Usages des robots programmables BeeBot en classe : des objets pour apprendre, des objets à apprendre

Sandra Nogry

Olivier Grugier

Usages des robots programmables BeeBot en classe : des objets pour apprendre, des objets à apprendre]Usages des robots programmables BeeBot en classe : des objets pour apprendre, des objets à apprendre

Sandra Nogry1 Olivier Grugier2, 3

Pour enseigner de la programmation auprès de jeunes élèves dans les écoles en France, certains enseignants introduisent des robots dans leur classe.

Ce chapitre propose d’analyser les obstacles à l’appropriation de ces robots rencontrés par les élèves de ces classes avant de mettre en évidence les médiations qui soutiennent ce processus. Nous montrerons que l’introduction de robots programmables renvoie à deux objectifs : apprendre à les utiliser pour apprendre à programmer.

Robots en classe pour apprendre la programmation

À la suite des premiers travaux de Papert (1980) portant sur la programmation avec la tortue Logo, puis suite à la réintroduction de l’informatique dans les curricula de l’école primaire (Baron et Drot-Delange, 2016), des robots planchers programmables sont introduits pour enseigner la programmation dans les écoles (Greff, 1999). L’intérêt de tels objets manipulables et programmables pour faire découvrir aux jeunes élèves les bases de l’informatique a été démontré (Benitti, 2012 ; Toh et al., 2016). Depuis une dizaine d’années, plusieurs travaux de recherche ont montré que la robotique pédagogique est possible dès les premières années de la scolarisation pour apprendre différents concepts et habiletés centrales en informatique tels que la capacité à construire une séquence d’instructions en sélectionnant et en ordonnant un ensemble d’instructions pour atteindre l’objectif visé. En apprenant à programmer de tels objets, les apprenants développent leur capacité de réflexion, d’observation et construisent des stratégies de résolution de problèmes (Bers et al., 2014 ; Kazakoff et al., 2013 ; Komis et Misirli, 2015 ; Komis et al., 2017).

Dans une perspective constructiviste, il s’agit de fonder la construction de savoirs sur l’expérience directe de l’individu médiée par la manipulation de cet objet tangible ; programmer un robot de sol exige que l’on réfléchisse d’abord à la façon dont on ferait soi-même ce qu’on désire lui faire faire avant de transposer ces actions dans un programme. La programmation de ces objets tangibles est ainsi conçue à la fois comme une abstraction dans un langage de programmation, et comme la concrétisation de notions informatiques par les déplacements effectifs du robot : « Les procédures acquièrent une existence reconnue, on les nomme, on les manie, on les identifie, et c’est ainsi que les enfants, progressivement, en viennent à se forger la notion de procédure » (Papert, 1980, p. 192).

Dès l’apparition des premiers robots programmables destinés à un apprentissage dans un cadre scolaire, ceux-ci ont été conçus selon une approche anthropomorphique. Comme le soulignait Papert (1980), un des premiers robots introduit dans des classes, la tortue, a une position et une orientation, tout comme un être humain : « les enfants peuvent s’identifier à la tortue, et faire ainsi appel à la connaissance qu’ils ont de leur corps et de son mouvement pour aborder la géométrie formelle » (Papert, 1980, p. 76). Les concepteurs en ont fait des objets ludiques et attractifs avec la présence d’yeux circulaires, d’un large sourire et disposant d’un nom faisant référence à des animaux comme la tortue dans les années 80 et qui a laissé sa place aux « abeilles » depuis la réintroduction d’un enseignement de l’informatique dans les programmes de l’école en France. Ces objets semblent néanmoins faire apparaitre des confusions mentales chez les plus jeunes élèves (Grugier, 2022). Un objet conçu pour se déplacer au sol avec des roues et qui porte le nom d’« abeille » renvoie à deux références sociales sans lien évident chez les élèves. En effet, il s’agit d’un objet roulant comme une voiture mais qui est appelé une abeille comme un insecte qui vole ! Le caractère anthropomorphique est également présent dans les mouvements des robots (Duboulay, 1986, cité par Rogalski, 2015 ; Levy et Mioduser, 2008) : la machine parait prendre en compte les intentions, traiter sémantiquement les opérations en jeu ou partager certaines capacités humaines considérées comme allant de soi ; la compréhension du fonctionnement effectif de ces objets programmables nécessite un apprentissage.

Ces objets ont ainsi un double statut (Lebeaume, 2019 ; Bisault et al., 2023) : objet tangible pour apprendre de nouvelles procédures ou différentes notions, et objet technique à apprendre pour agir rationnellement avec ce dernier. Dans ce chapitre, nous interrogeons les modalités d’appropriation de ces objets programmables par les élèves à partir de l’analyse de l’activité de ces apprenants en classe lors de pratiques ordinaires d’enseignement-apprentissage. Les travaux pionniers ont montré que de jeunes élèves étaient capables d’apprendre à programmer dans des classes avec des enseignants spécialement formés. Cette contribution souhaite explorer l’appropriation des robots par des élèves dans des classes ordinaires et apporter des réponses à plusieurs questions : comment les élèves s’approprient-ils / apprennent-ils à utiliser les objets programmables à travers les situations d’enseignement-apprentissage proposées et en fonction de leur âge ? Quels sont les obstacles à cette appropriation / à cet apprentissage ? Quel(le)s sont les médiations / dispositifs d’enseignement-apprentissage qui soutiennent cette appropriation ?

