Quel enseignement de l’informatique dans la scolarité obligatoire en France ? Analyse des programmes et manuels

Isabelle Vandevelde

Cédric Fluckiger

Olivier Grugier

Mariam Haspekian

Les disciplines scolaires sont des ensembles instables « objet de constructions, au travers de luttes, de compromis et d’adaptations » (Reuter et Lahanier-Reuter, 2007). Elles font l’objet de « constantes reconfigurations » (Harlé, 2016). Ainsi, depuis 2015, un enseignement de l’informatique est prévu en primaire et au collège, sans y être néanmoins identifié comme une discipline à part entière, en même temps que de nouvelles options et spécialités ont été introduites au lycée. En outre, l’enseignement de l’informatique est inscrit dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture (S4C).

Comme c’est le cas pour toute introduction de contenus dans les programmes scolaires français, ceux liés à l’informatique passent par des textes prescriptifs avant de se retrouver transposés dans des manuels destinés aux enseignants et élèves. Tous ces documents, relevant des prescriptions et recommandations de l’enseignement de l’informatique et de leurs transpositions dans les manuels, forment un discours sur cet enseignement de l’informatique, qui sert de référence et oriente les pratiques des enseignants. Ce chapitre vise à décrire et analyser cet espace scriptural, à montrer comment les instructions officielles, les discours de l’institution scolaire ou encore les manuels scolaires parlent de l’informatique et de son enseignement. Ce tableau, brièvement esquissé dans ce chapitre, permet en effet d’interpréter, dans les chapitres suivants, ce que les acteurs font effectivement ou comment ils se font une idée de ces enseignements et apprentissages. Qu’est-ce que ces textes prévoient d’enseigner aux élèves ? Dans quels buts ? Selon quelles modalités ? Comment ces contenus sont-ils désignés et délimités ? L’enseignement de l’informatique prévu en 2015 rompt-il avec les enseignements passés de l’informatique, fragmentés au sein d’autres matières scolaires (Baron et Drot-Delange, 2016) ?

Pour répondre à ces questions, nous croisons des apports théoriques et méthodologiques issus de la didactique des disciplines francophones à ceux développés par des chercheurs en informatique, pour comprendre et caractériser les contenus informatiques qui sont enseignés à l’école.

Après avoir présenté le cadre théorique puis la méthodologie employée pour sélectionner et analyser ces textes, nous analyserons la manière dont l’informatique est perçue au sein de notre corpus de textes. Pour cela, nous nous appuierons sur les catégories d’analyse des disciplines proposées par Reuter (2014).

Cadre théorique : analyser l’informatique scolaire comme une discipline

Si, dans une acception large on peut entendre par informatique scolaire « l’ensemble des manifestations des technologies informatiques ou de la science informatique dans le champ scolaire » (Fluckiger, 2019a), nous ne nous intéressons ici qu’à ce que l’on peut identifier comme des contenus qui peuvent être rattachés au domaine de l’informatique au sein d’une discipline scolaire d’enseignement. Les trois termes, informatique, contenu et discipline méritent une clarification théorique.

À suivre Bruillard (2014), il est difficile de s’accorder sur une ontologie de l’informatique, qui est à la fois une science, une technologie mais aussi un ensemble d’usages sociaux. De fait, l’école peut enseigner des notions directement issues de la science informatique, comme la notion de boucle ou de variable, mais les élèves sont aussi confrontés à des contenus moins directement reliés à ce que des informaticiens peuvent considérer comme relevant de leur discipline de recherche : allumer un ordinateur, taper au clavier, identifier les dangers liés aux réseaux sociaux... Dans ce chapitre, nous cherchons à comprendre la logique et l’articulation de ces différents contenus dans un ensemble de textes, dans lesquels nous cherchons à repérer tout ce qu’on peut qualifier de contenu.

Le terme de contenu, en didactique, permet de désigner de manière très large ce qui fait l’objet d’un enseignement ou d’un apprentissage (Daunay et al., 2015). Comme le propose Delcambre (2013), nous considérons en effet que les didactiques s’intéressent non seulement aux savoirs, mais aussi aux savoir-faire, savoir-être, valeurs, rapports à, etc. Ainsi, nous chercherons à repérer, dans un corpus de textes, ce que nous pouvons identifier comme un contenu informatique, dans ces différentes dimensions.

Ces textes définissent une organisation des contenus visant leur enseignement. C’est dans ce sens que nous parlerons de discipline scolaire pour désigner, à la suite de Reuter, « de manière minimale, un mode d’organisation, à des fins d’enseignements et d’apprentissages, de contenus, de dispositifs, de pratiques, d’outils... » (Reuter, 2014). Nous considérons que ce mode d’organisation des contenus informatiques peut être analysé, à l’instar des disciplines scolaires constituées. C’est pourquoi, mobilisant les catégories d’analyse proposées par Reuter (2014), nous examinerons successivement le fonctionnement institutionnel et la désignation des contenus informatiques, la variété et les types de contenus, le fonctionnement pédagogico-didactique, les modes de références aux discours théoriques et les visées assignées à ces contenus à l’école primaire. Ces éléments seront plus précisément expliqués dans les sections correspondantes.

Pour comprendre finement les pratiques et représentations des apprenants comme des enseignants, qui font l’objet des chapitres suivants de cet ouvrage, il est nécessaire de les situer dans le cadre des prescriptions et recommandations qui définissent ce que les enseignants sont censés faire dans ce domaine avec leurs élèves. Ces prescriptions et recommandations constituent un espace scriptural, définissant l’enseignement de l’informatique et formant, avec l’espace des pratiques de la discipline et celui des représentations, ce que Reuter nomme la configuration disciplinaire (Reuter, 2004 ; 2007). L’un d’entre nous a déjà proposé de considérer ces prescriptions, pour comprendre le contexte d’enseignement et apprentissage de l’informatique (Fluckiger, 2011 ; Fluckiger et Reuter, 2014).

Méthodologie : constitution du corpus

Afin d’établir les catégories de contenus en jeu dans l’enseignement de l’informatique, nous analysons un corpus constitué de trois ensembles de textes :

Les programmes sont tous analysés. En revanche, les autres textes institutionnels et les manuels, trop nombreux pour être tous analysés, ont fait l’objet d’une sélection.

