Première partie.

LETTRE PREMIÈRE.

La Baronne de Cotyto11. Le nom Cotyto f (…) à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Je ne puis, ma chère Marquise, me refuser au désir de vous donner des conseils, et de vous faire part de tous les mécontentements que M. d’Hersilie22. Hersilie : Gaco (…) nous a occasionnés ; tout le monde vous blâme, et vraiment on a raison ; votre douceur et votre résignation à suivre les volontés de votre Mari, sont d’un fort mauvais exemple. Si le mien s’avisait jamais de me faire pareille proposition, il ne me trouverait pas aussi soumise ; d’honneur, on n’a pas d’idée d’un caprice semblable. Quoi ! parce qu’il plaira à ces Messieurs de s’amuser, de se ruiner, il faudra nous exiler dans nos Terres ? Et qu’ils prononcent cet arrêt avec une tranquillité despotique qui révolte tous les gens sensés. Je vous conseille fort de quitter votre antique33. Antique : dont (…) Château, et de revenir bien vite orner la Capitale. Si vous ne suivez pas mon avis, je vous vois déjà dans le fond de l’Auvergne, où l’on dit que votre digne Mari a une Terre, et où je suis fort étonnée qu’il ne vous ait pas enjoint de vous rendre, connaissant combien vous êtes dévouée à ses fantaisies. Je soupai hier chez la Vicomtesse de Thor, vous fûtes l’entretien de toute la société. J’ai été réellement contente du Chevalier d’Ernest, il a pris votre parti avec chaleur contre cet étourdi de Marquis de Lubeck. Je ne sais pourquoi la compagnie de ces papillons m’amuse ; je n’en aime aucun, et pourtant je ne puis m’en passer ; ils me contrarient quelquefois. M. de Cotyto ne peut pas les souffrir, je crois que c’est la raison qui me les fait aimer ; car il est important pour notre bonheur de n’être pas de l’avis de nos Maris, et vous m’affermissez dans cette résolution. Si vous eussiez été un peu moins complaisante, M. d’Hersilie n’eût pas été aussi exigeant. J’espère, ma chère Belle, que vous suivrez mon avis, et que vous vous moquerez des ordres de votre Sultan44. Sultan : titre (…) . J’avais mille choses à vous raconter, mais votre départ m’a brouillé la cervelle. Adieu, je vous attends d’aujourd’hui en huit55. D’aujourd’hui e (…)  ; je donne un bal charmant à ma maison de Saint-Maur, et je veux que ce soit vous qui en fassiez les honneurs.

LETTRE II.

La Marquise d’Hersilie à la Baronne de Cotyto.

Du Château d’Hersilie.

Quand serez-vous donc raisonnable, ma chère Baronne ? C’est sans doute une question bien indiscrète à vous faire ; mais, puisque vous prenez la peine de me donner des conseils, c’est m’autoriser à vous dire franchement ce que je pense. Je suis encore à comprendre comment, avec des goûts si différents, nous avons pu former une liaison aussi intime. Vous cesseriez de me plaindre si vous saviez combien la vie que je mène ici est agréable, et combien elle a de charmes et d’attraits pour moi. Le Château d’Hersilie est on ne peut pas plus heureusement situé ; d’un côté l’on découvre une étendue de pays immense, arrosé par l’Allier66. Dans la suite d (…) . De grandes prairies toujours nouvelles et rafraîchies par les eaux qui descendent des collines voisines, une quantité prodigieuse de hameaux et de villages, un passage continuel de bateaux, offrent sans cesse à mes yeux un tableau bien plus riant que vos fêtes de Paris, où le luxe et la magnificence éblouissent les yeux sans toucher le cœur : l’autre côté est orné de monuments utiles, et que vous ne connaissez qu’en peinture. Une immense basse-cour dans laquelle se trouvent renfermées des étables, des bergeries et une grande tour qui, au lieu de prisonniers, contient un peuple libre, revenant de lui-même chaque jour à son gîte77. La grande tour (…)  ; des poulaillers, et des granges spacieuses pour renfermer les récoltes. De jeunes paysans gais et robustes, au temps de la moisson, y entassent, en chantant, des gerbes de blé88. Cette descripti (…) . On ne reconnaît pas là nos Acteurs, qui, avec de petits chapeaux blancs et des rosettes99. Rosettes : nœud (…) de toutes couleurs, imaginent nous faire illusion, et nous donner une image vraie des bons laboureurs qui nous nourrissent à la sueur de leurs corps. Ce n’est pas la beauté du lieu qui m’enchante : quand je serais au fond d’un désert, il suffirait que ma présence y fût nécessaire, pour que j’y trouvasse ma satisfaction. Mes occupations sont si multipliées, que je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Je me suis fait un plan de vie différent de celui auquel j’étais obligée de me conformer souvent malgré moi à Paris. L’éducation de mes enfants m’occupe la plus grande partie du jour ; depuis qu’ils ne sont plus renfermés, qu’ils courent et respirent librement, ils ne sont pas reconnaissables. Ma petite Lise, qui est partie languissante, reprend à vue d’œil ; cela me fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Adieu, car je vous écrirais plus longuement avec l’envie que j’ai de moraliser ; vous feriez de ma Lettre ce que vous prétendez qu’on doit faire d’un Mari, c’est-à-dire, le laisser parler sans l’écouter.

LETTRE III.

La Marquise d’Hersilie au Chevalier d’Ernest.

Du Château d’Hersilie.

Ma démarche pourrait être hasardée avec tout autre que vous ; mais je suis convaincue de votre honnêteté1010. Le Chevalier d’ (…) , et je puis vous ouvrir mon cœur sans qu’aucune crainte vienne troubler le plaisir que j’ai à vous donner ma confiance. Vous étiez présent lorsque M. d’Hersilie m’ordonna de partir, et me donna vingt-quatre heures pour prendre ce parti, ou celui d’entrer dans un Couvent. Comme je ne m’étais pas attiré une conduite aussi dure, je ne balançai pas un instant sur le parti que j’avais à prendre, et je partis le même jour, emportant dans mon cœur beaucoup de reconnaissance pour le service que vous m’avez rendu, de décider mon Mari à me laisser emmener mes enfants ; il faut encore, Chevalier, que vous ajoutiez à cette obligation, de m’apprendre quels sont mes torts, et qui a pu engager M. d’Hersilie à me réduire à un exil qui, à ce qu’il paraît, n’est pas près de finir ; vous êtes son Ami le plus cher, sans doute il vous aura prévenu de son dessein, et de la raison qui le déterminait. Vous connaissez ma tendresse pour lui ; malgré son injustice, elle sera éternellement la même : le temps l’éclairera, et peut-être ai-je tort de croire que le bonheur me fuit pour toujours. Vous ne pouvez concevoir les tourments que j’éprouve ; j’ai trouvé ici M. de Saint-Albert1111. M. de Saint-Alb (…) , je lui ai caché le motif de mon voyage, et l’ai assuré que la santé de mes enfants dépérissant à Paris, j’avais pris la résolution de venir dans ma Terre pour la réparer ; il m’a cru, et personne en effet ne pourra soupçonner que c’est l’homme que mon cœur a choisi, pour lequel j’ai tout sacrifié, qui a voulu que je me séparasse de lui. Adieu, Chevalier, assurez M. d’Hersilie qu’il n’a pas de meilleure Amie que moi.

LETTRE IV.

Le Marquis d’Hersilie à M. de Saint-Albert.

De Paris.

Vous me blâmez, sans doute, mon Ami, d’avoir exigé de Madame d’Hersilie de se retirer dans sa terre : elle n’aura pas manqué de crier à l’injustice, et de sonner le tocsin1212. Tocsin : sonner (…) contre moi dans toute sa famille provinciale. La connaissant, j’ai eu tort de l’envoyer en Bourbonnais1313. Bourbonnais : a (…) , j’aurais dû la faire conduire en Auvergne1414. L’Auvergne est (…)  ; c’est le Chevalier d’Ernest qui m’a empêché, car c’était mon premier projet : mais enfin le mal est déjà fait, ainsi il faut prendre son parti. Je n’ai cependant d’autres reproches à faire à Madame d’Hersilie, que de m’aimer à la folie, oui, à la folie, car c’en est une de vouloir être continuellement escortée de son mari, de ne point faire de visites sans l’avoir pour écuyer, de ne jamais paraître au spectacle sans lui ; et Madame d’Hersilie n’en faisait point d’autres. Elle est jolie, aimable, et l’on me soupçonnait d’en être jaloux. Vous n’avez pas d’idée du ridicule que cela m’a donné dans le monde. Si j’allais à la campagne, ma porte était hermétiquement fermée pendant mon absence ; à mon retour, tous mes amis me riaient au nez, et me demandaient si Madame allait redevenir visible. Vous concevez facilement combien tout cela me donnait d’humeur ; enfin je me suis déterminé à la prier de s’éloigner ; j’ai cru qu’elle allait se désoler, et me supplier de la garder auprès de moi, mais je me suis trompé ; elle a pris son parti avec beaucoup plus de fermeté que je ne lui en soupçonnais. Je désire qu’elle soit heureuse ; moi je suis parfaitement content, et je commence à respirer depuis que je suis seul ; il me semble que j’ai recouvré ma liberté. C’est une grande extravagance de se marier avant quarante ans1515. Se marier avant (…)  : les beaux jours de la vie s’envolent sans que l’on ait joui du bonheur ; et si j’étais à la veille de faire cette sottise, je ne crois pas que j’en eusse le courage. Adieu, mon ami, j’ai été bien aise de vous faire part de mes raisons, afin que vous me jugiez moins sévèrement, votre amitié et votre estime étant d’un grand prix pour moi.

LETTRE V.

M. de Saint-Albert au Marquis d’Hersilie.

De Moulins.

Vous avez fait, mon cher Marquis, comme les enfants qui viennent s’accuser de leurs fautes, et tâchent de prouver qu’ils ont eu raison, afin d’éviter les réprimandes qu’ils méritent. J’ignorais le motif du voyage de Madame d’Hersilie. Ce qu’elle m’avait dit me la faisait admirer. Notre étonnement fut des plus grands de la voir arriver sans que nous en eussions été prévenus. La santé de mes enfants, me dit-elle, est la seule cause de mon voyage ; ils ne se fortifiaient point à Paris, et j’ai désiré de leur faire prendre l’air natal : M. d’Hersilie a bien voulu y consentir ; je lui en ai la plus grande obligation. Son récit était fait de si bonne foi, que nous la crûmes ; je me garderai bien de détromper tout le monde. Madame d’Hersilie, étant à ce qui me paraît, destinée à finir ses jours dans cette Province, je ne veux pas divulguer ses tours. Craindre qu’étant fort jeune, la calomnie ne vienne l’assaillir de ses traits empoisonnés ; éviter, pour cela, toutes les occasions qui pourraient la faire soupçonner ; une telle conduite dans une femme aimable, sensée, raisonnable, qui aime son Mari et ses devoirs !… Mais cela crie vengeance ! Vous avez raison, et je ne conçois pas comment vous avez pu le souffrir1616. Le souffrir : l (…)  : ne craignez pas, mon Ami, que je vous blâme. Le temps n’est pas encore venu ; dans quelques années nous vous verrons arriver à Hersilie. Je vous donne au plus deux ans pour vous convertir1717. Vous convertir  (…)  : il faut avoir fait des sottises pour n’en plus faire ; et celui qui promet d’être sage avant d’être fou, l’est davantage que celui qui le blâme. Amusez-vous, mon cher Marquis ; donnez dans toutes les erreurs de la jeunesse, mais conservez votre cœur pur. Cette vie dissipée vous ennuiera bientôt. Elle vous ramènera elle-même à vos amis, que vous retrouverez toujours aussi tendres et aussi constants. Dans vos moments de désœuvrement1818. Désœuvrement : (…) (si le plaisir est laissé), donnez-moi de vos nouvelles, et si vous avez besoin de conseils, rendez-moi la justice d’être persuadé que ma sincère amitié mettra tout en œuvre pour vous servir.

LETTRE VI.

Le Chevalier d’Ernest à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Non, Madame, je ne trahirai point votre confiance, elle m’est trop précieuse, et je mettrai tout en œuvre pour la mériter. M. d’Hersilie ne m’avait point consulté sur votre départ ; il était trop sûr de ne pas avoir mon approbation. Un moment avant de vous faire part de ses intentions, il m’en parla ; et je n’eus que le temps de le détourner de vous envoyer en Auvergne, étant persuadé que vous supporteriez son absence avec plus de courage au milieu de votre famille. Vous me chargez, Madame, d’apprendre de lui quels sont vos torts ; il serait fort embarrassé de vous en trouver un, mais vous êtes sa Femme : il est répandu1919. Répandu : on di (…) dans une société d’étourdis qui n’auront pas manqué de le tourner en ridicule sur son attachement pour vous : en voilà beaucoup plus qu’il n’en faut pour l’avoir déterminé à prendre un parti si violent, et dont je suis sûr qu’il s’est déjà repenti. Que votre constance ne vous abandonne pas, et vous verrez M. d’Hersilie revenir de ses erreurs : puissé-je être assez heureux pour y contribuer ! Soyez bien convaincue que je ne négligerai aucune occasion. Je suis enchanté que M. de Saint-Albert soit à Moulins, il vous sera d’une grande ressource. Je sais que M. d’Hersilie lui a écrit, et qu’il n’en a pas eu une réponse favorable. Tous les gens sensés vous regrettent ; il n’y a pas jusqu’à cette folle, Madame de Cotyto, qui crie vengeance. J’en suis fâché, car cela a donné beaucoup d’humeur à votre Mari2020. Cela a donné be (…) . Je ne conçois pas cette étourdie, elle est d’une extravagance outrée, et n’a aucune liaison, quoiqu’elle se conduise de manière à faire croire qu’elle en ait trente2121. Le lecteur comp (…) . Chargez-moi, je vous supplie, de vos ordres, et rendez-moi la justice de croire que c’est me rendre service. Je suis avec respect, etc.