À partir d’une synthèse de plusieurs études de cas dans lesquelles nous avons analysé l’activité instrumentée des élèves dans des classes de cycle 1, à cycle 3 de l’école primaire (Grugier, 2021 ; Grugier et Nogry, 2022 ; Nogry et Spach, 2022), nous montrerons qu’en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire, les obstacles rencontrés et les démarches d’appropriation diffèrent. Dans un second temps, nous analyserons différentes médiations mises en œuvre par les enseignants pour soutenir cette appropriation.

Robots planchers fréquemment utilisés dans le cadre scolaire

Les fournisseurs de matériel pédagogique proposent différents robots plancher qui utilisent, comme les véhicules de Braitenberg (1984) et la tortue de chez Jeulin, deux roues motrices permettant de générer le déplacement. Parmi les onze principaux fournisseurs de matériels pédagogiques pour les écoles françaises, quatre ont accepté de nous communiquer les robots plancher qui sont les plus vendus. Les deux robots les plus demandés par les écoles et les collectivités territoriales en charge des équipements scolaires sont les robots BeeBot et BlueBot, avec des ventes qui représentent entre 60 % et 90 % du marché des robots. Le robot Ozobot puis le robot Thymio arrivent loin derrière avec au maximum 15 % de parts de marché.

En partant de ce constat, nous sommes allés observer des pratiques scolaires avec les robots BeeBot et BlueBot. Ces deux robots sont identiques en termes de déplacement et de programmation. Ils se programment à partir d’une interface tangible disposée sur leur partie supérieure (figure 1). Quatre touches de couleur orange et une de couleur bleue permettent d’incrémenter des instructions pour le déplacement (« Avancer », « Reculer », « Pivoter à droite », « Pivoter à gauche », « Pause » : interruption momentanée de l’exécution du programme), deux touches permettent de contrôler l’exécution du programme (« Go » : exécution des instructions programmées, « Clear » : effacement des commandes stockées en mémoire).

Figure 1: Interface tangible d’un robot BeeBot.

Figure 1 : Interface tangible d’un robot BeeBot.

Robot Beebot : un objet à apprendre

Afin d’étudier l’appropriation de ces objets programmables, nous avons analysé huit séquences d’apprentissages observées dans différents contextes (tableau 1), en mobilisant l’approche instrumentale (Rabardel, 1995). Cette approche anthropocentrée qui désigne les objets techniques (et par extension tout objet ayant subi une transformation) sous le terme générique d’artefact, offre un cadre adapté pour étudier comment l’artefact devient instrument :

L’instrument comprend dans cette perspective un artefact matériel ou symbolique produit par l’utilisateur ou par d’autres ; un ou des schèmes d’utilisation associés résultant d’une construction propre ou de l’appropriation de schèmes sociaux préexistants [...]. Ensemble, artefact et schèmes constituent l’instrument. (Rabardel, 1995)

Cette analyse vise ainsi à mettre en évidence les genèses instrumentales en documentant les éventuelles modifications apportées à l’artefact (instrumentalisation) et la constitution de schèmes associés à l’artefact (instrumentation). Les schèmes – organisations invariantes de l’action pour une classe de situation – rendent compte des relations entre le geste et la pensée développées par les élèves (Rabardel, 1995). Nous avons porté une attention particulière aux schèmes d’utilisation progressivement associés au robot pour faire de ces artefacts des instruments, qu’il s’agisse des schèmes d’usage, correspondant à l’interaction du sujet avec l’artefact, ou des schèmes d’action instrumentés qui s’appuient sur les schèmes d’usages pour atteindre les buts poursuivis.

Les séquences observées et filmées avaient pour objectif de faire découvrir le fonctionnement du robot BeeBot, de construire un algorithme et d’apprendre à programmer l’objet afin de générer un déplacement souhaité. La complexité des parcours nécessitait un déplacement rectiligne sur un plateau matérialisé par des cases, ou un déplacement avec des changements de direction pour les élèves les plus grands. Sur le plan pédagogique, des démarches d’investigation favorisant la manipulation et l’expérimentation collective, ont été privilégiées. Par groupes, les élèves sont mis en présence de BeeBot qu’ils découvrent, manipulent et programment pour générer des déplacements.

Les observations ont été menées dans des classes ordinaires auprès d’enseignants non spécialistes et non formés à l’utilisation du robot mais volontaires pour développer des apprentissages de programmation avec le robot programmable BeeBot auprès de leurs élèves. Ces classes (tableau 1), en région parisienne, comprennent entre 24 et 28 élèves en fonction des niveaux, ce qui représente environ 200 élèves. Les groupes d’élèves ont été librement constitués par les enseignants sans consigne du chercheur. Les séances ont été filmées à partir de matériel nomade pour réduire l’impact de l’intrusion sur le déroulement des séances. Le corpus est constitué de plus de 33 h de vidéo. Dans ce corpus, ce sont les moments scolaires d’appropriation et de construction mentale qui ont été principalement analysés. Aucune distinction n’a été faite, dans l’analyse, entre les filles et les garçons. Enfin, les élèves observés découvraient tous pour la première année le robot BeeBot. Il n’a pas été mené d’observation sur plusieurs années d’une cohorte, ce qui aurait peut-être permis d’identifier les modifications dans la manière de penser ces objets.

