Ruptures et continuités dans les représentations de l’informatique et de son apprentissage chez les élèves de cycles 3 et 4

Katell Bellegarde

Laetitia Boulc’h

Isabelle Vandevelde

Les programmes de 2016 réactualisent la question de l’informatique comme objet d’enseignement et non uniquement comme outil au service d’autres disciplines (Baron et Drot-Delange, 2016). Cette réintroduction des sciences informatiques dans les programmes de L’Éducation nationale à l’école élémentaire et au collège avec l’apparition du nouveau socle commun de compétences (Bulletin officiel, 2015) interroge particulièrement le rôle que joue l’école dans la (trans)formation des rapports à l’informatique des élèves.

Face à ces prescriptions nouvelles, les enseignants, en l’absence de formation spécifique, se retrouvent confrontés à l’enseignement de l’informatique auprès de leurs élèves sans qu’ils ne soient toujours à même d’identifier clairement les contenus et enjeux de savoirs et de maîtriser les nouveaux outils pédagogiques inhérents à cet enseignement (Baron et al., 2015 ; Fluckiger et Bart, 2012 ; Spach, 2017 ; Bellegarde et al., 2021). De leur côté, les élèves font largement usage d’outils informatisés hors des murs de l’école et développent ainsi une culture numérique, pouvant se heurter aux formes scolaires (Lahire, 1993 ; 2008) et figures légitimes du savoir (Melin, 2019).

Fondé sur des entretiens et des enquêtes par questionnaire menées auprès d’élèves de 9 à 14 ans, ce travail se propose d’identifier et de comprendre les ruptures et continuités dans les rapports à l’informatique de la fin de l’école élémentaire et du collège. Il permet de montrer comment les représentations de l’informatique et de son apprentissage se construisent et se transforment au cours de leur parcours personnel, en référence à leur culture enfantine en constante évolution.

Cadre théorique : les rapports à l’informatique d’élèves de cycles 3 et 4

Cette première partie rend compte des investigations théoriques menées en vue d’approcher la question des rapports à l’informatique d’élèves de cycle 3. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la question de l’enseignement de l’informatique au sein de l’école (désignée, communément par l’appellation « éducation au numérique »). Dans un second temps, nous nous attacherons à appréhender le concept de rapports à l’informatique.

Informatique scolaire : les enjeux de savoir en question

En France, l’informatique n’a pas le statut de discipline scolaire ; les contenus d’enseignement sont abordés de façon transversale dans différentes disciplines. Ce manque de légitimité a conduit à « une mise en sommeil [...] de la didactique de l’informatique » (Fluckiger, 2019). Cette situation s’explique notamment par la difficulté à s’accorder sur une ontologie de l’informatique : cette dernière relève (1) de la science et de manières de penser spécifiques (Wing, 2008), (2) de la technologie, dans le sens de l’étude des techniques et outils, et (3) d’usages spécifiques, de l’utilisation d’outils informatisés (Bruillard, 2009b ; Fluckiger, 2019). À l’instar de Fluckiger (2019), nous pensons que la didactique de l’informatique pourrait s’intéresser à l’ensemble de ces manifestations et donc à des contenus et savoirs ne relevant pas uniquement du domaine scientifique, et ceci, même si cette pluralité d’objets ne contribue pas à l’unité et la visibilité de ce domaine de recherche. Cette triple vision de l’informatique se retrouve en filigrane dans les programmes et manuels scolaires (cf. le chapitre 1 « Quel enseignement de l’informatique à l’école primaire en France ? Réflexions sur 40 ans de développements ») : les élèves doivent à la fois apprendre les bases de la programmation (par exemple, en lisant un message codé, composé de flèches afin de tracer sur un damier le parcours d’un robot virtuel), le fonctionnement des outils informatisés (décrire l’architecture simple d’un dispositif informatique, montrer comment des périphériques sont reliés à l’unité centrale, etc.) et leur maîtrise (s’approprier un logiciel de traitement de texte, apprendre à écrire avec un clavier, etc.).

Les difficultés que pose la désignation de ces contenus d’enseignement s’observent à travers le glissement sémantique opéré entre informatique et numérique : on note ainsi un emploi croissant du terme numérique dans le champ scolaire au détriment de celui d’informatique (Fluckiger, 2019). Le terme numérique désigne la manière dont l’information est traitée et stockée, sous la forme de nombres. En contexte scolaire il renvoie « à tout ce qui est lié à l’instrumentation des activités et des pratiques par des systèmes de traitement de l’information » (Baron et Boulc’h, 2011) et conduit à inscrire ce champ de pratique dans une nébuleuse : « Au lieu de se limiter à ce qui est relatif aux nombres, il a été utilisé comme un équivalent et souvent comme une euphémisation de ce qu’on reliait autrefois à l’informatique et aux logiciels. On le trouve notamment en relation avec l’école et la pédagogie sans que la signification de ces assemblages soit toujours claire » (ibid.). Même si, en France, l’éducation au numérique est plus largement évoquée que l’éducation à l’informatique, « l’informatique [n’en est pas moins] [...] la science fondamentale de notre monde numérique », ce qui permet d’expliquer ce monde et de le rendre possible (Société informatique de France – SIF, 2014). Dans le cadre de cette contribution, nous préférons donc faire usage du terme informatique qui permet d’écarter de notre démarche scientifique, le numérique, prénotion (au sens de Durkheim, 1987) qui, insérée dans le langage courant, est empreinte de confusion et mélange indistinctement « de(s) impressions vagues, de(s) préjugés, [...] de(s) passions » (ibid., p. 27) et des mythes relatifs à l’apprentissage et au numérique (Amadieu et Tricot, 2014).

Culture numérique enfantine et forme scolaire : du « rapport à » aux représentations de l’informatique

Les enfants d’aujourd’hui, natifs du numérique, grandissent dans un environnement où les technologies informatisées sont omniprésentes. Aussi, les études quantitatives montrent un taux d’équipement et d’usage important et grandissant chez les enfants et adolescents, avec une progression significative avec l’âge (Ipsos, 2017). On observe, par exemple, un temps de connectivité à Internet presque deux fois supérieur entre les adolescents de quinze-seize ans et les enfants de neuf et dix ans (164 minutes par jour contre 71) (Blaya et Alava, 2012). Dix-onze ans constitue une période charnière de leurs pratiques des technologies de l’information et de la communication (TIC), avec l’arrivée du premier smartphone, et une diversification des usages (Hadopi, 2017). Selon la maxime « tout, partout et tout le temps » (p. 2), les biens culturels dématérialisés sont consommés par les enfants (8-14 ans), chaque jour, en abondance et tout au long de la journée (hors temps scolaire) via divers appareils (smartphone, tablette, console, etc.).