LETTRE VII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Vous n’y pensez pas, ma chère Amie ; quitter Paris au moment où j’ai le plus grand besoin de vous ! Vous serez cause que je n’irai pas chez le Marquis de Lubeck, qui donne une fête charmante ; cela me contrarie horriblement. Je l’ai désespéré toute la semaine, il ne faut plus qu’un refus pour nous brouiller éternellement ; j’en serais désolée, car il nous est vraiment très-nécessaire. Je suis fort éloignée de l’aimer (quoiqu’il s’en flatte) ; mais je ne verrais pas sans chagrin un de mes esclaves2222. Esclaves : soup (…) quitter ses chaînes. À propos d’esclaves, il faut que je vous fasse rire ! J’en ai un nouveau, oui un nouveau ; mais devinez, je vous le donne en mille. Oh ! vous ne devinerez pas ; il faut que je vienne à votre secours. Eh bien ! c’est le Marquis d’Hersilie… riez tant que vous voudrez, cela est très vrai. Depuis plusieurs jours il me faisait assidûment la cour ; enfin, ce matin il est arrivé comme je quittais ma toilette, et m’a fait une déclaration en forme dans les termes les plus passionnés ; j’ai ri, et il s’est fâché. Je l’ai pourtant apaisé du mieux que j’ai pu, et lui ai fait observer que j’aimais beaucoup sa femme, et que je ne me couvrirais jamais d’une perfidie aussi noire. J’ai bien prévu cet obstacle, m’a-t-il répondu, et voilà pourquoi je l’ai fait partir, espérant que vous ne voudriez pas me réduire au désespoir. Si vous aimez véritablement Madame d’Hersilie, prouvez-le-lui en conservant son Mari ; car, si je ne suis pas assez heureux pour vous plaire, je ne réponds pas de moi. Sa narration m’ayant donné le temps de me remettre de l’indignation que m’inspirait sa noirceur, je lui ai donné de l’espoir, pour venger Madame d’Hersilie ; mais il le payera cher ! Avez-vous jamais vu une atrocité semblable ? Éloigner sa Femme pour en séduire une plus facilement ! N’ai-je pas raison de détester tous les hommes ? Ah ! jamais, jamais je n’en aimerai un ; mais je vengerai les femmes de leur perfidie, et je serai au comble de la joie quand j’en aurai désespéré une trentaine. Oui, je voudrais qu’ils devinssent fous2323. Ces dernières p (…) . En vérité, ma chère Amie, ce Marquis est un vilain homme, il m’a donné de l’humeur pour vingt-quatre heures. Il prend bien son temps pendant votre absence. Décidément, je crois que pour me dissiper2424. Me dissiper : m (…) j’irai chez le Marquis de Lubeck, et mon nouvel Amant2525. Mon nouvel Aman (…) m’y donnera la main. Ah ! l’idée est tout à fait plaisante et m’ôte ma migraine. Mais c’est que vous n’avez pas l’idée des préparatifs : vous ne connaissez pas sa maison ? elle est délicieuse, on ne soupçonnerait pas ce que c’est en arrivant : l’entrée est maussade ; mais tout à coup vous croyez être enchanté. Vous entrez par une petite porte étroite, où vous ne pouvez être plus de deux de front, et vous vous trouvez dans une vaste cour où des fontaines d’une eau limpide jaillissent dans des bassins de marbre blanc, garnis de bronze et de dorure ; des gazons toujours verts invitent à s’y reposer, et le parfum des fleurs les plus rares vous embaume et enivre vos sens ; les appartements sont de la plus grande élégance ; les meubles somptueux, et les peintures on ne peut pas plus agréables ; après une enfilade immense, on trouve un Boudoir2626. Boudoir : petit (…) orné par les Grâces2727. Les Grâces : da (…)  ; les glaces sont placées de manière que les moindres mouvements sont répétés mille fois ; des arbres, sur les angles des glaces, représentent dans le lointain une superbe forêt ; des tableaux, placés je ne sais comment, vous font voir, au fond de cette forêt, une chasse : de l’autre côté, Vénus sortant des bains, et les Amours soumis à ses ordres. Enfin, ma chère Amie, la Volupté a présidé à l’arrangement de ce petit Temple dont l’Amour est la divinité. Je suis désolée que vous ne soyez pas ici ; ce n’est rien de vous le peindre, il faut le voir. Je vous attends avec impatience.

LETTRE VIII.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de…2828. L'utilisation d (…) .

En vérité, ma bonne Amie, je ne conçois pas votre conduite avec le Marquis de Lubeck, elle est tout à fait étrange ! Vous craignez de le perdre ; mais à qui pourrez-vous vous en prendre ? c’est à vous seule ! Il n’est pas si facile que vous le croyez de captiver plusieurs cœurs à la fois sans les rendre heureux, il faut une adresse que vous n’avez pas encore, vous n’êtes pas au degré de perfection où j’espère que vous parviendrez. À votre âge, avec des yeux vifs et sémillants, une taille svelte, l’esprit et les grâces dont la nature vous a douée, si vous savez mettre à profit tous ces avantages, vous deviendrez bientôt l’émule des femmes les plus distinguées ; une foule d’adorateurs voleront sur vos pas ; votre maison sera le Temple de Gnide2929. Temple de Gnide (…) , où l’on viendra prodiguer à l’envi son encens et ses vers. Vous verrez le jeune Marquis tremblant, ému par la crainte et l’espoir, chercher à lire son bonheur dans vos yeux ; et si vous daignez jeter un regard sur lui, il se croira au comble de la félicité ; enfin, tous également épris de vos charmes se croiront préférés, et, sans violer la foi que vous avez jurée à votre Époux, sans être criminelle, vous jouirez des adorations qu’on rend à la Mère des Amours3030. La Mère des Amo (…) . Avec de la prudence, vous pouvez être très-heureuse ; mais il en faut beaucoup. Ma position est bien différente de la vôtre ; je suis entièrement libre ; je n’ai plus de Mari qui puisse me contrarier dans mes goûts3131. Cette dernière (…) . Je ne date mon existence dans le monde que depuis quatre ans. Je n’avais aucun reproche à me faire, mon seul plaisir était d’avoir un grand nombre de soupirants, et de rire en secret des maux que je leur causais. Eh ! bien, le croiriez-vous ? mon maussade Mari me faisait sans cesse des reproches injustes et sans nulle raison : il était d’une jalousie dont rien n’approche. Comme il me menaçait quelquefois de me mettre au Couvent, j’étais souvent obligée, en dépit de mon orgueil, de lui céder ; car, par l’injustice des lois, ils ont une autorité redoutable sur nous. S’ils savaient s’en servir à propos ! sentez, ma chère Amie, qu’il serait bien malheureux pour vous que sur de fausses apparences votre Mari prît la mouche et vous causât des chagrins.

Vous m’avez fait beaucoup rire de votre étonnement à la déclaration du Marquis d’Hersilie ; vous n’êtes encore qu’une débutante, vous en verrez bien d’autres. Que je plains les femmes qui font la sottise de s’attacher de bonne foi ! il vaudrait autant, selon moi, aimer sottement son mari. Ils ne sont pas plus tôt vos Amants, si vous les rendez heureux, qu’ils croient avoir des droits sur vous. J’ai chez moi dans ce moment la Jeune Marquise Théodore ; en vérité, elle me fait rire à étouffer. Elle est encore amoureuse de son Mari, après six mois de Mariage. Elle n’est cependant pas insensible aux avances qu’un jeune homme aimable, et qui mérite du retour, commence à lui faire. Il a été aussi un de mes soupirants, et le serait encore si je voulais le lui permettre ; mais il est si étourdi, ou plutôt si exigeant, qu’au moindre espoir que je lui donnais (pour ne pas le rebuter), il voulait déjà s’ériger en maître, et prétendait écarter la foule de mes adorateurs. Si je n’endoctrine pas la Marquise Théodore3232. Marquise de Thé (…) , il pourrait fort bien en faire autant avec elle. Je la surprends vingt fois par jour les larmes aux yeux, combattue par ses devoirs et la crainte de désespérer son Amant. J’espère la convertir. Elle ne manque pas d’esprit, et il sera facile de la faire revenir de ses erreurs. Son Mari est fort aimable ; je le tiendrai dans mes fers par ce moyen. Elle sera libre et reprendra sa gaîté. Je lui ai promis de lui faire faire connaissance avec vous. Adieu, ma charmante Amie, j’aurai bien du plaisir à nous voir toutes réunies.

LETTRE IX.

La Baronne de Cotyto à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Ah ! ma chère Marquise, je suis au désespoir ; ce vilain M. d’Hersilie, je le déteste : c’est lui qui est cause de tous mes chagrins. Je n’avais d’Amie sensée que vous, et il vous a fait éloigner : c’en est fait, je renonce au monde, je vais m’enfermer dans une retraite, d’où je ne sortirai de ma vie. Si M. de Cotyto vient apprendre cela, il ne me le pardonnera jamais. Je vais tâcher de mettre un peu d’ordre dans mes idées, pour vous raconter mes malheurs. J’étais invitée à une fête charmante ; la Vicomtesse de Thor, qui devait m’accompagner, a été obligée de partir pour aller voir son vieil Oncle qui se meurt, et je me suis trouvée seule. Comme celui qui donnait la fête s’est déclaré mon Amant en titre, j’ai pris un autre écuyer ; et, tranquille, je suis partie pour sa maison du faubourg. La fête était superbe, il avait rassemblé tous les aimables de Paris, lui-même l’était on ne peut pas davantage. Après un souper somptueux, nous avons été nous promener dans les jardins, où la plus ingénieuse illumination nous attendait3333. L’évocation rap (…) . On ne voyait aucun lampion, et cependant il faisait clair comme à midi : cela avait l’air d’un palais de Fée. Le Marquis de Lubeck me donnait la main ; et comme la fête était pour moi, il fallait au moins que j’eusse l’air d’en être satisfaite. Je vous avoue de bonne foi que je l’étais, car on me rendait tous les honneurs. Au bout de son jardin est une rivière factice, mais qui se remplit d’eau par le moyen d’une pompe à feu ; comme nous admirions les beaux cygnes qui la couvraient, à l’instant est sortie de la forêt qui l’entoure une troupe de Faunes3434. Faunes : chez l (…) qui sont venus me rendre hommage, des Sirènes qui ne se montraient que jusqu’à la ceinture, m’enivraient par leur chant mélodieux. Je ne fus pas aussi heureuse qu’Ulysse3535. Référence à l’O (…)  ; je ne pus me garantir de leurs enchantements, et je me trouvai entraînée, je ne sais comment, dans une grotte obscure. Je me croyais enchantée, tant mon pauvre esprit était enorgueilli des hommages qu’on me rendait ; mais ce monstre de Lubeck me fit bientôt revenir de mon extase ; il me pressa dans ses bras avec tant de violence3636. En soulignant l (…) , que je me crus perdue. Je jetai des cris perçants ; mon nouvel Amant, que j’avais pris pour écuyer, m’entendant, arriva en fureur, et se précipita sur le Marquis de Lubeck ; ils mirent l’épée à la main, je m’évanouis de frayeur, et quand je fus revenue de ce spasme, je me trouvai dans mon appartement. J’aurais cru avoir fait un rêve, si mon défenseur ne fût venu me convaincre par son bras en écharpe, que ce n’était, hélas ! qu’une trop cruelle réalité. Le Marquis de Lubeck est dangereusement blessé. Je n’ose plus me montrer ; au moindre bruit que j’entends, j’imagine voir entrer M. de Cotyto pour me reprocher mon imprudence. Je suis réellement fort à plaindre. Ah ! combien votre présence ici me serait nécessaire ! Donnez-moi des consolations, j’en ai grand besoin.

LETTRE X.

La Marquise d’Hersilie à la Baronne de Cotyto.

Du Château d’Hersilie.

Votre Lettre, ma chère Baronne, m’a causé un vrai chagrin. Est-il possible qu’avec autant d’esprit, vous donniez dans un travers qui vous perdra pour la vie ? Voyez où votre imprudence vous a déjà conduite ; ce n’est pas la dixième aventure de ce genre ; mais celle-ci est d’autant plus cruelle, que M. de Cotyto est absent. Vous avez raison de trembler qu’il ne l’apprenne, et beaucoup trop de gens s’empresseront de l’instruire. Vous avez des ennemis, et vous ne donnez que trop de prise à la médisance. Je vous afflige, j’en suis désespérée ; mais l’amitié que vous m’avez inspirée, malgré votre folie, m’autorise à vous parler vrai. Il est impossible que vous trouviez le bonheur dans le tourbillon où vous vivez : croyez-moi, la paix du cœur est préférable aux vains honneurs qu’on vous rend ; votre jolie figure, et votre étourderie, vous donnent seules des adorateurs ; ce ne sont point les qualités de votre esprit qu’on chérit en vous, ce sont vos grâces, et tel qui vous dit que vous êtes adorable, n’attend peut-être, pour chanter la palinodie3737. Palinodie : rét (…) , que le moment où vous aurez comblé ses vœux. De quels remords ces réflexions ne doivent-elles pas vous accabler ? Vous pourriez faire le bonheur d’un Mari estimable, être chérie de vos Amis, et vous finirez par être méprisée ; oui, méprisée, le mot est dur, j’en conviens, mais il est appliqué. Vous êtes encore assez jeune, ma chère Baronne, pour réparer votre réputation : renoncez à vos erreurs, fuyez la société qui vous séduit et vous plaît, parce qu’elle vous amuse, mais qui vous perdra infailliblement. Si vous m’en croyez, allez passer l’été chez la Comtesse de Fionie ; c’est une femme charmante, et chez laquelle vous trouverez des ressources infinies ; souvent je l’ai entendue vous plaindre sans vous blâmer, et désirer que le bandeau qui vous couvre les yeux se dissipe. Quand on vous verra liée avec une femme de ce caractère, on oubliera bientôt vos folies : c’est dans l’âge où l’on en peut faire qu’il faut les abjurer3838. Abjurer : renon (…)  ; si vous attendez que les ans aient moissonné vos charmes, pour mettre une réforme dans votre conduite, le Public, loin de vous en savoir gré3939. De vous en savo (…) , vous blâmera, et ne regardera votre conversion que comme un dépit ; vous ne recouvrerez jamais son estime, et vous finirez vos jours dans les tourments des remords. Vous me demandez des consolations, je suis trop votre Amie pour vous offrir autre chose que des conseils. Si vous craignez que la Comtesse ait appris votre aventure, venez me voir ; je mettrai tout en œuvre pour vous consoler ; je vous renverrai raisonnable, l’automne prochain : cette métamorphose me ferait bien de l’honneur, et je serais comblée que vous en retirassiez tout le fruit. Adieu, ma chère Baronne, réfléchissez bien à ce que je vous dis, suivez mes avis, et vous jouirez d’un bonheur bien préférable à l’illusion qui vous entoure.