Tableau 1 : Répartition et caractéristiques des séquences d’apprentissage observées.

Cycle

Niveau de classe

Période d’observation

Nombre de séances et durée

Taille des groupes constitués

1

PS

Octobre et novembre 2017

5 de 30 à 40 min

2 à 4 élèves

1

PS

Octobre et novembre 2018

5 de 30 à 40 min

2 à 4 élèves

1

GS

Octobre et novembre 2020

5 de 30 à 40 min

2 à 3 élèves

1

GS

Octobre et novembre 2021

5 de 30 à 40 min

2 à 3 élèves

1

GS

Octobre et novembre 2022

5 de 30 à 40 min

2 à 3 élèves

2

CP

Janvier à mars 2017

6 de 30 à 50 mn

3 élèves

2

CE1

Janvier à mai 2017

15 de 30 à 50 mn

2 à 4 élèves

3

CM1

En février et avril 2018

5 de 50 à 60 min

4 élèves

Se familiariser avec l’objet technique par la manipulation en groupe

La première phase de ces séquences est principalement centrée sur la découverte du fonctionnement du robot en adoptant une démarche d’investigation. La durée de cette phase varie fortement, entre 15 minutes en cycle 3 et plusieurs séances de 40 minutes dans les classes de petite section de maternelle.

Dans les classes du cycle 1, la première séance est focalisée sur la rencontre et la découverte du robot. Les élèves observés découvrent pour la première fois cet objet qui est nouveau pour eux. C’est la manipulation directe qui est privilégiée. Cette familiarisation conduit les jeunes élèves à s’apercevoir que les robots possèdent des roues. Ils déplacent alors le robot sur la table en le poussant, en référence à des jouets fonctionnant sur ce principe, mais les roues frottent sur le support. Après quelques secondes, les élèves se mettent à appuyer sur les touches de l’interface de programmation. L’objet ne se déplace toujours pas et ne laisse entrevoir aucun fonctionnement. Il faut attendre une nouvelle phase de découverte pour que ces élèves identifient les deux interrupteurs placés sous le robot. Une manipulation de ces deux organes de commande, va mettre en action des voyants lumineux et le bipeur du robot. Toujours dans cette même première séance, les apprenants vont ensuite appuyer sur les touches du l’interface qui vont permettre de générer les premiers déplacements. Les élèves découvrent ainsi que le robot peut avancer sans qu’il soit nécessaire de le pousser. Ceci devient, pour la suite des différentes séances, une opinion socialement partagée par les élèves. Pendant la suite de la première séance, les élèves agissent sur les différentes touches de l’interface mais le robot ne se déplace pas comme ce qui est demandé par l’enseignant. Cependant, les élèves agissent systématiquement sur les deux interrupteurs avant de commencer à l’utiliser. Cette manipulation sur les interrupteurs devient un invariant opératoire.

Au cycle 3, lors de la première séance, l’enseignante dispose au milieu de chaque groupe d’élèves, un robot BeeBot dans sa boite d’emballage. Dans les groupes, plusieurs organisations se mettent en place. Certains élèves se trouvent lecteur de la notice d’utilisation, d’autres manipulent directement le robot et d’autres occupent une posture d’observateur. Très rapidement, la manipulation directe conduit à découvrir qu’il faut dans un premier temps agir sur les interrupteurs pour mettre en fonctionnement le robot puis, dans un second temps, appuyer sur les touches de l’interface pour générer des déplacements du robot. Contrairement aux élèves plus jeunes, les premières représentations des élèves sur le fonctionnement du BeeBot sont associées à un objet devant être programmé. Les actions sur les interrupteurs puis sur les touches engendrent un déplacement de l’objet. Les toutes premières manipulations permettent aux élèves de se construire un schème d’action instrumenté basé sur un algorithme : agir sur les interrupteurs, agir sur les touches de programmations orange puis agir sur la touche « Go » d’exécution du programme. Néanmoins, lors de cette première séance, il n’y a pas encore de schème stabilisé permettant d’assurer les déplacements souhaités du robot.

Au cycle 2, dans les séances observées, il n’y a pas de séance dédiée spécifiquement à la découverte du robot, l’enseignant montre comment mettre le robot en marche et invite les élèves à lui faire réaliser un déplacement. La tâche des élèves, réunis par groupes, consiste donc à programmer directement le robot pour qu’il parcoure un chemin préalablement défini par eux-mêmes ; ce qui les conduit à porter leur attention directement sur l’interface de commande.