Dès leur plus jeune âge, les enfants développent ainsi des pratiques ordinaires du numérique, une culture numérique définie comme « l’ensemble de valeurs, de connaissances et de pratiques qui impliquent l’usage d’outils informatisés, notamment les pratiques de consommation médiatique et culturelle, de communication et d’expression de soi » (Fluckiger, 2008, p. 51). Cette culture numérique s’inscrit dans une culture enfantine singulière, c’est-à-dire, dans un « ensemble de pratiques, de connaissances, de compétences et de comportements qu’un enfant doit connaître et maîtriser pour intégrer le groupe de pair » (Delalande, 2003). Construite en étroite relation avec la maturité physique et intellectuelle de l’enfant, elle est évolutive : un enfant développe de nouvelles préoccupations et représentations de son environnement, de nouvelles pratiques au fur à mesure qu’il grandit. En cela, elle participe à la construction d’une identité commune chez les enfants d’une même tranche d’âge. Ceux-ci produisent leur propre culture en se référant au monde des adultes, en se nourrissant d’une culture globale à laquelle ils participent eux-mêmes (Delalande, 2003 ; Arleo et Delalande, 2010).

Cette culture numérique enfantine se construit, le plus souvent, hors des temps scolaires. Les modes d’appropriation des technologies informatisées se distinguent des modes d’apprentissage en vigueur à l’école et, ceci, même si l’institution scolaire entend jouer un rôle dans l’éducation au numérique des élèves. Comment s’opère la rencontre entre la culture numérique enfantine et la forme scolaire qui constitue le cadre légitime dans lequel l’école entend former les élèves ?

La forme scolaire organise de manière spécifique la relation d’enseignement-apprentissage, en la différenciant notamment de ses modes informels (dans la famille, par tâtonnement, par mimesis etc.) (Reuter, 2007). Dans ces formes sociales d’apprentissage, l’appropriation des savoirs passe par un ensemble de pratiques et d’exercices qui doivent inscrire l’individu dans une raison scolaire, un rapport scriptural-scolaire au langage et au monde : « C’est tout un rapport au langage et au monde que les pédagogues entendent inculquer aux élèves à travers les multiples pratiques langagières (orales ou écrites) engendrées dans des formes sociales scripturales scolaires : une maîtrise symbolique, seconde, qui vient ordonner et raisonner ce qui vient de la simple habitude, du simple usage, de la pratique sans principe explicite » (Lahire, 1993). La culture scolaire pourrait ainsi entrer en conflit avec la culture numérique enfantine, cette dernière se trouvant alors transformée : le savoir est objectivé et non incorporé, les modèles d’usage sont explicites et non appris par mimesis ; l’apprentissage se fait à l’école et non dans la pratique.

La notion de « rapport à » constitue un cadre heuristique pour penser ce conflit de normes, entre raison scolaire et raison enfantine. Beillerot (1989) considère cette notion comme centrale pour interroger l’appropriation du savoir chez l’apprenant. Elle désigne un ensemble de rapports qui « viennent à un sujet d’une façon directe et indirecte, de sa famille, de son milieu social, de la période historique, des apprentissages divers jusqu’au premier temps du lait et du sein » (p. 175). Le « rapport à » envisage une configuration particulière entre un individu et un objet, configuration constituée d’une pluralité d’éléments. Elle s’oppose de façon radicale à une posture déterministe qui réduirait les trajectoires individuelles à la simple appartenance à une classe sociale pour se situer dans une démarche compréhensive du sujet pris dans sa singularité. Charlot (1997) à travers la notion de « rapport au savoir » a tout particulièrement mis en évidence l’intérêt d’adopter une lecture positive de l’échec scolaire qui s’attache à l’expérience singulière des élèves, à leur interprétation du monde, à leurs activités. L’introduction de la notion de « rapport à » dans les sciences de l’éducation marque ce qui a pu être décrit comme une rupture épistémologique puisque l’échec scolaire est appréhendé en termes de processus pluriels en interaction (Bautier, 2002) 1. Nous proposons d’envisager les rapports à l’informatique comme « une relation de sens et de valeur attribuée à des activités, à des situations, à des produits (institutionnels, culturels, sociaux) liés [à l’informatique], relation construite par le sujet à propos de [l’informatique], de ses usages et de son apprentissage »2.

Dans la lignée des travaux de Bellegarde (2015), il est possible de catégoriser les rapports à l’informatique en trois dimensions : (1) pratiques et usages situés de l’informatique, (2) représentations de l’informatique et de son apprentissage 3 et (3) fonctionnements et stratégies dans les pratiques de l’informatique. Dans le cadre restreint de cette contribution, nous nous intéressons particulièrement à la seconde dimension et nous proposons de décrire et d’analyser les représentations des élèves d’élémentaire et de collège concernant l’informatique et son apprentissage : comment se forgent-elles en lien avec leurs expériences personnelles et scolaires ? Quelles ruptures et continuités dans ces représentations peut-on observer chez ces élèves d’âges différents ?

Nos investigations théoriques mettent en avant la place ambivalente qu’occupe l’informatique au sein du système scolaire. Malgré la réintroduction de l’apprentissage de l’informatique dans les programmes scolaires, cette dernière conserve le rôle d’outil au service d’autres apprentissages / disciplines dans une perspective transversale. De même, on observe un manque de formation des enseignants qui, conjugué au glissement sémantique opéré entre informatique et numérique, accentue le caractère nébuleux de l’informatique scolaire et la difficulté à identifier les concepts et contenus disciplinaires sous-jacents. Dans ce contexte, comment les élèves définissent-ils l’informatique ? En ont-ils une vision élargie (usages, sciences, technologies – Fluckiger, 2019) ou restreinte ? Dans quelles mesures ces conceptions donnent-elles sens à l’apprentissage de l’informatique ?

Nous avons également souligné le développement d’une culture numérique précoce qui s’inscrit dans une culture enfantine singulière et évolutive. Baignant dès le plus jeune âge dans un environnement informatisé, on observe avec l’avancée en âge, une multiplication et une diversification des pratiques ordinaires. Comment la culture numérique des élèves évolue-t-elle ? Quelles différences notables observe-t-on entre les représentations de l’informatique et de son apprentissage des collégiens et celles des élèves de primaire ?

Enfin, rappelons que cette culture numérique enfantine s’est construite le plus souvent en dehors des temps scolaires, dans la pratique quotidienne, sans un temps formel d’apprentissage. Cette construction se distingue des modes d’apprentissage en vigueur à l’école. Comment s’opère alors la rencontre entre la culture numérique enfantine et la forme scolaire qui constitue le cadre légitime dans lequel l’école entend former les élèves ? Comment l’école participe-t-elle à la (trans)formation des rapports à l’informatique des élèves ?

Ces considérations ont construit le cadre de nos études respectives portant sur les rapports à l’informatique d’élèves de cycle 3 et 4 (milieu et fin d’école primaire et collège).

Les données présentées dans ce chapitre sont issues d’enquêtes de terrain distinctes mobilisant des méthodologies qualitatives et quantitatives complémentaires. Elles ont en commun d’approcher la question des rapports à l’informatique chez des élèves de la fin de l’école élémentaire et du collège.

Méthodologie

Ce travail se situe dans une approche compréhensive, qui, d’après le principe d’intercompréhension, admet que l’humain peut saisir le vécu, l’expérience d’un autre et ainsi avoir accès au sens qu’il donne à la réalité étudiée, ici les rapports à l’informatique (Paillé et Mucchielli, 2003). Deux modalités d’élaboration du corpus ont été retenues : des entretiens et des questionnaires. Les données ont été recueillies en 2020–2021 soit cinq ans environ après la réintroduction des sciences informatiques dans les programmes du primaire et du collège.

