Chapitre 3. Justification d’une chaîne de production intra-hospitalière

1 Internaliser ou externaliser la production

L’impression 3D s’est largement implantée dans de nombreux services de chirurgie, notamment en chirurgie maxillo-faciale et en chirurgie orale. Cependant, même si son usage est routinier, aucun service ne dispose d’une chaîne de production conforme au règlement UE 2017/745 reconnue par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Plusieurs facteurs doivent être pris en compte lors de la décision de créer une structure d’impression 3D interne à l’hôpital. La création d’une plateforme d’impression en interne nécessite une infrastructure adaptée, idéalement déjà existante, mais également des techniciens ou médecins expérimentés en CAD/CAM, des logiciels pour la conception et l’impression et un équipement d’impression 3D. Toute cette infrastructure nécessite des investissements initiaux élevés. L’externalisation de la production est une meilleure option pour un centre en développement ou à faible volume de production. Le passage à une solution interne pourra se faire par la suite après formation du personnel et mise en place du matériel. À noter que les fonctionnalités du matériel et des logiciels d’impression 3D sont de plus en plus conviviales, l’offre de logiciels s’enrichissant régulièrement. Que la production soit interne ou externe, une communication efficace entre le clinicien et le technicien de conception 3D est importante. Les exigences matérielles dépendent fortement de la résolution, des matériaux et de la taille du modèle 3D. Comme nous l’avons vu, les matériaux souples et les biomatériaux sont plus chers que les résines couramment utilisées.

Dans une communication de décembre 2021 (138), l’ANSM soulignait qu’il existe à l’heure actuelle peu d’exemples concrets de DM in house. L’un des obstacles cités de manière récurrente est l’existence d’un DM équivalent marqué CE disponible sur le marché, notamment pour les guides de coupe. L’argument de la réduction des coûts pour une structure interne, avec un gain de temps de production, semble légitime. Cependant l’ANSM réfute cet argument en avançant que dès lors qu’un DM équivalent est disponible sur le marché, l’argument du coût et du temps de production ne peut être reçu. Cette justification, qui contredit la logique de la pratique médicale, est réaffirmée dans le guide Medical Device Coordination Group (MDCG) de janvier 2023 (142).

Dans cette partie, nous allons énumérer les arguments qui nous semblent importants pour justifier d’une production interne de DM spécifique d’un patient. Nous verrons que ces arguments sont multiples, imbriqués et indissociables.

2 Coût de production

L’un des principaux inconvénients de la production externalisée est son coût. La fabrication de guides et d’implants nécessite généralement une impression en métal pour laquelle les machines sont chères (imprimantes (154), équipements auxiliaires, installation de post-traitement). Elles nécessitent également une maintenance spécialisée et complexe.

2.1 Coût rapporté au temps opératoire

Le coût a rapidement été soulevé comme argument en faveur de l’internalisation de la production. Il est cependant difficile d’en évaluer précisément l’impact réel sur le coût global de prise en charge d’un patient, tant les coûts se répartissent sur de nombreux postes et sont très dépendants d’un hôpital et d’un instant donnés. Afin de simplifier la vision des coûts globaux et d’obtenir une base de comparaison, plusieurs études limitent cette comparaison avec le coût d’une minute au bloc opératoire. En 2018, une clinique américaine rapportait que le coût de la minute au bloc opératoire avoisinait en moyenne les 100 USD (86). En partant de l’hypothèse qu’une prise en charge avec un DM sur mesure va permettre de réduire le temps opératoire, il est possible d’obtenir alors un gain financier, en plus des autres avantages apportés par un temps chirurgical plus court.

En 2016, Tarsitano et al. retrouvaient une réduction du temps opératoire de 115,5 minutes en moyenne dans le cadre d’une reconstruction mandibulaire par lambeau libre de fibula (366). Ils comparaient une cohorte de patients traitée avec des guides de coupe sur mesure avec une cohorte traitée sans technologie CAD/CAD. Avec un coût moyen de la minute au bloc opératoire à 30 , l’utilisation de cette technique correspond à une économie totale de 3450 par patient, économie jugée suffisante par ces auteurs pour compenser le coût de production externalisée.