LETTRE XI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Venez bien vite, ma belle Amie, me consoler des chagrins que j’éprouve. Je ne sais plus où j’en suis ; mon aventure de la grotte fait le plus grand bruit. Il n’y a pas jusqu’à la Marquise d’Hersilie qui blâme fortement ma conduite ; je ne suis cependant pas coupable. Que peut-on me reprocher ? Rien, que d’avoir marqué trop de fermeté pour résister à l’attaque imprévue du Marquis de Lubeck. Il ne manque plus, pour ajouter à ma honte, que M. de Cotyto en soit instruit ; je suis une femme perdue sans ressource. Comment pourrai-je me justifier devant lui ? La Marquise d’Hersilie ignore que son Mari est l’auteur de cette affreuse catastrophe ; je vois maintenant combien je m’étais trompée. Je ne puis m’empêcher de convenir que Madame d’Hersilie a raison. Elle m’invite d’aller passer l’été chez la Comtesse de Fionie, son Amie, ou de venir avec elle ; cette proposition me flatte infiniment. Il est certain que la société4040. La société : la (…) d’une femme, dont la réputation est bien établie, pourrait contribuer à réparer la mienne que mon imprudence m’a fait perdre. Je sais aussi le plaisir que cela ferait à mon Mari, qui a pour ces deux femmes une parfaite estime. Ce n’est point un reproche que je veux vous faire ; je suis trop convaincue de votre amitié, pour ne pas dévoiler les secrets de mon cœur. J’ai toujours eu une extrême répugnance à mener une vie si bruyante ; c’est peut-être faute d’usage et d’esprit. Le rôle que vous voulez me faire jouer ne me convient pas ; je prévois qu’il en pourra résulter une source de malheurs. Au milieu des plaisirs les plus vifs, je sens un vide affreux qui me tourmente. Pour la première fois de ma vie, je m’avise de réfléchir. Je ne partirai pas sans avoir reçu de vos nouvelles ; mais de grâce, ma chère Amie, ne cherchez pas à me détourner de la sage résolution que j’ai prise de changer de façon de vivre. La Lettre de la Marquise d’Hersilie m’a fait une telle impression, que je ne puis me refuser à ses raisons. Je vais encore essayer de courir après le bonheur. Il semble fuir devant moi au moment où je crois le toucher ; mais aussi c’est votre faute. Pourquoi vous absentez-vous aussi longtemps ? tout cela ne serait peut-être pas arrivé. Je ne sais comment vous faites, je ne vous ai jamais vu aucun chagrin dans le temps où votre Mari vous tourmentait sans cesse ; vous étiez, toujours aussi folle et aussi gaie ; on ne donnait pas une fête que vous n’en fussiez. Enseignez-moi votre secret, ou je pars sur le champ.

LETTRE XII.

Le Baron de Cotyto4141. Il s’agit de la (…) au Chevalier d’Ernest.

De Nancy.

C’est à vous que je m’adresse, mon cher Chevalier, pour m’éclairer sur une aventure qui fait le plus grand bruit ; je ne l’ai apprise que par hasard. Un des Capitaines de mon Régiment avec lequel je suis fort lié, ayant entendu faire des plaisanteries indécentes sur le compte de Madame de Cotyto, m’en a prévenu. On raconte l’aventure de cent manières différentes ; mais un point sur lequel on s’accorde, c’est que le Marquis de Lubeck s’est battu pour elle avec le Marquis d’Hersilie ; que Lubeck est dangereusement blessé, et que la Marquise d’Hersilie s’est retirée dans sa Terre. Ce qui est un problème pour moi, c’est que Madame de Cotyto me mande qu’elle va passer l’été à Hersilie. Je n’y comprends plus rien ; en grâce, mon Ami, éclaircissez-moi cette affaire, vous sentez combien elle est importante pour moi. Je compte assez sur votre amitié, pour être persuadé que vous ne chercherez point à me déguiser la vérité. Ah ! mon Ami, que ceux qui ont des femmes raisonnables sont heureux !

LETTRE XIII.

Le Chevalier d’Ernest au Baron de Cotyto.

De Paris.

Est-il possible, mon Ami, qu’avec de l’expérience vous ne soyez pas convaincu que la plus petite aventure, passant de bouche en bouche, finit par faire le sujet d’un roman compliqué4242. Finit par faire (…)  ? Il est très vrai qu’il est arrivé une scène désagréable à Madame de Cotyto ; mais les Amants dédaignés et les femmes jalouses de ses charmes ont étonnamment grossi les objets. Loin d’en être affligé, je vous conseille de vous en réjouir ; car ce petit désagrément la corrigera de sa coquetterie, et c’est le seul défaut que je lui connaisse. Elle va passer l’été chez la Marquise d’Hersilie qui était partie bien avant cet événement, et même qui l’ignore. Le Marquis de Lubeck se porte beaucoup mieux, et je suis fort aise que d’Hersilie lui ait donné cette leçon ; il était trop présomptueux. Madame de Cotyto s’est alarmée trop légèrement, c’est encore une consolation pour vous ; une femme accoutumée à manquer à ses devoirs, ne se serait pas effrayée d’une légère tentative. Ses cris ont fait soupçonner un très grand mal et le Marquis d’Hersilie a cru devoir prendre la défense de la femme de son Ami, surtout Madame d’Hersilie étant liée avec Madame de Cotyto. Je conviens qu’une tête un peu plus froide4343. Une tête un peu (…) se serait modérée, et aurait donné moins d’éclat à une misère ; mais le mal est fait, tout le monde blâme le Marquis de Lubeck et loue beaucoup Madame de Cotyto. Ainsi, mon Ami, puisque le Public est content, vous auriez tort de ne pas l’être. Un peu de philosophie4444. Le Dictionnaire (…) , mon cher Baron, elle est nécessaire dans ce monde. Adieu, tranquillisez votre esprit.

LETTRE XIV4545. Cette lettre, q (…) .

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Ah ! Cela est trop risible ! Pour un petit événement prendre l’alarme ; vous aviez bien raison, ma chère Amie, de dire que ce genre de vie ne vous convient pas. Avant de vous le faire prendre, j’aurais dû étudier davantage votre caractère, et ne pas vous initier dans les sublimes mystères4646. Sublimes mystèr (…) . J’espère dans peu vous voir figurer parmi les Sœurs Grises4747. Parmi les Sœurs (…) ou les Dames de Charité. Cela sera tout à fait édifiant4848. Édifiant : inci (…)  ! Une des plus aimables et des plus jolies femmes de Paris abandonner le monde à vingt ans, et renoncer à tous les plaisirs qui volaient en foule sur ses pas ; quel exemple allez-vous donner ! Ah ! Ma chère Amie, vous êtes bien enfant ; cela n’est pas pardonnable ! Croyez-vous que la Marquise d’Hersilie, qui s’érige en censeur et qui fait la prude, se serait retirée dans ses Terres sans murmurer, si elle n’eût pas eu des raisons que, sans doute, elle a l’adresse de cacher ? Vous vous êtes alarmée sans sujet ; sommes-nous responsables de la sottise des hommes ? Ils se battent pour nous, le grand malheur ! N’ayez pas d’inquiétude, ils ne se tueront pas tous. Et puis, n’aviez-vous pas raison ? Si vous eussiez laissé faire M. de Lubeck, que devenait votre vertu ? On plaisante ici nos deux champions d’une jolie manière. Vous me paraissez tellement décidée à vous retirer du monde, que je vais travailler d’avance à vous faire canoniser4949. Canoniser : adm (…) . Vous trouverez peu de gens qui auront foi à vos reliques5050. Reliques : ce q (…)  ; on ne manquera pas de dire que c’est un désespoir amoureux qui vous a engagé à prendre un parti si violent. Voilà le monde ! Faites bien, il trouve toujours du louche dans vos actions, criez ou ne criez pas, cela est égal. Vous me demandez mon secret, rien n’est plus simple. Je me gouverne selon mes goûts : je prends mon plaisir où je le trouve, sans jamais m’inquiéter de ce qui peut en résulter. Rien ne me divertit autant que de voir tous ces sots se disputer un cœur qu’ils n’auront jamais. Je les traite comme de vils esclaves que mes charmes tiennent enchaînés, et je regarde leurs hommages comme un tribut5151. Tribut : offran (…) dû à la Beauté ; notre sexe est fait pour régner. Est-il rien au-dessus de notre sort, quand la Nature, nous prodiguant ses dons, nous met au rang des divinités que les mortels adorent ? Mais vous dédaignez tous ces vains hommages, vous allez priver inhumainement Paris de son plus bel ornement, pour aller jouer d’après nature la comédie dans les magnifiques granges de la Marquise d’Hersilie, et régner avec elle sur son petit peuple ailé : ce sont les seuls Amours qui habitent cet antique Château ; on n’a pas besoin de leur couper les ailes pour les fixer. Si vos occupations sérieuses ne me chassent point de votre souvenir, écrivez-moi ; car, s’il me prend quelque jour la fantaisie de devenir raisonnable, j’aurai besoin de vos sermons ; la Marquise d’Hersilie est très vexée sur ce point, et vous serez bientôt en état de faire ensemble un nouveau Traité sur le Mépris des Vanités de ce monde. Si vous parvenez à me convertir, vous ferez un grand miracle. Adieu, ma belle recluse5252. Recluse : perso (…) .

LETTRE XV.

La Baronne de Cotyto à la Marquise d’Hersilie.

De Paris.

Je suis bien reconnaissante, ma chère Marquise, et de vos conseils et de votre agréable invitation ; je ne l’accepte cependant pas, et je vais vous en expliquer la raison. Les gens qui aiment à calomnier, ne manqueraient pas de dire que je suis coupable, et que j’ai pris le parti de m’exiler, dans la crainte que M. de Cotyto ne m’y forçât. Vous sentez combien cela me ferait tort, et quel ridicule cela répandrait sur le reste de ma vie. Il faut, au contraire, que je me montre plus que jamais pour en imposer5353. En imposer : in (…) . Vous m’avez fait trembler avec la menace du mépris de mon Mari et de mes Amis ; il faudrait qu’ils fussent bien injustes. Que peut-on me reprocher ? J’aime à m’amuser ; mais je respecte mes devoirs. Est-ce ma faute à moi si l’on m’aime ? Aimé-je quelqu’un ? Personne ne peut le dire ni même s’en flatter. Quoi ! Parce que les hommes seront présomptueux, et les femmes méchantes, il faudra que je mène une vie languissante et triste, et que j’expie les fautes du genre humain. Oh ! Ma chère Amie, je ne m’en sens pas le courage. Nous naissons tous avec des goûts différents, il n’est pas dit pour cela que celui qui ne s’abandonne point à l’étude, qui ne moralise pas les autres, soit en paroles, soit en exemple, ne puisse être heureux, et acquérir l’estime de ses semblables. Tout chemin mène au bonheur ; vous et moi nous en avons pris un différent ; mais nous arriverons toutes deux au but. Vous êtes persuadée qu’une soumission aveugle à celui que le sort et des voix injustes vous ont donné pour maître, doivent vous faire considérer, et moi je sais que dans le siècle où je vis, ayant beaucoup d’amoureux, et pas un Amant, je serai louée plutôt que blâmée, car enfin, j’aurai bien plus de mérite à résister que de n’avoir point à combattre. Voyez la Vicomtesse de Thor, y a-t-il femme plus heureuse : elle est désirée partout. Une fête est maussade et ennuyeuse si elle n’en est pas : enfin elle est l’âme de la société, et la calomnie n’a pu, malgré sa noirceur, lui donner un Amant ; aussi est-elle citée pour modèle par les femmes du bon ton.

Je me suis alarmée mal à propos de mon aventure ; elle n’a fait tort qu’au Marquis de Lubeck. Cela est si vrai, qu’avant-hier, aux Tuileries, tout le monde m’a abordée avec un plaisir infini ; j’avais une cour si considérable, qu’elle faisait foule. Je vous avoue que cela m’a rendu un peu de confiance ; aussi, dès le même jour j’ai été à l’Opéra, et souper chez la Comtesse de Menippe. Il y avait un monde entier. J’ai joué au Pharaon5454. Pharaon : jeu d (…) , et j’y ai gagné considérablement. J’entendais avec satisfaction qu’on disait : qu’elle est jolie ! Il n’est pas étonnant qu’elle fasse tourner la tête à tous nos aimables. Je suis invitée à un bal que donne l’Ambassadeur de *** ; j’irai avec la Comtesse. Vous voyez, ma chère Amie, que le mal dans ce pays-ci, est aussitôt oublié que le bien. On ne pense déjà plus à mon aventure, et l’on ne vous porte plus aux nues, pour aimer votre Mari à l’excès. On ne s’occupe même plus de vous, quoique vous méritiez si bien d’être chérie. Convenez donc qu’il y aurait de la folie à se sacrifier pour des êtres aussi frivoles ; aussi, suis-je bien déterminée à m’amuser et à me moquer de leurs discours. Je suis bien sûre de n’avoir jamais de reproches à me faire, peu m’importe leur opinion d’après cela. J’aurai toujours à cœur d’avoir la vôtre en ma faveur, et je vous crois trop juste pour me la refuser.

