Introduction

Les débats sur la place des femmes dans la société se sont intensifiés au 18e siècle avec les réussites scientifiques et littéraires de la mathématicienne Émilie du Châtelet ou de l’écrivaine Françoise de Graffigny, autrice des Lettres d’une Péruvienne (1747-1752). Rousseau préconise une éducation féminine cantonnée à la séduction et à l’art de plaire dans Émile ou De l’éducation (1762) tandis que Rétif de la Bretonne accuse les femmes d’inconstance et les tient pour responsables de la frivolité du siècle. D’autres voix se lèvent au contraire pour défendre leur émancipation intellectuelle. Voltaire plaide pour un enseignement plus complet pour les jeunes filles dans un texte intitulé ironiquement Femmes, soyez soumises à vos maris (1766). Montesquieu et Laclos dénoncent chacun à sa manière les effets de l’enfermement dans Les Lettres persanes (1721) et Les Liaisons dangereuses (1782). Pour eux comme pour beaucoup d’autres, y compris Rousseau avec La Nouvelle Héloïse, le roman épistolaire est le genre qui permet d’interroger la condition féminine. Des voix de femmes émergent dans des débats où dominent les voix masculines, puis elles se font plus nombreuses à la fin des années 1780, lorsque Mme de Coicy publie Les femmes comme il convient de les voir (1785) et qu’Olympe de Gouges commence à se faire connaître.

C’est aussi à ce moment-là que Jeanne Gacon-Dufour prend la plume pour défendre les femmes. Née en 1753, elle a 35 ans en 1788 lorsqu’elle publie Les Dangers de la coquetterie66. L’approbation d (…) . Sa carrière littéraire vient juste de commencer. L’année précédente, en 1787, elle a publié deux autres romans par lettres (Le Préjugé vaincu et L’Homme errant fixé par la raison) ainsi qu’un essai intitulé Mémoire pour le sexe féminin, contre le sexe masculin dans lequel elle demande : « À qui est due la corruption des mœurs ? Est-ce aux Femmes ? Est-ce aux Hommes ? » Le texte présente les grandes étapes de la vie d’une femme pour mettre en évidence ses qualités et pour montrer que ses défauts sont imputables aux hommes : le libertinage ou la coquetterie ne sont pas le résultat des passions des femmes, mais des dérèglements ou des abus des hommes.

Manipulation ou émancipation ?

Le roman que l’autrice publie quelques mois plus tard semble pourtant condamner les femmes qui se rendent coupable de coquetterie. Composé de quatre-vingts lettres, il donne à lire les échanges d’une douzaine de personnages féminins et masculins réunis par une double intrigue : on découvre parallèlement l’histoire d’une coquette, la Baronne de Cotyto, et celle de la vertueuse Marquise d’Hersilie, exilée à la campagne par un mari qui voit en elle un obstacle à ses plaisirs. Les premières lettres du roman sont échangées par les deux femmes, mais ensuite d’autres couples épistolaires se forment : la Baronne de Cotyto correspond surtout avec la Vicomtesse de Thor, qui l’encourage dans la voie de la coquetterie et même d’une forme de libertinage, même si le mot n’est jamais utilisé dans le roman. De son côté, la Marquise d’Hersilie échange des lettres avec la Comtesse de Fionie et Madame de Singa : les trois femmes, qui défendent la vérité des sentiments et recherchent une forme de bonheur domestique, sont des modèles de vertu. La plupart des personnages masculins sont du côté des coquettes : le Marquis d’Hersilie profite de l’éloignement de sa femme pour faire la cour à la Baronne de Cotyto tandis que le jeune Chevalier de Zéthur, pourtant engagé avec Madame de Singa, se laisse à son tour emporter par ses passions. Quelques hommes sont plus sages cependant, comme Monsieur de Saint-Albert, qui vit à la campagne près du château d’Hersilie, et surtout le Chevalier d’Ernest dont le rôle est central pour la circulation des informations et les liens entre les personnages.