Apprendre à contrôler les déplacements du robot : vers la constitution de premiers schèmes d’utilisation

Une fois le fonctionnement du robot découvert, l’activité des élèves se focalise sur la programmation du robot pour que ce dernier se déplace d’un point de départ vers un point d’arrivée en mettant en œuvre une démarche d’investigation. Au cycle 1, au cours des différents essais réalisés par les élèves pour contrôler le déplacement du BeeBot en utilisant l’interface de commande, deux schèmes se stabilisent progressivement (Grugier et Nogry, 2022 ; Grugier, 2022). L’un consiste à appuyer sur les touches de direction puis sur « Go », l’autre consiste à appuyer successivement sur les touches « Go », « Flèche », « Go ». Ces deux schèmes d’utilisation ne permettent toutefois pas aux élèves de contrôler le déplacement du robot dans la direction souhaitée (tableau 2). La découverte du fonctionnement du robot au sein d’une organisation collective conduit à la construction de plusieurs schèmes dans un même groupe.

Tableau 2 : Construction de plusieurs schèmes dans une découverte collective en cycle 1.

Elève

Séquence d’action

Déplacement attendu

Observation du robot

1

Manipuler les interrupteurs, Appuyer sur Go, Appuyer sur une instruction de déplacement

Déplacement du robot

Aucun déplacement, le robot émet un son et les voyants s’allument

2

Appuyer sur Go

Déplacement du robot

Le robot se déplace de un pas, en fonction de l’instruction programmée par l’élève 1

3

Appuyer sur une instruction de déplacement puis appuyer sur Go

Déplacement du robot

Le robot se déplace de deux pas, en fonction des deux instructions programmées (élève 1 et élève 3)

En cycle 2, les élèves cherchent comment contrôler les déplacements du robot pour générer un mouvement dans la direction et le sens souhaités. L’analyse de l’activité collective des élèves met en évidence l’apparition rapide d’une première genèse instrumentale, un premier schème de programmation pas à pas (Nogry et Spach, 2022) après la phase de découverte du robot. Il s’agit d’appuyer sur « Go » puis sur une flèche de déplacement en fonction du sens souhaité. Nous nommerons ce schème « Go-Flèche » (figure 2).

Figure 2: Illustration du schème « Go-Flèche » : séquence d’action fréquemment réalisée pour programmer le déplacement du robot. (a) L’élève appuie sur Go. (b) L’élève appuie sur Flèche. (c) Le robot parcourt un trajet plus long que prévu suscitant surprise et émotion.

Figure 2 : Illustration du schème « Go-Flèche » : séquence d’action fréquemment réalisée pour programmer le déplacement du robot. (a) L’élève appuie sur Go. (b) L’élève appuie sur Flèche. (c) Le robot parcourt un trajet plus long que prévu suscitant surprise et émotion.

En CP, ce schème – correspondant à une tentative de contrôle direct du robot – est partagé collectivement au sein de la classe lors d’un regroupement, et rapidement mis en œuvre par tous les élèves. Ce faisant, les élèves semblent adopter une conception anthropomorphique du robot selon laquelle la machine traite sémantiquement les opérations en jeu (Rogalski, 2015), ce schème pouvant être interprété comme « va en avant / en arrière / etc. ». Néanmoins, ils constatent rapidement qu’il ne permet pas de contrôler efficacement ses déplacements.

Dans les classes de cycle 1 et de CP observées, les obstacles rencontrés durant les premières séances sont multiples, les élèves ont des difficultés à interpréter le comportement du robot ; nous constatons également un manque de compréhension des fonctions des commandes de contrôle, et notamment des touches « Go » et « Clear ». En effet, la commande « Go » exécute une séquence d’instructions précédemment implémentée et stockée en mémoire. Les instructions stockées dans la mémoire seront effacées si la touche « Clear » est actionnée ou si le robot est éteint par une action sur les interrupteurs. Sinon, toutes nouvelles instructions s’ajoutent aux précédentes dans la mémoire et une action sur « Go » entraine l’exécution de l’ensemble.

Ainsi, pour les élèves de cycle 1 et 2, le caractère différé de l’exécution du programme – le passage du « faire » au « faire exécuter » une séquence d’instructions – fondé sur le stockage en mémoire des instructions pose des difficultés, et conduit à la construction d’un schème d’utilisation inefficace.

Suite aux premières difficultés et au constat d’inefficacité des premiers schèmes mobilisés, les questionnements des enseignants auprès de chaque groupe ou lors des moments de regroupement, amènent progressivement les élèves à déconstruire ces schèmes en s’interrogeant sur les relations de cause à effet entre les touches sélectionnées et le fonctionnement des actionneurs. Ils attribuent ainsi une fonction aux différentes commandes de contrôle. D’autres questions permettent d’introduire le caractère reproductible du programme. Dans certaines classes de cycle 1 et de cycle 2, ce sont les enseignants qui finissent par indiquer la séquence de commandes à mettre en œuvre pour effacer le programme précédent, programmer une nouvelle séquence d’instructions puis lancer un nouveau programme. Ainsi, les enseignants proposent la séquence suivante : effacer, programmer des instructions de déplacement puis lancer l’exécution du programme.

Au cycle 3, les fonctions des commandes de contrôle sont rapidement découvertes par les élèves durant les deux premières séances, lors de leurs investigations. Des moments d’institutionnalisation permettent de partager les savoirs découverts. Deux caractéristiques du robot sont rapidement identifiées : celle concernant le stockage des instructions avec la fonction d’effacer en cas d’erreur de programmation ou de modification et celle de longueur de pas de déplacement du robot. En utilisant une règle introduite par l’enseignante, les élèves ont découvert que la longueur d’un pas du robot est d’environ 15 cm. Les questionnements de cette enseignante permettent ainsi aux élèves de construire collectivement un schème commun de fonctionnement.