En France, l’équipe d’ORL du CHU de Toulouse a retrouvé en 2018 une réduction du temps opératoire de 30 minutes pour une chirurgie carcinologique par mandibulectomie et pose d’une plaque de reconstruction préformée sur modèle anatomique. Le gain de temps était de deux heures dans le cas d’une reconstruction par lambeau libre de fibula guidée par guide de coupe et plaque sur mesure (97).

L’ensemble des études sur ce sujet des gains financiers par gain de temps opératoire souffre cependant d’un manque de données économiques fiables et homogènes (367). Dans une étude prospective de 2018 sur le temps opératoire et le coût rapporté au temps opératoire, chez des patients présentant une fracture mandibulaire opérée avec ou sans plaques pré-formées sur modèles anatomiques CAD/CAM fabriqués en intra-hospitalier, King et al. retrouvaient un gain moyen de 1608 USD par patient (368). La technologie utilisée était le Fused Deposition Modelling (FDM). Ce chiffre reste cependant à relativiser (temps et coûts de production).

Resnick et al. se sont intéressés à la chirurgie orthognathique en 2016. Dans leur série rétrospective d’ostéotomies maxillo-mandibulaires, ils trouvent un gain de temps significatif entre une planification et transfert conventionnels avec gouttières occlusales comparativement à une planification virtuelle avec transfert par des gouttières CAD/CAM in house (540 minutes vs 194 minutes). La conclusion est la même quant à l’analyse des coûts de production au travers des deux technologies, en faveur de la technologie 3D (2765 USD vs 3519 USD) (369). Ce résultat manque cependant de puissance statistique pour être généralisé.

2.2 Estimation du coût de production in house

Le coût de production dépend de la nature de celle-ci. Par exemple, l’impression de modèles anatomiques par FDM est une méthode très largement abordable et qui trouve de nombreuses applications. Bergeron et al. décrivaient en 2021 des modèles anatomiques pour conformer des plaques d’ostéosynthèse dans une série de traumatismes de la face (89). Le coût d’achat de l’imprimante était de 3500 USD avec un coût en matière première allant de 0,20 à 2,65 USD (moyenne à 0,95 USD) par modèle. Ainsi, de tels modèles n’entraînent que de faibles coûts surajoutés par rapport à la prise en charge conventionnelle, qui seront largement contrebalancés par l’économie de temps opératoire et donc par les économies sur les dépenses qui en découlent (370371372373374). L’hétérogénéité des données et la faible puissance des autres études dédiées à cette question ne fournissent que des éléments subjectifs desquels aucune conclusion ne peut être tirée.

La thèse d’origine (1) propose (fin de partie 4) un recueil des coûts du in house selon l’étude d’un cas précis en février 2023.

2.3 Coût d’une production in house versus coût d’une production externalisée

L’impression externalisée est associée à des coûts spécifiques non retrouvés pour une production locale. Nous allons ici comparer une production interne à une production externalisée, afin de conclure si le in house peut permettre des coûts de production réduits tout en maintenant des caractéristiques adaptées à la prise en charge des patients.

Une étude américaine fondée sur des données de 2015 (375) compare les coûts de production de modèles anatomiques de mandibules in house avec une production commerciale externalisée. Ces auteurs retrouvent une précision équivalente (0,54 mm pour la production externalisée ; 0,36 à 0,72 mm pour la production in house) avec des coûts moindres pour la production interne incluant un prix d’achat de l’imprimante de 2899 USD et un logiciel avec licence annuelle de 699 USD, ce qui ramène le coût de production à 90 USD par modèle anatomique en interne. Ces auteurs soulignent cependant que la visibilité du canal alvéolaire inférieur et des racines dentaires, ainsi que les possibilités de stérilisation étaient moindres avec les modèles produits en interne, mais cette conclusion est aujourd’hui datée.