Les groupes de correspondants révèlent des liens souterrains, différents des relations officielles comme le mariage : maris et femmes ne s’écrivent jamais, mais s’en remettent souvent à un autre personnage pour savoir ce que l’autre fait ou pense (Monsieur de Saint-Albert pour les Hersilie, le Chevalier d’Ernest pour les Cotyto). Les personnages ont besoin d’avoir un correspondant privilégié, auprès duquel ils peuvent s’exprimer sans crainte du mensonge et de la tromperie. Mais la lettre est aussi la forme de prédilection de personnages trompeurs et malicieux. Ainsi, dès le début du roman, les raisons du départ de la Marquise d’Hersilie pour la campagne font l’objet de plusieurs mensonges, y compris de la part de la marquise elle-même, lorsqu’elle prétend qu’elle a voulu elle-même ce changement pour éviter de rendre publics les torts de son mari. Le roman met surtout en évidence la fausseté et les manipulations des personnages de coquettes. La Baronne de Cotyto ne donne pas les mêmes informations et elle n’écrit pas de la même façon selon la personne à qui elle s’adresse. La Vicomtesse de Thor raconte comment elle a trompé une rivale pour l’humilier (lettre XXXIX). Les lettres deviennent ainsi des preuves matérielles du mensonge et des manigances exercés par des personnages.

D’abord simple désir de se laisser aller aux plaisirs de la séduction, la coquetterie devient une volonté consciente de manipulation. La Baronne de Cotyto fait la conquête du Chevalier de Zéthur, pourtant amoureux de Madame de Singa, dans le seul but d’affirmer son pouvoir de séduction. Les coquettes usent de la séduction comme d’une arme sociale et méprisent ouvertement celles qu’elles jugent trop vertueuses ou prudes : « Il faut convenir, écrit la Vicomtesse de Thor, que cette femme est bien prude, vous n’avez pas d’idée de son ridicule » (lettre XXVII).

Celles que les coquettes appellent des « prudes » sont les garantes d’une morale féminine opposée à la séduction destructrice et le roman donne raison aux personnages qui se plient aux règles matrimoniales en valorisant une féminité fondée sur la vertu, la retenue et la dignité. Le titre met en garde contre Les Dangers de la coquetterie tandis que le dénouement souligne les conséquences dramatiques de la coquetterie : tout comme la Marquise de Merteuil est punie par la maladie et la déchéance sociale, la Baronne de Cotyto finit ruinée et enfermée au couvent.

Mais la condamnation des coquettes est-elle sans appel ? Si le titre et le dénouement ont pu répondre aux exigences de la censure et satisfaire un public soucieux de la moralité des romans, le détail du texte est plus ambivalent. On le voit notamment à la manière dont Gacon-Dufour mobilise la mythologie grecque et romaine pour explorer les enjeux du libertinage et de la séduction féminine. Le choix du nom « Cotyto » renvoie à Kotys, une déesse grecque associée à l’impudence, à la sensualité débridée et à des cultes nocturnes, souvent perçus comme obscènes. Cette référence apporte un ton provocateur à l’œuvre, inscrivant le personnage principal dans une tradition de femmes puissantes et transgressives.

Tout au long des lettres, l’autrice multiplie les références à la mythologie. La Baronne de Cotyto est tour à tour comparée à Vénus, aux Grâces et aux Amours (lettre VII). Ces références donnent à la coquetterie une dimension noble, presque religieuse, et font de la baronne la grande prêtresse d’un culte du désir. Dans la Lettre VIII, la maison de la Baronne est comparée à un nouveau temple de Gnide et les hommes qui la courtisent sont décrits comme des fidèles venus lui rendre hommage. Les références mythologiques servent aussi à évoquer désordres et dangers. Dans la Lettre XXIV, la Baronne de Cotyto évoque Éris, la déesse de la discorde, ce qui révèle qu’elle a pleinement conscience de bousculer les règles de la société. La lettre IX propose une réécriture inversée de l’Odyssée d’Homère : là où Ulysse résiste au chant des Sirènes, la Baronne de Cotyto reconnaît s’être laissé charmer par des chants qui la poussent dans les bras d’un homme trop entreprenant. Ainsi, Gacon-Dufour détourne les figures mythologiques pour créer un espace où la femme séductrice devient une déesse moderne, fascinante et dangereuse. Loin de se limiter à un simple aspect esthétique et culturel, la mythologie devient chez elle un langage symbolique, presque une religion pour les femmes coquettes qui veulent affirmer leur désir et leur liberté féminine.  

