabli, j’aurais béni son mal, puisqu’il m’avait mis dans le cas de recouvrer sa tendresse. Le mieux continue : Madame de Singa, M. de Saint-Albert, le bon Chevalier, le Médecin et moi, nous lui tenons fidèle compagnie. Il commence à reprendre sa gaîté ; ce qui me flatte infiniment, c’est qu’il ne s’occupe point du tout de la Baronne. Il doit bien la haïr ! Ce n’est que d’hier que je sais que M. d’Hersilie s’est fait inoculer pour lui plaire. La première fois qu’il a vu Madame de Singa, il a paru singulièrement surpris, et lui a demandé des nouvelles du Chevalier de Zéthur ; elle a beaucoup rougi, et a certifié à M. d’Hersilie qu’elle n’avait entrepris le voyage de Plombières, que pour venir partager ma douleur, qu’aucun autre intérêt ne l’avait fait agir. Il a paru fâché d’avoir fait cette question indiscrète, et l’a priée de l’excuser, en la remerciant de l’amitié qu’elle avait pour moi. Cela ne m’étonne pas, a-t-il dit, elle est généralement chérie, elle le mérite. J’ai embrassé bien tendrement mon Mari et Madame de Singa, mon cœur était trop plein pour s’exprimer autrement. Adieu, ma chère Amie, je serai vraisemblablement ici encore un mois ; il faudra bien ce temps à mon cher malade, pour supporter la fatigue du voyage. Donnez-moi de vos nouvelles, et réjouissez-vous avec moi du changement de ma position.

LETTRE LVI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Plombières.

Les plaisirs se succèdent à un point, qu’il faut que je prenne sur mon sommeil pour vous écrire. Vous avez eu bien tort, ma chère Belle, de ne pas être de la partie ; à coup sûr vous n’êtes pas aussi heureuse chez votre immortel oncle3232. Votre immortel (…) . J’ai cependant eu un petit moment d’inquiétude ; M. de Cotyto a écrit à un Officier de ses Amis3333. Cette lettre n’ (…) pour s’informer de mon genre de vie aux eaux. J’en ai été prévenue à temps, et j’ai si bien arrangé mes petits intéréts, que j’ai mis dans mes chaînes le Mentor3434. Mentor : person (…) chargé d’épier mes actions ; il a fait la réponse que j’ai voulue, et tout va le mieux du monde. La petite vérole du Marquis a fait un tapage inconcevable. Les Prudes me fuient, les Pères ont emmené leurs fils ; enfin ils me craignent autant qu’une magicienne. La marquise d’Hersilie n’a pas peu contribué à tout ce vacarme ; elle est arrivée tout éplorée pour garder son Mari. Je suis fort mécontente d’elle depuis que M. d’Hersilie est hors de danger. Elle vient quelquefois se promener avec le Chevalier d’Ernest et une espèce de Philosophe qu’elle a amené de sa Province ; mais ce qui vous paraîtra fort étonnant, c’est que Madame de Singa est avec elle. Je les rencontrai il y a quelque temps, je les saluai, et me levai pour aller au-devant d’elles ; croiriez-vous qu’elles eurent la malhonnêteté de me faire une révérence froide et composée et de se retirer pour m’éviter ? J’appelai le Chevalier d’Ernest, à qui je fis de vifs reproches ; il ne me répondit pas un mot, me salua respectueusement, me quitta. Vous jugez dans quelle colère j’étais ; aussi en retournant à la fontaine, je les ai tournés en ridicule d’une jolie manière : le Chevalier de Zéthur a été surpris de l’apparition de Madame de Singa. J’ai besoin de redoubler d’efforts pour qu’il ne la voie pas. Cet étourdi n’est pas ferme dans ses résolutions. On dit que cet imbécile de Marquis est d’un grand bien avec sa femme ; dans le fait il n’a rien de mieux à faire, il est si laid. J’ai pourtant envie, malgré cela, aussitôt qu’il pourra reparaître en société, d’exercer mon ascendant sur lui, pour me venger de sa Prude. Nous verrons cela dans le temps, si je n’ai pas d’occupations plus intéressantes. Je compte dans peu retourner à Paris ; (car je dois ici de tous les côtés) et l’on commence à ne plus vouloir me faire du crédit. Je n’ai point sujet de regretter mes dépenses, car je me suis bien amusée. Adieu, je vous embrasse.

LETTRE LVII.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de Fionie.

Vous m’avez causé bien de l’inquiétude, ma chère Marquise, j’avais besoin de votre Lettre pour rendre la tranquillité à mon cœur. Vous devez maintenant espérer un avenir heureux ; M. d’Hersilie reconnaitra ses torts, et vous rendra justice : la Baronne ne gagnera pas à la comparaison. J’attends avec grande impatience votre retour ici, pour me réjouir avec vous. La saison commençant à s’avancer, nous retournons incessamment à Paris. Cette Madame de Cotyto, mon Amie, nous a causé à tous bien des chagrins. Je tremble d’apprendre à Monsieur de Fionie la résolution de son Neveu. Il est décidé à ne pas quitter la Baronne, il se ruine et finira par se déshonorer. Je connais mon Mari, il ne lui pardonnera jamais. Cette femme est une vraie Sirène3535. Sirène : dans l (…)  ; quittez bien vite le pays qu’elle habite, l’air en est dangereux. Adieu, ma chère Marquise, dites mille choses de ma part à notre Amie, au Chevalier d’Ernest, et embrassez pour moi votre Mari.

LETTRE LVIII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Plombières.

Oh ! pour le coup, je suis d’une colère affreuse ; ce vilain Monsieur d’Hersilie, cela lui sied bien de faire le cruel ; avec sa laideur. Il est épouvantable ! Il fallait que j’eusse autant d’envie de mortifier3636. Mortifier : vex (…) sa prude de femme, pour oser même l’entrevoir. Mais écoutez, et vous allez juger si j’ai raison d’être de si mauvaise humeur. Il y a quelques jours, nous étions à la promenade, la Marquise d’Hersilie y vint avec cette Madame de Singa : elle affecte un air langoureux qui la rend d’une bêtise insupportable. Le Marquis, son Provincial, le Chevalier d’Ernest et le Médecin leur servaient d’Écuyers ; rien n’était plus plaisant que cette Société. Ils s’assirent en face de nous ; je ne regardais pas les femmes, Monsieur d’Hersilie me salua ; je voulus envoyer le Chevalier de Zéthur lui dire de venir me parler, ce petit automate n’eut-il pas la hardiesse de me refuser. J’ordonnai, et il ne m’écouta pas. J’étais furieuse ; je pris mon parti, et j’envoyai le Marquis de Lubeck. Monsieur d’Hersilie fit réponse qu’il me priait de l’en dispenser ; qu’il y aurait trop de danger pour moi, et qu’il ne se pardonnerait jamais d’avoir gâté une aussi jolie figure ; que cette crainte l’avait déterminé à ne jamais m’approcher. Je ris aux éclats quand le Marquis me rendit compte de son ambassade3737. De son ambassad (…)  ; mais, je vous l’avoue, j’étais outrée de dépit. Nous fîmes beaucoup de folies qui nous attirèrent tous les regards. Ceux de Madame de Singa s’étant arrêtés sur le Chevalier de Zéthur, il la fixa un moment, puis se retira. Qu’il ne croie pas que je souffrirai d’être quittée pour cette petite femme ! j’emploierai, pour le conserver, plus de moyens que pour en enchaîner vingt. Malgré nos rires forcés, Monsieur d’Hersilie ne parut pas plus ému, et continua de causer avec sa femme. Je pensai me brouiller avec Monsieur de Lubeck, qui s’avisa de trouver Madame d’Hersilie et la petite Singa intéressantes. Intéressantes est bien le mot qui leur convient. Elles sont belles, à la vérité, mais sans grâces et sans vivacité, et toujours mises comme des Bourgeoises. D’honneur, je ne sais où j’avais les yeux d’aimer Madame d’Hersilie ! Sans vous, pourtant, je me laissais entraîner à mon penchant ; j’étais perdue pour le plaisir. Ah, combien je vous ai d’obligations ! Décidément nous partons la semaine prochaine, et nous avons projeté d’aller descendre chez vous pour nous remettre un peu au courant. Les Modes sont sûrement changées depuis mon départ. Faites-moi le plaisir d’avertir Mademoiselle Bertin3838. Mademoiselle Be (…) , afin que je trouve chez moi tout ce qu’il y a de plus nouveau.