Une autre étude américaine avec des données plus récentes datant de 2018 a comparé le temps opératoire gagné et le coût engendré lors de la prise en charge chirurgicale de cancers maxillo-faciaux dans trois situations : (1) sans technologie CAD/CAM, (2) avec modèles anatomiques et guide de coupe en résine in house, et (3) avec des dispositifs équivalents issus de la production commerciale (Synthes, Paoli, PA) (376). Le temps chirurgical conventionnel de dix heures était réduit de deux heures avec la technologie 3D. Le coût de l’heure opératoire globale dans cette équipe était estimé à 4614 USD. Par patient, la prise en charge conventionnelle était estimée à 46 140 USD, contre 40 951 USD pour la technologie 3D externalisée, et 38 212 USD pour la prise en charge basée sur des DM in house. Pour cette dernière approche, il faut ajouter 39 590 USD annuels pour les divers frais du laboratoire. Ainsi, cette équipe américaine conclut que pour une structure hospitalière avec des frais similaires, prendre en charge plus de 27 patients à l’année suffit pour présenter un bénéfice financier avec l’installation d’une structure de production 3D.

Les guides de coupe émanant de structures industrielles présentent ainsi un coût de production élevé allant de 2500 USD à 6000 USD. En France, ces dépenses ne sont pas prises en charge par la Sécurité sociale et restent à la charge du patient ou de l’institution où se déroulent les soins (97).

Peu de données spécifiques sur la chirurgie orthognathique sont retrouvées dans la littérature. Les données de production externalisée étant soumises au secret industriel et les coûts de vente pouvant varier selon les contrats, il est difficile d’estimer ces valeurs. Adolphs et al. (377) fournissent un exemple particulier. Ces auteurs décrivent une chaîne de production de gouttière CAD/CAM in house avec planification et conceptualisation intra-hospitalière, puis envoi du DM à une société extérieure qui se charge de l’impression et du post-traitement. Le coût d’achat de la gouttière est estimé autour de 100 .

3 Temps de production et fenêtre thérapeutique

Une production internalisée permet de connecter toutes les structures et intervenants du flux numérique, tout en diminuant le nombre d’intervenants. Si des techniciens CAD/CAM qualifiés (y compris les chirurgiens) sont disponibles en interne, alors l’ensemble du processus, de la conception à la fabrication, peut être contrôlé. Du temps de traitement peut alors être économisé dans les conditions de contrôle qualité continu. En ne produisant que les DM nécessaires au service demandeur, et ce selon l’ordre des interventions ou des usages, le temps de production global est réduit. Il semble logique qu’avec des machines plus sophistiquées, un industriel puisse produire plus rapidement, mais cette vitesse est à confronter à la demande générale des différents clients et donc à la disponibilité de la chaîne de production. Cependant, un temps de production réduit ne peut pas être un argument en faveur de l’installation d’un flux numérique intra-hospitalier d’après l’ANSM (138).

Ainsi, plus que le temps de production, il est important de mettre en avant la fenêtre thérapeutique où le DM doit être produit. La conceptualisation 3D se fonde initialement sur l’imagerie du patient. Cependant, cette imagerie apporte des données fixées dans le temps, alors que la clinique évolue.

Par exemple, une lésion tumorale agressive sans traitement va continuer d’évoluer. Dans le cas d’une planification chirurgicale virtuelle, si la période entre le scanner initial et la prise en charge est trop longue, une discordance anatomique peut se manifester, ne permettant pas l’utilisation optimale du DM. Une étude analysant la production de DM in house pour la reconstruction par lambeau libre dans la chirurgie des cancers mandibulaires (97) rapporte une durée moyenne de production de cinq jours. Cette durée inclut 1,5 heure de CAO pour les guides de coupes par le chirurgien, et une durée d’impression moyenne de 3 heures. Cette durée est largement inférieure aux 21 jours de délai classique dans le milieu industriel rapporté dans l’étude (97).

En traumatologie, selon l’indication, la prise en charge ne peut être différée du temps nécessaire pour concevoir et produire un DM sur mesure en externe. Dans le domaine de la traumatologie de la face avec chirurgie guidée (plaques conformées sur modèles anatomiques), Bergeron et al. retrouvent un temps d’impression moyen de 7 heures et 55 minutes (allant de 2 heures et 36 minutes à 26 heures et 54 minutes), avec des durées additionnelles de modélisation préalable, puis de post-traitement et éventuellement de stérilisation. Ces auteurs rapportent une prise en charge de leurs patients dans les 3 à 15 jours (médiane à 8 jours) suivant le traumatisme (89).