La religion chrétienne est aussi présente dans le roman, avec un statut et une fonction bien différents. Dans un monde patriarcal, les coquettes doivent suivre une éducation religieuse, mais certaines femmes n’hésitent pas à défier les règles établies pour profiter de leur jeunesse et de leur liberté. Les nombreuses mentions de la religion catholique dans le roman servent à tourner en ridicule les femmes qui la respectent. Dans l’idéal religieux, se tourner vers Dieu permet de se repentir ; mais pour ces femmes, ce chemin est tourné en dérision. Lorsque la Baronne de Cotyto regrette le scandale qu’elle a provoqué par sa coquetterie, la Vicomtesse de Thor se moque d’elle en lui écrivant qu’elle devrait rejoindre un ordre religieux, les Sœurs Grises, qui viennent en aide aux plus démunis. La religion est présentée comme un ridicule et comme une entrave. Excusable chez les femmes plus âgées, qui ne peuvent plus plaire, elle est un obstacle à la liberté des plus jeunes. Certes, c’est là le discours des coquettes, dont le roman fait des coupables, mais deux particularités attirent l’attention. D’une part, la religion est véritablement un moyen d’oppression à la fin du roman lorsque la baronne de Cotyto est enfermée dans un couvent par son mari. D’autre part et surtout, rien ne répond aux attaques contre la religion. La vertu des personnages les plus sages n’est jamais expliquée par leurs croyances et le vocabulaire religieux n’apparaît jamais ailleurs que dans les lettres des coquettes.

En opposition à la religion chrétienne, les coquettes défendent leur propre morale. La Vicomtesse de Thor sermonne la Baronne de Cotyto pour lui apprendre à être indépendante et à affronter les hommes : « Que feront les femmes de dix-sept ans, si une femme de vingt se laisse mener comme un enfant ? » (lettre XXVII). La coquetterie n’est pas toujours motivée par le désir d’exercer un pouvoir, elle peut aussi être un moyen de conserver son indépendance : pour la Baronne de Cotyto qui ne cède jamais aux avances d’un seul de ses prétendants, elle est aussi un art du subterfuge et un moyen de se protéger des attaques masculines. En jouant de ses charmes, elle garde presque toujours le contrôle et elle évite d’être elle-même manipulée par les hommes.

Il faut aussi remarquer que les coquettes du roman reprennent la thèse du Mémoire pour le sexe féminin contre le sexe masculin. Dans la lettre XIV, la Vicomtesse de Thor justifie la conduite de la Baronne de Cotyto en lui écrivant : « sommes-nous responsables de la sottise des hommes ? » Quelques lettres plus tôt, cette dernière écrivait déjà : « N’ai-je pas raison de détester tous les hommes ? Ah ! jamais, jamais je n’en aimerai un ; mais je vengerai les femmes de leur perfidie, et je serai au comble de la joie quand j’en aurai désespéré une trentaine » (lettre VII). L’intrigue elle-même suggère que les hommes sont coupables, puisque c’est un homme qui est défiguré par la petite vérole : la maladie qui condamne la marquise de Merteuil à la fin des Liaisons dangereuses frappe ici le Marquis d’Hersilie.

L’argent et la réputation

La critique sociale, plus forte qu’il n’y paraît au premier regard, passe aussi par une attention particulière aux enjeux économiques. Les principaux personnages appartiennent surtout à la vieille noblesse. Peu soucieux de leur capital, ils font étalage des privilèges dont ils jouissent par des dépenses qui leur permettent de se valoriser aux yeux des autres. Mais cette noblesse en déclin fait face à une aristocratie montante dont les richesses réelles sont plus importantes. Les hiérarchies dépendent pour une bonne part des marques extérieures de richesse et le roman met en scène des personnages pour qui la performance sociale prime. Gacon-Dufour fait ainsi le portrait d’une société animée par les apparences. 