Sélection des textes institutionnels

Notre corpus regroupe une sélection de textes institutionnels : des rapports émis par les parlementaires ou par des organismes proches des décideurs ministériels. Ces textes nous semblent représentatifs des conceptions de ceux qui sont à l’origine de l’introduction de l’informatique dans les programmes. Un tel corpus ne pouvant être exhaustif faute de définition précise de ce qui constitue les discours de la « noosphère »1, nous avons fait le choix de limiter notre analyse à cinq documents datés de 2014 à 2018, car ils ont été largement diffusés et cités (liste en annexe).

Sélection des manuels d’informatique

Un ensemble de dix ouvrages d’enseignement de l’informatique est analysé. Ces ouvrages sont destinés aux élèves des cycles 1 à 4. Les dix ouvrages se distribuent ainsi : un ouvrage pour le cycle 1 et trois ouvrages pour chacun des autres cycles.

Une multitude d’ouvrages d’informatique destinés aux élèves sont disponibles sur le marché (au moment de la constitution du corpus, 217 manuels scolaires d’informatique étaient disponibles sur le site d’un libraire populaire). Pour ne conserver qu’un nombre limité de manuels sans faire intervenir notre propre subjectivité, nous avons mobilisé deux critères. Premièrement, les ouvrages devaient être édités à partir de 2015, année de mise en place des programmes scolaires analysés. Deuxièmement, le titre, la couverture ou quatrième de couverture des ouvrages analysés devaient renvoyer explicitement à l’âge, au niveau de classe ou au cycle des élèves, car ce critère est un critère majeur du choix de manuel par les enseignants qui veulent les utiliser en cours. Ces critères ont permis d’identifier dix manuels répartis sur tous les cycles.

Dans ces ouvrages, nous avons repéré des unités élémentaires (exercice ou page de cours), que nous avons ensuite classées en fonction du type de contenu abordé. Nous disposons donc d’un corpus de 1170 unités : 730 pages de cours et 440 exercices.

La suite de l’article présente les résultats de nos analyses de ce corpus, programmes, textes institutionnels et manuels, selon les catégories d’analyse de la discipline proposés par Reuter (2014), exposées plus haut.

Fonctionnement institutionnel : désignation des contenus informatiques

Par « fonctionnement institutionnel », Reuter (ibid.) entend à la fois les désignations de la discipline, ses modes de présence (en particulier sa permanence), son « poids » en termes d’horaires, ses coefficients, etc.

Après une première introduction dans les années 80, puis disparition, depuis maintenant sept années, un enseignement de l’informatique a été réintroduit dans les programmes de l’école primaire française, montrant une volonté politique de construire une culture commune pour tous dans ce domaine. Les textes, cependant, ne constituent pas un support permettant de clarifier, pour les enseignants, ce qui doit être enseigné.

Ainsi, la question de la désignation de l’informatique soulève des difficultés et permet de déplier certains implicites des promoteurs de ces contenus dans les programmes. En effet, les termes informatique et numérique désignent des ensembles mal délimités, qui se recouvrent parfois très largement. Pourtant, ces deux termes renvoient à des réalités distinctes et complémentaires (Baron et Boulc’h, 2012). Les mots polysémiques pour décrire les attendus de l’institution peuvent alors apporter des confusions pour des enseignants pas toujours suffisamment formés.

Dans les textes institutionnels

Ce n’est pas le rôle des textes institutionnels que de définir précisément les contenus. Ils rendent compte de la vision plus générale qui préside à la rédaction des programmes. Dans ces textes, le numérique, utilisé comme nom, est supposé être « porteur de nombreuses opportunités » (texte 5) et « pallie[r] les défaillances de notre système éducatif » (texte 3). Ce discours s’inscrit dans les mythes du numérique en éducation largement démentis sur un supposé pouvoir transformatif du numérique (Amadieu et Tricot, 2014 ; Fluckiger, 2019b ; Livingstone, 2012). Le terme numérique, utilisé comme adjectif, fait référence au « domaine du numérique » (texte 4), comme dans l’expression « vie numérique » (texte 5), pour lequel il est nécessaire que les élèves développent des compétences car « le quotidien des enfants est déjà numérique » (texte 3). Dans plusieurs textes, « numérique » est utilisé à la fois comme substantif et comme adjectif, parfois dans la même phrase, par exemple : « les enseignements portant à la fois spécifiquement sur le numérique ou utilisant des ressources et outils numériques » (texte 4).

Le terme numérique peut renvoyer à une supposée nouvelle forme de rapport au savoir remettant en cause la place même de l’éducation : « Le savoir change, ses modes de transmission et notre rapport à celui-ci également. Ce dernier échappe désormais au monopole des institutions académiques traditionnelles » (texte 3).

Le terme numérique est largement associé à une idée de changements brutaux et importants : « révolution numérique », « transformation numérique », « bouleversements numériques » sont des syntagmes qui reviennent avec constance sous la plume des acteurs institutionnels. Ainsi, l’idée qui se dégage est celle d’une évolution qu’il est nécessaire d’accompagner, le numérique représentant à la fois un défi et une opportunité.

Dans toutes ces acceptions, il est moins question d’une forme de pensée informatique (Wing, 2006) que de l’utilisation d’instruments (notamment pour enseigner) et d’apprendre aux élèves à les utiliser, idée souvent exprimée dans le vocable, à la mode, des compétences.

Dans les prescriptions officielles

Ce qui est marquant à la lecture des programmes d’enseignement et du S4C, est l’enchevêtrement des termes numérique et informatique. Si le S4C semble les distinguer au travers de deux domaines différents, les programmes d’enseignement utilisent ces deux termes sans réelle distinction.

L’informatique se retrouve dans le premier domaine d’enseignement du S4C, relatif à l’acquisition du langage. Dans ce domaine, les langages sont à la fois perçus comme un objet d’apprentissage et comme un outil d’apprentissage. L’enseignement de l’informatique correspondrait alors à l’acquisition et à l’utilisation d’un langage spécifique. Le S4C précise trois objectifs relatifs à l’utilisation des langages informatiques :

[L’élève] sait que des langages informatiques sont utilisés pour programmer des outils numériques et réaliser des traitements automatiques de données. Il connaît les principes de base de l’algorithmique et de la conception des programmes informatiques. Il les met en œuvre pour créer des applications simples. (S4C)

Au sein des programmes des cycles 1 à 4, nous recensons 93 éléments relatifs à l’enseignement de l’informatique : 53 relèvent des « attendus de fin de cycle [et les] connaissances et compétences associées » (les attendus) et 40 des « exemples de situations, d’activités et de ressources pour l’élève » (les exemples d’activité).