Le traitement orthodontique est un traitement dynamique. Une fois le patient prêt pour la chirurgie orthognathique, l’orthodontiste va stopper les activations de l’appareil orthodontique afin de limiter les contraintes imposées aux dents. Le traitement n’en reste pas moins actif a minima. L’occlusion risque de se modifier spontanément si la chirurgie est trop tardive après la fin de la préparation, d’autant plus qu’à ce stade pré-chirurgical, l’occlusion dentaire n’est pas stable, et tend à évoluer vers une position d’équilibre.

Ainsi, le délai entre l’acquisition des images et la prise d’empreintes dentaires et l’intervention chirurgicale doit être le plus court possible.

Dans leur flux numérique, Adolphs et al. retrouvent une durée de production de gouttières CAD/CAM in house de 2 à 3 heures à partir du moment où le moulage dentaire est disponible. Cette durée inclut la numérisation des modèles, l’exportation et le traitement des données, la segmentation et la confection du modèle 3D, ainsi que le temps administratif (377). Ce court délai de production permet une prise en charge optimale adaptée à une fenêtre thérapeutique limitée.

En plus du temps de production normal, il faut également envisager la survenue d’aléas pouvant retarder la livraison du DM définitif. En cas de DM non conforme, un retour à l’industriel s’accompagne inévitablement d’un délai de production incompressible avec retard de la prise en charge du patient, l’exposant à diverses complications voire à l’échec de l’intervention. Ce risque est une fois encore minimisé avec l’accès direct à un flux numérique opérationnel, pouvant produire en quelques heures un nouveau DM adapté au patient.

Il est ainsi plus pertinent de considérer le besoin d’agir dans une fenêtre thérapeutique étroite plutôt que de mettre en avant une réduction des délais de production, le but du praticien étant de garantir la qualité et l’efficacité de la prise en charge. Dans cette optique, les soignants ne trouvent pas de réponse adaptée sur le marché industriel en termes de performances requises, ce qui les conduit à adopter une production intra-hospitalière.

4 Modernisation du monde hospitalier

La mise en place de structures d’impression 3D intra-hospitalières s’intègre dans un processus de modernisation du milieu hospitalier. L’impression 3D permet une auto-suffisance et une indépendance vis-à-vis de structures de production tierces. Cette utilisation se retrouve déjà en pratique courante dans de grandes sociétés, notamment la NASA (58).

Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les industriels doivent produire de façon efficace. Afin d’optimiser l’efficacité des usines de production, différentes méthodes ont été définies notamment le lean manufacturing (378), méthode d’organisation et d’optimisation de la performance industrielle visant à mieux respecter les exigences du client en termes de coût, de qualité et de délai. Son but est d’éviter les gaspillages identifiés le long du processus de fabrication afin de gagner en efficacité et rentabilité. Les écueils à éviter sont la surproduction, les traitements et étapes de fabrication inutiles, le surstock, les opérations et mouvements inutiles, les temps d’attente, les transports et déplacements inutiles, les erreurs, défauts, ainsi que la sous-utilisation des compétences (379), l’objectif final étant une production « juste à temps ».

Cependant, cette philosophie de production est absente dans le milieu hospitalier. Dominic Eggbeer esquisse une utopie dans son traité sur le futur de la chirurgie (106) : « Nous imaginons une époque où les stocks de systèmes et d’appareils soit réduit grâce à l’utilisation d’une fabrication sur mesure, à la demande et ultra-rapide. Les durées d’analyses seront considérablement réduites et liées à un logiciel de planification et de conception automatisé qui prendra en compte d’autres données personnelles et cliniques nécessaires pour entreprendre des procédures en quelques heures. La planification et la conception seront liées à la fabrication ultra-rapide à l’hôpital de dispositifs chirurgicaux sur mesure, prêts dans les heures suivant le traumatisme si nécessaire. La conformité réglementaire sera intégrée à l’ensemble du système grâce à la tenue automatisée des dossiers, à la mesure des paramètres technologiques et à la liaison avec le suivi clinique à long terme. Cela nécessiterait également d’énormes progrès dans la vitesse et la capacité de la technologie 3D, des changements dans les types de personnels employés et le développement d’une toute nouvelle façon de travailler, en particulier pour les chirurgiens qui doivent avoir la possibilité, au cours de leur formation, d’acquérir les connaissances de base et le potentiel de ces technologies. » L’impression 3D apparaît comme un vecteur idéal d’une professionnalisation inévitable de la gestion des flux hospitaliers, qui doivent être remis entre les mains d’ingénieurs sensibilisés aux méthodes de travail industrielles.