Les entretiens individuels, menés auprès d’élèves des cycles 3 et 4, favorisaient une liberté d’expression chez les élèves, leur permettant de partager leurs points de vue et leurs vécus, avec autant d’authenticité et de profondeur que possible. Seize élèves de primaire et douze collégiens ont participé à des entretiens semi-directifs individuels d’une durée variant de 30 à 60 minutes.

En complément des entretiens menés dans le second degré, des questionnaires ont également été diffusés afin de collecter des données sur un échantillon d’élèves plus large et représentatif. Ils comportaient une quinzaine de questions permettant de recueillir des données sur leurs pratiques de l’informatique à l’école et à la maison ainsi que sur leur attitude envers l’informatique (via des questions issues du questionnaire de Moskal et al., 2006).

Ayant conscience des effets du contexte scolaire sur les réponses recueillies, nous avons veillé à instaurer un climat de confiance en explicitant les objectifs de notre recherche (« comprendre leurs pratiques de l’informatique pour réfléchir à la manière d’enseigner cette discipline ») et en valorisant l’importance de leurs témoignages accueillis sans jugement.

Population

Les enquêtes menées auprès d’élèves de cycle 3 ont concerné quatre écoles situées dans le bassin minier du nord de la France. Deux d’entre elles appartiennent au réseau d’éducation prioritaire. Sur les seize élèves de primaire ayant participé au recueil de données, quatre étaient de niveau CM1 et quatorze de niveau CM2.

Au collège, une enquête par questionnaire a concerné 427 élèves (110 élèves de 6e, 89 élèves de 5e, 176 élèves de 4e et 52 élèves de 3e) répartis dans cinq établissements privés ou publics de l’ouest et du nord de la France. Les entretiens, quant à eux, ont concerné six collégiennes et collégiens de 5e et six collégiennes et collégiens de 3e dont la moitié s’était inscrite volontairement dans un club ou des ateliers robotique/scratch offerts par la commune ou proposés au sein du collège, en dehors des temps d’enseignements obligatoires.

Modalités de traitement des données

Les réponses des élèves et des collégiens ont été analysées selon les mêmes grilles d’analyse et classées selon les mêmes catégories. Les analyses réalisées ont porté sur deux dimensions : les représentations de l’informatique des élèves de primaire et collégiens et les représentations de l’apprentissage de l’informatique.

Pour la première dimension, les réponses de chaque élève ont été classées au sein de catégories élaborées à partir des définitions de l’informatique de Bruillard (2009b) et Fluckiger (2019). Pour la seconde dimension, nous nous intéressons, dans un premier temps, à ce que les élèves et les collégiens pensent avoir appris en informatique dans un cadre scolaire. Les réponses recueillies dans les questionnaires et lors des entretiens ont été classées en plusieurs catégories construites à partir des travaux de Charlot (1997, 1999). Dans un second temps, nous avons souhaité comprendre à travers cette dimension, les finalités, le sens que donnaient les élèves au fait d’apprendre l’informatique à l’école et au collège. À partir des travaux de Carré (1998) et de Carré et Caspar (2017), portant sur l’engagement d’adultes en formation, nous avons identifié quatre motifs donnés par les élèves témoignant des finalités de l’informatique scolaire. Les explications précises concernant la constitution des différentes catégories seront fournies dans la troisième partie.

Résultats : l’informatique et son apprentissage, des représentations inscrites dans une culture enfantine

Cette troisième partie dédiée aux résultats de nos enquêtes interroge les représentations de l’informatique et de son apprentissage que se sont forgés des élèves de la fin de l’école élémentaire (CM1 et CM2) et du collège au cours de leur parcours personnel. Elle propose spécifiquement de saisir, d’une part, les manières dont ces élèves définissent ce qu’est pour eux l’informatique, et d’autre part, comment ces mêmes élèves envisagent l’informatique en tant qu’objet scolaire, le sens et la finalité qu’ils donnent à cet apprentissage.

Nos résultats montrent, chez des élèves âgés entre 9 et 15 ans, une tendance à percevoir l’informatique à travers le prisme de leurs pratiques ordinaires, pratiques inscrites dans une culture enfantine évolutive. Ils confortent les travaux d’Abric (2003), à savoir l’influence des pratiques des sujets sur les représentations sociales, ici, celles de l’informatique. La culture numérique enfantine (Fluckiger, 2008) prend ainsi des configurations originales en fonction de l’âge des élèves : la valeur donnée à l’outil informatique est exponentielle de l’âge de 9 ans à celui de 15 ans tandis que celle donnée à son apprentissage est déclinante pour cette même tranche d’âge.

L’informatique, un outil culturel ancré dans des pratiques ordinaires

Lors de nos entrevues avec les élèves, nous avons fait le choix de les interroger, dès le début, sur ce qu’est l’informatique pour eux. Il s’agissait ainsi de partir de leurs propres représentations sans induire par nos questionnements une représentation construite au fur et à mesure de l’échange. À partir des définitions de l’informatique de Bruillard (2009b) et Fluckiger (2019), les réponses des élèves ont été classées en trois catégories : (1) comme une science : l’élève fait référence à des notions précises comme « algorithmique », « pensée informatique », « programmation », « boucle » ou évoque le concept de programmation ; (2) en tant que technologie : l’élève fait référence à l’étude des techniques et des outils ainsi qu’aux relations qu’ils entretiennent entre eux (mise en réseau) ou qui existent entre les différents composants (câbles, wifi...) ; (3) par ses usages : sont distinguées ici trois sous-catégories : (3a) les usages sociaux qui renvoient aux pratiques sociales ordinaires en dehors du cadre scolaire ; (3b) les usages scolaires où l’informatique est perçue comme un outil utilisé en classe pour les apprentissages ; (3c) les usages d’outils informatisés lorsque l’élève restreint l’informatique aux actions, au faire (il cite un outil, une activité réalisée sur un logiciel, etc.). Un même élève pouvant fournir des réponses variées, il est possible que toutes ou plusieurs de ces différentes catégories soient représentées dans les propos d’un seul répondant.

Les résultats de nos enquêtes soulignent l’inscription de l’informatique dans une culture enfantine qui tend à se construire progressivement, notamment, à partir de cet objet/outil pour lequel les élèves de primaire et de collège interrogés ont développé des représentations en lien avec leurs pratiques et parcours personnels. Les réponses des élèves de primaire montrent majoritairement des représentations pragmatiques, dans le sens où l’informatique est définie surtout sous le prisme des usages, « c’est pour faire » (16 élèves), et dans une moindre proportion comme une technologie (trois élèves) ou une science (un élève). Chez les collégiens, les réponses données démontrent une plus grande diversité dans leurs représentations de l’informatique : on retrouve toujours une forte présence des usages mais elle est aussi considérée comme une science par un tiers des élèves interrogés. Tout comme en primaire, la dimension technologique n’est que peu mise en avant.

L’informatique sous le prisme des usages : « c’est pour faire... »

Pour les élèves de primaire et de collège, l’informatique est d’abord synonyme d’outils informatisés (neuf élèves et cinq collégiens) sans référence à leurs dimensions techniques et scientifiques ; elle renvoie largement aux « écrans », à l’ordinateur, aux logiciels et applications utilisés. De même, la définition de l’informatique donnée dans les questionnaires par les collégiens consiste souvent en un simple listing (liste) d’outils : « ordinateurs », « téléphone portable », « tablettes », « appli », « robot », « carte micro-bit ». Ces réponses listings sont observées dans 42 % des questionnaires, constat qui s’observe aussi dans la moitié des entretiens menés avec des collégiens.