Pour le cycle 2, le mot numérique est employé aussi bien comme adjectif qualificatif pour préciser une technologie (« outils numériques ») que pour s’opposer à un geste physique (« manuscrite ou numérique » pour évoquer l’apprentissage du traitement de texte). Alors que le traitement de texte est nommé « dispositif informatique » dans ce même texte prescriptif.

Dans les manuels

Presque tous les ouvrages du corpus renvoient sur leur couverture à la programmation au travers de termes ou d’expressions tels que « à la découverte du codage », « je code », « apprends à programmer », etc.

Figure 1: Première de couverture d’un manuel du corpus (manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer). © Éditions Hatier, 2020.

Figure 1 : Première de couverture d’un manuel du corpus (manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer). © Éditions Hatier, 2020.

Les ouvrages du corpus ont une forte tendance à associer l’informatique à l’apprentissage d’un langage, du codage et de la programmation, se plaçant ainsi dans la continuité des textes prescriptifs et du S4C.

Au final, dans nos corpus textuels, les contenus relatifs à l’informatique constituent un groupe qui est loin d’être homogène. Les contenus informatiques repérés ici sont de natures diverses. Par exemple, les attendus issus des programmes d’enseignement « copier à l’aide d’un clavier » (MEN, 2015a), « décrire l’architecture simple d’un dispositif informatique » (MEN, 2015b) ou encore « écrire, mettre au point (tester, corriger) et exécuter un programme en réponse à un problème donné » (MEN, 2015b), ne sont pas du même ordre et illustrent le fait que l’informatique est un domaine large recouvrant plusieurs champs.

Fonctionnement institutionnel : autonomie de la discipline

Au-delà de la désignation des contenus, le fonctionnement institutionnel renvoie à l’autonomie de la discipline. Les textes institutionnels oscillent entre deux positions : celle d’une discipline autonome, qui est réservée au lycée à travers la création d’options et de spécialités et la position, dominante, d’un enseignement au sein des disciplines existantes, comme cela était le cas pour le brevet informatique et Internet (B2i, cf. Fluckiger et Bart, 2012). Ainsi, le Conseil national du numérique (CNNUM) indique que l’informatique « se met en œuvre dans toutes les disciplines » (p. 20) ou de la « nécessité d’initier les lycéens à une démarche de pensée “nouvelle, modélisante, algorithmique et organisationnelle”, traversant toutes les disciplines » (p. 22) et précise que « l’enseignement par discipline de l’Éducation nationale se prête mal à cette nécessité d’approche globale » (p. 25).

Tout d’abord, l’école primaire en France se caractérise par la non spécialité disciplinaire des enseignants et par des programmes articulant des contenus de plusieurs disciplines. En outre, les organisations curriculaires de l’école primaire ne sont pas tout à fait des disciplines scolaires au sens qu’elles prennent dans le secondaire. Ainsi, le temps alloué aux enseignements de l’informatique n’est pas précisé dans les programmes scolaires. On peut cependant dire que selon ces critères, l’informatique scolaire est de toute évidence une matière instable, peu présente en termes horaires, et pas toujours mise en œuvre (pour un historique, voir le chapitre 1 « Quel enseignement de l’informatique à l’école primaire en France ? Réflexions sur 40 ans de développements »).

Dès le collège, les attendus concernant les notions informatiques se retrouvent disséminés, au sein de deux champs disciplinaires, les mathématiques et la technologie, rendant la recherche d’informations complexe et incertaine, d’autant qu’il est difficile de savoir si un texte donné est toujours en vigueur ou s’il a été mis à jour ultérieurement. Les instructions officielles se découpent en :

L’analyse de ces prescriptions montre une présence de l’informatique ainsi éparpillée en compétences, thèmes, connaissances, domaines et composantes, ce qui n’aide pas à clarifier les attentes institutionnelles liées à cet enseignement. Par ailleurs, l’analyse des prescriptions en mathématiques montre que l’informatique s’y présente de manière floue (Amadieu et Tricot, 2014), avec des éléments qui ne s’affirment pas comme légitimement ancrés en mathématiques. Pour exemple, dans le programme du cycle 3, la référence à l’informatique, à la programmation et à l’algorithmique est située dans le « domaine 2 : Les méthodes et outils pour apprendre » alors que l’initiation à la programmation y est préconisée, au milieu des savoirs en mathématiques, à partir d’activités géométriques et que l’annexe « repères annuels de progression pour le cycle 3 » (ibid.) montre une visée plus large. En lien avec ces savoirs sur la programmation et l’algorithmique, dans la partie des programmes de sciences et technologie du cycle 3, il est aussi prescrit que les élèves doivent être capables d’« appliquer les principes de l’algorithme et de la programmation par blocs pour écrire ou comprendre un code simple ». Au cycle 4, le terme « algorithme » est présent en lien avec la compétence « communiquer » (MEN, 2020, Annexe 3, p. 130) qui est peut-être la compétence la moins spécifique aux mathématiques, les autres étant « chercher, modéliser, représenter, raisonner, et calculer » dans lesquelles « algorithme » aurait tout à fait eu sa place. Ici, on trouve en outre des expressions telles que : « dans une démarche de projet », « développent des méthodes de programmation »... qui ont peu de sens pour des enseignants en mathématiques non formés ni à la démarche de projet, ni à des méthodes de programmation.

Tableau 1 : Présence des termes liés au champ de la programmation informatique dans les programmes de mathématiques de cycle 4 ; de 2008 à 2020.