LETTRE LIX39.39. Dans l'exemplai (…)

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Ne me vantez pas, ma chère Amie, vos plaisirs des eaux ; ils sont sans doute bien agréables, mais ils ne valent pas ceux que j’ai eus au charmant bal du Chevalier de Lusak. Il s’était enivré d’amour par les attentions que j’avais pour lui ; il n’oublia rien pour rendre la fête agréable, et voulut que j’en eusse tous les honneurs. C’est dans sa nouvelle maison, à deux lieues d’ici, qu’elle se donna. L’endroit est délicieux ; les jardins sont de la plus grande magnificence ; le temps était si doux et si beau, que je voulus que la fête eût lieu dans les bosquets. Cela lui aura coûté beaucoup plus cher ; mais pouvait-il trop payer l’honneur que je lui faisais de l’avoir accepté ? Nous partîmes de chez mon oncle au nombre de vingt-cinq ; les Dames seules étaient en voitures, et les hommes nous accompagnaient à cheval. On distinguait ma Calèche par sa magnificence, et par le nombre d’Écuyers qui voltigeaient sans cesse autour d’elle. Le Chevalier de Lusak, après m’avoir donné la main, partit comme un trait pour aller m’attendre. La nuit n’était point encore assez sombre pour que l’on commençât le bal. Une superbe collation, toute en fruits des plus rares et des plus fins, descendit comme du Ciel, par le moyen d’une mécanique ingénieuse. Je m’assis à la première place, chacune se range indistinctement ; les Chevaliers servaient les Dames, et plusieurs disputaient au Chevalier l’avantage de me prodiguer des soins. Pendant ce temps, la Musique exécuta des morceaux du meilleur goût ; il ne manquait, pour que mon triomphe fût complet, que la Comtesse de Menippe. Son Financier avait accompagné une Dame, parente du Chevalier de Lusak, vraisemblablement dans le dessein de troubler la fête ; mais je fis peu d’attention à ce vieux Crésus4040. Crésus : homme (…) . Pendant que dura cette collation, on eut le temps d’illuminer les bosquets, le signal fut donné par une douzaine de boîtes4141. Boîtes : coffre (…)  ; alors, quittant la table, nous allâmes sous les berceaux où j’ouvris le bal avec le Chevalier. À peine commencions-nous à danser, qu’un tonnerre épouvantable fit entendre sa sinistre musique ; il fallut abandonner la danse, et se sauver des charmants bosquets. Pour passer le reste de la nuit, je proposai un pharaon ; je commençai par gagner considérablement. Pendant tout le temps que dura mon bonheur, le vieux Financier ponta fort sur moi. Je crus que la chance devait m’être toujours favorable, je perdis plusieurs fois de suite ; et piquée contre le Financier, je ne voulus point quitter la partie qu’un de nous deux ne fût ruiné. Bien mal m’en a pris ; j’ai perdu tout ce que j’avais gagné et le double encore, sans compter ce que j’ai joué sur ma parole. Le Financier m’a presque tout gagné ; il m’a promis de me donner ma revanche, il ne faut qu’un moment favorable pour réparer mes pertes. Je suis fâchée de n’avoir pas saigné sa bourse ; cela n’est pourtant pas très aisé, il est lié avec cette Comtesse de Menippe, qui tient un tripot4242. Un tripot : une (…) chez elle, et il est bien plus fin que moi. Si je puis parvenir à être quitte avec lui, je ne m’y exposerai plus. Je serais bien curieuse de voir le couple marital qui vous a tant donné d’humeur ; on n’a pas d’exemple de chose semblable. Ils ont dû bien vous amuser ? pour moi j’en ai ri de tout mon cœur. Je ne conçois pas Madame d’Hersilie avec toute sa bêtise ; elle trouve des personnes qui prennent son parti, et une femme qui a tout pour elle, est blâmée sans qu’on sache trop pourquoi. Voilà ce que c’est que de vivre avec ceux qui n’ont pas l’usage du grand monde. Venez bien vite me rejoindre, ma belle Amie, je vous attends avec impatience.

LETTRE LX.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

De Plombières.

Malgré le plaisir que j’aurais eu à vous embrasser, il faut, ma chère Amie, que je m’en prive, mon Mari désirant aller à Hersilie en quittant Plombières ; il est maintenant en état de partir. Le Médecin à qui il doit la vie nous accompagne, ainsi que le Chevalier d’Ernest, qui a grand besoin de se reposer des fatigues que l’amitié lui a causées. Me pardonnerez-vous d’avoir engagé Madame de Singa à être de la partie ? Elle est venue partager mes peines, il est bien juste qu’elle jouisse de mon bonheur. M. d’Hersilie a repris toute sa gaîté ; ce qui me rend parfaitement heureuse. C’est lui qui a proposé au Docteur de nous accompagner. Comme nous sommes toujours seuls, la conversation aurait souvent langui, si le Médecin, qui est un Gascon4343. Gascon : origin (…) , (vous savez qu’ils ont tous infiniment d’esprit) ne l’eût pas égayée par mille histoires intéressantes. Mon Mari lui est singulièrement attaché, et l’a engagé à venir se fixer avec nous, si rien ne le retenait en Lorraine. M. d’Hersilie s’apercevant que j’écoutais avec attention ce qu’il lui proposait, s’adressa à moi, et me dit : mon intention étant de partager vos travaux dans l’éducation de nos enfants, et dans l’embellissement de nos terres, je désire sincèrement de réunir un nombre d’Amis qui veuillent bien partager notre solitude. Le Chevalier d’Ernest m’a donné assez de preuves de son attachement, pour me faire espérer qu’il sera de la partie. Nous serons quatre de fondation, si le Docteur veut. Le Gouverneur4444. Gouverneur : ch (…) de mon fils, dont vous m’avez fait un très grand éloge, sera aussi de nos Amis, et nous coulerons des jours heureux. Je suis sûr que M. et Mme de Fionie vous aiment assez pour faire, tous les ans, le voyage du Bourbonnais ; puis s’adressant à M. de Saint-Albert, il lui dit : voilà, mon Ami, vos prédictions accomplies, j’ai fait assez de folies pour pouvoir assurer que je suis corrigé. Le bon Chevalier d’Ernest, l’embrassa en pleurant, et lui jura de ne jamais nous quitter. Le plaisir m’absorbait à un point que je ne pouvais l’exprimer. M. de Saint-Albert demanda au Docteur s’il consentait ; il répondit que la proposition le flattait trop pour refuser. Nous lui avons assuré douze cents livres de rente, son logement et la table. Ah ! ma chère Amie, je lui ai trop d’obligations, pour être jamais quitte avec lui. Si vous voyez combien je suis heureuse, vous seriez au comble de la joie. Dites à M. de Fionie que je le bouderai sérieusement, si le printemps prochain ne le voit pas arriver à Hersilie ; j’y jouirai de la douce satisfaction d’y posséder tout ce que j’ai de plus cher. Adressez-moi votre réponse à Hersilie, j’y serai bien plus contente au moment de mon retour, que je ne l’étais à celui de mon départ. Ma chère Amie, pour apprécier le bonheur, il faut avoir été malheureuse. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.

LETTRE LXI.

Madame de Singa à la Comtesse de Fionie.

De Plombières.

Vous serez étonnée, ma chère Amie, de la résolution que j’ai prise de m’éloigner de tout ce qui peut me rappeler celui que la bienséance m’oblige de fuir. Tout coupable qu’il est, je ne puis le voir sans éprouver la plus vive émotion. Le hasard me le fit rencontrer à la promenade ; il donnait le bras à la Baronne. Je ne fus pas maîtresse de la révolution qui se fit en moi ; ma vue se troubla, je restai interdite, une sueur froide me saisit ; mes jambes étaient si tremblantes, que nous fûmes obligées de nous asseoir. Ce n’est point jalousie, je suis incapable de cette bassesse. La Baronne ne m’inspire que de la pitié ; mais j’aime le Chevalier de Zéthur au-delà de toute expression. Ce n’est point parce qu’il aime la Baronne que je m’afflige ; il reviendra aisément de cette erreur, c’est parce qu’il se plonge dans un précipice affreux dont il ne pourra se tirer. Lié dans une société pernicieuse4545. Pernicieuse : n (…) , ses mœurs deviendront dépravées ; il ne sera plus le même. Pardon, mon Amie, je vais suivre vos conseils, essayer de m’étourdir sur mon amour4646. M’étourdir sur (…) , en fuyant le lieu où il a pris naissance ; ce sacrifice me paraîtra bien dur, puisqu’il me privera pendant quelque temps du plaisir de vous voir. M. et Madame d’Hersilie m’ont engagée avec tant d’instance de les accompagner, que je n’ai pu m’y refuser. À Paris, je serais en danger de rencontrer le Chevalier ; ne pouvant être unie à lui par des liens sacrés, je dois fuir jusqu’au lieu qu’il habite. Il aura fait des dettes, il aura besoin de vous pour les payer ; je suis prête à m’engager pour lui sous votre nom. Adieu, mon Amie, l’espoir et l’amitié que vous avez pour moi me soutiennent.