Vers la programmation d’une séquence d’instructions par l’introduction d’artefacts pédagogiques

Une fois que les élèves sont en capacité d’utiliser les commandes de contrôle du robot, guidés par l’enseignant (maternelle, CP) ou en autonomie (CE1, CM1), un nouvel enjeu concerne la programmation d’une séquence d’instruction.

En cycles 1 et 2, il s’agit pour les élèves d’abandonner progressivement la stratégie « pas à pas », stratégie privilégiée consistant à saisir chaque déplacement et à l’exécuter immédiatement (Komis et Misrili, 2015) pour saisir l’ensemble des pas du trajet avant de demander l’exécution du programme. Cette stratégie nécessite d’anticiper la séquence à produire et de différer son exécution. Dans ce but, les enseignants de cycle 1 et 2 introduisent différentes médiations.

En cycle 1, les enseignants introduisent des plateaux de déplacement sur lesquels des carrés de 15 cm par 15 cm sont dessinés. Ces carrés matérialisent les longueurs de pas de déplacement du robot, même si cette longueur de déplacement n’est pas explicitée. C’est l’approche numérative qui est utilisée (figure 3). Par la suite, afin de représenter les instructions à programmer, ils introduisent un ensemble de « flèches » analogues aux commandes de contrôle du BeeBot (figure 3). Les élèves doivent reproduire sur le BeeBot la séquence d’instructions proposée par l’enseignant, et représentée par une succession de symboles. De fait les élèves rencontrent des difficultés à s’approprier ces symboles. Cette activité est médiée par l’enseignant, qui, par des pointages et des verbalisations, met explicitement en correspondance les représentations symboliques avec les commandes de contrôle du robot. Ces médiations seront progressivement prises en charge par certains élèves au sein des groupes pour aller vers la programmation de parcours plus élaborés. Une stratégie pas à pas perdure néanmoins chez certains élèves.

Figure 3: Matérialisation des pas de déplacements en cycle 1.

Figure 3 : Matérialisation des pas de déplacements en cycle 1.

Figure 4: Artefacts utilisés par les élèves pour programmer le robot (Nogry et Spach, 2022). (a) Schéma construit collectivement par les élèves. (b) Cartes figurant les commandes. (c) « Bande algorithmique » et « petit plateau ».

Figure 4 : Artefacts utilisés par les élèves pour programmer le robot (Nogry et Spach, 2022). (a) Schéma construit collectivement par les élèves. (b) Cartes figurant les commandes. (c) « Bande algorithmique » et « petit plateau ».

En CP et CE1, pour passer d’une stratégie pas à pas à la programmation d’une séquence d’instruction, les enseignants introduisent dans le scénario pédagogique une phase de planification des déplacements du BeeBot. Celle-ci vise à différer l’exécution de la séquence d’instruction. Il s’agit pour les élèves de produire des représentations sémiotiques des déplacements et/ou de la séquence d’instruction en mobilisant différents artefacts mis à leur disposition (figure 4a,b), ou en se référant à des règles ou normes collectivement constituées (figure 4a).

Ainsi, dans la classe de CP, les élèves ont à produire par groupe une représentation schématique du trajet à parcourir (figure 4). En réfléchissant collectivement aux conventions à adopter pour que leur schéma soit compris par d’autres groupes, ils se mettent progressivement d’accord sur la symbolisation d’un pas ou d’une rotation. Ces schémas deviennent ensuite un instrument structurant pour programmer.

Dans la classe de CE1 observée, un grand plateau est d’abord proposé, rapidement utilisé par les élèves pour simuler le déplacement du robot en le déplaçant manuellement (figure 4). Devant la difficulté des élèves à se représenter la séquence à programmer, un petit plateau est ensuite introduit afin de schématiser ce parcours en deux dimensions. Cet artefact facilement manipulable facilite la co-construction du parcours au sein du groupe. Néanmoins, cette représentation en deux dimensions n’est pas suffisante pour anticiper la direction des rotations à effectuer, ou pour identifier le nombre de pas à programmer. Un troisième artefact est introduit, « la bande algorithmique » (figure 4). De nombreux échanges entre élèves au sein des groupes participent à leur appropriation. Ces artefacts sont progressivement utilisés pour représenter le trajet à parcourir et/ou la séquence d’instructions puis comme des instruments pour programmer des parcours complexes (composés d’un grand nombre de pas et de multiples rotations) ou pour debugger. Une fois la programmation d’une séquence complexe maitrisée, l’enseignante introduit une nouvelle tâche : programmer les déplacements simultanés de deux robots sur un même quadrillage. En adaptant leurs instruments pour réaliser cette tâche, ils découvrent les enjeux de la programmation parallèle (voir Spach, 2017 pour une description plus complète).

Dans la classe de CM1, l’enseignante introduit d’autres artefacts usuellement utilisés dans l’enseignement des mathématiques (règle, calculatrice) afin de définir le parcours de déplacement que doit faire le robot sur le plateau constitué de feuilles, de pions, d’un point de départ, d’un point d’arrivée et des obstacles à contourner (figure 5).