Pour les coquettes, l’argent est un moyen de bien se faire voir et de plaire aux autres. Elles se font inviter à des bals somptueux et retrouvent leurs prétendants autour de tables de jeu. Les personnages des Dangers de la coquetterie jouent surtout au Pharaon, jeu de cartes où l’on perd très vite beaucoup d’argent au profit du Banquier. Seules les deux coquettes les plus expérimentées, la Vicomtesse de Thor et la Comtesse de Ménippe, se soucient de cet avantage quand elles se disputent l’organisation du jeu. Les autres personnages n’y prennent garde : ils affichent d’abord leur insouciance financière puis, quand leurs pertes deviennent trop grandes, n’ont plus d’autre moyen que le jeu pour espérer se rétablir. La Baronne de Cotyto perd toute sa fortune et engage sérieusement celle de son mari, qui ignore tout de son comportement. Revenant dans la capitale après un séjour dispendieux dans une ville thermale, elle écrit : « J’espère que le jeu me sera plus favorable à Paris : je n’ai absolument que ce moyen pour me tirer d’affaire » (lettre LXVIII). À la fin du roman, lorsqu’elle est totalement ruinée et qu’elle ne peut plus faire illusion, elle perd son prestige social : puisqu’elle n’a plus d’argent, elle n’appartient plus à ce groupe dont l’intérêt commun est de prouver son aisance monétaire. Elle est alors rejetée et condamnée moralement par cette société hypocrite.

Gacon-Dufour, fille du concierge de l’hôtel particulier Jean Pâris de Monmartel, l’un des plus riches seigneurs du royaume, a vu de près cette noblesse dépensière. Sans doute plus proche de la Baronne de Cotyto que de la Marquise d’Hersilie dans sa jeunesse, elle s’inspire de ses propres expériences lorsqu’elle écrit : « Il dérange sa fortune […] Il vient de louer une maison […] tous les jours il y donne des fêtes » (lettre XX). Le comportement du Marquis d’Hersilie rappelle en effet celui du Marquis de Brunoy, frère de lait puis protecteur de Gacon-Dufour, dont les dépenses ont été si folles que sa famille a fait intervenir la justice pour le priver de ses biens. Dans Les Dangers de la coquetterie, c’est la famille du Chevalier de Zéthur qui intervient pour priver le jeune homme d’une liberté dont il fait mauvais usage : les autorités militaires le forcent alors à partir pour son régiment.

La société que décrit Gacon-Dufour dans son roman est une société sous l’emprise du regard de l’autre. Chacun est soumis au jugement public tandis que les rapports sociaux sont fondés sur l’honneur et la réputation. Aux démonstrations de richesse, qui établissent une première hiérarchie, s’ajoute l’importance donnée aux apparences et aux valeurs morales. Tandis que les vertueux sont placés au rang de modèle de la société, les galants et coquettes risquent d’être marginalisés et placés sous le feu de vives critiques. Mais l’avis du public importe davantage que les fautes réelles, comme l’écrit le Chevalier d’Ernest au Baron de Cotyto : « Ainsi, mon Ami, puisque le Public est content, vous auriez tort de ne pas l’être » (lettre XIII). Tout au long du roman, les échanges de lettres témoignent de dynamiques d’inclusion et d’exclusion fondées sur les réputations. Dans la lettre X par exemple, la Marquise d’Hersilie reproche à la Baronne de Cotyto de donner « trop de prise à la médisance » et elle lui conseille d’aller passer l’été chez la Comtesse de Fionie pour « réparer [sa] réputation ».

Il faut cependant remarquer une différence de traitement entre hommes et femmes dans l’établissement des réputations. Les critères de jugement ne sont pas les mêmes et l’opinion publique est bien plus indulgente avec les premiers. En témoigne le sort du Marquis d’Hersilie, défiguré par la petite vérole : si les marques physiques de la maladie sont un signe de sa faute morale, son exclusion de la société n’est que temporaire et il peut reprendre sa place auprès de son épouse et de ses enfants. Pour la Marquise de Merteuil des Liaisons dangereuses, la même maladie constitue une chute dont elle ne peut se relever et qui la contraint à l’exil. La Baronne de Cotyto échappe à la disgrâce physique, certes, mais le couvent la soustrait définitivement aux regards du monde.