LETTRE LXII.

La Comtesse de Fionie à Madame de Singa.

De Paris.

Quoique votre résolution4747. Votre résolutio (…) m’afflige, je ne puis, mon Amie, la blâmer. Madame d’Hersilie est assez aimable pour vous faire oublier vos chagrins. Le Chevalier n’a pas daigné me faire réponse, peut-être ai-je tort de me plaindre ; il n’ose sûrement pas m’écrire. En effet, que dirait-il pour s’excuser. J’espère beaucoup de son retour ; s’il me fuit, j’irai le trouver et je mettrai tout en œuvre pour l’arracher du précipice où il se plonge. Vous, mon Amie, tâchez de l’oublier ; son souvenir ne peut que vous affliger. Il en coûte beaucoup à mon cœur de vous donner ce conseil ; mais je préfère votre bonheur au mien, et je suis incapable de vous engager à lui pardonner avant qu’il ait abjuré ses torts. Je ne conçois pas M. de Cotyto, lui qui est sensé et raisonnable, comment peut-il souffrir que sa femme le ruine et le déshonore ? Je serais presque tentée de me repentir d’avoir empêché M. de Fionie de le prévenir. En vérité, les femmes de ce caractère sont des monstres qu’il faudrait séquestrer de la Société. Quels maux n’a-t-elle pas déjà occasionnés ! M. d’Hersilie a pensé en être la victime, le Marquis de Lubeck est perdu sans ressource, et peut-être le Chevalier aura-t-il le même sort. Cette réflexion est accablante4848. La lettre mêle (…) . Adieu, mon aimable Amie, servez-vous de votre raison, et aimez-moi autant que je vous aime.

LETTRE LXIII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Nous avons changé de résolution, ma chère Amie ; votre Oncle est si ennuyeux, que j’ai pris le parti d’arriver en droiture4949. En droiture : d (…) à Paris, et puis nous étions en si grand nombre, que cela l’eût effrayé. Comme je ne sortirai pas d’aujourd’hui, je veux employer une partie de ma journée à causer avec vous. J’ai bien des conseils à vous demander. J’espère que M. de Cotyto ne reviendra pas cet hiver, et que j’aurai le temps de réparer mes pertes, qui sont considérables. Je dois cinquante mille écus, et j’ai vendu tous mes diamants. Il fallait bien quitter Plombières, et mon hôte était intraitable ; sans le Marquis de Lubeck qui a répondu pour moi, je serais, je crois, restée pour gage5050. Restée pour gag (…)  ; mais heureusement que je suis de retour. J’espère que le jeu me sera plus favorable à Paris : je n’ai absolument que ce moyen pour me tirer d’affaire ; car vous saurez que j’ai engagé jusqu’à ma pension. Je ne veux pas diminuer mes dépenses, ce serait annoncer que je suis ruinée. Si ma Mère n’était pas si ridicule, je pourrais bien m’adresser à elle ; mais je ne gagnerais que des sermons, et une invitation d’aller en Berry, jugez comme cela serait agréable. Je ne veux pas trop m’appesantir sur ces noires idées ; car cela me rendrait triste, et j’ai besoin de toute ma gaîté pour demain. Je vais au bal chez l’Ambassadeur, j’espère y faire sensation ; je serai parée délicieusement. Adieu, ma chère Amie, réellement j’ai du chagrin.

LETTRE LXIV.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

Du Château d’Hersilie.

Nous sommes tous arrivés en parfaite santé, et d’une gaîté charmante ; mon Mari a caressé beaucoup ses enfants. Ils ne voulaient pas absolument le reconnaître surtout Fanfan qui disait que son Papa était plus beau que ce Monsieur. Le Gouverneur que j’avais prévenu, nous avait préparé une petite fête charmante ; elle m’a paru délicieuse, parce que M. d’Hersilie s’y est amusé. Les embellissements que j’ai faits paraissent fort de son goût, et l’on continue les travaux. Vous ne reconnaîtrez pas mon Mari. Dès le matin il sort avec le Gouverneur, et tous deux, la toise5151. Toise : ancienn (…) à la main, ils tracent des plans, reviennent les corriger sur le papier, et me demandent mon avis, qui passe toujours sans contradiction. Ce changement me fait espérer qu’il pourra s’en opérer un semblable pour notre Amie5252. Notre amie : Ma (…)  : qui mérite plus qu’elle d’être heureuse ? J’emploie tout mon savoir pour lui faire oublier ses chagrins ; elle est si bonne Amie, que le spectacle de ma félicité5353. Ma félicité : m (…) fait disparaître le sentiment de ses peines. Quand viendrez-vous donc partager mon bonheur ? ce ne sera jamais assez tôt au gré de mes désirs.

LETTRE LXV.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Il faut, ma chère Amie, que je vous fasse rire. Depuis huit jours je n’ai pas arrêté chez moi, et en rentrant je trouvai sur ma liste la Comtesse de Fionie. Je m’étais levée d’assez bonne heure aujourd’hui pour lui rendre enfin sa visite ; mais à peine était-il jour, qu’on m’annonça la Comtesse. Je m’excusai du mieux que je pus de n’avoir pas été chez elle, et je jetai ma faute sur les embarras du retour. Vous ne deviez pas, Madame, reprit-elle froidement, attendre de moi les premières démarches, après la scène indécente qui nous a séparées, mais j’ai encore assez bonne opinion de vous, pour croire que vous voudrez bien ne pas rejeter la prière que je viens vous faire. Le Chevalier de Zéthur est attaché à votre char ; assez d’autres, sans lui, font gloire de porter vos chaînes pour que vous mettiez un grand prix à son hommage ; rendez-moi le service, Madame, de le consigner à votre porte5454. De le consigner (…) , ou vous serez cause de sa perte. Sa famille, extrêmement mécontente, est prête à prendre un parti violent. Elle met pour condition du pardon, qu’il renonce à votre société. Je suis désespérée que vous m’ayez forcée à faire une démarche qui doit vous déplaire, mais qui aurait des suites funestes si vous n’acquiesciez pas à ma demande ; elle se tut, et je lui répondis qu’elle était bien bonne de se mêler de mes affaires, que je ne croyais pas l’en avoir priée. M. de Zéthur est le maître de ses actions, Madame, vous permettrez que je ne suive pas votre exemple. Je ne m’ingère pas5555. Je ne m’ingère (…) de donner des conseils à qui que ce soit. Il faut des raisons d’un grand poids pour consigner quelqu’un à sa porte ; je n’en ai aucune de me plaindre du Chevalier, ainsi trouvez bon que j’attende tranquillement l’événement dont vous me menacez. Elle m’a quittée sans me répondre : avez-vous jamais vu une folie semblable ? En vérité, ces Prudes de profession5656. Ces Prudes de p (…) sont des êtres bien maussades, on devrait les chasser de toutes les sociétés ; elles sont le tourment des jeunes femmes. La Comtesse m’a donné beaucoup d’humeur, mais elle peut être sûre que je m’en vengerai ; et ne fût-ce que pour la narguer, je ne ferai pas une partie que le Chevalier n’en soit. Adieu, ma chère Amie, je vous embrasse.

LETTRE LXVI.

La Comtesse de Fionie à Madame de Singa.

De Paris.