Figure 5: Artefacts utilisés en mathématiques pour programmer le robot. (a) Artefacts usuels utilisés en mathématiques. (b) Schéma construit par les élèves. (c) Plateau et pions.

Figure 5 : Artefacts utilisés en mathématiques pour programmer le robot. (a) Artefacts usuels utilisés en mathématiques. (b) Schéma construit par les élèves. (c) Plateau et pions.

En cycles 2 et 3, ces artefacts matériels et symboliques deviennent progressivement des instruments pour programmer le robot, observer l’écart éventuel entre le parcours prévu et réalisé, et corriger leur programme.

De multiples obstacles à la programmation d’une séquence d’instructions

Comme nous l’avons mis en évidence précédemment, en cycle 1 et 2, de nombreux obstacles sont rencontrés par les élèves au cours de leur investigation. Le premier concerne la difficulté des élèves à se représenter le caractère différé de l’exécution du programme préalablement stocké en mémoire. Cet obstacle de type ontogénique est sous-tendu par les spécificités du développement cognitif ; les fonctions exécutives telles que la planification (élaboration d’un plan d’action en fonction d’un but à atteindre) se développent de façon prolongée tout au long de l’enfance et de l’adolescence (Roy, 2015). Il est par ailleurs à noter que l’absence d’interface permettant de visualiser les instructions en mémoire ne facilite pas cette compréhension. Pour dépasser cette difficulté, les enseignants proposent de différer l’exécution du programme par l’introduction d’une étape de planification médiée par différents artefacts qui visent à représenter le parcours de déplacement et/ou la séquence d’instructions.

D’autres obstacles portent plus spécifiquement sur le passage de la représentation du parcours à effectuer par le robot à la programmation de la séquence d’instructions.

Dans les classes observées en cycle 1 et cycle 2, un obstacle porte sur la programmation du sens des rotations. Celui-ci vient en premier lieu de la difficulté qu’ont les enfants à passer d’une perception de l’espace de déplacement allocentrée (représentation de la trajectoire du robot dans un espace en deux dimensions) à une représentation des déplacements égocentrée (adoption du point de vue du robot). D’après Papert (1980), cette construction de différentes représentations de l’espace passe par une connaissance des mouvements de leur corps lorsqu’ils incarnent les mouvements du robot. Ainsi, nous observons que les enfants utilisent de manière répétée leur corps pour simuler différentes possibilités d’action. De cette façon, ils incorporent différentes stratégies leur permettant de conceptualiser ses déplacements. Dans deux classes de cycle 1, cette incarnation des mouvements du robot est didactisée : l’enseignant propose des séances de motricité pour travailler la notion de déplacement et de pivotement pour effectuer des liens avec les mouvements du robot.

Par ailleurs, une difficulté est causée par l’iconographie choisie pour représenter les rotations sur l’interface de commande du BeeBot (figure 1), source d’incompréhension relative à la nature des déplacements. Elle laisse supposer que cette touche active simultanément une rotation et un déplacement d’un pas. Or, la commande engendre non pas un déplacement mais un pivotement de 90° du robot. Cette non-congruence entre représentation et action provoque des erreurs fréquentes de comptage du nombre de pas à parcourir et de choix du sens de la rotation.

Un autre obstacle à la programmation réside dans une certaine confusion ou un manque de distinction entre parcours de déplacement et séquence d’instructions. Ainsi, en cycle 1 – où l’enseignant utilise un ensemble d’artefacts symbolisant les commandes de contrôles ordonnés suivant les trajets à faire parcourir au robot – la confusion se manifeste tant par le vocabulaire utilisé pour dénommer cette succession – parfois appelée algorithme, parfois « le chemin à suivre » ou encore « le programme » – que par leur orientation en fonction des modalités de présentation. Pendant les phases de regroupement, lorsque l’enseignant s’adresse à la classe entière, ces symboles sont présentés au tableau du bas vers le haut, alors que lorsque les élèves travaillent par groupe sur les tables, ceux-ci sont présentés à l’horizontale, juxtaposés au trajet à parcourir (figure 6), par analogie avec le parcours à effectuer. Or, pour représenter une séquence d’instructions, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient présentés de gauche à droite, dans le sens de la lecture quelle que soit la situation de présentation. Ainsi, en cycle 1, si les élèves deviennent progressivement capables d’utiliser les représentations proposées par l’enseignant pour programmer des trajets de plus en plus élaborés, nous nous interrogeons sur leur compréhension des notions sous-jacentes.

Figure 6: Représentations symboliques de parcours de déplacements en cycle 1. (a) Présentation des symboles utilisés pour représenter le parcours du robot. (b) Représentation d’un parcours à programmer.

Figure 6 : Représentations symboliques de parcours de déplacements en cycle 1. (a) Présentation des symboles utilisés pour représenter le parcours du robot. (b) Représentation d’un parcours à programmer.

Médiations instrumentales par l’introduction d’artefacts

Dans les séquences observées du cycle 1 au cycle 3, nous constatons que de multiples artefacts matériels et symboliques sont mobilisés au cours de l’activité (figure 4–figure 6) qui constituent un système d’instruments (Bourmaud et Rabardel, 2005) mobilisé pour atteindre l’objectif visé. Aussi, nous avons porté une attention particulière aux fonctions assurées par ces artefacts matériels et symboliques en nous interrogeant sur leurs fonctions dans le processus de conceptualisation.