2008

2015

2018 et 2020

Informatique / salle info

10

6

4

Algorithmique

0

3

3

Algorithme(s)

4 mais hors contexte de programmation

2 (dont un dans un contexte explicite de programmation)

2 (dont un dans un contexte explicite de programmation)

Coder / code

0

6 dont un en lien avec la programmation (code ASCII)

4 dont 0 en lien avec la programmation

Codage

0

0

0

Programmer / programme (au sens informatique)

0

11

8

Programmation

0

6 (dont programmation événementielle)

5 (programmation événementielle disparaît)

Logiciel (dont géométrie dynamique)

21 (15)

14 (8)

7 (4)

Logiciel (autre que de géométrie dynamique)

6

3

Instruction (en lien avec l’informatique)

3

2

Stockage de l’information

3

1

Robot

0

1

0

Ordinateur

9

1

1

Enfin, un dernier trait saillant de ces programmes est une évolution qui va paradoxalement vers une diminution de la place occupée par l’informatique au fil du temps. Alors que la place de l’informatique et des technologies numériques ne cesse de s’accroître dans nos sociétés, les programmes de 2020 montrent une baisse de la place accordée à l’algorithmique, la programmation et l’informatique qui étaient entrés dans les programmes de 2015, parfois même de 2008. Par exemple, au cycle 4, le tableau 1 analyse la présence et l’évolution, dans les programmes de mathématiques, des termes : informatique, algorithmique / algorithmes, codage / coder / code, programmation / programmer, logiciel, robot et ordinateur.

Ces exemples montrent la complexité pour un enseignant de se repérer dans les prescriptions qui manquent de précisions et laissent même entrevoir des contradictions.

Au final, on peut se demander s’il y a une réelle volonté des prescripteurs de faire entrer les élèves dans la discipline informatique ou si quelques termes sont simplement éparpillés pour soutenir une volonté de former les citoyens aux technologies numériques.

Variété et types de contenus informatiques

Les apports de travaux ancrés en informatique permettent de catégoriser les différents contenus d’enseignement relevant de l’informatique. Bruillard, à la suite des travaux de Mirabail (1990) et Dowek (2012) propose une catégorisation selon trois attracteurs : algorithmes, matériels et réseaux, activités humaines (Bruillard, 2009a).

Ce travail épistémologique sur l’informatique nous a conduits à construire une typologie de trois catégories de contenus possibles : les contenus peuvent concerner l’apprentissage de l’algorithmique ; ils peuvent concerner l’apprentissage du fonctionnement des technologies ; enfin, ils peuvent renvoyer à l’apprentissage de l’utilisation des outils informatisés. Ces catégories de contenus se retrouvent principalement dans les programmes ainsi que dans les manuels.

Apprentissage du fonctionnement des technologies

L’apprentissage du fonctionnement des technologies consiste à enseigner aux élèves le fonctionnement des machines, mais aussi à enseigner l’historique des technologies et les enjeux du développement de ces technologies. À titre d’exemple, les programmes (MEN, 2015b) prévoient que les élèves soient capables de « décrire l’architecture simple d’un dispositif informatique » à la fin du cycle 2, ou encore de « comprendre le fonctionnement d’un réseau informatique » à l’issue du cycle 4.

Dans les ouvrages, les élèves sont par exemple amenés à apprendre comment relier des périphériques à l’unité centrale (manuel 5) ou encore à découvrir l’importance de l’informatique et de la notion de boucle dans les chaînes robotisées de montage de voitures (manuel 2).

Figure 2: Exemple d’exercice relatif à l’apprentissage du fonctionnement des technologies : relier les périphériques à l’unité centrale (manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer). © Éditions Hatier, 2020.

Figure 2 : Exemple d’exercice relatif à l’apprentissage du fonctionnement des technologies : relier les périphériques à l’unité centrale (manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer). © Éditions Hatier, 2020.

Apprentissage de l’algorithmique

Dans les programmes d’enseignement (MEN, 2015b), il s’agit de « coder et décoder pour prévoir, représenter et réaliser des déplacements dans des espaces familiers, sur un quadrillage, sur un écran » au cycle 2, de « concevoir et programmer des applications informatiques pour des appareils nomades » et d’« écrire, mettre au point et exécuter un programme » au cycle 4.

L’apprentissage de l’algorithmique, de la programmation, des langages, etc. consiste, par exemple, à amener l’enfant à écrire des séquences d’action (manuel 1), à lire un message codé avec des flèches afin de tracer sur un damier le parcours d’un robot virtuel (manuel 3), ou à coder avec Scratch (manuel 9).

Figure 3: Exemple d’exercice relatif à l’algorithmique : l’enfant doit tracer sur le damier, le parcours du robot défini par les flèches (manuel 3 : Croq, A., Farnet, P., Payet, N., et Trannoy, G. (2015b). Mon cahier pour apprendre à programmer). © Éditions Bordas, 2015.

Figure 3 : Exemple d’exercice relatif à l’algorithmique : l’enfant doit tracer sur le damier, le parcours du robot défini par les flèches (manuel 3 : Croq, A., Farnet, P., Payet, N., et Trannoy, G. (2015b). Mon cahier pour apprendre à programmer). © Éditions Bordas, 2015.

Apprentissage de l’utilisation des outils informatisés

L’apprentissage de l’utilisation des outils informatisés vise un usage raisonné des outils informatiques, des logiciels, des moteurs de recherche, etc. Ce type de contenus se retrouve dans les programmes d’enseignement. Au cycle 2, les enfants doivent notamment « avoir acquis une familiarisation suffisante avec le traitement de texte et en faire un usage rationnel » (MEN, 2015b). À l’issue du cycle 3 les enfants doivent savoir « écrire avec un clavier rapidement et efficacement » (ibid.), et ils doivent aussi faire « usage de logiciels usuels » (ibid.).

Au sein des manuels, il peut s’agir de s’approprier un clavier, un logiciel de traitement de texte via des exercices ou d’apprendre à utiliser un moteur de recherche ou d’envoyer un courriel (manuel 5).

Figure 4: Extrait d’une page d’exercices relatifs à l’apprentissage de l’utilisation des outils informatisés (manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer). © Éditions Hatier, 2020.

Figure 4 : Extrait d’une page d’exercices relatifs à l’apprentissage de l’utilisation des outils informatisés (manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer). © Éditions Hatier, 2020.

Distribution des contenus dans des manuels scolaires entre fonctionnement, algorithmique et utilisation

Dans un échantillon de dix manuels destinés aux enfants de l’école primaire, comment se répartissent quantitativement les contenus ? L’informatique en tant que technologie est très sous-représentée (6 %) dans les ouvrages analysés tandis que l’algorithmique est majoritaire (59 %) (Vandevelde, et al., 2022).