Que je suis satisfaite, mon aimable Amie, de votre séjour à Hersilie ; vous n’auriez jamais pu supporter le nouveau chagrin qui vient de m’arriver. Depuis le retour du Chevalier5757. Du Chevalier : (…) , j’avais tenté vainement de le voir ; il me fuyait, épiait l’instant où j’étais sortie pour venir se faire écrire, et je ne le rencontrais dans aucun endroit ; enfin jugeant trop bien la Baronne, je me déterminai à faire une démarche auprès d’elle, qui a été infructueuse. M. de Fionie est parti pour Saint-Maur, où le Chevalier était depuis huit jours, il a fait de vifs reproches à son Neveu, et a exigé qu’il renonçât à Madame de Cotyto, et lui a déclaré que c’était le seul moyen de faire revenir son Père de la colère où sa conduite l’avait mis ; qu’il ne lui dissimulait pas que le Marquis de Zéthur était en route dans le dessein5858. Dans le dessein (…) de se convaincre lui-même de son désordre, et qu’il avait projeté de recourir à l’autorité pour y mettre fin. Le Chevalier a reçu fort mal les remontrances de son oncle qui l’a quitté furieux, et a écrit sur le champ à son Beau-frère pour l’engager à se joindre à lui, afin d’obtenir un ordre contre son fils qui le déshonorait. À la réception de la Lettre de M. de Fionie, le Marquis de Zéthur est parti ; il est passé par Plombières, où il a appris que le Chevalier avait emprunté 80 000 liv. et répondu de 60 000 liv.5959. La livre a été (…) pour Madame de Cotyto. Il est arrivé à Fionie dans une colère extrême ; il voulait faire enfermer son fils. D’après mes pressantes sollicitations, il s’est cependant borné à lui faire rejoindre son Régiment. Il en a facilement obtenu l’ordre ; mais comme le Chevalier ne quitte Saint-Maur que pour venir au Spectacle6060. Venir au Specta (…) , on lui a envoyé cet ordre chez la Baronne, qui, à ce qu’on dit, est furieuse ; elle a juré de se venger. Je ne sais pas ce qu’elle veut entreprendre ; ce qu’il y a de certain, c’est que tout retombera sur elle. Le Chevalier est parti ce matin ; son père et M. de Fionie ont refusé de le voir. Il a écrit une Lettre de soumission à M. de Zéthur, qui n’a pas daigné la lire. J’espère beaucoup, puisqu’on a pu parvenir à le séparer de cette dangereuse femme. Quand il va être livré à ses réflexions, il reconnaîtra sûrement ses torts. J’aurais bien du plaisir à vous le présenter digne de vous. Adieu, mon Amie, que ce nouveau chagrin ne prenne pas sur votre santé. Vous savez que vous avez des Amies à qui vous êtes chère, et pour lesquelles vous devez vous conserver.

LETTRE LXVII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Saint-Maur.

N’avais-je pas raison de dire que les Prudes étaient des vipères ? Ce pauvre Chevalier de Zéthur est leur victime ; jamais je n’ai eu autant d’humeur6161. Jamais je n’ai (…) . C’est une chose horrible ! Croiriez-vous qu’on a poussé la méchanceté jusqu’à lui envoyer chez moi l’ordre de rejoindre son Régiment. En vérité, mon Amie, on éprouve bien des contrariétés dans ce monde. Je n’aime point M. de Zéthur, mais je suis désespérée de le voir partir. Savez-vous bien que je n’ai presque plus de cour6262. Le Marquis d’He (…)  ; il ne me reste, pour ainsi dire, que le Marquis de Lubeck. Ces femmes sensées sont bien impatientantes6363. Impatientantes  (…)  ; c’est pourtant cette Madame d’Hersilie et son ennuyeuse Amie6464. Son ennuyeuse A (…) qui sont cause que trois hommes de ma société se sont éclipsés en un moment. Peut-être bien la petite Madame de Singa est-elle du complot. Si je l’apprends, je mettrai tout en œuvre pour me venger. Revenez donc bien vite, j’ai mille projets d’amusements pour cet hiver. Adieu, ma chère Amie, la fortune ne me traite pas mieux que vous ; j’ai perdu hier vingt mille écus.

LETTRE LXVIII.

Le Chevalier de Zéthur à la Comtesse de Fionie.

De Besançon.

Madame la Comtesse, permettez que je m’adresse à vous pour demander raison de la cruauté qu’on exerce contre moi. Si le respect que je dois à mon Père ne m’eût pas retenu, j’aurais à l’instant donné ma démission et quitté mon Régiment. Sans doute mon Oncle, implacable dans sa haine, est l’auteur de cette tyrannie. Suis-je donc un esclave ? et de quel droit prétend-on attenter à ma liberté ? Si je n’écoutais que mon indignation… je m’arrête, je chéris tendrement celui qui exerce ce barbare empire. Ah ! j’étais assez accablé de chagrin, sans qu’on vînt encore mettre le comble à mes maux. Si mon père eût voulu me voir… j’aurais pu… mais non, M. de Fionie l’avait trop prévenu… Serez-vous aussi cruelle que mes persécuteurs ? m’avez-vous aussi retiré l’amitié et la tendresse dont vous m’avez comblé depuis mon enfance ? et ne dois-je plus compter sur aucun de mes Amis ? Puis-je vous demander, Madame, des nouvelles de…6565. De... : de Mada (…) je n’ose prononcer son nom, je l’ai si grièvement offensée, elle seule a le droit de se plaindre. Ne croyez pas que le désespoir d’être séparé de Madame de Cotyto me cause les remords que j’éprouve ; trop longtemps j’ai été dans l’aveuglement, trop longtemps j’ai été séduit par des apparences trompeuses ; j’ai cru trouver le bonheur, et je n’ai marché que d’erreur en erreur ; je suis donc destiné à vivre malheureux ! à peine commencé-je ma carrière, et les chagrins les plus cuisants m’assaillent ! Adieu, ma Tante, dites-moi que je puis encore compter sur vos bontés, et mes maux seront soulagés.

LETTRE LXIX.

La Comtesse de Fionie au Chevalier de Zéthur.

De Paris.

Vous voulez, mon Ami, que je vous rende raison6666. Que je vous ren (…) de ce que vous appelez une tyrannie. C’est vous, mon cher Chevalier, que j’interrogerai avant de vous répondre. Expliquez-moi votre conduite, et si vous parvenez à me convaincre que vous avez eu raison de fouler aux pieds les serments les plus sacrés6767. Les serments le (…)  ; je conviendrai qu’on a eu tort d’avoir recours à l’autorité pour vous arracher à des liens qui vous déshonoraient. Oui, mon amitié pour vous est toujours la même. Je gémis sur votre sort ; je voudrais qu’il me fût possible de le changer : vous seriez bientôt au comble de vos vœux ; vous savez avec quelle tendresse je vous ai toujours chéri ; je faisais ma félicité de la vôtre ; ne vous en prenez qu’à vous, mon Ami, vous seul avez accumulé les maux qui vous accablent ; vous touchiez au moment d’être heureux, et vous avez rompu des liens respectables pour suivre les caprices d’une femme qui vous a perdu. Ce ne sont point des reproches que je vous fais, il me suffit que vous soyez malheureux pour que je craigne de vous affliger encore davantage.

Vous avez tort de croire que votre Oncle n’ait pour vous que de la haine ; la démarche qu’il a faite à Saint-Maur devrait vous convaincre de votre injustice ; il vous aime, je puis vous en assurer ; et quand la raison aura repris dans votre esprit tout son empire6868. Tout son empire (…) , vous approuverez le premier la sévérité dont on a usé avec vous, puisqu’il n’y avait que ce moyen de vous séparer de la Baronne. Vous avez raison, mon Ami, de craindre de prononcer le nom de Madame de Singa, vous ignorez encore tout le mérite de cette charmante femme. Quelle vertu, quelle confiance et quelle douceur ! Ah ! Chevalier, vous êtes bien coupable ! Elle n’est plus avec moi ; Madame d’Hersilie l’a engagée à l’accompagner en Bourbonnais6969. Bourbonnais : a (…) , et moi-même je lui ai conseillé ce voyage. Je crois que vous ferez bien de renoncer à l’espoir de la posséder ; vous lui avez causé trop de chagrins pour qu’elle veuille courir les risques d’en éprouver de nouveaux.

Adieu, Chevalier, calmez un peu votre esprit et comptez éternellement sur mon amitié.

LETTRE LXX.

Le Chevalier de Zéthur à la Comtesse de Fionie.

De Besançon.

Quel barbare conseil vous me donnez ; ah ! ma Tante, jamais je ne renoncerai à Madame de Singa. Sachez-donc tous les tourments que j’éprouve. Dans le temps où je paraissais la fuir, où j’avais l’air d’abjurer les sentiments qu’elle m’avait inspirés, je l’adorais de toute la force de mon âme ; un génie malfaisant m’a entraîné dans ma ruine ; j’abhorrais7070. J’abhorrais : j (…) le joug sous lequel j’étais, et je n’avais pas la force de le secouer. Ne fût-ce que par pitié, essayez encore de lui parler en ma faveur ; elle ne croira peut-être pas à mon repentir7171. Repentir : regr (…) , assurez-la qu’il est sincère. Ah ! ma Tante, si jamais je vous fus cher, ne me désespérez pas par un refus. Si Madame de Singa est inflexible, je n’attendrai pas que la douleur vienne m’arracher une vie que je ne chéris plus que pour elle ; j’irai expirer de désespoir à ses pieds ; je lui ferai lire dans mon cœur les remords qui le déchirent ; elle est sensible, elle plaindra mon sort ; et les larmes dont elle arrosera ma cendre7272. Ma cendre : ma (…) seront mon pardon. Répondez-moi sur le champ ; mais non écrivez plutôt auparavant à Madame de Singa ; si elle prononce mon arrêt de mort, ayez le courage de me l’annoncer ; je voudrais que vous eussiez déjà ma Lettre ; je tremble de lire la vôtre ; je suis au désespoir.