5 Centralisation du parcours de soins autour du chirurgien

Dans un schéma de prise en charge multidisciplinaire, il est important qu’une personne coordonne les soins apportés par les différents corps de métier impliqués. Cette centralisation garantit que tous les efforts vont dans le même sens et permet de diriger les échanges.

En chirurgie orthognathique, ce rôle est habituellement rempli par le chirurgien et l’orthodontiste, dont la relation étroite est primordiale. Dans ce cas, l’utilisation de l’impression 3D ajoute un acteur important : l’ingénieur chargé de la production du DM. Dans un service d’impression 3D externalisé, un inconvénient est le manque d’interaction étroite entre les planificateurs, les techniciens, les ingénieurs de conception et le chirurgien.

Dans un travail d’équipe, il est important de prendre en compte la co-géolocalisation. Thomas J. Allen, professeur à la MIT Sloan School of Management, a décrit dans les années 1970 la courbe d’Allen. Plus une personne est éloignée, et moins il est probable qu’elle initie la communication. Allen conclut que le point bloquant de l’échange est l’initiation de la communication. Augmenter la fréquence des communications améliore leur efficacité.

Ainsi, la proximité entre le laboratoire 3D et le chirurgien est très importante. La communication et l’utilisation des DM augmentent avec la présence d’un laboratoire interne. La qualité du travail fourni risque par ailleurs d’être mise à mal en cas d’externalisation. Le chirurgien et l’ingénieur disposent tous deux de compétences qui leur sont propres. Une compréhension parfaite de la problématique du patient et des contraintes de chaque professionnel intervenant dans la prise en charge est nécessaire afin de converger vers un résultat satisfaisant. Cette compréhension passe par des échanges répétés. À distance, ces échanges risquent de pâtir d’un support inadapté limitant le partage d’informations. De plus, la difficulté d’organiser les entrevues peut limiter leur survenue.

L’internalisation de la production répond à ce problème. Les interrogations de chaque partie sont immédiatement prises en charge et la compréhension mutuelle est favorisée, ce qui améliore et accélère le déroulement des projets.

Le problème ne se soulève plus quand le chirurgien est lui-même le concepteur du modèle sur mesure. Cette évolution nécessite une formation du personnel chirurgical à la CAD/CAM et suppose que les soignants disposent du temps suffisant pour la production du DM. Dans ce cas, le rôle du chirurgien en tant acteur principal de la prise en charge est renforcé.

6 Communication entre praticiens

D’après Morris, neuroradiologue et directeur du laboratoire de modélisation anatomique de la Mayo Clinic, l’un des avantages majeurs de disposer d’un service d’impression 3D en interne est la visibilité de la structure auprès des divers praticiens, et donc son caractère accessible (86). Morris a constaté une augmentation de la demande et du volume de modèles anatomiques imprimés dans son service via la communication entre médecins. Plus de patients ont ainsi accès aux bénéfices qu’apportent les soins sur mesure permis par l’impression 3D.

7 Formation du personnel médical

En localisant la CAO au plus près du chirurgien, les actions de formation sont facilitées. La planification et la conception 3D peuvent alors entrer dans les objectifs de formation des chirurgiens en devenir. En chirurgie orthognathique, la planification est associée au succès chirurgical. L’internalisation permet d’offrir une formation complète aux internes dans le but de les rendre plus autonomes dans la prise en charge des patients.

8 Innovation et amélioration des DM

L’installation d’une structure d’impression 3D intra-hospitalière sous-tend une possible production de DM non disponibles sur le marché. Une équipe ne trouvant pas de DM répondant pleinement à ses besoins pourrait alors se tourner vers une production interne afin d’orienter la production selon ses attentes. C’est notamment le cas dans les pathologies rares avec la nécessité de faire usage de « DM niches ».