Nous avons pu montrer (ibid.) une évolution de la catégorie de contenu selon le cycle. Parmi les ouvrages analysés, ceux à destination des cycles 1, 2 et 3 se concentrent sur les questions d’algorithmique. La question de l’utilisation n’apparaît qu’à partir du cycle 3. Les contenus liés à la dimension technologique de l’informatique se concentrent sur les cycles 2 et 3.

Qu’en est-il des types de contenus informatiques au sein des programmes d’enseignement ? Une logique similaire se dégage-t-elle ? Pour cela, nous avons comptabilisé tout ce qui nous apparaissait, dans les programmes scolaires, comme un contenu au sens défini plus haut, puis nous avons catégorisé les 53 contenus identifiés selon les trois catégories (l’imprécision de certaines formulations issues des programmes nous a poussés à classer deux contenus au sein de deux catégories différentes, ce qui fait 55 contenus catégorisés).

Nous commençons par croiser, au sein des programmes, les quatre cycles d’enseignement et les trois types de contenus informatiques identifiés. Les programmes d’enseignement portent surtout sur les questions d’utilisation de l’informatique (49 %) et sur l’algorithmique (33 %), et la quantité de contenus abordés croît au fur et à mesure de l’avancée dans les cycles d’enseignement, passant de deux contenus au cycle 1, à 35 contenus au cycle 4.

Si l’on regarde ici aussi l’évolution en fonction des cycles, c’est surtout le contenu relatif à l’apprentissage de l’utilisation des technologies qui est présent pour les cycles 1 à 3 et le type de contenu relatif à l’apprentissage de l’algorithmique qui est présent pour le cycle 4. Nous remarquons également une véritable évolution au cours des cycles : il y a une interaction statistiquement significative entre le cycle et la catégorie de contenu (χ = 9,02, dl = 6, ρ = 0,001). Premièrement sur l’apprentissage de l’utilisation des outils informatisés qui commence au cycle 1 (découverte de divers outils), s’affine au cycle 2 (dactylographie), continue au cycle 3 (utilisation de logiciels usuels), et se termine au cycle 4 (utilisation des outils en réseaux). Deuxièmement, l’apprentissage de l’algorithmique est absent au cycle 1, démarre dès le cycle 2 (codage de déplacements) puis se perfectionne au cycle 3 (instauration de notions spécifiques) pour se parachever au cycle 4 (application des concepts étudiés).

Tableau 2 : Tableau croisé : les catégories de contenus en fonction des cycles, au sein des programmes d’enseignement.

Cycle Algorithmique Utilisation Technologie Total
Cycle 1 0 2 0 2
Cycle 2 1 4 1 6
Cycle 3 1 8 3 12
Cycle 4 16 13 6 35
Total 18 27 10 55

Ces résultats de l’analyse des programmes diffèrent de ceux établis pour les ouvrages scolaires. D’après les programmes d’enseignement, les cycles 1 à 3 (qui correspondent à l’école maternelle et élémentaire et à la première année du collège français) se concentrent sur l’utilisation des technologies, la question de l’algorithmique étant surtout à travailler au cycle 4. À l’inverse, les manuels pour les cycles 1 à 3 se concentrent sur les questions d’algorithmique, alors que dans les ouvrages du cycle 4 c’est surtout l’utilisation des technologies qui est travaillée.

Ces différences peuvent notamment s’expliquer par le fait que les programmes, s’ils listent les compétences à acquérir à l’issue de chacun des cycles, ne donnent pas d’information quant à la durée à consacrer à une compétence par rapport à une autre. Dans notre analyse, chaque compétence du programme scolaire a été comptabilisée comme un contenu unique, mais il est possible que la traduction dans les livres de cette compétence représente plusieurs « éléments textuels » (pages de textes ou exercices).

Fonctionnement pédagogico-didactique

Sous le terme « fonctionnement pédagogico-didactique », Reuter (2014) regroupe des indicateurs portant sur les contenus, les dispositifs, les activités d’enseignement, d’apprentissage et d’évaluation. Les textes institutionnels ne rentrent pas dans le détail du fonctionnement. C’est dans les programmes que des précisions sont apportées quant à la manière de travailler les contenus relevant de l’informatique. Dans les programmes de 2015 (MEN, 2015a ; 2015b), ces précisions prennent la forme « d’exemples de situations, d’activités et de ressources pour l’élève » proposés aux enseignants afin que les élèves acquièrent les « connaissances et compétences » (les contenus) requises.

Pour chaque contenu informatique identifié, un exemple d’activité n’est pas systématiquement donné. Ainsi, au cycle 3, les élèves doivent « apprendre à utiliser les outils numériques qui peuvent conduire à des réalisations collectives » ou encore apprendre à « utiliser des logiciels d’acquisition de données, de simulation et des bases de données » sans qu’aucun exemple de situation, d’activité ou de ressource pour l’élève ne soit mentionné.

Tableau 3 : Extrait des programmes d’enseignement du cycle 2 (MEN, 2015).

Commencer à s’approprier un environnement numérique

Décrire l’architecture simple d’un dispositif informatique. Observer les connexions entre les différents matériels.
Avoir acquis une familiarisation suffisante Familiarisation progressive par la pratique,
avec le traitement de texte et en faire usage du correcteur orthographique.
un usage rationnel (en lien avec le français) Mise en page, mise en forme de paragraphes,
supprimer, déplacer, dupliquer.
Saisie, traitement, sauvegarde, restitution.

Que ce soit au niveau des contenus ou des exemples d’activités et de ressources, les outils à utiliser pour les enseignements sont mentionnés d’une manière assez peu précise. Ainsi, les enseignants de cycle 2 sont invités à initier les élèves « à l’usage d’un logiciel permettant de représenter les solides » (MEN, 2015b). Les élèves de cycle 3 doivent savoir « utiliser des outils numériques » (MEN, 2015b), mais aucune précision n’est donnée quant à la nature de ces outils numériques. Les quelques rares outils numériques clairement explicités dans les programmes d’enseignement sont les ordinateurs (aux cycles 1 à 4), les claviers, les logiciels de traitement de textes et les robots.