Informatique, c’est genre Facebook, Google, les réseaux, en fait. (Timéo, CM2)

Je pense que l’informatique pour moi c’est les écrans, les claviers, les ordinateurs et tout ce qui est logiciel et application aussi. Jouer aux jeux vidéo peut-être c’est de l’informatique aussi ? Y a un écran, des manettes... alors on peut dire que les consoles c’est aussi l’informatique. (Manelle, 5e)

Les élèves de primaire ont également largement défini l’informatique au travers des usages sociaux qu’ils développent dans leur contexte quotidien (huit élèves). Les outils informatisés constituent alors, pour sept élèves, une source de distraction, un moyen pour ne pas s’ennuyer facile d’accès et offrant une pluralité de possibilités : jouer à des jeux, regarder des vidéos sur YouTube, discuter avec ses amis sur les réseaux sociaux, etc. L’informatique est également définie comme une source d’apprentissage par six élèves de primaire, apprentissage qui s’opérerait via divers logiciels conçus à cet effet ou via la recherche d’information sur des moteurs de recherche. L’aspect ludique apparaît nettement dans le discours des élèves ; il s’agit de s’occuper et d’apprendre tout en s’amusant.

Si tu devais expliquer à un enfant qui ne sait pas du tout ce que c’est l’informatique, qu’est-ce que tu lui dirais ?

Je lui dirais qu’on peut apprendre des choses, qu’il peut jouer [...]. Je lui montrerais des jeux d’exercices, c’est une méthode d’apprentissage mais sans travailler forcément. [...] L’apprentissage par le jeu, [...] c’est bien car il y a des gens s’ils veulent apprendre des choses, [...] ils ne sont pas obligés de se plonger dans des livres pendant des heures, ils peuvent aller sur Internet et jouer à des jeux en même temps que travailler, ça les stimule. (Titouan, CM2)

Cette tendance à définir uniquement l’informatique sous le prisme des usages notamment sociaux est également très présente chez les collégiens. Ainsi dans 93 % des questionnaires, au moins un usage est cité : « jouer aux jeux vidéos », « aller sur Internet », « envoyer un MMS », « liker et commenter une photo sur Insta », « installer et se servir des applications ≫ « poster une vidéo TikTok », « créer des chaînes YouTube », « faire du Word », « créer un jeu vidéo sur Scratch ».

Si l’informatique est définie pour une large partie des élèves à travers leurs usages, que ce soit sous le prisme des outils informatisés ou des pratiques sociales, seuls quelques-uns ont envisagé l’informatique comme un outil pour l’école (trois élèves en primaire, trois collégiens interviewés et 37 % des collégiens ayant répondu au questionnaire).

Quand on ne comprend pas quelque chose ou qu’on doit faire un exposé, par exemple, le professeur nous dit qu’on peut aller faire des recherches et les noter pour faire notre exposé, par exemple sur l’ordinateur il y a Internet et c’est ce qui nous permet de trouver des choses qu’on ne trouve pas dans le dictionnaire ou dans le Bescherelle ou tout ce qui s’en suit. (Célinie, CM2)

C’est tout ce que tu peux faire avec l’ordinateur. Par exemple en classe on fait de l’informatique, on doit faire des exposés, on doit aller chercher sur Internet et après on projette avec le tableau numérique interactif (TNI) les informations qu’on a trouvées pour l’exposé. (Gabriel, 5e)

L’informatique en tant que technologie ou science

Les représentations de l’informatique en tant que technologie ou science se retrouvent de façon plus marginale dans les propos des élèves de primaire et des collégiens que celles qui concernent les usages. On observe cependant un net décalage entre les réponses données par les répondants en fonction de leur âge.

Ainsi, chez les élèves de primaire, les conceptions de l’informatique s’ancrent dans une culture numérique enfantine, dans des modes d’appropriation informels pour lesquels l’informatique en tant que science et technologie du monde numérique (SIF, 2014) n’a que peu de raison d’être. L’école primaire semble peu impacter les grilles de lecture de l’informatique que se sont construits ces élèves au cours de leur parcours personnel. Aussi, seuls trois élèves de primaire, dans leur définition de l’informatique, ont envisagé celle-ci comme une science et/ou une technologie. Même si ces représentations sont encore fragiles, confuses, inexactes, elles montrent néanmoins des réflexions et questionnements sur ce qu’est l’informatique et sur la manière dont fonctionnent les outils informatisés.

En fait tant que ça touche à tout ce qui est scientifique, j’adore. [...] C’est scientifique oui, parce que c’est l’humain qui a créé ça et ça a été fait avec des études mais ils ont dû passer beaucoup de temps dessus. [...] Je pense qu’ils ont dû fabriquer par leurs propres moyens, ils ont dû étudier comment faire et ils se sont dit « ça je vais l’appeler comme ça » et dès qu’il y a eu ça, c’était une révolution, c’était la révolution de l’informatique, Internet. (Titouan, CM2)

La représentation de l’informatique comme « science » est davantage présente chez les collégiens (n = 4).

L’informatique, ça concerne tout ce qui est programmation, le langage pour programmer des ordinateurs, pour programmer des robots. Donc, c’est pas juste savoir utiliser un ordinateur mais aussi comment il fonctionne, pourquoi il fonctionne pas et lui dire quoi faire. (Théophile, 3e)

De même, dans les questionnaires, 38 % des collégiens (essentiellement les 3e et 4e) mettent au moins une fois en avant des dimensions scientifiques. Ils utilisent des termes comme : « code/r », « pour la programmation des ordinateurs et des robots », « faire du Python », « les boucles », « les algorithmes ». La dimension scientifique est également bien présente dans cinq des douze interviews réalisées.

Notons toutefois, que si les savoirs et les connaissances techniques semblent plus accessibles aux collégiens, les connaissances sont très imprécises et l’informatique reste encore perçue au travers du prisme des usages sociaux. Ainsi, lorsqu’il a été proposé aux collégiens d’indiquer, parmi une liste d’actions, celles qu’ils considéraient comme étant de l’informatique, les réponses données ont montré une méconnaissance des termes techniques (cf. tableau 1). Ainsi, « Créer un algorithme » est considéré par seulement 8 % des élèves de 6e/5e et 16 % des élèves de 4e/3e comme une compétence informatique. Pour eux, ce terme fait référence à une situation fréquente en primaire que les enseignants nomment un algorithme et qui consiste à repérer une répétition dans une suite logique de formes ou d’objets : « Quand on fait une répétition, une sorte de suite logique » (Serge, 3e).