En cycle 1, la mise à disposition par l’enseignant d’artefacts qui symbolisent les commandes de contrôle du robot sont privilégiées ; ceux-ci remplissent plusieurs fonctions. En les positionnant sur la table à côté du quadrillage, ils permettent à l’enseignant de représenter les pas de déplacement que le robot doit effectuer, ils indiquent également la direction et le sens du déplacement du robot sur le quadrillage. Au moment de la programmation du robot, ils indiquent l’ordre dans lequel les commandes de directions doivent être utilisées. Dans un premier temps, la compréhension de ces symboles et leur utilisation pour programmer est médiée par le langage et par des gestes déictiques. L’enseignant puis certains élèves mettent ainsi en correspondance le symbole « papier », et la touche correspondante sur le BeeBot. Une fois appropriés par les élèves, ces artefacts matériels et symboliques guident l’action des élèves.

Dans les classes observées du CP au CM1, les élèves doivent représenter par eux-mêmes le parcours à effectuer / la séquence d’instructions à programmer, en utilisant des artefacts dont les propriétés contraignent les représentations que les élèves peuvent construire et les manipulations possibles. Les conventions collectivement partagées incitent également à privilégier l’usage de certaines représentations plutôt que d’autres.

Ainsi, dans la classe de CE1, l’introduction du petit plateau puis de la bande algorithmique contraignent les élèves à schématiser le parcours simulé puis à passer d’une représentation en deux dimensions continue et allocentrée du parcours, à une représentation linéaire, discontinue, normée, et centrée sur l’axe de rotation du robot. Tout au long de cette chaine de conversions, la représentation matérialisée du parcours perd certaines propriétés pour en gagner d’autres, compatibles avec les normes à utiliser pour programmer. À l’instar de Duval (2017) en didactique des mathématiques, nous considérons que les conversions d’un registre sémiotique à l’autre, en mettant en exergue des propriétés spécifiques du concept travaillé sont constitutives du processus d’abstraction, ici du concept de séquence. Ces représentations sémiotiques sont matérialisées ici par des artefacts, tels que la bande numérique, qui concrétisent les propriétés pertinentes pour la programmation d’une séquence d’instructions.

Dans les différentes séquences observées, les artefacts remplissent ainsi différentes fonctions. Ils sont en premier lieu des traces du parcours / de la séquence. Utilisés collectivement ces artefacts constituent des « objets intermédiaires » (Vinck, 2009) : des supports de négociation au sein des groupes d’élèves avec l’enseignant, qui permettent de préciser les caractéristiques du parcours et les déplacements du robot en introduisant différentes normes et conventions. Ces dernières peuvent être matérialisées par les propriétés des artefacts manipulés : leur taille, leur forme, leur caractère manipulable ou pas, les inscriptions déjà présentes, la labilité des traces... Autrement dit, les propriétés des artefacts mis à disposition des élèves (feuilles, plateau, bande numérique, etc.) pour représenter le parcours / le programme contraignent les inscriptions produites par les apprenants ainsi que les conversions d’un registre sémiotique à un autre. Associés à des schèmes de pointage, de comptage et à de multiples manipulations, ces artefacts deviennent un système d’instruments mobilisé pour anticiper le parcours, programmer des déplacements complexes, et débuguer.

Comme le souligne Duval (2017), la conversion d’un registre sémiotique à l’autre se fait spontanément lorsqu’il existe une correspondance sémantique entre unités signifiantes, c’est-à-dire une possibilité de convertir une unité signifiante de départ en une seule unité signifiante dans la représentation d’arrivée. Dès lors, les représentations sémiotiques matérialisées par ces artefacts peuvent être un soutien ou au contraire un obstacle aux apprentissages. Le choix de ces artefacts matériels et symboliques qui formeront le système d’instrument de l’élève constitue donc un enjeu pédagogique important pour l’enseignant. Il s’agit d’offrir les outils pour représenter distinctement le parcours (souvent continu en deux dimensions) et la séquence d’instructions (discrète et linéaire) en favorisant les conversions d’une représentation à l’autre.

Conclusion

Le BeeBot – objet programmable conçu sur le modèle de la tortue logo selon une approche constructiviste (Papert, 1980) – suscite chez les élèves de la curiosité et les invite à s’engager dans une activité manipulatoire ludique. Dans les séquences observées – sous-tendues par une conception socio-constructiviste des apprentissages – les élèves s’engagent collectivement dans une démarche d’investigation qui les amène à se confronter à différents obstacles (qui pourraient être qualifiés d’épistémologiques). Soutenus par l’enseignant et les échanges collectifs, les élèves sont encouragés à dépasser ces obstacles en s’engageant dans une démarche de résolution de problème afin d’en comprendre le fonctionnement et d’apprendre à programmer des déplacements dans l’espace de plus en plus complexes.

Au cours des différentes séances, les élèves sont amenés à travailler leur représentation de l’espace, en réalisant de multiples conversions entre représentation allocentrée du parcours et représentation égocentrée de la séquence d’instructions. Néanmoins, les obstacles rencontrés et les médiations proposées conduisent à des apprentissages différents suivant les classes.