Une autre manière de comprendre le fonctionnement pédagogico-didactique consiste à interroger les modalités de travail des élèves. Notamment, les élèves doivent-ils lire (afin de comprendre et/ou retenir) ou réaliser des activités ? Puisque nous avions constitué nos éléments textuels selon qu’il s’agissait de pages de cours ou d’exercices, un premier critère très simple est de regarder la répartition entre ces deux modalités. Cet indicateur très frustre est néanmoins surprenant. Sur l’ensemble des ouvrages, il y a plus de cours que d’exercices (62 % de cours et 38 % d’exercices). En outre, sur les dix manuels analysés, six contiennent plus de pages de cours que d’exercices. Dans la mesure où il est généralement admis que l’informatique doit être pratiquée pour être apprise (Fluckiger, 2019a), nous nous attendions à trouver davantage d’exercices que de pages de cours. Nous pouvons donc dire que dans la conception qu’en ont les rédacteurs des ouvrages (au moins de six sur dix), l’informatique se pratique, certes (les élèves sont amenés à faire de l’informatique), mais elle s’explique ou se raconte beaucoup (les élèves sont amenés à se documenter sur l’informatique).

Nous avons également pu montrer (Vandevelde et al., 2022) qu’il existe une relation entre la modalité page de cours ou exercice et le type de contenu informatique abordé (χ = 73,16, dl = 2, ρ = 0,001) : l’apprentissage de l’utilisation des technologies passe par des exercices plus que par des textes, tandis que l’apprentissage de l’algorithmique passe surtout par des textes. Il s’agit d’un résultat surprenant. On aurait pu faire l’hypothèse que les questions d’algorithmique et de programmation, nécessitant une certaine pratique de la part de l’élève, soient davantage abordées au travers d’exercices, et que les questions d’utilisations seraient plutôt abordées dans les cours. Or, les résultats de l’analyse des dix manuels sélectionnés, sans que notre choix subjectif n’entre en jeu, ne vont pas dans ce sens.

Modes de références des contenus aux espaces théoriques

Reuter désigne par le terme de « relations aux espaces théoriques » les questions relatives à la construction des savoirs scolaires (Reuter, 2014). À la suite de Martinand (1986), nous considérons que les contenus scolaires ne sont pas issus uniquement de savoirs académiques, mais peuvent être construits en référence à des pratiques de production, d’ingénierie, voire des pratiques quotidiennes dans différentes sphères sociales. C’est pourquoi nous cherchons à déterminer dans quelle mesure les contenus sont référés à des savoirs académiques ou à diverses pratiques sociales.

Les textes institutionnels se revendiquent volontiers de la nécessité d’adapter l’école et les enseignements à l’évolution de la société et sa numérisation rapide. Mais comment une telle recommandation est-elle mise en œuvre et comment se traduit-elle ?

Dans les programmes, les exemples d’activités et de ressources concernant l’apprentissage de contenus informatiques font largement référence à des situations « technologisées », dans le sens où l’utilisation d’outils numériques, même si la nature de ceux-ci n’est que peu précisée, est quasiment exclusive au sein des exemples de situations, d’activités ou de ressources pour l’élève, proposés aux enseignants. Néanmoins, le fait que les contenus informatiques soient travaillés au sein d’autres enseignements plus clairement identifiés tels que les mathématiques, le français ou autre, tend vers une double contextualisation des enseignements : une première contextualisation venant de l’enseignement dans lequel l’apprentissage de l’informatique s’inscrit, et une seconde contextualisation venant de la mobilisation d’outils technologiques.

De ce point de vue, il est frappant de constater que dans les manuels, les situations d’apprentissage proposées ne font pas toujours référence à des situations « technologisées ». Une telle présentation doit beaucoup à l’idée qu’il faudrait que les exercices scolaires soient « proches de la vie réelle », qui imprègne par exemple les grandes évaluations comme le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) (Bart et Fluckiger, 2015).

Figure 5: Illustration issue du projet Hello Ruby (https://www.helloruby.com), à l’origine du manuel 1. CC BY-NC-SA.

Figure 5 : Illustration issue du projet Hello Ruby (https://www.helloruby.com), à l’origine du manuel 1. CC BY-NC-SA.

Ainsi, dans l’ouvrage de cycle 1, la narration et les exercices proposés font référence à des situations supposées familières aux enfants et ne semblent a priori pas faire référence aux ordinateurs ou à l’informatique. La notion de boucle est introduite via la construction d’une échelle, les motifs répétés sont travaillés sur des séquences de papier peint, etc.

Pourtant un lecteur attentif et plus connaisseur peut déceler des références discrètes à l’informatique et à la culture numérique, à travers le choix des personnages et des représentations graphiques qui illustrent l’ouvrage (manuel 1, figure 12) : le personnage du Léopard des neiges, allégorie de la mise à jour du système d’exploitation Apple ; des robots évoquant le logo du système d’exploitation Androïd ; un motif de tapisserie ressemblant au logo de la marque Apple ; une illustration faisant penser au circuit imprimé et processeur d’une carte mère, etc. (figure 5).

À partir du cycle 2 puis dans les manuels des cycles 3 et 4, la présence du monde informatique au sens large passe également par des choix graphiques. Au cycle 3, un manuel fait se déplacer des personnages pixélisés, typiques de l’esthétique informatique des années 1980, évoquant un ancien jeu vidéo. Au cycle 4 l’univers graphique est moins présent, l’idée de machine n’est plus représentée que par le robot mBot, robot réel que les enfants peuvent être amenés à programmer en classe.

Visées ou finalités assignées aux contenus informatiques à l’école primaire française

Une explicitation des enjeux et finalités d’un enseignement de l’informatique dès l’école primaire est surtout le fait des textes institutionnels, plus rarement des programmes. Ainsi, le CNNUM (texte 2) précise qu’enseigner l’informatique « est une réponse à l’attente sociale d’une politique de l’égalité : permettre à tous les élèves d’avoir une « clé » pour comprendre le monde numérique, participer à la vie sociale et se préparer à de nouveaux mondes professionnels ». Il s’agit alors de « mieux comprendre le monde numérique qui nous entoure » ou, comme le dit Studer (texte 1), de « donner à nos enfants les clefs de leur vie numérique ». La finalité est ici politique et citoyenne, les enfants étant appelés à devenir les citoyens de demain : pour les auteurs de ces textes, comprendre le monde numérique est une condition pour « être pleinement un citoyen actif dans la société » (texte 2).