LETTRE LXXI.

La Comtesse de Fionie au Chevalier de Zéthur.

De Paris.

Je ne puis, mon cher Chevalier, malgré l’envie que j’aurais de vous obliger, intercéder pour vous auprès7373. Intercéder pour (…) de Madame de Singa. Pardonnez mes soupçons ; mais si votre repentir n’était que l’effet de l’absence, quels remords n’aurais-je pas d’avoir deux fois engagé mon Amie à répondre à vos vœux, et d’avoir mis deux fois le comble à ses maux. Écrivez au Marquis d’Hersilie, priez-le d’engager sa femme à prendre vos intérêts. Je sais combien Madame de Singa a d’amitié pour elle, mais moi je pourrais être soupçonnée d’avoir trop précipitamment cru à votre repentir. On n’ignore pas combien vous m’êtes cher, et combien j’ai désiré de voir votre sort uni au sien ; ma demande serait suspecte.

Je viens d’écrire au Marquis de Zéthur ; votre Oncle s’est joint à moi pour lui faire révoquer l’ordre qu’il vous a donné de rester à Besançon ; si il ne se rend pas à nos prières, je vous en conjure, mon Ami, montrez une grande soumission à ses volontés, prouvez-nous enfin que vous êtes changé, ce sera le seul moyen de faire revenir vos Amis sur votre compte. Soyez convaincu, mon cher Chevalier, que je donnerais tout au monde pour persuader Madame de Singa de votre conversion7474. Conversion : ch (…)  ; c’est à vous à bien consulter votre cœur avant que de faire aucune démarche. Adieu, mon Ami, le jour où je vous verrai heureux, sera le plus beau jour de ma vie.

LETTRE LXXII.

Le Chevalier de Zéthur au Marquis d’Hersilie.

De Besançon.

Comment oser, mon Ami, m’adresser à vous, après les torts dont je me suis couvert à vos yeux. Que vous êtes heureux, mon cher Marquis ! Madame d’Hersilie vous a rendu toute sa tendresse. Vous puisez dans le sein de l’amitié des consolations qui vous font oublier vos chagrins, et ne vous font jouir que du bonheur ; et moi, mes inconséquences7575. Mes inconséquen (…) me l’ont ravi pour toujours. J’ai osé écrire à ma Tante, elle seule a pris part à ma douleur. Je la priais de plaider ma cause auprès de Madame de Singa ; elle vient de m’apprendre qu’elle est restée chez vous depuis son départ de Plombières. Ah ! sans doute, c’est moi qu’elle fuit, et je ne puis m’en plaindre, je n’ai que trop mérité sa haine ; mais combien elle m’accable ! Je suis repentant de mes fautes, qu’elle me rende son estime, et je serai content. Hélas ! je ne l’espère pas, je l’ai trop offensée. Vous ignorez, mon Ami, qu’elle a su, par moi-même que je renonçais, à elle, que je détestais mes serments, que je lui rendais sa parole ; et retirais la mienne. Madame de Cotyto est cause de tous les maux qui m’accablent ; elle ne me laissait pas la liberté de réfléchir un moment ; mais depuis que mes extravagances ont forcé ma famille à me faire rejoindre mon Régiment, en proie aux chagrins les plus cuisants, je hais Madame de Cotyto, je me hais moi-même ; cruel voyage7676. Le Chevalier de (…)  ! J’allais être au comble du bonheur, lorsque la Baronne est arrivée à Fionie ; elle a fait jouer tous les ressorts de la coquetterie pour m’enlacer dans ses liens, et moi, faible et coupable avec l’être le plus estimable, j’ai écouté cette dangereuse sirène ; j’ai bravé ma famille, foulé aux pieds7777. Foulé aux pieds (…) les sentiments les plus tendres, j’ai déchiré un cœur vertueux pour aller, en lâche complaisant, m’immoler aux caprices d’une femme7878. M’immoler aux c (…) qui rapporte tout à elle, qui ne sait point aimer, et qui se fait un jeu d’affliger un cœur sensible. Ah ! sans doute, j’ai mérité la haine et le mépris de mes Amis. Ce n’est pas ma fortune que je regrette, mais c’est Madame de Singa, et je ne vois que trop hélas ! qu’il faut renoncer à l’espoir de la posséder. Adieu, mon cher Marquis, plaignez votre Ami, ce sera une consolation pour lui.

LETTRE LXXIII.

Le Marquis d’Hersilie au Chevalier de Zéthur.

Au Château de Fionie.

Pouviez-vous douter un moment, mon Ami, que je ne partageasse vos maux. Je n’ai que trop éprouvé, par moi-même, jusqu’à quel point l’amour nous aveugle. Vous avez été témoin des extravagances que j’ai faites pour cette même Baronne ; en vérité, je n’y pense pas sans frémir d’horreur. Il a fallu un événement aussi affreux, et une conduite aussi infâme, après m’avoir fait exposer ma vie par un caprice, pour me dessiller les yeux7979. Pour me dessill (…) . J’abandonnais mon Épouse, mes Enfants, tout ce que j’ai de plus cher, pour me mettre au rang des vils soupirants qu’une Coquette dédaigne, et qui sont en effet plus méprisables qu’elle. Madame d’Hersilie se joindra à moi avec la plus grande satisfaction, pour engager son Amie8080. Son Amie : Mada (…) à vous pardonner ; elle emploiera, soyez-en sûr, tous les droits que lui donne leur amitié réciproque. Mais, mon Ami, votre repentir est-il bien sincère ? permettez-moi de vous faire cette question ; un feu mal éteint est souvent plus dangereux. Si vous ne devez votre guérison qu’à l’éloignement et à la perte de votre fortune ; si vous n’êtes pas convaincu de la fausseté des sentiments que la Baronne affectait d’avoir pour vous, de la noirceur de son âme, vous ne pouvez pas répondre de vous. Combien il serait cruel, si après avoir regagné l’estime et l’amitié d’une femme vertueuse, ranimé la tendresse que vous lui aviez d’abord inspirée, vous la forciez encore une fois à rougir de son indulgence, ne seriez-vous pas, aux yeux des gens honnêtes, l’homme le plus coupable ? C’est vous qui avez troublé sa tranquillité, elle était heureuse, elle faisait le bonheur de tous ceux qui la connaissaient, et vous avez empoisonné ses plus beaux jours. Qu’il faut des choses, mon Ami, pour réparer tant de maux ! Dans le temps de votre désordre, elle répétait souvent : Qu’il vienne, qu’il reconnaisse ses torts, et je lui pardonne ! Ce n’est que par une continuité de bonne conduite que vous pouvez faire renaître la confiance que vous méritiez avant vos égarements. Consultez bien votre cœur, mon Ami, et si votre repentir est aussi sincère, que j’ai de plaisir à le croire, nous mettrons tout en œuvre pour assurer votre tranquillité.

LETTRE LXXIV.

Madame de Singa à la Comtesse de Fionie.

Du Château d’Hersilie.

Partagez ma joie, mon Amie, le Chevalier de Zéthur a écrit à M. d’Hersilie ; il reconnaît sa faute, il assure qu’il m’aime. Ah ! que je suis heureuse ! Madame d’Hersilie est bien cruelle, elle n’a jamais voulu que je lui écrivisse. Il faut, dit-elle, l’éprouver auparavant8181. L’éprouver : le (…) . Pourquoi ces détours ? Mon cœur n’est-il pas à lui ? Ne lui ai-je pas assuré que lui seul le possédait ? Ses craintes sont mal fondées ; c’est une offense. Il connaît trop bien ce cœur qu’il réclame et qu’il a toujours possédé, malgré son éloignement pour douter un moment de ma tendresse. Avec quel plaisir je l’en assurerai. Ah ! mon Amie, je crois encore au bonheur. Vous savez que je n’ai pas besoin des liens du sang8282. Madame de Singa (…) pour vous chérir. Je ne puis vous aimer davantage ; mais combien nous serons heureux ! Vous aviez bien raison de dire qu’aussitôt qu’il ne verrait plus la Baronne, il reviendrait à ses Amis. Il craint d’avoir perdu mon estime. Dites-lui que jamais mes sentiments n’ont varié ; engagez le Marquis de Zéthur à pardonner à son fils8383. Sans le pardon (…) . Je suis la plus offensée et j’oublie tout. Oui, mon Amie, je regarde comme un avantage l’erreur du Chevalier, il est corrigé pour sa vie. M. de Saint-Albert, qui est un homme très raisonnable, me disait encore hier que, si j’étais sa fille, il consentirait avec plus de plaisir à mon mariage actuellement, qu’il ne l’eût fait il y a un an. Je voudrais que vous fussiez ici ; je suis bien sûre que j’obtiendrais de M. de Fionie de laisser revenir son neveu. Ma chère Amie, je suis bien folle ; mais pardonnez-moi, vous savez que je n’ai jamais aimé que M. de Zéthur ; lui seul m’a fait éprouver les peines et les plaisirs de l’Amour, et lui seul possédera mon cœur éternellement.