La centralisation de la production du DM autour du médecin va lui permettre d’améliorer son usage du dispositif. Principal utilisateur d’un DM, chaque médecin est le plus apte à adapter l’architecture tridimensionnelle du DM à son usage spécifique. La proximité et l’accessibilité des différentes étapes du flux numérique va ainsi permettre l’innovation et l’amélioration des DM, que ce soit dans l’adaptation des matériaux, la modification de la forme ou l’ajout de structures. Toutes les propriétés du DM peuvent être modifiées à la demande. La conception et la fabrication intra-hospitalières permettent l’amélioration constante des DM en apportant des solutions innovantes à des problèmes rencontrés au cours de la pratique chirurgicale quotidienne et en garantissant un processus dynamique d’innovation au sein des établissements de santé.

De plus, la disponibilité d’une structure de production 3D au sein d’un établissement va permettre d’attirer des spécialistes de différents corps de métiers. Chacun pourra, au besoin, bénéficier de l’expérience des autres afin d’avoir un retour innovant sur son DM. Les ingénieurs au cœur de ces plateformes disposeront d’une expérience transversale, et pourraient faire circuler des idées d’une spécialité vers une autre.

La mise en place d’un réseau régional voire national de partage des différents patrons et des expériences de structures in house pourrait bénéficier à chacun dans l’amélioration ou la création des DM.

9 Responsabilité

Un DM produit afin de faciliter la planification et le transfert des informations en chirurgie orthognathique est à destination d’une population cible définie : les patients pris en charge par un chirurgien particulier dans le cadre d’une dysmorphose dento-squelettique. Le DM sert à répondre aux objectifs spécifiques du chirurgien, définis au préalable selon son expérience, les données de la littérature, et le partage avec l’orthodontiste et le patient. Le praticien est ainsi la seule personne à pouvoir planifier la réalisation du DM sur mesure. L’externalisation de la production passe par la signature d’une décharge qui fait du chirurgien le seul responsable des complications en lien avec l’usage du DM. L’industriel a pourtant un rôle fondamental dans la planification et la production du dispositif, mais le chirurgien doit endosser des risques pour des compétences qu’il n’a pas ou pour des missions qu’il a déléguées.

Cette responsabilité concerne également le partage d’informations confidentielles avec les industriels. Une controverse porte sur la question de savoir si le concepteur d’un fichier peut être tenu responsable d’un défaut dans un dispositif médical, étant donné que les fichiers de CAO eux-mêmes peuvent ne pas être considérés comme des « produits » au sens juridique du terme et ne sont donc pas régis par les règles de la responsabilité du fait des produits. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, la principale question juridique est de savoir si les fichiers de CAO en eux-mêmes bénéficient d’une forme quelconque de protection.

10 Partage d’informations sensibles hors du milieu hospitalier et propriété intellectuelle

Le statut juridiquement non défini des fichiers de CAO, outre les problèmes de responsabilité déjà mentionnés, est également au cœur des problèmes juridiques liés aux données de la propriété intellectuelle (381). Les imprimantes 3D et les matières premières étant largement disponibles, le fichier devient l’actif le plus précieux. Toutefois, la question de savoir si les fichiers de CAO bénéficient d’une protection juridique n’a pas encore été tranchée. Si l’on passe des modèles imprimés de l’anatomie du patient aux outils et aux implants, les questions juridiques relatives aux droits de propriété intellectuelle deviennent de plus en plus importantes, encore plus si les hôpitaux commencent à fabriquer leurs propres dispositifs médicaux. Il existe plusieurs mécanismes de protection des données de propriété intellectuelle, tels que le droit d’auteur, les brevets, les marques et les droits de conception. La question de savoir si les fichiers CAO bénéficient actuellement de l’une de ces protections n’est pas résolue. Une alternative est le secret commercial, où les données importantes et les détails d’un processus ne sont tout simplement pas divulgués (382).

Pour ce qui est des DM adaptés aux patients, le DM est non planifiable par un fabricant industriel seul. Ce dernier est dépendant du chirurgien et des informations confidentielles du dossier médical.

Le processus de production du DM se fait sur la base du traitement de données spécifiques au patient, soumises au secret médical défini dans la loi Kouchner de 2002 (383). Elles font partie des données protégées par le Règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) telles que définies par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) (387). Ainsi, dans l’article 3, alinéa 4 de la loi Kouchner :

Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne, venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.