LETTRE XVI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

En vérité, ma chère Amie, vous me persifflez5555. Persiffler : se (…) d’une manière outrageante. Vous faites comme la Marquise d’Hersilie : je lui demandais des consolations, elle m’a donné des préceptes ; et vous, que je prie de m’éclairer, vous vous moquez de moi. Si vous ne m’aviez pas rendue à moi-même, je ne vous pardonnerais pas vos mauvaises plaisanteries ; mais il y aurait une ingratitude marquée. Vous ne savez pas combien je vous ai d’obligations ! J’en ris maintenant ; mais j’avais ordonné tout pour mon départ, j’en ai même prévenu Monsieur de Cotyto. Quand j’y pense, j’aurais fait une singulière figure à Hersilie. Malgré ma mauvaise humeur contre les hommes, l’ennui m’eut bientôt gagné, et je devenais à mon tour fort maussade. Grâce à vous, j’ai échappé à ce ridicule. Mon embarras actuellement est de m’excuser auprès de mon Mari qui m’a écrit une longue lettre sur ce qu’il appelle la sage résolution d’aller à Hersilie : cela est fort embarrassant ; mais je prierai le Chevalier d’Ernest de faire ma paix.

Ménagez un peu celui-là, quoique ce soit un sage, je lui dois beaucoup de reconnaissance. Il paraît, d’après ce que m’écrit M. de Cotyto, que c’est le Chevalier qui lui a tranquillisé l’esprit sur cette malheureuse affaire ; elle m’avait fait prendre une résolution par laquelle je courais en poste à l’ennui. J’ai tant d’occupations que je n’ai pas encore répondu à mon Mari, ni remercié le Chevalier. Je vais écrire à ce dernier, pour le charger d’apprendre à M. de Cotyto que je reste à Paris. Quand y reviendrez-vous ? votre absence m’impatiente ; vous m’auriez été d’un grand secours hier. Le Marquis d’Hersilie m’a persuadée que je ne pouvais me dispenser de recevoir le Marquis de Lubeck. Il a pris mon silence pour une permission, est sorti sur le champ, et un moment après on les a annoncés tous deux. Le Président R… était avec moi. Je me suis déconcertée. Le Marquis d’Hersilie m’a présenté son Ami, que j’ai trouvé pâle et défait. Il a voulu le justifier, mais je l’ai prié de garder le silence. Le Président est oncle de M. de Cotyto. Je lui ai conté cette histoire comme j’ai voulu, et j’aurais été désespérée qu’il eût la preuve d’avoir été trompé. Je me suis bien aperçue qu’il avait froncé le sourcil lorsqu’on les avait annoncés. Pour surcroît de malheur, la Comtesse de Menippe est arrivée. Ah ! c’est alors que le Président s’est enfui. Ces grands-parents sont bien maussades. C’est lui qui a élevé M. de Cotyto ; il le regarde comme son fils, et voudrait que les droits de cette paternité s’étendissent jusqu’à moi. Je le remercie fort de sa tendresse ; je m’en passerai sans chagrin. Madame de Menippe m’a conseillé de le consigner à ma porte ; mais je n’ose. Elle est un peu folle Madame de Menippe. N’a-t-elle pas voulu que nous allassions aux Français5656. Aux Français : (…) , en première loge, et que le Marquis de Lubeck nous accompagnât. J’ai eu beau m’en défendre, il a fallu céder. Je vous avoue cependant que je n’étais pas à mon aise de voir le bras du Marquis d’Hersilie, en écharpe, et M. de Lubeck, très changé. Le moindre mouvement du parterre me faisait frissonner. Je ne suis pas encore bien aguerrie ; et vous avez raison de me quereller. Adieu, ma chère Amie, je vous boude jusqu’à votre retour.

LETTRE XVII.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de Fionie.

Il faut que je vous écrive, ma charmante Amie, car si j’attendais que vous en prissiez la peine, je serais encore longtemps sans recevoir de vos nouvelles. M. d’Hersilie est bien plus aimable que vous, il est venu me voir ; et cela n’est pas peu de quitter Paris pour la campagne, aussi lui en ai-je la plus grande obligation5757. Obligation : en (…) . Il m’a cependant fâchée contre vous, en m’assurant que vous préfériez le séjour de la Province à celui de Paris5858. On a pourtant s (…) . Rien ne vous appelle donc auprès de vos Amies ? Auriez-vous sitôt oublié combien elles vous aiment ? Ce serait une injustice dont je vous crois incapable ; mais, en grâce, réparez vos torts promptement ! Comment passez-vous votre temps ? Je suis bien sûre que vous ne vous ennuyez pas. Quand on a autant de ressources dans l’esprit, on trouve aux endroits les plus déserts, des occupations qui savent remplir tous les moments. J’aurais bien du chagrin s’il n’y en avait pas un pour moi pendant le cours d’une journée, et vous seriez bien ingrate ; car vous n’avez pas d’Amie plus sincère. Si la santé de M. de Fionie l’eût permis, nous aurions été vous voir avec le Chevalier d’Ernest et Madame de Singa ; ils vous sont aussi bien sincèrement attachés. Le Chevalier m’avait dit que la Baronne de Cotyto devait aller passer l’été à Hersilie ; il paraît qu’elle en a décidé autrement : une pareille retraite lui aurait fait grand bien. Cette jeune femme se perd5959. Se perd : se dé (…) sans s’en douter. Adieu, ma charmante Amie, soyez aussi heureuse que vous le méritez.

LETTRE XVIII.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

Du Château d’Hersilie.

Non, mon Amie, vous ne m’auriez pas prévenue, que je n’aurais pas oublié mon attachement pour vous. Je réclame votre indulgence. Vous n’ignorez pas combien un changement de domicile cause d’embarras. Mon départ a été si précipité, qu’à peine ai-je eu le temps de me reconnaître6060. De me reconnaît (…) . Mais il le fallait : car comment aurais-je pu me débarrasser des instances de ma famille et de mes Amis, qui auraient employé le pouvoir qu’ils ont sur mon esprit, pour me détourner de ce voyage ? il était nécessaire d’après le projet que j’ai d’élever moi-même mes enfants ; il faut des soins auxquels la vie dissipée que l’on mène à Paris ne permet pas de se livrer. Ma Lise est dans l’âge où tous les moments sont précieux. Je n’aurais rien à désirer, si M. d’Hersilie eût consenti à venir partager mes travaux6161. Dans ce paragra (…) .

Beaucoup de personnes me plaignent, à ce qu’on m’a écrit : ah ! c’est qu’elles ne connaissent que la vie bruyante. À la campagne tout est jouissance. À Paris, lorsque je me levais, le soleil avait déjà parcouru la moitié de son tour, et les jours n’avaient point de fin. Ici, la multiplicité de mes occupations champêtres me les fait trouver une fois trop courts. Jamais je n’avais goûté le plaisir de contempler le lever de l’aurore. On ne vit point à la ville. Mon appartement est au levant. De ma terrasse on découvre une immensité de pays entrecoupés de montagnes et de vallées arrosées de rivières et de ruisseaux qui les fertilisent. Je ne puis me lasser d’admirer avec quelle majesté s’élève au-dessus de l’horizon l’astre qui vivifie toute la nature : à son aspect tout prend un air riant. Vous ne me reconnaîtriez pas, mon Amie, je suis une vraie fermière. Le matin, je vais présider à tous les ouvrages de ma basse-cour. Je donne moi-même à déjeuner à mon petit peuple babillard6262. Babillard : qui (…) , qui, sitôt que je parais, vole au-devant de mes pas, et plein d’impatience, me monte jusque sur les épaules. Je m’occupe aussi du jardinage ; mais vous pouvez penser que mes travaux ne sont pas bien fatigants. J’y gagne de l’appétit au moins, et c’est une chose inestimable. Je joue aussi, ne vous en déplaise, avec mes enfants, qui folâtrent à leur aise jusqu’à l’heure où nous nous occupons plus sérieusement ; car tous nos moments sont marqués. Combien je m’applaudis de n’avoir pas négligé les talents qu’on m’a donnés ! J’ai vu des femmes, après dix ans de mariage, être d’une ignorance impardonnable. Il me manque encore bien des connaissances pour suivre l’éducation de ma fille, mais j’espère m’instruire avec elle, et me mettre en état de lui montrer tout par moi-même.6363. Dans ces derniè (…)

M. de Saint-Albert m’a donné un gouverneur pour Fanfan, j’en suis parfaitement contente. C’est un homme de condition qui a éprouvé des malheurs. Je suis enchantée de pouvoir les réparer. Il est d’une société fort douce6464. D’une société f (…) , et je pense que mon fils en pourra faire son Ami. Tous ces détails seraient fort ennuyeux pour toute autre ; mais je sais combien vous vous intéressez au sort de vos Amis, et je suis persuadée que vous serez satisfaite d’apprendre que je suis heureuse. Quand viendrez-vous être fermière avec moi ? Je suis bien désespérée que ce soit la maladie de M. de Fionie qui me prive de cette satisfaction.

LETTRE XIX.

M. de Saint-Albert au Chevalier d’Ernest.

De Moulins.

Depuis un siècle, mon cher Chevalier, je n’ai entendu parler de M. d’Hersilie : je n’ignore point la raison qui l’a déterminé à exiger de sa femme de se retirer dans sa terre. L’oubli total dans lequel il laisse elle et ses enfants, est impardonnable. Vous, qui êtes son Ami, essayez donc de le faire revenir. De son aveu, il n’a aucun reproche à faire à Madame d’Hersilie, pourquoi donc se comporter d’une manière aussi étrange ? J’ai appris par un des Officiers du Régiment du Marquis de Lubeck, qu’il s’était battu pour la Baronne de Cotyto. Quelle est cette femme ? D’après ce qu’on m’en a dit, je la crois fort dangereuse ; et je suis désespéré que M. d’Hersilie se trouve lié avec elle. C’est une chose bien étrange que l’homme : aussitôt qu’il possède, il tombe dans une satiété qui finit par lui rendre odieux l’objet qui absorbait tous ses désirs. Si vous aviez vu comme moi, M. d’Hersilie lorsqu’il épousa Mademoiselle de Torbe6565. Mademoiselle de (…) , vous ne pourriez pas croire que ce soit le même homme qui l’ait condamnée à un exil aussi peu mérité. Veillez sur lui, mon cher Chevalier, je compte sur votre amitié ; tranquillisez la mienne, en détruisant mes craintes ; je n’en ai point fait part à sa femme, je me voudrais du mal de troubler sa tranquillité. Si vous voyiez avec quel soin elle veille à l’éducation de ses enfants, vous en seriez enchanté. En vérité, qui la connaît ne peut que blâmer M. d’Hersilie de son aveuglement6666. Comme dans le M (…) .

LETTRE XX.

Le Chevalier d’Ernest à M. de Saint-Albert.

De Paris.

Vous m’affligez, mon Ami, je voudrais pouvoir vous faire illusion sur les torts de M. d’Hersilie, mais cela m’est impossible. Depuis le départ de sa femme, il est répandu6767. Est répandu : a (…) dans une société pernicieuse. Ce n’est pas la Baronne de Cotyto que je crains le plus. Elle est étourdie, folle même, si vous voulez, mais incapable de faire le mal avec réflexion. Elle met toute sa félicité à avoir (comme elle le dit elle-même) beaucoup d’Amoureux, et pas un Amant6868. Beaucoup d’Amou (…) . Elle est jolie comme les Grâces, et trouve facilement à satisfaire son goût. D’Hersilie s’est mis sur les rangs6969. S’est mis sur l (…) , voilà le sujet de sa dispute avec le Marquis de Lubeck. Il en a déjà eu deux autres depuis ; mais tout cela ne serait encore rien, si Madame de Cotyto ne l’avait point lié avec la Vicomtesse de Thor et la Comtesse de Menippe. Ces deux femmes sont les êtres les plus dangereux que je connaisse. La dernière tient un Pharaon chez elle7070. Au jeu du Phara (…) , et d’Hersilie en fait les honneurs, parce que la Baronne aime ce jeu de passion. Il dérange sa fortune, et néglige son avancement. Il vient de louer une maison à deux lieues de Paris ; tous les jours il y donne des fêtes, dont Madame de Cotyto est la Déesse. Je l’accompagne souvent pour tâcher de lui être utile dans l’occasion. J’ai hasardé de lui donner des conseils, mais ils ont déplu. Il faut tout attendre du temps. Adieu, mon Ami, consolez cette pauvre Marquise, et tâchez de lui éviter le chagrin d’apprendre les travers de son volage Mari.

LETTRE XXI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor7171. La réponse de l (…) .

De Paris.