Cette visée d’une culture numérique générale, d’une formation à une culture scientifique et technique partagée passe cependant, pour les institutions éducatives, par une construction de « compétences dans le domaine du numérique » (texte 4). Ces compétences sont censées être construites par des expériences concrètes que les élèves peuvent vivre et poursuivre, dans un cadre scolaire ou hors temps scolaire » (ibid.). En effet, pour les rédacteurs, il semble y avoir une continuité entre les apprentissages extrascolaires concernant le numérique et les apprentissages scolaires : les élèves sont censés « réinvestir certains apprentissages informels, acquis en dehors de l’école » (texte 1), ce qui était déjà la logique présidant au certificat de compétences B2i (Fluckiger et Bart, 2012).

Conclusion

Ce chapitre visait à présenter brièvement comment les contenus informatiques se présentent aux acteurs de l’enseignement (enseignants, élèves, parents) sous une forme de textes et de discours : quels types de contenus, organisation, désignation, objectifs affichés dans la scolarité des élèves.

Ce sont les réflexions sur les disciplines scolaires qui nous ont permis de dégager les grandes lignes des enseignements prescrits. Cela n’est pas si paradoxal : en effet, ces contenus ne se présentent pas sous la forme d’une discipline solidement établie, dotée d’un corps enseignant spécifique. Mais cela est rarement, sinon jamais le cas à l’école primaire. Surtout, une discipline est bien une construction sociale, dans tous les sens du terme : non seulement elle a une histoire, inscrite dans les évolutions sociales et culturelles de la période (du même ordre que celles qui ont conduit à la quasi-disparition des disciplines autrefois reines qu’étaient le grec et le latin), mais aussi et surtout les disciplines sont (re)construites par les acteurs, qui se saisissent des discours institutionnels pour se faire une idée de ces enseignements, de leur organisation, leurs modalités ou leurs finalités.

Cette analyse d’un corpus textuel encadrant et guidant les enseignements ne dit évidemment rien de la façon dont ces textes seront appréhendés et mis en œuvre par les enseignants, ni comment les élèves construiront des représentations quant à aux savoirs en jeu dans les activités scolaires qui leur sont proposées autour de l’informatique ou de la robotique scolaire. C’est ce que proposent les chapitres suivants.

Recommandations

Concernant les désignations des contenus informatiques, les confusions constatées dans la manière de désigner les contenus informatiques nous conduisent à recommander de bien distinguer dans les manuels et les programmes d’enseignement ce qui relève de l’informatique de ce qui relève des usages du numérique.

Suite à notre analyse des différents types de contenus présents dans les programmes et les manuels, nous préconisons que les différentes dimensions d’une culture informatique soient prises en compte lors des enseignements (concernant la science informatique et l’algorithmique, concernant la technologie des ordinateurs, des tablettes numériques ou des réseaux, concernant l’usage des outils et logiciels courants). Les trois dimensions peuvent faire l’objet de cours comme d’exercices.

Enfin, les liens entre les savoirs issus de la science informatique et l’environnement largement numérisé, la technologie numérique, dans laquelle évoluent les enfants ne sont pas toujours clairement mis en avant. Les exemples de situations invoquant l’algorithmique sont souvent tirés de situations éloignées de la technologie numérique (construire une échelle, faire un gâteau...), ce qui ne permet pas aux enfants de bien comprendre que c’est ainsi que fonctionnent les outils numériques. Il conviendrait de penser davantage les enseignements informatiques, dans une scolarité obligatoire, comme un moyen de donner des clés de compréhension du fonctionnement des technologies numériques, en les inscrivant dans une approche sociétale.

Références

Amadieu, F., et Tricot, A. (2014). Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Retz. https://doi.org/10.14375/NP.9782725633206

Baron, G.-L., et Boulc’h, L. (2011). Les technologies de l’information et de la communication à l’école primaire. État de question en 2011, Revue de l’enseignement public et informatique (EPI). https://www.epi.asso.fr/revue/articles/a0910c.htm

Baron, G.-L., et Drot-Delange, B. (2016). L’informatique comme objet d’enseignement à l’école primaire française ? Mise en perspective historique. Revue Française de Pédagogie, vol. 195, n° 2 p. 51-62. https://doi.org/10.4000/rfp.5032

Bart, D., et Fluckiger, C. (2015). « Évaluation, fabrication des contenus et disciplines d’enseignement », dans B. Daunay, C. Fluckiger, et R. Hassan, Les Contenus d’enseignement et d’apprentissage. Approches didactiques, Presses universitaires de Bordeaux, p. 91-102. https://doi.org/10.4000/books.pub.38357

Bruillard, É. (2009a). « Place de l’informatique dans l’enseignement secondaire, réflexions introductives », dans G.-L. Baron, É. Bruillard, et L.-O. Pochon (dir.), Informatique et progiciels en éducation et en formation, p. 21-27, INRP.

Bruillard, É. (2014). Une voie pour penser et construire une formation à l’informatique pour les élèves de l’école primaire ?, Université Paris Cité. https://hal.science/hal-03948939

Chevallard, Y. (1985). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné. Le Pensée Sauvage.

Daunay, B., Fluckiger, C., et Hassan, R. (2015). Les contenus d’enseignement et d’apprentissage. Approches didactiques. Presses universitaires de Bordeaux. https://doi.org/10.4000/books.pub.38242

Delcambre, I. (2013). « Contenus d’enseignement et d’apprentissage », dans Y. Reuter (dir.), Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, 3e éd., De Boeck, p. 43-48. https://doi.org/10.3917/dbu.reute.2013.01.0043

Dowek, G. (2012). « Les quatre concepts de l’informatique », dans G.-L. Baron, É. Bruillard, et V. Komis, Actes du quatrième colloque international DIDAPRO 4—Dida&Stic, New Technologies Editions, p. 21-29.

Fluckiger, C. (2011). La didactique de l’informatique et les constructions sociales de la figure des jeunes utilisateurs, Recherches en Didactiques, vol. 11, p. 67-84. https://doi.org/10.3917/rdid.011.0067

Fluckiger, C. (2019a). Une approche didactique de l’informatique scolaire, Presses universitaires de Rennes.