De même, 47 % des collégiens ont répondu que « comprendre le fonctionnement d’Internet » ne correspondait pas à de l’informatique. Comme souligné plus haut, l’informatique est surtout définie au travers des usages. Le savoir, dissocié du savoir-faire est considéré, pour beaucoup, comme secondaire et non-essentiel :

On peut faire de l’informatique sans comprendre le fonctionnement d’Internet, les réseaux, les câbles et tout. Si tu sais utiliser Google, si tu sais faire une recherche dans le moteur de recherche, après tu tombes sur ce que tu cherches, les sites et voilà. Y a pas besoin de connaître le fonctionnement technique d’Internet pour être efficace sur Internet et trouver ce que tu veux. Et puis, si l’informatique, c’est programmer des machines, des robots, ben on peut le faire sans Internet et sans comprendre Internet, il faut juste un ordi et une appli. (Clara, 5e)

Tableau 1 : Répartition des réponses à la question « Parmi ces actions, coche celle(s) qui, selon toi, correspond(ent) à de l’informatique ».

Total (n = 447) 6e/5e (n = 209) 4e/3e (n = 238)
Envoyer un email 84 90 79
Saisir au clavier 69 77 62
Créer un algorithme 12 8 16
Comprendre le fonctionnement d’Internet 47 33 59
Télécharger un fichier 88 85 91
Faire une recherche sur Internet 87 92 82
Programmer un robot 92 93 91

Ces tendances concernant les représentations de l’informatique ont également été observées dans une étude complémentaire menée au sein d’une classe de CM1-CM2, faisant appel au concept de classes de situation (Vergnaud, 1989). Nous n’en détaillerons pas, ici, tous les résultats obtenus, mais un résumé des éléments saillants est disponible en annexe.

Apprendre l’informatique à l’école, une pratique scolaire opaque ancrée dans l’action

Les élèves du premier et second degré ont été questionnés sur ce qu’ils pensaient avoir appris en informatique à l’école ou au collège puis sur l’intérêt de suivre un enseignement de l’informatique à l’école.

Les réponses ont d’abord été classées selon trois catégories construites à partir des travaux de Charlot (1997, 1999) : (1) l’appropriation d’un savoir objet qui peut être évoqué sans référence à la situation dans laquelle il a été appris, (2) la capacité à réaliser une action ou à maîtriser une procédure mais sans possibilité de se détacher de la situation dans laquelle elle a été abordée, (3) aucun apprentissage verbalisé.

Puis, les finalités de l’apprentissage de l’informatique, exprimées par les élèves, ont été classées en quatre motifs (Carré, 1998) : motif vocationnel, motif opératoire de type personnel, motif opératoire de type scolaire et motif hédonique.

L’informatique pratiquée dans un cadre scolaire apparaît comme un objet opaque, que les élèves utilisent sans qu’ils ne puissent toujours identifier les savoirs et compétences sous-jacentes ainsi que les finalités liées à ces apprentissages.

Apprendre l’informatique, réaliser/maîtriser un ensemble d’actes versus s’approprier un savoir-objet

L’ensemble des élèves de primaire et des collégiens interrogés entretiennent un rapport épistémique au savoir (Charlot, 1997) informatique en lien étroit avec l’action. Ce rapport pratique au savoir prend deux formes : apprendre est d’abord synonyme d’actions réalisées dans une situation donnée d’apprentissage ; apprendre a également pour visée la maîtrise d’activités concrètes inscrites dans le contexte social et scolaire des élèves.

Dans le premier cas, il dénote la non-adoption d’une posture de secondarisation (Bautier et Goigoux, 2004) puisque leurs difficultés résident dans l’identification des enjeux cognitifs des tâches en informatique réalisées à l’école. C’est le cas pour quatorze élèves de primaire et cinq collégiens interrogés sur ce qu’ils ont appris à l’école. Ceux-ci restent alors « enfermés (imbriqués) dans la matérialité de l’opération sans accéder à son sens » (Charlot, 2001). Ce qui est appris n’est pas un objet qui peut être évoqué de façon réflexive sans référence à un acte ou un ensemble d’actes en situation. Cette difficulté à énoncer ce qu’ils ont appris et travaillé à l’école est perceptible au regard de l’aspect succinct, souvent embrouillé, de leur discours sur l’informatique voire de l’impossibilité d’en parler.

Il y avait une lettre [qui s’affichait] sur l’écran et il fallait la taper [le plus vite possible] mais c’était trop compliqué (rire) [Qu’est-ce que tu as appris en faisant cette activité ?] Je ne sais pas du tout. (Roxane, 10 ans)

Qu’est-ce que tu as appris quand tu as travaillé avec le robot ?

J’apprends en faisant des épreuves. [...] À faire déplacer le robot.

Qu’est-ce que tu as appris en déplaçant le robot ?

Je ne sais pas. (Yanis, 9 ans)

J’ai appris à utiliser Scratch, les blocs, les déplacements des lutins avec X/Y et mettre le son, on peut enregistrer ou utiliser un son qui est déjà dans Scratch. (Emma, 5e)

Je saurais même pas dire, pas grand-chose sûrement. (Clara, 5e)

Dans le second cas, le rapport pratique au savoir est porteur de sens envers l’apprentissage de l’informatique à l’école. L’acquisition de compétences en informatique est perçue par l’ensemble des élèves de primaire et par cinq collégiens interrogés comme une réponse à leurs besoins quotidiens, comme une aide à la maîtrise de leur environnement social et/ou scolaire. Apprendre l’informatique, c’est alors se rendre capable de maîtriser une activité où l’informatique entre en jeu :

[J’ai appris à] passer des lignes, revenir à la ligne tout ça. Et pour enregistrer, pour photocopier, imprimer. [...] Pour l’instant, c’était en début d’année, après, je pense qu’on va apprendre d’autres choses. (Axelle, 10 ans)

J’ai appris à faire contrôle C, contrôle V ça c’est pour faire copier-coller. C’est pratique, j’avais jamais vu ça avant. Aussi changer la police, la couleur, la forme. Pour écrire un exposé et faire un dossier, c’est important. (Manelle, 5e)

Chez trois collégiens, on observe néanmoins une appropriation de savoirs scientifiques qu’ils sont capables de nommer sans faire systématiquement référence à l’activité précise dans laquelle ils ont été abordés 4. Dans ce cas, les propos tenus, restent cependant très peu élaborés :

On a fait des trucs en maths par rapport à l’algorithmique [...], les pixels 1 et 0. (Serge, 3e)

Apprendre l’informatique à l’école, des motifs extrinsèques prédominants

Nous avons souhaité comprendre le sens que donnaient les élèves de la fin de l’école élémentaire et de collège à l’apprentissage de l’informatique à l’école au regard des finalités qu’ils y donnaient. Tous les collégiens et quatorze des seize élèves de primaire interrogés, sont parvenus à verbaliser les raisons, motifs (Carré, 1998) qu’ils percevaient dans cet enseignement scolaire, à identifier un intérêt, pour eux, à court ou moyen terme. Les motifs extrinsèques concernent une majorité d’élèves (neuf élèves et tous les collégiens) pour lesquels cet apprentissage prend sens en dehors des séances en informatique elles-mêmes, celles-ci constituant un moyen pour atteindre des objectifs extérieurs à cet enseignement : poursuivre sa scolarité, effectuer des tâches mettant en jeu l’informatique dans le contexte quotidien ou professionnel, par exemple. Des motifs intrinsèques ont également été verbalisés par sept élèves de primaire ; pour eux, apprendre l’informatique est porteur de valeur en soi et est relatif à l’acte d’apprendre lui-même. Pour les motifs extrinsèques, le sens donné à l’informatique scolaire est orienté vers l’apprentissage, l’acquisition de compétences en informatique ; pour les motifs intrinsèques, ce sens se situe dans la participation même à des séances d’apprentissage mettant en jeu l’informatique. Notons que pour un même élève plusieurs motifs, qu’ils soient extrinsèques ou intrinsèques, ont pu être énoncés ; ainsi, pour un même élève ceux-ci peuvent se combiner.