Enfin, vous voilà encore à votre vilaine campagne. Je voudrais que les neiges et les frimas vous y assaillissent si fort, que vous fussiez obligée de vous enfuir bien vite, de peur d’y être enterrée. N’espérez pas que j’aille vous chercher. La bouche me fait encore mal des bâillements que votre éternel oncle7272. Votre éternel o (…) m’a occasionnés. Il faut que je vous apprenne deux nouvelles, une qui vous fera grand plaisir et l’autre qui me vaudra une bonne querelle. La première, c’est que M. de Cotyto ne revient pas cet automne ; son régiment change de garnison, et c’est lui qui le conduit. Je n’en suis pas fâchée ; car j’ai perdu considérablement au Pharaon, et son absence me donnera le temps de réparer la brèche que j’ai faite à mes diamants. L’autre nouvelle est bien plus terrible, il me semble vous voir froncer le sourcil, et vous préparer à me quereller ; mais auparavant de me gronder écoutez ma justification. Vous savez avec quelle complaisance je me rendais chez la Comtesse de Menippe, que à moi seule je soutenais son Pharaon, et même sa réputation ; car j’ai souvent rompu des lances pour elle7373. J’ai souvent ro (…) . Eh bien ! elle m’a joué un tour perfide : vous en allez juger. Le Marquis d’Hersilie a loué une maison de campagne, il nous y donna à souper jeudi dernier. La soirée était superbe : en sortant de table, nous descendîmes dans le jardin, mais je restai sur la terrasse ; depuis mon aventure de la grotte je ne m’expose plus. Le Marquis d’Hersilie et le Chevalier d’Ernest m’accompagnent ; nous gardions le silence. J’entendis derrière une charmille qui borde les bosquets, prononcer mon nom. Je fis signe au Marquis de s’arrêter. Je craignais de respirer de peur de perdre un seul mot. Jugez de mon indignation quand j’ouïs très distinctement Mme de Menippe me déchirer7474. Me déchirer : m (…) impitoyablement. J’eus le courage d’écouter jusqu’à la fin : c’était avec le Marquis de Lubeck qu’elle s’entretenait ; et il n’a pas tenu à elle qu’il ne fût le plus scélérat de tous les hommes. Cette méchante femme voulait absolument qu’il convînt que ma frayeur avait été factice, et que ce n’était pas la première fois que nous nous étions trouvés tête à tête. J’étais outrée de colère, et sans le Chevalier d’Ernest, j’aurais éclaté. Mais vous ne devineriez pas le sujet de sa haine, le voici : c’est qu’elle est devenue amoureuse folle du Marquis d’Hersilie, et qu’elle voudrait me donner un ridicule pour qu’on m’abandonnât. Avez-vous jamais rien vu de plus abominable ? Ah ! elle n’a qu’à se bien tenir : je suis déterminée à la désespérer7575. À la désespérer (…) . Nous sommes partis sur le champ, et j’ai emmené dans ma voiture notre Amphitryon7676. Amphitryon : no (…) , le Chevalier d’Ernest et le Marquis de Lubeck ; nous ne lui avons laissé que le vieux Commandeur7777. Commandeur : ti (…) et l’épais Financier7878. Financier : hom (…) qu’elle dupe toute la journée. Je la hais mortellement, et lui ai signifié hier que je ne mettrai jamais les pieds chez elle. Le Chevalier d’Ernest en paraît enchanté ; réellement, ma chère Amie, cette femme ne nous convenait pas ; elle a une réputation affreuse : je suis persuadée que M. de Cotyto sera enchanté de cette rupture. J’ai le projet, pour la trahir, de donner à souper le même jour qu’elle, et d’inviter toutes les personnes qui y vont ordinairement. Je suis convaincue qu’ils préféreront ma maison à la sienne, et je serai vengée, car on m’a assuré que le Pharaon était tout son revenu. Adieu, ma chère Amie, je vous rendrai compte du succès de ma vengeance.

LETTRE XXII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Je suis complètement vengée. J’ai eu le souper le plus brillant, et la Comtesse est restée absolument seule. Le Marquis de Lubeck, que j’avais prié d’y aller, est venu me rendre compte de sa fureur ; elle a juré de s’en venger, mais je le lui permets, et ne crains rien. Je n’ai aucun reproche à me faire, et, malgré sa méchanceté, je la défie ; mais admirez comme tout m’a réussi ! jusqu’à son Financier qui est venu me faire la cour. Je l’ai accueilli comme un grand Seigneur ; il était si boursoufflé d’orgueil, qu’il ne pouvait plus articuler une parole. Il nous a tous invités à une fête qu’il doit donner à son Château ; il a demandé quinze jours afin de la rendre plus brillante ; j’ai accepté, sous la condition que Madame de Menippe n’en serait pas ; elle sera furieuse, et moi bien satisfaite : oh ! je lui apprendrai à ne pas juger tout le monde d’après ses principes. Les quinze jours que le Financier a demandés seront bien employés ; la Marquise de Saint-Hæmond, qui est charmante, m’accompagnera partout ; elle m’a décidée à accepter un dîner chez le Marquis du Lubeck. Il est si repentant de sa faute, que j’ai cru ne pouvoir le refuser : il en a paru comblé. Demain nous montons à cheval dans le bois de Boulogne, et nous irons passer la journée chez la Marquise de Saint-Hæmon, à Chatou7979. Chatou : commun (…) , d’où nous ne reviendrons qu’au jour. Amusez-vous autant que moi.

LETTRE XXIII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

Du Château de….

Ah ! ma chère Amie, je ne suis pas encore revenue d’une aventure terrible qui vient de m’arriver. Cette méchante Madame de Menippe a bien cruellement pris sa revanche. Le Marquis d’Hersilie voulait jeter le Financier par les fenêtres, et sans le Chevalier d’Ernest, qui se trouve toujours pour empêcher les accidents, cela faisait encore une histoire affreuse. Cette fête qui nous avait été annoncée, a eu lieu avant-hier : nous sommes partis au nombre de quarante. L’allée qui conduit au Château est fort longue, et de distance en distance une troupe de Musiciens exécutaient des symphonies de Delman8080. Delman : il s’a (…) et de Grétry8181. Grétry : André- (…)  ; enfin, nous sommes arrivés précédés par le plaisir, jamais je n’avais été aussi gaie. La journée s’est passée dans une suite d’enchantements. J’avais une douzaine d’Adorateurs ; la Marquise de Saint-Hæmon, et moi, nous partagions les suffrages. Un bal paré est venu ensuite ; l’exécrable Financier en a proposé un autre masqué, cette folie nous a plu infiniment, et chacun s’est dispersé dans des appartements où l’on a eu à choix ce qu’on désirait pour se déguiser. J’ai ouvert le bal avec le Marquis d’Hersilie. Un masque, d’une taille élégante, est venu me prier de danser. Après la contredanse8282. Contredanse : s (…) , il m’a proposé de passer dans le salon du jeu ; je l’ai suivi, presque sans le vouloir, et après une bonne heure de conversation très intéressante, un autre masque, que j’ai cru reconnaître pour le Chevalier d’Ernest, m’a dit, tout bas à l’oreille, de prendre garde à moi, que je ne savais pas avec qui j’étais. J’ai cru que c’était un tour de bal, et j’ai écouté avec grand plaisir les douceurs du beau masque, je crois même lui en avoir répondu ; enfin, après les louanges les plus flatteuses sur ma taille et mes grâces, il m’a suppliée de me démasquer. Bien sûre de mon triomphe, j’y ai consenti, sous la condition qu’il en ferait autant ; nous sommes passés dans une autre pièce, et j’ai ôté mon masque ; mais mettez-vous à ma place, quand mon Adorateur, pour tenir la parole qu’il m’avait donnée, a ôté le sien, et que j’ai reconnu mon Mari. Je me suis évanouie de frayeur ; à ce qu’on m’a dit, il a conservé un sang-froid insultant. Le Marquis de Lubeck, qui ne le connaît pas, s’est imaginé que c’était un masque qui m’avait insultée, il lui a parlé avec beaucoup de vivacité ; par bonheur, le Chevalier d’Ernest a nommé M. de Cotyto ; mais malgré cela, ils se sont tenu des propos forts durs. Cela n’en restera pas là. Le Marquis d’Hersilie a profité du moment de trouble que cet événement a causé, M. de Lubeck s’est joint à lui, ils ont fait avouer au vieux Financier que Madame de Menippe avait écrit à M. de Cotyto, et l’avait engagé à se trouver au bal8383. Madame de Menip (…) . Ils sont entrés dans une si grande fureur, que sans la prudence du bon Chevalier d’Ernest, la chose eût fort mal tourné. Le Financier est parti sur le champ, et nous a laissés maîtres chez lui8484. Nous a laissés (…) . Je suis seule dans mon appartement, et pour charmer mon ennui, je vous écris ; convenez que quand vous êtes absente, il m’arrive toujours des catastrophes ; vous êtes mon bon Ange ; ne me quittez donc plus.

LETTRE XXIV.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

Du Château de….

Les malheurs se succèdent, le Chevalier d’Ernest, après une longue conversation avec M. de Cotyto, l’avait déterminé à oublier mes étourderies. Les conditions de la paix allaient être signées. Je retournais à Paris, et M. de Cotyto à son régiment. Le Marquis de Lubeck et lui s’étaient embrassés, et la tristesse faisait place à la joie. M. de Cotyto avait consenti à me voir, quand la Discorde8585. Discorde : nom (…) , jalouse de notre bonheur, nous a suscité un nouvel embarras. Deux Gardes des Maréchaux8686. Les gardes des (…) de France sont arrivés, et se sont attachés aux pas de M. de Lubeck et de mon Mari. M. de Cotyto en a été d’autant plus désespéré, qu’il est venu sans congé, et que cela peut le perdre. Le Marquis d’Hersilie est parti sur le champ pour Versailles, afin d’arranger cette malheureuse affaire. Ah ! ma chère Amie, j’ai bien du chagrin ; quels reproches mon Mari n’est-il pas en droit de me faire ! il est parti pour Paris sans vouloir me voir. Madame de Saint-Hæmon l’a prié de permettre que j’allasse à Chatou, il a répondu que je pouvais faire ce qui me plairait, qu’il s’en inquiétait fort peu. J’ai prié le Chevalier d’Ernest, qui l’a accompagné à Paris, de me rendre compte de tout ; je suis bien inquiète !

LETTRE XXV.

Le Chevalier d’Ernest à la Baronne de Cotyto.

De Paris.

J’ai rempli vos ordres, Madame, je n’ai pas quitté M. de Cotyto, il lui est ordonné de joindre son Régiment, et de garder les arrêts. Je n’ai jamais pu le faire consentir à vous voir, il y met une condition qui vous paraîtra dure, mais que je crois nécessaire ; c’est de renoncer entièrement à Madame de Thor, d’aller passer la belle saison avec Madame de Fionie, à qui il a écrit pour la prier de vous recevoir, ou bien d’aller en Berry8787. Berry : provinc (…) , chez Madame votre Mère. Ce sont des ordres qui vont vous révolter. Si vous me permettez de vous dire mon avis, je crois que vous n’avez rien de mieux à faire ; par ce moyen vous regagnerez la confiance de M. de Cotyto, et ce ne sera qu’un nuage facile à dissiper. Quittez vos projets de vengeance contre Madame de Menippe, vous finiriez par en être la victime. Vous voyez son coup d’essai, craignez-la puisqu’elle est méchante. Je suis avec respect, etc.

LETTRE XXVI.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Chatou.

Enfin, ma chère Amie, pour recouvrer la paix, il faut que je renonce au bonheur ; il faut que je rompe tout commerce8888. Tout commerce : (…) avec vous. Que je suis malheureuse ! guidez-moi dans le parti que je dois prendre. Il me semble que je ferai mieux d’aller chez la Comtesse de Fionie, elle n’aura que le droit des conseils, et ma Mère me donnera des ordres, et puis chez Madame de Fionie il y a toujours de la société ; je ne serai qu’à cinq lieues8989. Cinq lieues : e (…) de Paris ; au lieu que chez ma Mère je n’aurai d’autre amusement que de jouer au Loto avec son vieux Curé ; je n’y vivrais pas six mois. C’est pourtant cette méchante Madame de Menippe qui est cause de tous ces embarras. Ah ! vous avez raison, j’aurais dû ne pas me venger ; le mépris était ce qui lui convenait, mais comment prendre sur soi d’oublier une insulte aussi forte que celle qu’elle m’a faite ? Madame de Saint-Hæmon est furieuse contre M. de Cotyto ; en effet, c’est fort mal d’exiger que je la quitte ; quelle raison peut-il donner ? c’est une femme très honnête, son mari est on ne peut pas plus aimable ; il faudrait qu’ils lui ressemblassent tous. Sa Femme est maîtresse absolue de toutes ses volontés ; aussi l’on n’invite point Madame de Saint-Hæmon sans son Mari, parce qu’on sait qu’il n’est pas ridicule. J’attends de vos nouvelles avec une vive impatience.

LETTRE XXVII.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Que de tapage pour rien ! En vérité, ma chère Amie, il faut convenir que vous avez bien peu de tête. J’aurais donné la moitié de ma fortune pour que pareille aventure m’arrivât ; au lieu de me troubler, comme vous l’avez fait, j’aurais reproché hautement à mon Mari son inconstance et sa légèreté ; j’aurais feint de l’avoir reconnu, et de m’être servie de ce stratagème pour le confondre. Il serait maintenant à mes genoux, me demandant pardon de son infidélité, et il ne l’obtiendrait qu’à de bonnes conditions. J’aurais ainsi mis les rieurs de mon côté, et la Comtesse de Menippe crèverait de dépit. Comment, je ne parviendrai jamais à vous former9090. La thématique d (…)  ! vous seriez la seule à qui je n’aurais pas pu donner l’usage du grand monde. Il est malheureux pour vous que je sois obligée de passer l’été chez mon oncle ; votre imprudence vous met dans la dure nécessité de ménager votre Mari. Je ne puis vous plaindre, c’est votre faute ; vous l’avez accoutumé à prendre un empire9191. Un empire : un (…) sur vous, qui est tout à fait indécent. Que feront les femmes de dix-sept ans, si une femme de vingt se laisse mener comme un enfant9292. C’est préciséme (…)  ? Il ne vous manquerait plus que d’aller en retraite chez votre Mère, prendre un directeur et faire une confession générale. Je vous l’ai toujours prédit, vous finirez par vous faire béguine9393. La Vicomtesse d (…)  ; et si vous n’acquérez pas une force d’esprit et un caractère plus ferme et plus décidé, vous serez très malheureuse. Vous avez fait une sottise, il faut en subir les suites9494. En subir les su (…) . Allez-vous-en passer quelque temps chez la Comtesse de Fionie, c’est une bonne femme, son seul défaut est d’être bégueule9595. Bégueule : exce (…)  ; il vous sera facile de faire naître une querelle qui vous brouillera. Vous aurez satisfait votre Mari, et il ne pourra plus rien exiger de vous. Je me fais fort de vous venger complètement ; je ménage à la Comtesse de Menippe un tour de ma façon, j’aurai bien du plaisir à la voir humiliée ; nous n’avons jamais pu nous souffrir. Mandez-moi le résultat de votre aventure, et qu’elle vous serve de leçon pour l’avenir. Vous me trouverez toujours aussi dévouée à vos intérêts ; je n’aurai pas de plus grand plaisir qu’à vous donner des preuves de ma sincère amitié.

LETTRE XXVIII.

Madame de Singa à la Marquise d’Hersilie.

Au Château de Fionie.