LETTRE LXXV.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Plaignez-moi, ma chère Amie, je suis l’être le plus malheureux qui existe, je n’ai plus de ressources que dans la fuite et le désespoir ; je suis perdue pour jamais. C’est à Madame de Menippe que je dois ma ruine entière. Voyez à quel point elle a poussé la vengeance. C’est elle qui avait engagé le Financier à venir à la fête8484. Voir seconde pa (…) . La brèche qu’il avait faite à ma fortune me mettant dans l’impossibilité de payer ce que je devais, je voulus tenter de réparer mes pertes, et je fis sommer8585. Sommer : demand (…) le vieux Mondor8686. Le vieux Mondor (…) de la parole qu’il m’avait donnée8787. Référence à la (…) . J’invitai Madame de Menippe qui, oubliant sa rancune me fit proposer de venir chez elle un jour qu’elle tenait assemblée. Je jouai en étourdie ou plutôt comme une désespérée, et en moins de quatre heures j’ai perdu cent mille francs au-delà de ma fortune8888. Le franc est un (…) . Toute ma famille m’abandonne ; mon oncle ne veut plus entendre parler de moi ; que vais-je devenir ! Méritais-je un sort aussi déplorable ? Mon oncle qui, jusqu’à présent, paraissait avoir, de l’amitié pour moi, loin de m’aider, me déshérite8989. La sévérité de (…) . Tout cela n’est rien en comparaison de l’infamie de mes Amis ; ils me fuient depuis que j’ai perdu ma fortune. Le Chevalier de Lusak, auteur de tous mes malheurs, semble ne m’avoir jamais connue, ainsi que mille autres qui se croyaient trop heureux d’obtenir un regard. C’en est fait, mon parti est pris ; je pars, je vais en Angleterre cacher ma honte, et me soustraire à la poursuite de mes créanciers. Je profiterai de la nuit pour échapper ; mais que vais-je devenir ? Ah ! ma chère Amie, ne suis-je pas bien malheureuse ? il faut que je vous dise un éternel adieu. Quand tout le monde m’abandonne, puis-je espérer que vous vous intéresserez à moi. Non, j’ai tout perdu, il ne me reste que le parti de la fuite, puisque la fortune m’est contraire9090. La Vicomtesse d (…) . Je souhaite qu’elle vous traite mieux. Adieu pour jamais.

LETTRE LXXVI.

Le Chevalier de Zéthur au Marquis d’Hersilie.

De Besançon.

Oui mon Ami, mon repentir est sincère. Que ne pouvez-vous lire au fond de mon cœur ! vous ne balanceriez pas un instant à remplir votre promesse. Je hasarde d’écrire à Madame de Singa : son cœur est sensible, elle aura pitié des maux que j’endure ; elle voudra bien oublier que je me les suis attirés ; et vous, mon Ami, vous engagerez Madame d’Hersilie à se joindre à moi pour obtenir mon pardon. Ah ! je vous devrai le bonheur de ma vie ; elle sera employée à réparer mes torts, et à mériter votre respectable Amie. Mon Père qui doute, comme vous, que le bandeau qui me couvrait les yeux soit dissipé, vient de m’ordonner de rester à mon Régiment, il craint sans doute mon retour à Paris. Je lui obéirai, mais hélas ! qu’il en coûte à mon cœur. Je brûle du désir d’aller me jeter aux pieds de Madame de Singa, de lui montrer tout mon repentir, et d’y expirer si elle est inflexible. Tâchez, mon Ami, d’obtenir de mon Oncle qu’il engage mon Père à me laisser aller à Hersilie. Je vous donne ma parole que je ne m’arrêterai à Paris que le temps d’embrasser Madame de Fionie. Croyez votre Ami, il est incapable de vous tromper : une passion folle a pu m’égarer, mais mon cœur a toujours appartenu à Madame de Singa ; elle m’inspirait un respect tendre et passionné, tandis que la Baronne ne faisait qu’amuser mon esprit9191. Des sentiments (…) . Combien elle me coûte de regrets ! Si le sort propice à mes vœux, permet que j’aie des enfants, je veux que mon exemple les garantisse de la séduction des Coquettes ; je leur en ferai sans cesse le tableau : ce sont les êtres les plus dangereux9292. Le Chevalier de (…) . Ne pensez-vous pas comme moi ? Enfin, mon Ami, ni vous, ni moi, ne sommes joueurs, et nous ne faisions que ce métier. Entrait-il dans nos goûts de parcourir vingt endroits en un jour ? Non, et pourtant il ne se passait pas une heure que nous ne fussions en course, ou pour elle ou avec elle. Je l’ai connue trop tard ; mais ne croyez pas que ce soit l’ordre que mon Père a obtenu qui m’a fait juger Madame de Cotyto. Il y avait plus d’un mois que je cherchais des moyens de rompre avec ménagement, par égard pour moi-même : en voici la raison. Elle était à faire des folies avec le Marquis de Lubeck ; elle voulut fuir, un papier tomba de sa poche ; mon premier mouvement fut de le lui rendre ; mais la jalousie vint me souffler à l’oreille qu’il était d’un Amant préféré. Je courus vite m’enfermer pour le lire : c’était une lettre de Madame de Thor9393. [Note de l’édit (…)  ; jugez de mon indignation, quand je vis que sa correspondance avec cette abominable Coquette n’était qu’un tissu d’horreurs et de conseils pernicieux. J’eus honte de moi-même pour la première fois. Madame de Singa se représenta à mon cœur, je la comparai à l’être à qui je l’avais sacrifiée. Je ne regrettais pas les sommes énormes qu’elle m’a coûtées, mais bien la perte irréparable d’une femme digne de l’adoration de tous les mortels. Quand on m’apporta l’ordre du Ministre, si mon Père avait consenti à me voir et à m’écouter, il aurait vu mon repentir, mes remords, et mon malheur n’aura point été consommé. Le souvenir de Madame de Cotyto ne m’a point suivi, mais bien les regrets de l’avoir connue. Adieu, mon Ami, que vos craintes cessent ; que Madame d’Hersilie plaide ma cause, et obtienne mon pardon, il pourra renaître encore pour moi un beau jour.

LETTRE LXXVII.

Le Chevalier de Zéthur à Madame de Singa.

De Besançon.

Puis-je espérer, Madame, que vous pardonnerez à un homme qui s’est rendu aussi coupable ? Je n’ai point d’excuses à vous donner. J’ai tout sacrifié, l’amitié, la reconnaissance, l’honneur, l’amour même pour l’objet le plus méprisable. Aveuglé par une passion infâme, je me suis laissé entraîner9494. Le Chevalier se (…) dans un abîme affreux, il ne me reste que la honte et le désespoir d’avoir perdu, peut-être pour toujours, celle qui devait faire le bonheur de ma vie. Croirez-vous à mes serments, lorsque je n’ai pas craint d’y renoncer publiquement, que j’ai violé la foi que je vous avais jurée ? Non, je ne dois plus compter sur vos bontés, votre clémence ne peut égaler l’énormité de mes fautes. Ah ! plaignez un malheureux, qui, oubliant combien il est criminel, ose encore vous supplier de l’écouter. Sans l’artifice dont la Baronne de Cotyto s’est servie pour me séduire, je jouirais maintenant du bonheur de vous posséder ; je ne serais pas déchiré par les remords les plus cuisants, et je n’aurais pas enfoncé le poignard dans le cœur d’un Père tendre, qui gémit sur mon inconduite. Vous-même, mais non, vous ne pouvez regretter le plus ingrat des hommes, celui qui fut assez perverti pour demeurer insensible aux larmes qu’il vous fit répandre. Un espoir flatteur vient quelquefois me séduire, les temps fortunés que je passai auprès de vous viennent s’offrir à mon imagination, mais bientôt le triste souvenir de mes fautes fait disparaître mon illusion : il me semble entendre cet arrêt dur et sévère, mais trop justement mérité : Renoncez à moi pour toujours. Je ne puis vous promettre de le recevoir sans mourir, mais je n’en murmurerai point. Si un long repentir peut mériter votre indulgence, ne craignez pas de me rebuter. Oui, je jure par vos vertus, par mon Père, que je chéris, et par les sentiments que vous m’avez inspirés dès l’enfance, sentiments que j’ai méconnus, il est vrai, dans un moment d’ivresse et de folie, mais qui sont toujours restés dans mon cœur, que ma bouche ne fera jamais d’autre serment que celui de vous appartenir pour toujours. Vous tenez mon sort entre vos mains ; en vous perdant, je n’ai plus rien au monde, pour qui pourrais-je vivre ?