Concernant tout d’abord les motifs extrinsèques, trois types ont été identifiés chez les élèves : il s’agit, par ordre de représentativité dans leur discours, des motifs vocationnels (sept élèves de primaire et six collégiens), opératoires personnels (quatre élèves et quatre collégiens) et opératoires scolaires (trois élèves et cinq collégiens).

Les motifs vocationnels renvoient à l’acquisition de compétences en informatique pour le travail plus tard, sans que les élèves de primaire ne sachent souvent identifier explicitement les tâches que pourrait recouvrir la pratique de l’informatique en milieu professionnel. D’ailleurs, sur les sept élèves se situant dans ce type de motifs, quatre ont lié directement l’acquisition de compétences en informatique au fait de devenir informaticien, ne percevant pas le transfert de ces compétences à d’autres métiers :

Je pense que c’est très bien. [...] Peu importe notre travail, ça pourra toujours nous aider. [...] Par exemple, je travaille dans une grande entreprise où la principale source de recherche, c’est les ordinateurs, je serai bien entraîné. [...] La source principale de recherche pour rechercher des choses, les passer à nos collègues etc. [...] Si je travaille dans une grande entreprise, la source principale, c’est les ordinateurs, j’irai très très vite. (Titouan, CM2)

C’est important parce que si on [...] veut devenir informaticien, il faut savoir faire, sinon c’est bien. [Est-ce que c’est important si on ne veut pas devenir informaticien ?] Oui [...], comme ça, si on a un frère ou une sœur qui ne sait pas utiliser l’ordinateur, on peut lui expliquer. (Leila, CM2)

Le motif vocationnel est évoqué de façon plus large au collège, les élèves percevant que « l’ordinateur », « l’intelligence artificielle », ou encore « les robots » ne sont pas spécifiques à un métier en particulier et que l’apprentissage de l’informatique dans le secondaire est donc une condition sine qua none à toute réussite professionnelle :

C’est indispensable, aujourd’hui, il y a de l’informatique partout. Oui c’est sûr parce que maintenant tout se fait sur ordinateur et si tu veux pas être paumé, il faut connaître l’informatique, il y en a dans tous les métiers. (Léo, 3e)

Ce point de vue ressort aussi très fortement dans les questionnaires, puisqu’à l’affirmation « Apprendre l’informatique permet de trouver plus facilement du travail », 30 % des collégiens ont répondu « Tout à fait d’accord » et 51 % « Plutôt d’accord ».

Les motifs opératoires personnels énoncés par cinq élèves de primaire et quatre collégiens renvoient, ici, au développement de compétences en informatique, perçues comme nécessaires à la réalisation d’activités spécifiques situées dans leur contexte de vie quotidien. On observe, dans les réponses des élèves de primaire, des difficultés à identifier les possibles offerts par la maîtrise de l’informatique ; leurs réponses laconiques montrent une difficulté à se projeter en dehors de leurs pratiques enfantines pour lesquelles ils ont développé des compétences d’usage :

Par exemple, quand tu as un travail, pour savoir combien de salaire tu gagnes. Et, aussi, quand tu vas au magasin, s’il n’y a pas d’argent en plus que tu donnes. [...] Tu vas sur un site où il y a une calculatrice. (Maël, CM2)

Une majorité des collégiens affirme qu’« apprendre l’informatique est utile dans la vie quotidienne » (42 % « Tout à fait d’accord » et 28 % « Plutôt d’accord »). Il faut noter cependant, à nouveau, que les compétences informatiques perçues comme nécessaires au quotidien ne semblent pas issues d’un apprentissage scolaire formel.

L’informatique ça peut être juste savoir se servir de son ordinateur, ou aller regarder une vidéo, streamer, aller sur les réseaux sociaux bon bah ça oui ça c’est important pour tous les jeunes de mon âge, même pour ceux qui s’intéressent pas à l’informatique pour ceux qui vont pas devenir informaticien. (Théophile, 3e)

Enfin, trois élèves et cinq collégiens ont envisagé l’intérêt d’apprendre informatique à l’école à partir de motifs opératoires de type scolaire ; il s’agit alors de développer des savoir-faire pour suivre leur scolarité, de se rendre capable de maîtriser certaines tâches dans les classes supérieures :

Ah si pour nos études ! Pour plus tard. [...] Si on a des ordinateurs et qu’on ne sait pas le faire aller, ce serait bizarre. [...] Par exemple moi je vais aller à la fac, peut-être pour aller à la fac, on en aura besoin. (Laury, CM1)

Je pense que c’est pas mal pour l’école, je pense que c’est pas mal pour les études, ça permet vraiment de travailler, d’aller chercher les informations pour rendre un travail qui est plus poussé. Ça me servira à ça. L’informatique pour mes études, je pense que si on sait pas y faire avec l’informatique, on peut être très embêté pour tous les travaux qu’on a à rendre au lycée ce sera encore plus important. (Sarra, 3e)

Concernant maintenant les motifs intrinsèques, ceux-ci ont été évoqués par six élèves de primaire interrogés : apprendre/faire de l’informatique en contexte scolaire procure du plaisir au regard des conditions pratiques de déroulement des enseignements, de leur appétence pour l’outil informatique en lui-même, indépendamment des contenus d’apprentissage :

C’est bien car on a plus tendance à vouloir travailler car des fois quand tu travailles sur une fiche, tu as moins tendance à vouloir travailler tandis que sur l’ordinateur, on a plus envie de travailler. Pour moi, monsieur il nous l’a jamais dit mais ça entraîne les enfants à vouloir plus travailler. (Célinie, CM2)

Enfin, relevons que deux élèves de primaire et quatre collégiens n’ont pas identifié de finalités à l’apprentissage de l’informatique à l’école. Ils ont répondu ne pas savoir ou n’avoir rien appris de ce qu’ils maîtrisaient déjà. Dans les questionnaires, 28 % des collégiens déclarant faire de l’informatique au collège, ont indiqué qu’ils n’apprennent « rien », « rien de nouveau », « rien de spécial » ou encore « rien d’intéressant ». Lors des entretiens, ils expliquent que leur culture, leurs pratiques personnelles et/ou l’aide de leur entourage leur apportent plus que l’apprentissage formel dans le cadre scolaire :

Je ne sais pas [...]. Peut-être parce que nos parents, ils nous expliquent déjà comment il faut faire. (Laury, CM2)

Rien, franchement rien d’utile pour moi, rien de nouveau. C’est des trucs que je connais, ou des trucs, c’est pas de l’informatique. (Noé, 5e)

Ce point de vue est tout particulièrement partagé par les collégiens qui ont choisi de pratiquer une activité Scratch ou robotique et se projettent dans un métier technique où les compétences en informatique joueront un rôle central.