Votre absence, ma chère Marquise, me cause bien des chagrins. Il est cruel d’être séparée de l’Amie de son cœur, quand ce cœur a besoin de s’épancher9696. S’épancher : pa (…) . Vous savez que, veuve à quinze ans, j’avais bien peu d’expérience pour me conduire dans le monde, et pour faire un choix capable de me rendre heureuse. Mme de Fionie me donna les soins d’une mère ; sa maison devint la mienne, et j’y passais des jours tranquilles. Le Chevalier de Zéthur était aussi regardé comme son fils. Son oncle et sa tante voyaient naître avec plaisir des sentiments qui devaient assurer notre bonheur ; mais M. de Fionie ne voulut y consentir que lorsque le Chevalier aurait un Régiment. Il vient d’être obtenu ; je touchais au moment de jouir, quand Madame de Cotyto est venue troubler ma tranquillité. Ne me croyez pas jalouse, ma chère Amie ; non, je ne la suis pas. Je suis inquiète ; et tremble de voir mes craintes se réaliser. Madame de Cotyto est aimable ; mais quel espoir le Chevalier peut-il avoir ? N’est-elle pas engagée ? Veut-il déshonorer son Ami ? déchirer un cœur tout à lui en rompant des liens qui allaient devenir indissolubles. Il parle d’aller à Sainte-Maure, chez la Baronne, passer le reste de l’été. Que veut dire cette conduite ? lui qui ne s’absentait jamais, et se plaignait sans cesse du retard que son oncle apportait à notre union. Ah ! ma chère Amie, les hommes sont bien étranges ! si je ne craignais pas de fâcher Madame de Fionie, j’irais puiser dans votre sein9797. Dans votre sein (…) des consolations dont j’ai grand besoin. Donnez-moi de vos nouvelles, elles feront diversion à ma douleur.

LETTRE XXIX.

La Marquise d’Hersilie à Madame de Singa.

Du Château d’Hersilie.

Que vous m’affligez, mon Amie ! je voudrais être près de vous pour partager vos peines. Ne vous laissez point abattre par la douleur, vos craintes sont peut-être mal fondées. Je ne puis croire que Monsieur de Zéthur, qui a toujours été raisonnable, s’aveugle au point de rompre un engagement où il trouvait tous les avantages réunis, pour s’attacher à une étourdie qui ne peut que lui faire faire des sottises. Vous vous êtes peut-être alarmée sans sujet ; mais s’il était vrai que Madame de Cotyto eût exercé ce nouvel empire, rappelez votre raison, et bénissez votre destin de n’avoir à pleurer qu’un infidèle : un ingrat fait répandre bien plus de larmes. J’aurais bien du plaisir à vous recevoir, mais je craindrais, comme vous, que cela ne chagrinât Madame de Fionie, elle a besoin aussi de consolation. Je sais combien elle aime son neveu, et sa conduite ne peut que lui déplaire infiniment. Je voudrais qu’il me fût possible d’aller vous joindre toutes deux ; vous savez ce qui m’en empêche. Écrivez-moi souvent, faites-moi part de vos peines9898. La Marquise d’H (…) , je les partage bien sincèrement.

LETTRE XXX.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

Du Château de Fionie.

Il faut, ma chère amie, être aussi bonne que je le suis, avoir autant de patience pour ne pas déserter mille fois de chez Madame de Fionie. Vous n’avez pas d’idée des sermons que l’on me fait toute la journée. C’est une chose bien détestable que les prudes ! Elle a avec elle cette Madame de Singa, qui parle sans cesse de son défunt Mari, et qui, pour se consoler, veut épouser le Chevalier de Zéthur. Pour me venger de l’ennui que j’éprouve avec ces bégueules, j’ai conçu le plus joli projet ; il est digne de vous. Madame de Fionie veut absolument faire épouser Madame de Singa à son neveu, parce qu’on la dit fort riche. Eh bien ! j’ai mis dans ma tête de captiver le chevalier, et j’y ai réussi ; je suis enfin parvenue à brouiller ce petit ménage. Vous m’avez trop bien appris que, lorsqu’une femme veut s’emparer du cœur d’un homme, rien n’est plus facile. Le Chevalier a les passions très vives : ce matin j’ai eu une longue conversation tête à tête avec lui ; après m’avoir beaucoup parlé du danger qu’il y avait de se lier pour la vie, je lui ai fait sentir combien un engagement volontaire était préférable, et je me suis servie de toute mon éloquence pour lui prouver que c’était le seul moyen d’être heureux. Oui, m’a-t-il dit avec émotion, en jetant sur moi un regard tendre et passionné, mais où trouver un cœur fidèle qui s’attache à nous pour la vie ? si j’étais assez heureux pour le rencontrer, je renoncerais à l’hymen9999. L’hymen : le ma (…) . Ah ! Chevalier, lui dis-je, en feignant de rougir, quand on possède, comme vous un cœur sensible et délicat, on doit espérer de captiver celle à qui l’on adresserait ses vœux. Quoi, reprit-il, je pourrais !… dans ce moment il a saisi ma main ; je la retirai brusquement. Vous me refusez ? Non ; mais je ne veux pas d’un cœur qu’une autre possède. Quel est votre désir, voudriez-vous faire le malheur de mes jours ? vous avez l’âme trop généreuse pour vouloir me tromper. Où trouveriez-vous une femme réunissant autant de charmes que Madame de Singa ? elle est bien faite pour vous captiver ; il y aurait trop de présomption de ma part d’espérer de la supplanter. Cessez, mon cher Chevalier, de me presser davantage ; je me levai en même temps pour le quitter. Arrêtez, s’écria-t-il, en se jetant à mes genoux, je vous jure un amour éternel ; mon cœur, mon âme, tout est à vous. Relevez-vous, lui dis-je, je ne puis vous souffrir dans cette posture, vous oubliez que vous avez promis votre foi. Quelle preuve me donnerez-vous de la sincérité de vos sentiments ? Ordonnez, je suis prêt à tout entreprendre pour vous en convaincre ; je jure par l’amour que vous m’avez inspiré, par tout ce qu’il y a de plus sacré, que je renonce pour jamais à Madame de Singa ; il me fit ensuite mille protestations de passer sa vie avec moi, et promit de me suivre partout où j’irais. Je lui ai imposé, pour première condition, de rompre entièrement avec Madame de Singa ; d’écouter un peu moins sa tante, et de se soumettre aveuglément à toutes mes volontés : il m’en a renouvelé le serment. Voilà, je pense, ma chère Amie, savoir jouer la Comédie avec tout l’art possible100100. Les libertins s (…)  ! Pour cette fois je tiens le Chevalier dans mes chaînes, il ne s’en retirera pas aisément. Je vous assure qu’il est passionné au-delà de toute expression ; ce qui m’amuse beaucoup, c’est son embarras avec Madame de Singa, elle ne paraît pas encore s’en apercevoir ; d’ailleurs elle a trop d’amour-propre pour le laisser entrevoir, et compte trop sur la candeur et la fidélité de son futur. En vérité, elle méritait bien ce tour, et vous m’applaudirez sincèrement d’avoir saisi une si belle occasion de me venger de la nécessité de vivre avec ces deux prudes.

LETTRE XXXI.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

Courage, ma belle Amie, vous voilà aussi habile que la plus expérimentée ! vous avez tort de me comparer à vous, vous me surpasserez et je serais tentée d’en être jalouse. Il ne s’est jamais présenté une occasion si belle de faire sentir le pouvoir de mes charmes avec autant d’adresse, et d’opérer un si grand changement en si peu de temps ; convenez que vous m’avez de grandes obligations. Sans moi que seriez-vous ? une femme perdue pour la société, et aussi insupportable que Madame de Fionie. Je suis enchantée que vous l’ayez traversée dans ses projets ; mais prenez garde à vous, ces prudes sont dangereuses. Si comme moi vous étiez libre, vous n’auriez aucun ménagement à garder, pourvu que vous n’ayez aucun reproche à vous faire : on ne peut empêcher les hommes de rendre hommage à la Beauté, qui, à son tour, a droit de s’amuser des hommes. Pour moi, je les méprise tous, mais je veux qu’ils m’adorent, sans pour cela qu’ils intéressent mon cœur. À l’exemple des Dieux, je reçois avec indifférence, et non sans plaisir, leur encens. Le nombre de soupirants que j’enchaîne à mon char, sont autant de trophées que j’élève à l’Amour, sans me soumettre à son empire101101. La Vicomtesse s (…) . J’espère, ma charmante Amie, que vous ne me laisserez pas ignorer le succès de votre entreprise.

LETTRE XXXII.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Il y a une fatalité attachée à mon sort, tous les malheurs m’accablent à la fois, sans que j’aie le moindre reproche à me faire : tout cela est la faute de Monsieur de Cotyto. Il n’avait qu’à me laisser chez moi, ne pas exiger que j’allasse chez Madame de Fionie, je n’aurais pas éprouvé un désagrément qui me fait beaucoup de peine. Comment prévenir Monsieur de Cotyto de ma rupture avec la Comtesse ? si c’est moi qui la lui apprends, il trouvera mille prétextes pour me donner des torts. Réellement, mon Amie, je suis fort malheureuse. Comment arranger cette affaire ? Elle est fort embarrassante, vous en allez juger. Vous savez les services que le Marquis d’Hersilie m’a rendus ; combien il s’est employé pour que Monsieur de Cotyto ne fût pas la victime de son imprudence. En partant pour aller chez Madame de Fionie, le Marquis m’a demandé la permission de m’y faire sa cour, il y aurait eu de la malhonnêteté à le lui refuser ; d’ailleurs, il est lié avec Madame de Fionie, qui est intime amie de la Marquise d’Hersilie, et j’aurais eu fort mauvaise grâce de m’opposer à ce qu’il vînt la voir : j’y ai donc consenti. Monsieur de Zéthur s’était déclaré mon Chevalier, ce qui a fort déplu à sa respectable tante. Il faut convenir que cette femme est bien prude, vous n’avez pas d’idée de son ridicule ; mais revenons à mon aventure. Le Chevalier de Zéthur m’accompagnait partout ; Monsieur d’Hersilie ne s’est-il pas avisé de le trouver mauvais, il m’en a fait des reproches, comme s’il en avait eu les droits. Vous pensez bien que je m’en suis moquée, et pour le lui prouver, je suis montée à cheval le lendemain, seule avec le Chevalier. Monsieur d’Hersilie a pris la mouche102102. A pris la mouch (…) , (cet homme est fort à craindre) et a été trouver Monsieur de Zéthur à qui il a proposé tout uniment de se battre103103. Il lui a propos (…) , jusqu’à ce qu’il en restât un sur la place. Monsieur de Zéthur a accepté la proposition, quoiqu’il ne l’ait pas trouvée agréable. Ils sont sortis tous deux, heureusement leur explication s’est faite dans le jardin, et a été entendue de Madame de Singa, qui très prudemment en a prévenu Monsieur de Fionie. On les a joints à temps pour empêcher qu’ils ne se battissent. Madame de Fionie est passée dans mon appartement, et m’a reproché avec amertume que j’étais cause de cet éclat. Je ne savais ce qu’elle voulait dire ; j’ai fort mal reçu ses remontrances, et je suis, sur le champ, montée en voiture pour me rendre à Paris : voyez si j’ai raison de me plaindre du sort. J’ai imaginé un moyen pour que Monsieur de Cotyto fût moins fâché. Je vais lui écrire que ma santé est fort dérangée, et que mon Médecin m’a conseillé de prendre les eaux104104. Prendre les eau (…)  ; que le Château de Fionie étant entouré de marais, cet air épais m’a fatigué la poitrine. L’embarras est sur le choix des eaux ; il ne voudra sûrement pas que j’aille à Spa, ce sont pourtant les plus agréables ; si elles l’offusquent trop, j’irai à Plombières105105. Plombières : vi (…) , j’y passerai deux mois, et, à mon retour, on aura oublié tout cela. Qu’en pensez-vous ? mon projet est unique. Dites-moi bien vite votre avis, je brûle de partir.

LETTRE XXXIII.

La Comtesse de Fionie à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de Fionie.

Vous êtes fort heureuse, ma belle Marquise, d’être trop éloignée de Paris, pour qu’on vous ait chargée de la conduite de la plus franche étourdie que je connaisse. Vous vous doutez sûrement que c’est de Madame de Cotyto que je veux parler. Il lui est arrivé des aventures sans nombre depuis votre départ ; entre autres, une qui l’a brouillée avec son mari. Il m’avait priée de la recevoir, et de tâcher de la corriger de sa coquetterie ; mais le mal est incurable. Elle est liée avec la Vicomtesse de Thor, qui est la femme la plus dangereuse qui soit en Europe, et les bons conseils qu’on lui donne ne prévalent pas sur ceux de Madame de Thor, qu’elle écoute comme un oracle. Elle a resté huit jours chez moi, et, dans ce court espace, elle a brouillé une partie de ma société. Elle s’imagine qu’on n’a point de reproches à lui faire parce qu’elle n’a point d’Amants, et sans cesse elle met les hommes aux prises les uns contre les autres106106. La Comtesse de (…) . En vérité, je crois que je préférerais à ces coquettes de profession une femme qui aurait le malheur d’avoir une faiblesse et qui la cacherait ; c’est le fléau des gens sensés. Je suis bien fâchée que la saison soit aussi avancée, j’aurais été me consoler avec vous des chagrins qu’elle m’a donnés dont je prévois que les suites seront cruelles. Monsieur de Fionie voulait en écrire au baron ; j’ai eu beaucoup de peine à l’en empêcher. Adieu, ma belle Amie, amusez-vous toujours de vos occupations champêtres ; ce sont des plaisirs qui ne causent point de remords.

LETTRE XXXIV.

La Baronne de Cotyto à la Vicomtesse de Thor.

De Paris.