Fluckiger, C. (2019b). Numérique en formation : des mythes aux approches critiques, Education permanente, vol. 219, p. 19-30. https://doi.org/10.3917/edpe.219.0019

Fluckiger, C., et Bart, D. (2012). L’introduction du B2i à l’école primaire : évaluer des compétences hors d’une discipline d’enseignement ?, Questions Vives, vol. 7, n° 17, p. 71-87. https://doi.org/ 10.4000/questionsvives.1006

Fluckiger, C., et Reuter, Y. (2014). Les contenus « informatiques » et leur(s) reconstruction(s) par des élèves de CM2. Étude didactique, Recherches en éducation, vol. 18, p. 64-78. https://doi.org/10.4000/ ree.8510

Harlé, I. (2016). Analyse de reconfigurations disciplinaires : les apports de la didactique à la sociologie, Spirale, vol. 58, p. 23-34. https://doi.org/10.3917/spir.058.0023

Livingstone, S. (2012). Critical reflections on the benefits of ICT in education, Oxford review of education, vol. 1, n° 38, p. 9-24. https://doi.org/10.1080/03054985.2011.577938

Martinand, J.-L. (1986). Connaître et transformer la matière, Peter Lang.

Mirabail, M. (1990). La culture informatique, ASTER, vol. 11, p. 11-28. https://doi.org/10.4267/2042/9117

Reuter, Y. (2004). Analyser la discipline : quelques propositions, Actes du 9e colloque de l’association internationale pour la recherche en didactique du Français, vol. 35, p. 5-12. https://doi.org/10.3406/ airdf.2004.1611

Reuter, Y. (2007b). « Discipline scolaire », dans Y. Reuter, C. Cohen-Azria, B. Daunay, I. Delcambre, et D. Lahanier-Reuter, Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, p. 85-89.

Reuter, Y. (2014). Construire la catégorie de discipline scolaire en didactique(s). Linguarum Arena, vol. 5, p. 79-95.

Reuter, Y., et Lahanier-Reuter, D. (2007). L’analyse de la discipline : quelques problèmes pour la recherche en didactique, 9e colloque de l’association internationale pour la recherche en didactique du Français. https://doi.org/10.3406/airdf.2007.1729

Vandevelde, I., Fluckiger, C., et Nogry, S. (2022). Resources and textbooks for computer science education in French primary schools, IARTEM E-Journal, vol. 14, n° 1, p. 1-20. https://doi.org/ 10.21344/iartem.v14i1.954

Wing, J. M. (2006). Computational thinking, Communications of the ACM, vol. 49, n° 3, p. 33-35. https://doi.org/10.1145/1118178. 1118215

Annexes

Manuels analysés

Cycle 1 :

Manuel 1 : Liukas, L. (2016). Hello Ruby!, Glénat jeunesse.

Cycle 2 :

Manuel 2 : Croq, A., Farnet, P., Payet, N., et Trannoy, G. (2015a). J’apprends à programmer tout seul ! Bordas.

Manuel 3 : Croq, A., Farnet, P., Payet, N., et Trannoy, G. (2015b). Mon cahier pour apprendre à programmer, Bordas.

Manuel 4 : Lyons, H., et Tweedale, E. (2017). Mon atelier code. Tout pour faire ses premiers pas en programmation informatique, Fleurus.

Cycle 3 :

Manuel 5 : Cohen, A., et Marcialis, J. (2018). Comprendre les outils numériques et programmer, Hatier.

Manuel 6 : Morgan, N. (2017). Javascript pour les kids, Eyrolles.

Manuel 7 : Vorderman, C., Woodcock, J., et McManus, S. (2017). À vos marques, prêts ? Codez ! Larousse.

Cycle 4 :

Manuel 8 : Anguenot, G., Launay, J., Corne, R., Vogt, O., et Sauzeau, D. (2016). Cahier d’algorithmique et de programmation, Delagrave.

Manuel 9 : Bassette, T. (2017). 1, 2, 3, je code avec Scratch, Larousse.

Manuel 10 : Plumel, D. (2017). 1, 2, 3, je construis avec Minecraft, Larousse.

Textes institutionnels

Texte 1 IGEN (2017). Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique. Vers de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner, Rapport à monsieur le ministre de l’Éducation nationale, Inspection générale de l’Éducation nationale https://cache.media.education.gouv.fr/file/ 2017/55/1/IGEN-Rapport-2017-056-Repenser-forme-scolaire-num erique-nouvelles-manieres-apprendre-enseigner_849551.pdf

Texte 2 CNNum (2014). Jules Ferry 3.0, Bâtir une école créative et juste dans un monde numérique, Conseil national du numérique. https://cnnumerique.fr/files/2017-10/Rapport_CNNum_ Education_oct14.pdf

Texte 5 CACE (2018). Rapport d’information, Commission des affaires culturelles et de l’éducation. http://www.assemblee-nation ale.fr/15/rap-info/i1296.asp

Texte 3 Institut Montaigne (2016). Le numérique pour réussir dès l’école primaire, Rapport de mars 2016 de l’insitut Montaigne https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publicatio ns/institut_montaigne_le_numerique_pour_reussir_des_l_ecole _primaire.pdf

Texte 4 MEN (2018). Le numérique au service de l’école de la confiance, Ministère de l’Éducation nationale. https://www.education.gouv.f r/le-numerique-au-service-de-l-ecole-de-la-confiance-3212

Corpus de programmes

Prog. 1 MEN. (2015a). Programme d’enseignement de l’école maternelle.

Prog 2-3-4 MEN. (2015b). Programmes d’enseignement du cycle des apprentissages fondamentaux (cycle 2), du cycle de consolidation (cycle 3) et du cycle des approfondissements (cycle 4).

S4C MEN. (2015c). Socle commun de connaissances, de compétences et de culture : Décret n°2015-372 du 31-3-2015.

Prog.2020 MEN (2020). Programmes d’enseignements Cycles 2, 3 et 4, Modifications. https://www.education.gouv.fr/bo/20/Hebd o31/MENE2018714A.htm

1. La noosphère désigne, selon Chevallard (1985), « la sphère où l’on pense – selon des modalités parfois fort différentes – le fonctionnement didactique ».