L’exercice du savoir

Si Jeanne Gacon-Dufour a connu dans sa jeunesse les fastes de la haute société, elle s’est également instruite dans de tout autres domaines. De longs séjours à la campagne lui ont inspiré le goût de l’agriculture et l’ont conduit à étudier la botanique et la médecine. L’autrice mobilisera ces connaissances pendant la Révolution et plus encore lorsqu’elle publiera des ouvrages pratiques à partir de 1804. Dès Les Dangers de la coquetterie, elle met en avant un personnage de femme qui progresse par l’acquisition du savoir. Comme Gacon-Dufour, la Marquise d’Hersilie se découvre pleinement en s’instruisant, si bien qu’elle apprend à gouverner ses terres comme ses relations avec les autres. Le roman est ainsi un appel à l’amélioration de la condition des femmes à travers l’accès à des domaines traditionnellement réservés aux hommes. Gacon-Dufour montre en effet que le bonheur ne peut se limiter à une spiritualité chrétienne insuffisante face aux réalités concrètes de la vie des femmes. La quête de connaissance devient un vecteur d’émancipation, permettant aux femmes de se libérer des entraves de la coquetterie et des mauvaises attentes sociales.

L’instruction des femmes est utile à toute la société, parce qu’elle leur donne une influence bénéfique sur les hommes. La Marquise d’Hersilie, si soumise au début du roman, prend le dessus sur son mari par la raison. Quelques années plus tard, dans un essai défendant l’instruction des femmes, Gacon-Dufour en fera une maxime : « c’est par les femmes que la raison entrera dans la tête des hommes77. Jeanne Gacon-Du (…)  ». Cette mission civilisatrice fait de la femme une garante de l’émergence des vertus morales des nouvelles générations.

La Baronne de Cotyto échoue dans sa propre tentative d’émancipation parce qu’elle détruit et qu’elle trompe au lieu de contribuer au progrès par la raison. Ce sont les effets de sa conduite qui la disqualifient, c’est-à-dire les Dangers de sa coquetterie plutôt que la coquetterie en soi. La soumission de la Marquise d’Hersilie aux caprices de son mari n’est pas non plus vertueuse parce qu’elle est soumission. Elle est utile parce qu’elle offre au personnage la position de retrait d’où elle peut fonder son indépendance.

Les Dangers de la Coquetterie n’est donc pas seulement un roman d’éducation morale, mais un véritable parcours initiatique où chaque femme, qu’elle suive la voie de la sagesse ou celle de la frivolité, est conviée à réfléchir à sa propre liberté. Loin de condamner sans appel les coquettes, Jeanne Gacon-Dufour propose une lecture plus subtile des parcours féminins : « tout chemin mène au bonheur ; vous et moi nous en avons pris un différent ; mais nous arriverons toutes deux au but », fait-elle dire à l’un de ses personnages. Et si, dix ans avant la parution de ce roman, Gacon-Dufour a mené une vie plus proche de celle de la Baronne de Cotyto que de la Marquise d’Hersilie, cela rend son regard d’autant plus vivant et nuancé. Par cette œuvre, elle nous tend un miroir intelligent et critique sur les choix, les illusions, mais aussi les forces que les femmes peuvent mobiliser pour se réinventer. À la croisée du roman moral, du portrait social et de la pensée des Lumières, Les Dangers de la Coquetterie est une invitation à le découvrir, avec autant de plaisir que de réflexion.

Chronologie

1753 : naissance de Marie Armande Jeanne Gacon à Paris.

1775 : mariage avec Jacques Antoine Filhol, sous la protection d’Armand Pâris de Monmartel, marquis de Brunoy, qui leur fait don d’une terre en Normandie : elle est Dame d’Humières.

1779 : procès contre le marquis de Brunoy, accusé par sa famille pour ses dépenses extravagantes.