Le transfert de ces données en dehors d’un établissement de santé, notamment vers un fabricant industriel, fait courir le risque de vol et de divulgation de données sensibles. Il faut protéger les données personnelles contre une utilisation sans consentement, ce risque étant majoré avec l’usage commercial de données médicales. Outre le risque de profilage anonyme, des éléments individuels de données médicales divulgués peuvent également donner lieu à un chantage ciblé, comme l’illustre la récente violation de données impliquant un fournisseur de psychothérapie en ligne (384). Les données biométriques spécifiquement détournées du processus d’impression 3D pourraient également être utilisées à des fins malveillantes, par exemple pour tromper les systèmes de reconnaissance faciale (385).

Il faut cependant noter que les industriels sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’« informatique, aux fichiers et aux libertés » (CNIL) (386). Dès lors qu’une donnée est transférée à une industrielle, elle perd son statut légal de donnée médicale et devient la propriété de l’industriel. Le transfert de données à une industrie, doit donc faire l’objet de justification de la part de l’établissement de santé, et d’une autorisation de la part du patient.

Par ailleurs, ces données, transmises gratuitement par les acteurs de soins, sont utilisées pour alimenter des algorithmes et optimiser des logiciels industriels. Ces derniers sont des biens commerciaux qui seront vendus aux structures de soins, ceux-là même qui ont transmis ces données initialement.

Les ingénieurs sont dépendants des données médicales, alors qu’un chirurgien formé à la technologie 3D peut être autonome sur tout le processus d’impression sans fuite de données sécurisée en dehors du milieu médical. De même, la présence d’un ingénieur sur site, lié à la structure de soins, dans un flux de production in house, permet de contrôler le risque de fuite de données sensibles.

1.Conception assistée par ordinateur (CAO) / fabrication assist é e par ordinateur (FAO), traductions de Computer Aided Design (CAD)  / Computer Aided Manufacturing (CAM).

2. Alliage biphasé alpha-beta contenant un stabilisateur alpha (aluminium) et un stabilisateur beta (vanadium).

3. Le règlement qualifie dans son article  2 d’«  accessoire de dispositif médical, tout article qui, sans être lui-même un dispositif médical, est destiné par son fabricant à être utilisé avec un ou plusieurs dispositifs médicaux donnés pour permettre une utilisation de ce ou ces derniers conforme à sa ou leur destination ou pour contribuer spécifiquement et directement à la fonction médicale du ou des dispositifs médicaux selon sa ou leur destination  » .

4.https://health.ec.europa.eu/medical-devices-sector/new-regulations/guidance-mdcg-endorsed-documents-and-other-guidance_en

5. Particules ayant un diamètre inférieur à cent nanomètres.

6. Particules de diamètre inférieur à trois nanomètres.

7. Cette stratégie va déterminer la qualité de l’acquisition et le tracking, qui correspond à la capacité de la caméra à reconnaître l’endroit visualisé. L’acquisition se faisant de manière continue, en cas de perte de tracking, si la caméra ne se repère pas sur le modèle, l’acquisition va s’interrompre jusqu’à revenir en terrain connu.

8. Tutoriel du logiciel et vidéo comparative des différentes caméras Trios disponible via le lien suivant : https://youtube.com/watch?v=0WPkXW2UiTw

9. Le plateau d’impression plonge dans le bac de résine et l’objet s’imprime à l’envers par rapport à ce qui est visible à l’écran. Ainsi, pour une bonne adhésion au plateau, l’objet doit être soit à plat sur le plateau, soit contenir un support. Il est préférable de choisir d’incliner l’objet, afin de limiter la fragilité au niveau des zones de jonction des couches.

10. Dans notre exemple, après génération automatique des supports, il faut veiller à ce qu’aucun fragment ne soit présent sur la face occlusale de la gouttière pour ne pas que le relief de la gouttière soit modifié après retrait du support. Dans ce cas, en retirant ce support manuellement après impression, sa base – restant sur le modèle imprimé – modifiera les rapports occlusaux et sera source d’erreur.

11.https://formlabs.com/fr/software/

12. Disponible sur https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2012-04/fiche9.pdf