Je serais tentée d’aimer mon Mari ; il vient, ma chère Amie, de consentir à me laisser aller à Plombières : j’ai engagé la Marquise de Saint-Hæmon à m’accompagner. Nous nous occupons sérieusement des préparatifs de notre départ : Messieurs d’Hersilie, de Lubeck et de Zéthur viendront nous rejoindre. Nous donnerons le ton à toute la Province. Quelle délicieuse vie nous allons mener ! Il y avait longtemps que je désirais faire un voyage aux eaux. On dit que celles de Plombières sont fort agréables ; le Marquis d’Hersilie vient d’écrire à un de ses Amis qui a une terre charmante à deux lieues de là, et où je crois que nous passerons la majeure partie de notre temps. Je suis d’une satisfaction incroyable ; enfin je vais respirer. D’honneur, je n’étais pas à mon aise. À tous moments je croyais voir arriver M. de Cotyto, escorté de tous ses injustes droits, m’ordonner de le suivre dans le fond de l’Angoumois107107. Angoumois : anc (…) , pour y finir tristement ma vie, sans bals, sans plaisirs, et surtout sans Adorateurs ; mais le sort en a heureusement décidé tout autrement, puisque je vais à Plombières, de son aveu. Comme je veux y tenir un grand état, je me suis défaite de mes diamants ; on n’en met plus. Nous emportons six caisses de chapeaux et de redingotes108108. Redingote : man (…) et autres ajustements de campagne. Je voudrais déjà être partie ; je ne fais autre chose que d’aller à Chatou et chez mon sellier109109. Sellier : artis (…) . Il est d’une lenteur qui me désespère ; le Marquis d’Hersilie le presse cependant on ne peut davantage. Concevez-vous, ma chère Amie, le bonheur dont je vais jouir ; à cent cinquante lieues de mon Mari110110. Cent cinquante (…) , dans un lieu où l’on jouit de la plus grande liberté, et avec une femme charmante. Serai-je bien loin de Nancy ? vous savez que j’y ai des amis. Il est bien honteux de faire de pareilles questions ; je l’avoue, et j’en rougis. Je ne sais rien ; je n’ai pas la moindre notion de Géographie ; enfin, je ne connais absolument que les environs de Paris. Heureusement, mon valet de chambre a pratiqué la route ; car on pourrait me mener aux Antipodes sans que je m’en aperçusse. Dans une vingtaine d’années, je m’adonnerai à l’étude, je ne serai pas toujours jeune ; cette idée est bien affligeante, je ne puis m’y accoutumer. Quoi ! nous deviendrons aussi vieilles et aussi laides que l’éternelle Maréchale de… . Il vaut mieux mourir. En attendant jouissons toujours du plaisir. Je ne sais si je pourrai vous écrire avant mon départ ; mais je vous donnerai certainement de mes nouvelles en arrivant à Plombières.

LETTRE XXXV.

La Marquise d’Hersilie à la Comtesse de Fionie.

Du Château d’Hersilie.

Depuis longtemps j’ai cessé tout commerce avec la Baronne de Cotyto. J’ai essayé de la ramener, mais en vain. Il est bien malheureux qu’elle se laisse conduire par la Vicomtesse de Thor. Elle a des principes d’une extravagance dont il n’est pas d’exemple. J’estime fort M. de Cotyto, et je le plains sincèrement d’avoir une femme qui, sans être réellement criminelle, se donne des ridicules qui la perdront infailliblement. Je suis bien fâchée des chagrins qu’elle vous a occasionnés ; j’aurais été enchantée que vous vinssiez partager mon bonheur ; il est parfait depuis que je suis retirée dans mon ermitage111111. Ermitage : lieu (…) . Je suis devenue absolument philosophe112112. Philosophe : pe (…)  ; j’aurais maintenant beaucoup de peine à me faire à la vie dissipée que l’on mène à Paris. Je fais travailler considérablement dans mon jardin. Si vous saviez mes progrès dans les Mathématiques et la géométrie, vous ne vous étonneriez pas de me voir, le cordeau et la toise113113. Le cordeau sert (…) à la main, tracer des bosquets et des parterres, d’après mes dessins. Je n’ai, pour tout aide, que le Gouverneur de mon fils ; il me démontre sur ce terrain les différents théorèmes que nous avons expliqués ensemble sur le papier. Quelle satisfaction j’éprouverai de voir croître les jeunes arbres que j’ai plantés avec tant de plaisir ; tous les printemps me procureront de nouvelles jouissances ! Je ne puis me lasser d’étudier la Nature ; les richesses sont inépuisables, on y découvre toujours des trésors nouveaux, la plus petite plante offre des détails intéressants. Je m’adonne à la Botanique, c’est la science la plus utile à l’humanité : elle renferme des moyens de nous garantir des maladies auxquelles nous sommes assujettis. Dans les campagnes, le malheureux paysan n’a aucune ressource, il manque des choses les plus simples ; ses moyens ne lui permettant de recourir aux villes voisines, il se laisse périr faute de remèdes. Pour obvier à ce mal, je forme une Pharmacie. Quand ils auront l’espoir de trouver des secours chez moi, ils y viendront tous. Sans cesser de m’amuser, je rendrai service à ces bonnes gens. Adieu, ma chère Amie, empressez-vous de venir me trouver ; santé, tranquillité et amitié sincères vous attendent ici.

LETTRE XXXVI.

Le Chevalier d’Ernest à M. de Saint-Albert.

De Paris.

Si vous saviez, mon Ami, combien j’ai eu d’occupations contraires à mes principes, vous ne m’accuseriez plus de paresse. Le Marquis d’Hersilie me fera tourner la tête, si cela continue encore longtemps. J’ai cessé toutes mes occupations pour le suivre dans ses parties de plaisirs ; il s’imagine m’avoir converti (ce sont ses expressions), il ne se doute pas que l’amitié et les promesses que je vous ai faites, m’ont engagé à adopter un genre de vie qui ne me convient en aucune manière. Il est toujours attaché au char114114. Attaché au char (…) de Madame de Cotyto, elle lui fait faire sottises sur sottises ; elle est remplie de fantaisies115115. Fantaisies : ca (…) , et le Marquis les adopte toutes. Je me suis mis l’esprit à la torture pour engager le Baron à laisser aller sa femme aux eaux, dans l’espoir que son absence rendrait M. d’Hersilie à la raison ; mais j’avais bien mal calculé : cette jeune folle ne serait pas satisfaite, si ses Adorateurs ne la suivaient, et le Marquis n’a pas été le dernier à accepter la proposition. L’attachement respectueux que j’ai pour Madame d’Hersilie, et la pitié que m’inspire son étourdi de Mari, me font encore entreprendre ce voyage. Je crains que ma présence n’y soit bien nécessaire. Adieu, mon Ami, je vous donnerai de mes nouvelles aussitôt mon arrivée.

LETTRE XXXVII.

Madame de Singa à la Marquise d’Hersilie.

Du Château de Fionie.

Mon malheur est décidé, mon Amie, M. de Zéthur a rompu ouvertement. Ma douleur me faisant rechercher la solitude, j’ai entendu dans un bosquet une conversation avec un de ses rivaux, qui m’a déchiré l’âme. Ah ! mon Amie, plaignez-moi, l’illusion est cessée ; M. de Zéthur est l’Amant déclaré de Madame de Cotyto : il l’a suivie, et depuis huit jours nous n’avons point eu de ses nouvelles. M. de Fionie est furieux ; il voulait aller trouver le Ministre, et faire partir le Chevalier, sur le champ, pour son Régiment : ce n’est qu’à ma pressante sollicitation qu’il a cédé. M. de Zéthur est dans l’erreur ; il faut que le temps le corrige. Un acte de violence ne lui inspirerait pour moi que de la haine, et j’en mourrais. Je ne veux opposer à sa légèreté, que des preuves de ma tendresse ; il a perdu considérablement ; il est prêt à partir pour Plombières avec la Baronne ; il est fort embarrassé : je vais lui faire passer de l’argent, sans qu’il sache que c’est de moi qu’il le tient. Oui, je veux le forcer à regretter le cœur qu’il afflige : je veillerai sans cesse sur lui, et je préviendrai tous ses besoins ; mais concevez-vous la Baronne ? Elle se fait un jeu des tourments des autres ; elle a une douzaine d’Amants en titre, et il n’y en a qu’un de libre : car enfin, mon Amie, M. de Zéthur ne l’est pas. N’ai-je pas reçu ses serments ? Mon sort n’allait-il pas être lié au sien pour la vie ? Je touchais au bonheur, et le manège le plus affreux m’en prive. Je n’ose faire voir à Madame de Fionie tout mon chagrin ; elle est elle-même très affectée. Combien Madame de Cotyto cause de malheurs ! Combien elle fait verser de larmes ! Est-il possible qu’un Être qui réunit autant de qualités, ne les emploie que pour le tourment des autres : elle pourrait contribuer au bonheur de ses Amis, et elle empoisonne leurs jours, déshonore son Mari, et se perd pour la vie. Que lui ai-je fait pour m’accabler ainsi ? Je la plaignais, j’employais tous mes soins à la tirer de son erreur, et je tâchais de lui prouver que le bonheur consistait dans la paix du cœur et l’estime de soi-même ; que cet essaim d’Amants lui faisait tort, quoiqu’elle ne fût pas réellement coupable. Je lui demandais si la vie bruyante qu’elle menait, ne laissait pas toujours un vide dans son âme, qui serait nécessairement remplacé par les remords les plus déchirants. Je lui faisais enfin le tableau d’une union bien assortie, et je peignais d’avance le bonheur dont j’allais jouir, en épousant M. de Zéthur : elle paraissait m’écouter, m’applaudissait et tramait en même temps la plus noire perfidie. Ah ! mon Amie, je ne puis penser à sa conduite sans frémir. C’est elle qui a tout fait, n’en doutez point. M. de Zéthur m’aimait, Madame de Cotyto a employé tous les ressorts de la coquetterie pour se l’attacher : elle triomphe, et moi je suis dans les larmes.

LETTRE XXXVIII.

La Marquise d’Hersilie à Madame de Singa.

Du Château d’Hersilie.

Il est temps, mon Amie, d’appeler la raison à votre secours. Madame de Cotyto triompherait trop de votre douleur. Plus elle vous saura affectée, plus elle emploiera de moyens pour captiver le Chevalier. Ce sont les principes de Madame de Thor, qui la gouverne. Je n’approuve point votre dessein de fournir aux dépenses de M. de Zéthur : telle précaution que vous preniez, on finira par savoir que c’est vous ; et cet acte de bienveillance fera un tort considérable à votre réputation.

Attendez tout du temps, mon Amie, il vaut beaucoup mieux, si le Chevalier revient à vous, et que vous lui pardonniez, payer les folies de votre Mari, que de fournir aux extravagances de votre Amant. Si vous aviez affaire à des gens sensés et raisonnables, ils ne verraient dans votre conduite, qu’une grandeur d’âme bien estimable ; mais ces étourdis ne manqueront pas de dire que vous craignez le Chevalier, et que vous payez cher sa discrétion. Je tremble pour vous, si vous persistez dans ce dessein.

Au nom de l’amitié la plus tendre, renoncez à un projet qui vous deviendrait funeste ; ne craignez pas de déposer vos chagrins dans le sein de Madame de Fionie : vous vous consolerez mutuellement. La douleur concentrée absorbe nos facultés, et ne nous laisse aucun moyen pour parer aux événements. Je sais, comme vous, que les peines du cœur sont les plus sensibles ; mais il faut de la fermeté, du courage et de la constance, pour supporter les maux dont nous sommes assaillis.

LETTRE XXXIX.

La Vicomtesse de Thor à la Baronne de Cotyto.

Du Château de….

On n’entend pas plus parler de vous, que si vous étiez noyée dans les bains : voilà ce que c’est, vous ne m’écrivez que lorsque vous avez besoin de mes conseils, mais toujours trop tard ; aussi je vous promets de vous tenir rigueur ; vous m’en montrez l’exemple. J’aurais bien l’envie de vous laisser ignorer l’aventure de la Comtesse de Menippe, mais ce serait porter ma rancune un peu trop loin. Je serais la première punie ; elle fera d’ailleurs rire beaucoup à Plombières, où l’on n’a rien de mieux à faire. Depuis qu’il y a des femmes, et par conséquent depuis qu’il règne dans notre sexe une rivalité, on n’a pas plus humilié une Coquette que je ne l’ai fait. Il faut bien que je vous venge ; car sans moi vous vous laisseriez jouer impunément par tout le monde. Le Chevalier de Luzak n’a pas manqué de se rendre à une invitation que je lui avais faite de venir passer quelque temps chez mon Oncle. Jamais je ne l’ai vu si empressé et si galant. Tous les matins, sa muse légère et badine lui fournissait un couplet, ou un quatrain, et en dépit de Madame de Menippe, il louait la blancheur de mon teint ; celle-ci arriva quatre jours après lui, et parut fort étonnée de trouver avec nous le Chevalier. Son cœur palpitait de joie et de crainte ; (car je ne manquai pas de paraître très bien avec lui) elle en était au désespoir, mais cela ne suffisait pas encore pour assouvir ma vengeance. Je soupçonnais que Madame de Menippe se peignait les sourcils ; j’en fis confidence au Chevalier de Luzak qui, pour me faire sa cour, me promit de s’en assurer. Vous savez qu’elle a beaucoup de couleurs, et qu’elle affecte de ne pas mettre de rouge. Il y avait un cercle nombreux, la société était fort gaie, nous étions à faire mille folies, lorsque le Chevalier arriva tout essoufflé du jardin. J’ai fait, dit-il, un parti très-sûr ; qui veut être de moitié avec moi ? De quoi s’agit-il, lui demandai-je ? d’un charmant bal ; mais il faut que la Comtesse de Menippe me permette de vérifier si les roses de son teint ne sont point factices. Volontiers, dit-elle, prenez un mouchoir, faites votre épreuve, et je donne un second bal, si vous trouvez du rouge. Le Chevalier se met en devoir d’essuyer les joues, et maladroitement appuie trop sur un des sourcils, qui reste en partie sur le linge avec lequel il noircit un côté de la Comtesse ; alors il retourne adroitement le linge, et montre à tout le monde qu’il est blanc. L’héroïne, qui était restée dans son fauteuil, ne s’en aperçut pas ; on riait à gorge déployée ; elle-même étouffait de rire, et donnait des ordres pour le bal ; enfin elle se leva, et courut à la glace s’admirer. Vous ne verrez jamais une pareille furie, elle partit comme un éclair, en s’arrachant les cheveux, et en jurant qu’elle s’en vengerait de la manière la plus éclatante. Sa figure était si grotesque, que mon Oncle qui, depuis dix ans ne s’était déridé, pensa tomber en pâmoison116116. Pâmoison : défa (…) à force de rire. La Comtesse courut s’enfermer dans sa chambre, et ne voulut plus paraître de la journée, telles instances qu’on ait pu faire ; elle est partie le lendemain, avant que personne ne fût levé. Toute l’assemblée a condamné le Chevalier de Luzak à donner un bal à ses dépens, pour réparation de son espièglerie ; je vous jure que j’y danserai de bien bon cœur. Adieu, ma belle Amie.