LETTRE LXXVIII.

Madame de Singa au Chevalier de Zéthur.

Du Château d’Hersilie.

Pouviez-vous douter un moment de votre pardon ? il ne tient pas à moi de vous le refuser ; c’est mon cœur qui le dicte ; mais puis-je espérer que ce retour est sincère ? Vous m’aviez si souvent répété ces serments, j’avais tant de plaisir à vous croire incapable de les trahir. Pardonnez-moi, mon Ami, si je vous offense, en paraissant douter de la sincérité de votre repentir ; c’est la dernière fois que je vous en parle. Je ne veux plus, désormais, m’occuper que de l’avenir qui me promet des jours doux et sereins. Effaçons jusqu’aux traces des chagrins que nous avons essuyés ; le souvenir de vos fautes vous rendrait malheureux, et pourriez-vous éprouver aucuns tourments que mon cœur ne les partageât ? Dans peu, je serai à vous pour toujours. Je chéris d’avance les liens qui doivent nous unir. Votre fortune est un peu dérangée ; mais n’en ai-je pas assez pour tous deux ? Ce ne sont pas les grands biens qui font le charme de la vie, les vraies richesses sont dans nos cœurs ; la sagesse, l’amitié, la douceur, une âme pure, et une conscience sans reproches, sont des dons plus précieux que tous les trésors de la terre. À l’exemple de nos Amis, nous deviendrons cultivateurs. Si vous voyiez comme ils jouissent, depuis que M. d’Hersilie a recouvré sa raison, c’est d’eux qu’il faut prendre des leçons ; ils vous attendent avec impatience ; venez bien vite rendre le bonheur à votre Amie.

LETTRE LXXIX.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Le Ciel est juste, mon Amie, tout le monde a la récompense qui lui était due : Madame de Cotyto vient d’éprouver le sort qu’une conduite aussi épouvantable que la sienne méritait ; il lui est arrivé une aventure cruelle, et qui est devenue funeste à son Mari. Pour elle, personne ne la plaint, et l’on s’accorde à dire que si M. de Cotyto eût pris ce parti, il y a deux ans, il se serait évité bien des chagrins. Voici le fait : la Baronne, depuis la ruine de la Vicomtesse de Thor, avait abandonné le jeu ; mais comme elle n’aime pas les privations, elle a voulu qu’un plaisir succédât à un autre : tous les jours elle donnait des soupers brillants où l’on tirait des loteries9595. Loterie : jeu d (…) de différents petits riens qui coûtaient fort cher aux personnes qui désiraient lui faire la cour ; ces loteries ont fait du bruit, on a prévenu la Baronne d’y faire attention ; à son ordinaire elle s’en est moquée. L’on a écrit à M. de Cotyto de venir mettre ordre à la conduite de sa femme et sans prévenir personne, il est arrivé un jour de fête. Le Suisse9696. Le mot Suisse d (…) , qui était nouveau, et qui par conséquent ne connaissait pas son Maître ne voulut jamais le laisser entrer. M. de Cotyto insista, le Suisse fort et robuste, et prenant le pauvre Baron pour un importun, se mit en devoir de le faire sortir à coups d’étrivières. Le Marquis de Lubeck, qui était le maître de la maison, entendant un bruit extraordinaire parut pour l’apaiser ; il vit un homme qui injuriait et battait sans distinction ; il voulut lui en imposer par un ton de maître. Le Baron outré de colère, a mis l’épée à la main contre le marquis, en l’apostrophant en personne ; ils se sont battus dans la cour de l’Hôtel ; en moins de cinq minutes le Marquis de Lubeck a été tué, et le Baron blessé dangereusement. La famille lui a représenté que c’était autoriser la conduite de sa Femme que de ne pas la séquestrer de la société. Ils ont obtenu une lettre de cachet, et elle vient d’être mise dans un Couvent de force. À vingt-trois ans, quel sort ! Elle s’est bien attiré le mépris général. La Coquetterie est une chose bien punissable, elle cause des maux qui sont d’autant plus grands qu’on ne peut les prévenir ; celles qui sont atteintes de ce vice si dangereux pour la société, croient, ou feignent de croire qu’on est injuste de les accuser, qu’il ne peut résulter aucun inconvénient des manèges qu’elles emploient pour captiver les hommes, qu’elles méritent les adorations des mortels ; elles ne voient pas qu’elles n’inspirent, par une conduite aussi reprochable, que le mépris le plus profond9797. La Comtesse con (…) .

Conservez toujours votre aimable candeur, mon Amie ; vos plaisirs sont moins bruyants, mais ils ne sont suivis d’aucuns remords. Je me flatte d’aller bientôt partager votre bonheur.

LETTRE LXXX.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Je viens de recevoir, mon Amie, une Lettre du Marquis de Zéthur, qui me comble de joie : mon Beau-frère me mande qu’il arrive, et que je n’ai qu’à me préparer pour partir sur le champ ; qu’il ne veut pas attendre longtemps à Paris, et retarder le plaisir qu’il aura d’embrasser son aimable Fille. Il a tout pardonné au Chevalier, qui doit son bonheur à son retour à la vertu. Il est ici depuis hier. Je suis, comblée de son empressement. J’ai tant d’occupations, mon Amie, et pour les commissions du Père, et pour celles du Fils, et pour les préparatifs de mon départ, qu’il me reste à peine le temps de vous prévenir que j’aurai bientôt le plaisir de vous embrasser, et de vous dire de vive voix que je vous aime de toute mon âme, et que c’est pour la vie.

Fin de la Seconde et dernière Partie.

APPROBATION DU CENSEUR ROYAL.

J’ai lu, par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, un manuscrit intitulé : Les Dangers de la Coquetterie, et je n’ai rien trouvé, dans ce Roman moral qui ne doive en faire désirer l’Impression et goûter la Lecture. À Paris, ce 28 Juillet 17879898. Le roman a été (…) .

ARTAUD.

1.

Que mes réflexions sont déplacées : que je me trompe. Le Chevalier de Zéthur doute de la sagesse du Chevalier d’Ernest et le soupçonne d’avoir été séduit par la Baronne.

2.

Le Chevalier d’Ernest a donné le motif de son voyage à M. de Saint-Albert dans la lettre XXXVI : il espère empêcher le Marquis d’Hersilie de s’égarer davantage.

3.

Nous les prenons : nous prenons les eaux, nous suivons une cure thermale.

4.

La Baronne de Cotyto, qui suit les dernières modes de Paris, est pleine de condescendance pour les femmes d’une petite ville de Province.

5.

Nos Aimables : manière affectueuse et moqueuse de désigner les hommes qui lui font la cour.

6.

Ces paroles du général romain sont rapportées dans La Vie de César de Plutarque.

7.

Celui qui a le plus de vogue : celui qui est le plus à la mode.

8.

L’inoculation, ancêtre de la vaccination, consiste à communiquer artificiellement une maladie contagieuse pour que le corps apprenne à se défendre. Voir Catriona Seth, Les rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Éditions Desjonquères, « L’esprit des lettres », 2008.

9.

Mère de l’Amour : nouvelle Vénus, la Baronne de Cotyto est celle qui fait naitre le sentiment amoureux. Le Marquis d’Hersilie reprend la rhétorique imagée de la Baronne.

10.

Son Neveu : le Chevalier de Zéthur.

11.

Que vous éprouvassiez sa conduite : que vous mettiez sa conduite à l’épreuve.

12.

Aspireraient moins à ce titre : rechercheraient moins cette réputation.

13.

Du courage : ayez du courage.

14.

S’est fait inoculer : s’est fait transmettre la petite vérole par inoculation.

15.

S’il en peut revenir : s’il survit à sa maladie.

16.

Le pourpre : maladies qui se manifestent par des taches pourpres sur la peau, comme la rougeole ou la scarlatine.

17.

À franc étrier : à la hâte, parcourir à vive allure une grande distance.

18.

Quatre lieues : une vingtaine de kilomètres.

19.

Le Dictionnaire de l’Académie de 1798 indique qu’on appelle couramment Juif « un homme qui prête à usure », c’est-à-dire qui prête de l’argent avec un taux d’intérêt.