Discussion et conclusion

Ce travail se proposait de comprendre les représentations de l’informatique et de son apprentissage que se sont forgés des élèves de la fin de l’école élémentaire et du collège au cours de leur parcours personnel. Il s’agissait également d’identifier la manière dont ces représentations se construisent, évoluent selon leur culture enfantine. Bien que portant sur un nombre limité d’entretiens, les données recueillies ont permis de repérer des ruptures et continuités dans les rapports à l’informatique des élèves en fonction de leur âge, de leur niveau scolaire et des différents contextes d’usage (notamment scolaire et extra-scolaire).

Une première tendance observée est que quels que soient l’âge des élèves, le cycle d’étude et les enseignements suivis, l’informatique est très souvent définie au travers des usages du quotidien. Ces représentations partagées par les élèves du primaire et du secondaire s’ancrent dans une culture numérique influencée par leurs pratiques ordinaires des outils informatisés et ceci, bien qu’il existe deux différences observées entre le primaire et le secondaire. D’une part, on note chez les plus jeunes, un accès aux outils informatisés plus limité, et des pratiques moins diversifiées, l’entrée au collège constituant une période charnière avec l’arrivée du premier smartphone 5 (Crédoc, 2021). D’autre part, en primaire, on observe des pratiques d’enseignement où l’informatique joue la fonction d’outils au service d’autres disciplines et est plus rarement considérée comme objet d’apprentissage tandis qu’au collège cet enseignement commence, si l’on considère les programmes, à être plus technique et scientifique. Nos données de terrain montrent que les sciences informatiques au collège prennent une place plus congrue que prévue dans les programmes, les collégiens déclarant ne pas faire ou faire peu d’informatique en classe. De plus, on observe chez tous les élèves une dissociation entre savoir-faire et savoirs (Wing, 2008), beaucoup considérant que l’informatique renvoie plus à l’action (créer un site Internet, mettre du contenu sur Internet, faire une recherche sur Internet, etc.) qu’à la compréhension des notions ou du fonctionnement (comprendre le fonctionnement d’Internet, par exemple). Ce résultat s’expliquerait par la prédominance des pratiques ordinaires de l’informatique sur les pratiques scolaires. L’école jouerait un rôle mineur dans la (trans)formation des rapports à l’informatique des élèves âgés de 9 à 15 ans. Notons également que cette conception de l’informatique limitée aux usages induit chez les élèves de primaire un sentiment de compétence en informatique : ceux-ci ont développé des compétences d’usage dans leur environnement personnel, par mimesis et/ou tâtonnement, qu’ils jugent suffisantes à leurs pratiques enfantines. Ce sentiment de compétences a tendance à s’effriter lorsqu’ils sont confrontés, au collège, à un enseignement scientifique de l’informatique : leurs représentations s’élargissent, sortant des simples usages, ce qui leur fait prendre conscience, ou, en partie, de la complexité de cet objet.

Une deuxième tendance observée concerne les difficultés éprouvées par la majorité des élèves à adopter une posture de secondarisation (Bautier et Goigoux, 2004), à identifier les enjeux cognitifs de la tâche mettant en jeu l’informatique. Ils ont développé un rapport pratique à l’apprendre. Par exemple, une activité de programmation via Scratch proposée à l’école élémentaire et au collège, donne lieu à des verbalisations portant souvent sur les actions réalisées (« j’ai déplacé le lutin ») et moins sur les savoirs scientifiques mobilisés (« j’ai programmé un déplacement en faisant une répétition et une boucle »). Les élèves sont, ici, focalisés sur la réussite de la tâche sans comprendre ce que cette dernière leur permet d’apprendre (Charlot, 1999). Apprendre l’informatique pour ces élèves, c’est parvenir à réaliser un certain nombre d’actes inhérents à une activité mettant en jeu l’outil informatique. L’absence d’une formation spécifique des enseignants induit des pratiques d’enseignement où l’informatique joue la fonction d’outils au service d’autres disciplines et est plus rarement considérée comme objet d’apprentissage. Et, quand bien même, l’informatique serait travaillée en tant que telle, les difficultés des enseignants eux-mêmes à identifier les savoirs et compétences en jeu dans les séances (Fluckiger et al., 2021), ne leur permettent pas de proposer à leurs élèves des activités variées de manipulations et réflexives, de formaliser ce qui est enseigné. Ancrer les pratiques d’enseignement et les savoirs scolaires dans une démarche théorique (institutionnalisation) mais aussi dans une réflexion plus globale autour de la culture informatique, son utilité à court et moyen termes, ses liens avec les autres disciplines (transferts de compétences) pourrait aider les élèves à rompre avec leur image naïve de l’informatique, bien souvent limitée à l’usage qu’ils en ont. Ce rapport pratique à l’apprentissage est néanmoins porteur de sens chez les élèves, en particulier les plus jeunes d’entre eux ; se rendre capable d’utiliser les outils informatisés répond à leurs besoins quotidiens. Cette valeur attribuée à l’apprentissage de l’informatique pourrait constituer un levier didactique intéressant pour aborder plus explicitement les savoirs technologiques et scientifiques inhérents à ces outils, à leurs pratiques ordinaires.

Une troisième tendance observée porte sur les finalités attribuées à l’apprentissage de l’informatique chez les élèves de l’école de l’élémentaire et du collège ; nos analyses montrent que l’ensemble des élèves mettent en avant des motifs extrinsèques et, plus fortement, de type vocationnel. On note néanmoins, avec l’avancée en âge, une proportion plus marquée de motifs vocationnels chez les élèves. Ce résultat s’explique, chez les plus âgés, par une prise de conscience de la part qu’occupe l’informatique dans des secteurs professionnels variés, à la différence des plus jeunes, qui ont une vision plus limitée de l’intérêt d’acquérir des compétences en informatique pour leur insertion professionnelle, réduisant, bien souvent cette acquisition au seul métier d’informaticien. Une autre différence observée entre les élèves de l’école élémentaire et du collège concerne le plaisir éprouvé par les premiers au fait d’apprendre/de faire de l’informatique en contexte scolaire. Les élèves les plus jeunes ont développé au cours de leurs expériences scolaires et extra-scolaires un rapport ludique au numérique et à l’apprendre ; ce rapport tend à s’atténuer chez les élèves les plus âgés à travers des pratiques scolaires moins récréatives. De plus, nos résultats montrent une dernière rupture entre les deux catégories d’élèves étudiées : un sens attribué à l’apprentissage de l’informatique qui s’effrite avec l’âge. Les plus âgés ont ainsi fait part du peu d’intérêt que présente pour eux l’apprentissage de l’informatique au collège, considérant que leurs pratiques personnelles plus riches sont davantage source de développement de compétences.

Cette contribution souligne l’intérêt de mener des recherches comparatives et/ou longitudinales qui s’intéressent au processus de construction des rapports à l’informatique des élèves, à la manière dont ceux-ci, inscrits dans une culture enfantine en constante évolution, se transforment. Ces recherches ne peuvent se faire que sur un temps résolument long, du primaire jusqu’au secondaire, si l’on souhaite saisir et comprendre les ruptures et continuités dans les rapports à l’informatique des apprenants, la manière dont culture numérique enfantine (ordinaire) et culture scolaire (légitime) se nourrissent, se confrontent et donnent forme aux rapports à l’informatique des élèves.