Fin de la Première Partie.

1.

Le nom Cotyto fait référence à Kotys, déesse grecque de l’impudence.

2.

Hersilie : Gacon-Dufour a pris le nom de ce personnage dans l’histoire romaine, où Hersilie était l’épouse de Romulus et l’une des Sabines enlevées par les Romains. C’est elle qui met fin aux combats entre les Sabins et les Romains.

3.

Antique : dont la mode est passée depuis longtemps.

4.

Sultan : titre de dignité de certains souverains musulmans, ici employé par plaisanterie pour qualifier le comportement autoritaire et despotique du Marquis d’Hersilie. L’imaginaire convoqué rappelle celui des Lettres persanes de Montesquieu.

5.

D’aujourd’hui en huit : dans une semaine.

6.

Dans la suite du roman, des précisions sont données sur le lieu de résidence de la Marquise d’Hersilie. Elle séjourne près de la ville de Moulins, située à environ 330 kilomètres de Paris.

7.

La grande tour contenant un peuple libre est un pigeonnier.

8.

Cette description rappelle la pastorale, genre littéraire en vogue au 18e siècle qui représente la vie champêtre et les idylles des bergers de manière idéalisée. Par la suite, le rapport à la campagne qu’entretient Madame d’Hersilie va devenir plus pratique.

9.

Rosettes : nœuds d’un ruban qui ornent un vêtement.

10.

Le Chevalier d’Ernest, grand ami du Marquis d’Hersilie, incarne la figure de l’homme sage du roman. Il est clairvoyant sur les raisons du départ de la Marquise d’Hersilie et devient son confident.

11.

M. de Saint-Albert est un ami du Marquis d’Hersilie qui lui donne de sages conseils tout au long du roman.

12.

Tocsin : sonnerie de cloche pour donner l’alarme.

13.

Bourbonnais : ancienne province correspondant aujourd’hui au département de l’Allier et dont le chef-lieu est Moulins.

14.

L’Auvergne est une région plus éloignée de Paris que le Bourbonnais.

15.

Se marier avant quarante ans : les hommes n’étaient pas tenus de se marier aussi tôt que les femmes et leur liberté amoureuse était grande.

16.

Le souffrir : le supporter.

17.

Vous convertir : changer de comportement. M. de Saint-Albert conseille au Marquis d’Hersilie de cesser d’être inconstant.

18.

Désœuvrement : oisiveté, inaction.

19.

Répandu : on dit qu’un homme est fort répandu dans le monde pour dire qu’il voit beaucoup de monde.

20.

Cela a donné beaucoup d’humeur à votre Mari : cela a provoqué le mécontentement de votre Mari.

21.

Le lecteur comprendra plus tard, dans la lettre XXXI de la Vicomtesse de Thor, comment les coquettes envisagent leurs liaisons avec la gente masculine.

22.

Esclaves : soupirants. Comme son amie, Madame de Cotyto s’amuse des hommes qui la courtisent tout en les méprisant.

23.

Ces dernières phrases, qui témoignent d’une prise de conscience du système de domination des hommes sur les femmes, sont plutôt étonnantes pour l’époque.

24.

Me dissiper : me distraire.

25.

Mon nouvel Amant : M. d’Hersilie.

26.

Boudoir : petit cabinet que les femmes utilisent pour se retirer et se retrouver seules.

27.

Les Grâces : dans la mythologie romaine, les Trois Grâces sont les déesses du charme, de la beauté et de la créativité.

28.

L'utilisation des points de suspension ou des astérisques à la place d'un nom propre est un procédé romanesque courant : on fait comme si l'histoire était vraie et qu'il fallait garder certaines informations secrètes pour protéger des personnes réelles. Cet artifice est employé à plusieurs reprises dans la suite du roman.

29.

Temple de Gnide : temple de Vénus.

30.

La Mère des Amours : Vénus.

31.

Cette dernière phrase fait penser à la lettre CLII des Liaisons dangereuses, dans laquelle la Marquise de Merteuil écrit au Vicomte de Valmont qu’elle ne souhaite pas se remarier, pour garder sa liberté.

32.

Marquise de Théodore : la description de ce personnage peut rappeler la manière dont la Marquise de Merteuil fait le portrait de Cécile Volanges dans les Liaisons dangereuses. On y retrouve les thématiques de la conversion et de l’apprentissage opposées à la sensibilité.

33.

L’évocation rappelle les fêtes à la mode à la fin du 18e siècle, comme celle du Jardin de Tivoli à Paris.

34.

Faunes : chez les Romains, divinités champêtres qui symbolisent la lubricité, dotées de cornes et de pieds de chèvre.

35.

Référence à l’Odyssée d’Homère : contrairement à Ulysse, la Baronne de Cotyto n’a pas résisté au chant des Sirènes.

36.

En soulignant la violence de cette étreinte non consentie, la Baronne de Cotyto se place en position de victime et fait de l’homme le coupable.

37.

Palinodie : rétractation, désaveu de ce que l’on a pu dire ou faire.

38.

Abjurer : renoncer solennellement.

39.

De vous en savoir gré : de vous en être reconnaissant.

40.

La société : la compagnie.

41.

Il s’agit de la seule et unique lettre de ce personnage.

42.

Finit par faire le sujet d’un roman compliqué : se transforme en un récit exagéré par les rumeurs.

43.

Une tête un peu plus froide : une personne gardant son calme et sa lucidité dans une situation difficile.

44.

Le Dictionnaire de l’Académie de 1798 définit ainsi le mot philosophie : « se dit aussi d’une certaine fermeté et élévation d’esprit, par laquelle on se met au-dessus des accidents de la vie, et des fausses opinions du vulgaire ».

45.

Cette lettre, qui joue un rôle dans le dénouement et qui a été plus souvent citée que d’autres, peut être comparée aux grandes lettres de la Marquise de Merteuil dans les Liaisons dangereuses.

46.

Sublimes mystères : l’expression qui fait référence à une initiation religieuse est appliquée ironiquement au monde libertin.

47.

Parmi les Sœurs Grises ou les Dames de Charité : les deux expressions renvoient à des congrégations religieuses féminines qui venaient en aide aux pauvres et aux malades.

48.

Édifiant : incitant à la vertu, à la piété.

49.

Canoniser : admettre une personne défunte au catalogue des saints pour qu’elle soit l’objet d’un culte officiel.

50.

Reliques : ce qui reste après la mort du corps d’un saint ou des objets qui lui ont appartenu.

51.

Tribut : offrande, hommage.

52.

Recluse : personne menant une vie strictement cloîtrée.

53.

En imposer : inspirer le respect ou l’admiration par une attitude assurée.

54.

Pharaon : jeu de cartes et d’argent très prisé par la noblesse du 18e siècle.

55.

Persiffler : se moquer de quelqu’un de manière ironique et mordante.

56.

Aux Français : à la Comédie-Française.

57.

Obligation : engagement qui naît d’un service reçu.

58.

On a pourtant su dès la première lettre que c’est M. d’Hersilie qui est à l’origine du départ de la Marquise. C’est ici un exemple de la circulation des mensonges et des informations erronées dans le cadre polyphonique du roman épistolaire.

59.

Se perd : se déshonore, se fait du tort dans l’opinion des autres.

60.

De me reconnaître : de reprendre mes esprits.

61.

Dans ce paragraphe, la Marquise d’Hersilie choisit de répéter le mensonge de son mari concernant son départ.

62.

Babillard : qui parle avec abondance, sans réfléchir.

63.

Dans ces dernières phrases, Gacon-Dufour fait entendre ses idées féministes à travers la voix de la Marquise d’Hersilie. Elle met en avant l’importance de l’éducation des filles et des mères pour leur émancipation.

64.

D’une société fort douce : d’une compagnie fort douce.

65.

Mademoiselle de Torbe : nom de jeune fille de Mme d’Hersilie.

66.

Comme dans le Mémoire pour le sexe féminin contre le sexe masculin, Gacon-Dufour blâme la conduite des hommes.

67.

Est répandu : a vu beaucoup de monde.

68.

Beaucoup d’Amoureux, et pas un Amant : reprise directe d’une formule de la Baronne de Cotyto dans la lettre XV, adressée à la Marquise d’Hersilie.

69.

S’est mis sur les rangs : est devenu l’un des prétendants de la Baronne de Cotyto.

70.

Au jeu du Pharaon, le Banquier a des chances de gains bien supérieures à celles des autres joueurs, les Pontes.

71.

La réponse de la Vicomtesse de Thor n’est donnée qu’à la lettre XXVII : cette stratégie narrative donne du rythme au récit.

72.

Votre éternel oncle : l’expression est ironique, puisque ce personnage est malade et que la Vicomtesse de Thor est retenue chez lui.

73.

J’ai souvent rompu des lances pour elle : je l’ai défendue contre ceux qui l’attaquent.

74.

Me déchirer : m’offenser, m’outrager par des médisances.

75.

À la désespérer : à la tourmenter, l’affliger au plus haut point.

76.

Amphitryon : nom d’un personnage de la mythologie grecque, passé dans le sens commun pour désigner l’hôte, celui qui reçoit. Le terme désigne donc ici M. d’Hersilie.

77.

Commandeur : titre que peuvent obtenir certains chevaliers d’un Ordre militaire ou hospitalier.

78.

Financier : homme qui a fait une grande fortune. Ce terme désigne un personnage, proche de Madame de Menippe, qui reviendra à plusieurs reprises.

79.

Chatou : commune française située aujourd’hui dans le département des Yvelines.

80.

Delman : il s’agit probablement d’une erreur d’impression pour désigner Jean-Frédéric Edelmann (1749-1794), claveciniste et pianiste français.

81.

Grétry : André-Ernest-Modeste Grétry (1741-1813), compositeur célèbre à la fin du 18e siècle.

82.

Contredanse : sorte de danse vive et légère.

83.

Madame de Menippe a donc voulu à son tour se venger de la Baronne de Cotyto en faisant voir à son mari qu’elle séduit d’autres hommes.

84.

Nous a laissés maîtres chez lui : a quitté les lieux

85.

Discorde : nom romain de la déesse Éris, à l’origine de la guerre de Troie par le don d’une pomme d’or à la plus belle des déesses.

86.

Les gardes des Maréchaux de France font exécuter les ordres des autorités militaires. Ici le Baron de Cotyto est coupable d’avoir quitté son régiment sans avoir demandé l’autorisation de le faire.

87.

Berry : province historique de la France de l’Ancien Régime ayant pour capitale la ville de Bourges, située dans la partie sud de l’actuelle région Centre-Val de Loire.

88.

Tout commerce : tout lien.

89.

Cinq lieues : environ vingt-cinq kilomètres.

90.

La thématique de la formation d’une femme par une autre est fréquente dans les romans libertins. Ici encore la Vicomtesse de Thor peut être comparée à la Marquise de Merteuil des Liaisons dangereuses.

91.

Un empire : un pouvoir, un ascendant. Le principe de l’autorité du mari sur sa femme est condamné.

92.

C’est précisément la Vicomtesse de Thor qui semble dans cette lettre s’adresser à la Baronne de Cotyto comme à une enfant, en l’accusant d’agir sans réfléchir à la conséquence de ses actes.

93.

La Vicomtesse de Thor utilise un vocabulaire religieux, auquel elle donne une tournure moqueuse. Un directeur est un prêtre qui dirige la conscience d’une personne en matière de religion. Une confession générale est une pratique religieuse consistant à dire tous ses péchés. Une béguine est une femme appartenant à une communauté religieuse. Puisqu’aucun propos favorable à l’institution religieuse ne répond à ces railleries dans le roman, on peut y voir l’expression des opinions anticléricales de Gacon-Dufour, qui voit dans l’Église un obstacle à l’éducation des femmes.

94.

En subir les suites : en assumer les conséquences.

95.

Bégueule : excessivement prude.

96.

S’épancher : parler librement.

97.

Dans votre sein : auprès de vous.

98.

La Marquise d’Hersilie agit en véritable amie en demandant à Madame de Singa de partager ses peines.

99.

L’hymen : le mariage.

100.

Les libertins se définissent comme des acteurs de théâtre.

101.

La Vicomtesse s’enorgueillit d’un pouvoir de séduction qui fait d’elle une divinité et un général triomphateur.

102.

A pris la mouche : s’est fâché brusquement et mal à propos.

103.

Il lui a proposé de se battre en duel.

104.

Prendre les eaux : suivre une cure dans une ville thermale.

105.

Plombières : ville thermale située dans l’actuel département des Vosges, à quatre cents kilomètres à l’est de Paris.

106.

La Comtesse de Fionie ne lui reproche pas l’immoralité de sa conduite, mais les conséquences de ses actes.

107.

Angoumois : ancienne province française ayant pour chef-lieu Angoulême, à 450 kilomètres au sud-ouest de Paris.

108.

Redingote : manteau, porté aussi bien par les hommes que par les femmes, surtout à cheval.

109.

Sellier : artisan qui fabrique, vend et répare des selles et des carrosses.

110.

Cent cinquante lieues : Plombières n’est en vérité qu’à une vingtaine de lieues de Nancy (100 kilomètres), où se trouve le régiment du Baron.

111.

Ermitage : lieu solitaire, à l’écart du monde.

112.

Philosophe : personne qui s’applique à l’étude des sciences et qui réfléchit sur le sens de la vie humaine.

113.

Le cordeau sert à tracer des lignes droites, la toise à mesurer.

114.

Attaché au char : l’image est celle des soldats vaincus, attachés au char du général vainqueur pendant le triomphe.

115.

Fantaisies : caprices.

116.

Pâmoison : défaillance, évanouissement.