1787 : premières publications. L’Homme errant fixé par la raison (roman), Le Préjugé vaincu (roman) et Mémoire pour le sexe féminin contre le sexe masculin.

1788 : publication des Dangers de la coquetterie.

1793 : divorce.

1794 : second mariage avec Jules-Michel Dufour de Saint-Pathus, avocat au Parlement de Paris.

1797 : Georgeana, ou la Vertu persécutée et triomphante (roman).

1801 : La Femme grenadier (roman) et Contre le projet de loi de S. M. portant défense d’apprendre à lire aux femmes (essai). Trois autres romans sont publiés en 1801 et 1802.

1804 : Recueil pratique d’économie rurale et domestique (livre pratique).

1805 : Manuel de la ménagère à la ville et à la campagne (livre pratique).

1805 : De la nécessité de l’instruction pour les femmes (roman précédé d’une longue préface).

1806 : Les Dangers de la prévention (roman).

1808 : Dictionnaire rural raisonné (livre pratique).

1818 : L’Héroïne moldave (dernier roman).

1827 : Manuel théorique et pratique du savonnier (livre pratique).

1835 : décès à Paris.

Bibliographie

Huguette Krief, « Retraite féminine et femmes moralistes au siècle des Lumières », Dix-huitième siècle, vol. 48, no 1, 2016, p. 89–101. https://doi.org/10.3917/dhs.048.0089

Valérie Lastinger, « The Laboratory, the Boudoir and the Kitchen: Medicine, Home and Domesticity », dans Kathleen Hardesty Doig et Felicia Berger Sturzer, Women, Gender and Diseas in Eighteenth-Century England and France, Cambridge, Cambridge Scholar Publishing, 2014, p. 119–148.

Jean Lérault, « Marie Armande Jeanne GACON (1753-1835) Sœur de lait du marquis de Brunoy », Un mois en ville, no 200,‎ avril 2021, p. 34-35. https://www.brunoy.fr/wp-content/uploads/2021/03/MAG-200-AVR-2021_BD.pdf

Erica Joy Mannucci, « Private and public acts: Marie Armande Gacon-Dufour's identity, from the French Revolution to the Empire », Chronica Mundi, no 15,‎ 2021, p. 32–54.

Olivier RitzLa conquête de l’autonomie sentimentale dans les romans de Gacon-Dufour, Orages, 2019, p. 87–99. https://shs.hal.science/halshs-03362989/

Olivier Ritz, « Préface. Une autre révolution est possible », dans Jeanne Gacon-Dufour, La Femme grenadier suivi de Faut-il interdire aux femmes d’apprendre à lire ?, Montreuil, Le Temps des Cerises, 2022, p. 8–19, ISBN 978-2-37071-238-7.

Catriona SethLes Rois aussi en mouraient. Les Lumières en lutte contre la petite vérole, Éditions Desjonquères, « L’esprit des lettres », 2008.

Laurence SieuzacLa Coquette : Naissance et fortune d’un type sociolittéraire (xviie-xviiie siècles), Classiques Garnier, 2024, p. 429-433.

Isabelle TremblayLa Problématique du bonheur féminin dans l’écriture romanesque des femmes écrivains du siècle des Lumières, Thèse de doctorat, Université d’Ottawa, Canada, 2008, p. 70-71. https://ruor.uottawa.ca/server/api/core/bitstreams/bc25a9b7-6e23-4017-b801-9896ecd78cb3/content

Isabelle TremblayLe Bonheur au féminin. Stratégies narratives des romancières des Lumières, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, p. 120-121.

6.

L’approbation du censeur Artaud, imprimée à la fin du volume, est datée du 28 juillet 1787. La page de titre du roman, publié par le libraire Buisson, est datée de 1788. La publication a été annoncée le 28 mars 1788 dans la Gazette de France.

7.

Jeanne Gacon-Dufour, Contre le projet de loi de S.M. portant défense d’apprendre à lire aux femmes, Paris, Ouvrier et Barba, 1801, p. 23. L’autrice prête ces paroles à Voltaire.