Recommandations

L’objectif premier de cette recherche était de mieux comprendre les représentations de l’informatique d’élèves de cycles 3 et 4 et la manière dont elles évoluent avec l’âge, en lien avec leur culture enfantine. Il ne s’agissait pas de formuler des préconisations quant à l’enseignement de l’informatique à l’école. Cependant nos résultats soulignent l’intérêt de :

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Annexe. Représentation de l’informatique des élèves de cycle 3 à travers le concept de classes de situation

Une étude supplémentaire a été menée au sein d’une autre classe du bassin minier. Vingt-trois enfants de CM1/CM2 ont été regroupés en huit groupes, composés d’environ trois élèves. Des focus groups ont été réalisés avec ces enfants. Ces focus groups avaient pour objectif de les faire verbaliser sur les outils numériques possédés mais aussi sur les connaissances et les pratiques associées à ces outils.

La première partie des focus groups questionnait les enfants sur leur équipement en outils numériques et sur leurs modalités d’utilisation de ces appareils. Au fur et à mesure des réponses des enfants, des cartes mentionnant des tâches numériques citées par les enfants étaient créées. Lors de la seconde partie, les enfants devaient organiser ces cartes en familles (soit en classes de situations au sens de Vergnaud), et justifier leur classement.

Au total, les enfants ont formé 49 classes de situation, regroupant une à six cartes, soit une à six tâches et en ont justifié 44. L’analyse de ces 44 justifications montre que les représentations des enfants portent avant tout sur les usages du numérique, en témoignent l’écrasante majorité des justifications des enfants associées à des usages du numérique (n = 38, soit 86 %). Ce n’est que très partiellement que les enfants font appel à leurs connaissances portant sur la dimension scientifique ou technique de l’informatique (pour chacune des dimensions, n = 3, soit 7 %).

Associer des tâches selon ses usages du numérique

Selon cette logique, les enfants justifient l’association de tâches en une même classe de situation par l’identification d’usages communs entre les tâches mentionnées sur les cartes. C’est par exemple le cas de Louna qui associe les tâches écouter de la musique, jouer sur la Switch, jouer sur le smartphone, jouer sur la PS4, installer une nouvelle application et regarder une vidéo YouTube :

Jouer sur la switch on peut mettre de la musique, jouer sur la PS4 on peut en mettre, et jouer sur un smartphone on peut en mettre et regarder une vidéo, bin on peut regarder sur tout et installer une nouvelle application on peut installer sur tout. (Louna)

Louna associe les différentes tâches proposées selon ses propres usages des outils numériques. Elle écoute de la musique aussi bien sur sa Switch que sur la PS4 ou encore le smartphone. Dans le même ordre d’idées, Garance associe les tâches jouer sur la Switch, jouer sur la PS4, regarder une vidéo YouTube et regarder Netflix en mentionnant qu’elle consulte YouTube et Netflix via la PS4 et via la Switch. Les usages des outils numériques mentionnés par les enfants sont de natures diverses (jouer, communiquer, écrire, etc.).

Figure 1: Aperçu de quelques cartes utilisées lors des focus groups.

Figure 1 : Aperçu de quelques cartes utilisées lors des focus groups.

Associer des tâches selon ses connaissances en science informatique

Selon cette logique, les enfants justifient l’association de tâches en une même classe de situation en mettant en avant leurs connaissances en science informatique. Ainsi, Charles associe les tâches faire une mise à jour de logiciel, installer une nouvelle application et programmer un Bluebot en mobilisant le concept d’exécution :

Déjà programmer le Bluebot c’est par exemple t’as [en montrant sur la table les différentes zones où se situent les flèches] une flèche une autre flèche une autre flèche à droite à gauche devant derrière et tu dois programmer donc euh comme installer un nouveau logiciel tu dois taper ton logiciel le programmer et pouvoir après le lancer. (Charles)

Dans cet exemple, Charles met en avant l’idée que ses actions modifient quelque chose sur la machine, qu’il est acteur et dialogue avec la machine. Cela est à associer au concept informatique d’exécution : il faut « pouvoir après le lancer ».

Associer des tâches selon ses connaissances technologiques

Selon cette logique, les enfants justifient l’association de tâches en une même classe de situation en se référant à la dimension technologique de l’informatique : ils mobilisent notamment leurs connaissances portant sur le fonctionnement des machines, sur l’architecture des dispositifs informatiques, etc. C’est par exemple le cas d’Ethan qui différencie la classe de situations constituée des tâches jouer à la PS4 et jouer à la Switch de la classe constituée de prendre une photo :

Prendre une photo t’as juste à appuyer sur un bouton et ça le fait alors que si tu joues sur la PS4 ou la Switch y a des joysticks c’est tout un système. (Ethan)

Ethan effectue son classement en distinguant des appareils numériques mobilisés, il distingue ainsi les consoles de jeu et les appareils photos. Alors qu’il perçoit les consoles comme des objets complexes, « c’est tout un système », l’appareil photo est perçu par Ethan comme un objet plus simple où il faut « juste appuyer sur un bouton ».

Dans le même ordre d’idées, Charles mobilise aussi des connaissances se référant à la technologie lorsqu’il justifie sa classe de situation formée de la tâche réparer un ordinateur :

Tu dois changer les câbles qu’il y a dedans [dans l’ordinateur] voir s’ils sont détachés coupés tu dois racheter des câbles et après remettre tout bien [...] y a le cerveau de l’ordinateur qui commande tous les fils. (Charles)

Au travers de sa justification, Charles met en avant ses connaissances portant sur les composants internes de l’ordinateur : « le cerveau de l’ordinateur commande les fils ».

1. Bautier (2002) envisage cette rupture épistémologique à travers la notion de « rapport au langage ».

2. Cette définition s’appuie sur celle formulée par Leclercq et Bellegarde (2015) au sujet des rapports à l’écrit, celui-ci constituant, tout comme l’informatique, une pratique sociale.

3. Nous définissons les représentations comme un ensemble de valeurs, d’opinions, d’informations, et de croyances relatives à l’objet de la représentation (Jodelet, 2003). Construites et partagées par les membres d’un groupe social (Moscovici, 2003), elles sont une manière de penser, de s’approprier, d’interpréter notre réalité quotidienne et notre rapport au monde. Les objets de notre environnement quotidien, y compris les disciplines scolaires, font l’objet de représentations (Abric, 2003).

4. À partir du cycle 4, les notions abordées en informatique sont censées être plus poussées. À la question « fais-tu de l’informatique en classe et à quelle fréquence », 55 % des 4e et 68 % des 3e déclarent en faire une fois par semaine ou plus. Les cours d’informatique seraient plutôt l’apanage des enseignants de mathématiques et surtout de technologies. L’informatique en cours de mathématiques est surtout citée par les élèves les plus âgés qui précisent y apprendre des bases de programmation et d’algorithmique via des activités le plus souvent débranchées. Les activités citées en technologies sont plus variées, il peut aussi bien s’agir de la familiarisation avec l’outil ordinateur (savoir enregistrer un fichier, réaliser une recherche Internet en vérifiant ses sources), que de l’utilisation de logiciel et de robot pour la programmation.

5. 89 % des collégiens interrogés déclarent posséder leur propre téléphone portable (conformément aux données issues de l’enquête Crédoc (2021) indiquant que 91 % des 12-17 ans étaient équipés de leur propre téléphone portable).