20.

La notion philosophique et théologique de cause seconde suppose l’existence d’une cause première qui peut être Dieu ou, ici, une forme de fatalité. La Baronne se dédouane de sa responsabilité.

21.

Tient l’état d’une Princesse : mène le train de vie d’une princesse.

22.

Les jeunes folles : les jeunes femmes insouciantes.

23.

La ruine : la ruine financière.

24.

Le Chevalier de Zéthur est officier à l’armée, mais contrairement au Baron de Cotyto, il n’exerce pas sa charge. Les autorités militaires pourraient le contraindre de rejoindre son régiment pour y remplir ses fonctions. Cette contrainte exercée à la demande de la famille reste plus douce que celle de la lettre de cachet, qui conduit en prison.

25.

La Comtesse de Fionie, Madame de Singa et le Chevalier d’Ernest communiquent entre eux et ne se cachent pas leurs correspondances, ce qui montre qu’ils n’ont rien à se reprocher. Les précisions sur les conditions matérielles de la circulation des lettres contribuent à la vraisemblance du dispositif épistolaire.

26.

Souffrir : tolérer, ne pas pouvoir empêcher.

27.

Juifs : voir la note 19.

28.

Les lettres ne servent pas seulement à informer ou à conseiller : Madame de Singa leur prête ici une fonction quasi thérapeutique.

29.

Faire assaut de charmes avec elle : rivaliser de charmes avec elle.

30.

Le Chevalier : le Chevalier de Zéthur.

31.

Une révolution : un changement soudain.

32.

Votre immortel oncle : l’expression est ironique. La Vicomtesse de Thor retrouverait sa liberté si cet oncle malade mourrait.

33.

Cette lettre n’est pas donnée à lire dans le roman.

34.

Mentor : personne avisée qui sert de guide et de conseiller, par allusion à un personnage de l’Odyssée d’Homère et du Télémaque de Fénelon.

35.

Sirène : dans l’Odyssée, les Sirènes attirent les marins par leur chant pour les dévorer.

36.

Mortifier : vexer, humilier.

37.

De son ambassade : de sa mission.

38.

Mademoiselle Bertin : Rose Bertin (1747-1813), marchande de modes, était l’un des grands noms de la mode.

39.

Dans l'exemplaire du roman conservé à la bibliothèque de Munich, cette lettre porte le numéro LX et il n'y a pas de numéro LIX. Nous avons corrigé cette erreur, ce qui entraîne un décalage jusqu'à la fin : la dernière lettre, qui porte le numéro LXXXI dans l'exemplaire de Munich, est en vérité la lettre LXXX.

40.

Crésus : homme extrêmement riche, par allusion à un roi de Lydie qui portait ce nom.

41.

Boîtes : coffres de bois contenant le mécanisme de l’horloge.

42.

Un tripot : une maison de jeu. Par extension, une maison où s’assemble une mauvaise compagnie.

43.

Gascon : originaire de la Gascogne, province du sud-ouest de la France.

44.

Gouverneur : chargé de l’éducation et de l’instruction d’un jeune seigneur.

45.

Pernicieuse : nuisible.

46.

M’étourdir sur mon amour : me distraire de mon amour, trouver d’autres occupations pour ne plus y penser.

47.

Votre résolution : votre décision.

48.

La lettre mêle des tournures judiciaires et de nombreuses expressions hyperboliques.

49.

En droiture : directement, par la voie ordinaire.

50.

Restée pour gage : restée pour garantir le remboursement de mes dettes.

51.

Toise : ancienne règle de métreur correspondant à une unité de mesure longue de six pieds (1,949 mètre).

52.

Notre amie : Madame de Singa.

53.

Ma félicité : mon bonheur.

54.

De le consigner à votre porte : de donner des ordres pour qu’on lui refuse d’entrer chez vous.

55.

Je ne m’ingère pas : je ne me mêle pas.

56.

Ces Prudes de profession : celles qui font le métier de prudes. L’expression péjorative fait de la vertu un comportement artificiel.

57.

Du Chevalier : du Chevalier de Zéthur.

58.

Dans le dessein : dans le but.

59.

La livre a été la monnaie utilisée en France jusqu’en 1795. Ces sommes sont l’équivalent de plusieurs centaines de milliers d’euros.

60.

Venir au Spectacle : assister à une pièce de théâtre.

61.

Jamais je n’ai eu autant d’humeur : je n’ai jamais été aussi mécontente.

62.

Le Marquis d’Hersilie est auprès de sa femme, la Marquise d’Hersilie, dans leur château, tandis que le Chevalier de Zéthur a été contraint par son père de retourner dans son régiment.

63.

Impatientantes : irritantes.

64.

Son ennuyeuse Amie : La Comtesse de Fionie.

65.

De... : de Madame de Singa.

66.

Que je vous rende raison : que je me justifie auprès de vous.

67.

Les serments les plus sacrés : les promesses de mariage.

68.

Tout son empire : toute son autorité.

69.

Bourbonnais : ancienne province, correspondant aujourd’hui au département de l’Allier, en Auvergne. C’est là que se situe le château d’Hersilie.

70.

J’abhorrais : j’avais en horreur.

71.

Repentir : regret d’une action, d’une faute.

72.

Ma cendre : ma mort.

73.

Intercéder pour vous auprès : intervenir en votre faveur.

74.

Conversion : changement.

75.

Mes inconséquences : ma conduite irréfléchie.

76.

Le Chevalier de Zéthur fait référence à son voyage à Plombières pour suivre la Baronne de Cotyto.

77.

Foulé aux pieds : écrasé.

78.

M’immoler aux caprices d’une femme : me sacrifier pour satisfaire les caprices d’une femme.

79.

Pour me dessiller les yeux : pour m’ouvrir les yeux, pour me faire prendre conscience de la vérité.

80.

Son Amie : Madame de Singa.

81.

L’éprouver : le mettre à l’épreuve pour juger de sa sincérité.

82.

Madame de Singa a une grande affection pour la Comtesse de Fionie ; puisque celle-ci l’a prise sous son aile dès l’âge de 15 ans. Dans ses romans, Gacon-Dufour met en avant les liens construits à l’intérieur des familles, à travers des thèmes comme l’adoption.

83.

Sans le pardon de son père, le Marquis de Zéthur, le Chevalier de Zéthur ne peut pas quitter son régiment et épouser Madame de Singa.

84.

Voir seconde partie, lettre LIX.

85.

Sommer : demander à quelqu’un de tenir sa promesse.

86.

Le vieux Mondor : l’expression qui désigne le personnage du Financier pourrait être une référence à la comédie-ballet en un acte de Jean-François Cailhava d’Estandoux, Les Étrennes de l’amour, représentée pour la première fois le 1er janvier 1769, dans laquelle on retrouve le personnage de « Mondor, vieux financier ».

87.

Référence à la lettre LIX de la seconde partie : « Le Financier m’a presque tout gagné ; il m’a promis de me donner ma revanche ».

88.

Le franc est un autre nom de la livre. Les pertes financières de la Baronne sont encore plus importantes qu’à Plombières.

89.

La sévérité de l’oncle prouve la rigidité des normes sociales de l’époque. Une femme déshonorée et ruinée est rejetée par tous, même par ses proches parents.

90.

La Vicomtesse de Thor envisage la fuite à l’étranger pour échapper au scandale, car en tant que femme elle ne pourra jamais retrouver une bonne réputation.

91.

Des sentiments vrais ne peuvent pas naître de la coquetterie.

92.

Le Chevalier de Zéthur énonce la leçon morale qui reformule le titre du roman. On peut cependant nuancer cette condamnation portée par un homme à qui bien des reproches peuvent être faits (voir l’introduction).

93.

[Note de l’édition originale] Cette Lettre est la XIVe.

94.

Le Chevalier se dédouane de sa responsabilité en laissant entendre qu’il n’a pas été le maître de ses actions.

95.

Loterie : jeu de hasard et d’argent auquel on participe avec des billets tirés au sort.

96.

Le mot Suisse désigne ici le concierge d'un hôtel particulier.

97.

La Comtesse condamne très sévèrement la coquetterie dans cette avant-dernière lettre. La morale est sauve, mais on peut être frappé par le sort de la Baronne de Cotyto, punie, isolée et considérée comme seule responsable de sa conduite, tandis que les hommes bénéficient d’une très grande indulgence.

98.

Le roman a été présenté à l’administration qui contrôlait tous les livres avant d’en autoriser la publication. Le caractère très moral des dernières pages a sans doute servi à obtenir cette approbation. La date permet de savoir que le roman, publié au début de l’année 1788, a été écrit avant juillet 1787.