Les multiples obstacles rencontrés (épistémologique et ontogénique) amènent les élèves de cycle 1 à s’interroger sur le fonctionnement mécanique de cet objet technique et à découvrir les commandes de contrôle. Néanmoins, les premiers schèmes mis en œuvre durant cette découverte restent ancrés pendant plusieurs séances (Grugier, 2022). S’ils deviennent progressivement capables de mettre en œuvre une procédure pas à pas pour programmer les déplacements suite à l’introduction de représentations symboliques des parcours par l’enseignant, nous pouvons nous interroger sur leur compréhension des notions informatiques sous-jacentes.

En CP-CE1, les premières investigations conduisent les élèves à se confronter à des obstacles de type épistémologique et ontogénique qui suscitent incompréhensions et interrogations ; ces questionnements permettent d’introduire le caractère différé de l’exécution du programme et de se mettre collectivement d’accord sur une procédure pour programmer une séquence d’instructions et l’exécuter. Différentes médiations langagières et instrumentales sont ensuite introduites pour que les élèves soient en capacité de planifier et de représenter la séquence d’instructions à programmer. Associés à des gestes de pointage, de comptage et à des rotations, ces artefacts constituent un système d’instrument pour atteindre l’objectif visé. De notre point de vue, la construction progressive de représentations sémiotiques normées et matériellement ancrées pour symboliser la séquence d’instructions participe au processus de conceptualisation de cette notion (Nogry et Spach, 2022). Dès lors, le choix des artefacts matériels et symboliques proposés aux élèves est crucial. Une attention particulière est à porter sur la congruence entre les représentations sémiotiques, et les normes qui sous-tendent la conception du robot.

En CM1, les élèves comprennent très rapidement le fonctionnement du robot, et l’utilisent pour programmer des parcours complexes, construits en utilisant les instruments qui font référence en mathématique, sans rencontrer d’obstacles majeurs. Néanmoins, les caractéristiques du BeeBot, et notamment l’absence d’interface permettant de visualiser les instructions en mémoire, ne facilite pas la correction des erreurs dans l’activité de débogage, ce qui limite les possibilités de construire des séquences complexes ou de travailler d’autres concepts informatiques. Les fonctionnalités réduites de ce robot limitent les possibilités de progression.

Sur le plan pédagogique, outre l’importance pour l’enseignant d’identifier les concepts en jeu pour proposer des situations adaptées, cette synthèse soulève la question du choix des artefacts. En effet, l’enseignement de l’informatique à l’école avec des robots planchers nécessite des compromis, de la part des enseignants, entre les tâches envisagées, les caractéristiques techniques de ces robots et les concepts pouvant être développés avec ces derniers. Par exemple, les robots BeeBot ne permettent pas d’aborder la correction d’un programme existant. De plus, la notion de programme se limite à des représentations graphiques des boutons de commande. Enfin, un moment d’appropriation par de l’observation, de la manipulation, des échanges entre les élèves est, semble-t-il, nécessaire pour ensuite appréhender les concepts en informatique envisageables avec ces robots.

Cette synthèse ouvre par ailleurs sur différentes questions de recherches relatives à l’activité d’apprentissage des élèves. On pourra notamment s’interroger sur la question du transfert des compétences développées avec un robot plancher à d’autres situations de programmation dans lesquelles des langages dédiés sont utilisés. Elle ouvre également des questions relatives aux pratiques et à l’activité des enseignants ; une étude systématique de l’activité de préparation des séances pourrait permettre de comprendre comment ceux-ci se familiarisent avec les concepts travaillés et conçoivent l’instrumentation de ces séquences d’apprentissage en vue de leur proposer des ressources adaptées.

L’utilisation du robot BeeBot en classe est l’une des modalités pédagogiques développées pour introduire l’enseignement-apprentissage de l’informatique à l’école primaire. Cet objet, considéré comme facile d’utilisation, est présent dès la maternelle dans des démarches d’investigation pour proposer des activités de codage. Pourtant son utilisation ne va pas sans poser des difficultés, notamment chez les élèves les plus jeunes.

À partir de l’analyse de l’activité des élèves dans des classes de cycle 1, 2 et 3, il s’agit de rendre compte des processus d’appropriation de ces objets programmables dans ces différents cycles. Une analyse des genèses instrumentales à l’œuvre dans différentes séquences d’apprentissage permet de rendre compte des principales difficultés rencontrées – telles que le manque de compréhension du caractère différé de l’exécution du programme et la non-perception du stockage des instructions dans une mémoire – ainsi que des différentes médiations proposées pour favoriser la construction de schèmes rendant possible la programmation effective de ces robots.

Recommandations

Le BeeBot est un artefact adapté pour proposer aux élèves une démarche d’investigation, reposant par exemple sur la résolution de problèmes. D’apparence simple, il fait néanmoins apparaître un certain nombre d’obstacles ; des médiations doivent être proposées pour conduire les élèves à s’approprier cet artefact, et à comprendre les concepts sous-jacents (mémoire, programme, séquence d’instruction, etc.).

Voici quelques points de repère pour structurer cette démarche :

Références

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